Vien
Vien a de la vérité, de la simplicité, une grande sagesse dans ses compositions. Il paraît s’être proposé Le Sueur pour modèle. Il a plusieurs qualités de ce grand maître ; mais il lui manque sa force et son génie. Je crois que Le Sueur a aussi le goût plus austère.
Vien. Il est de 14 pieds de large, sur 9 pieds, 4 pouces de haut.
Zephire et Flore, morceau de plafond. Ce sont deux figures liées par des guirlandes sur un fond bleu. Le Zephire me paraît avoir de la légèreté. La Flore est une figure muette qui ne me dit rien. Ce morceau ne m’a appris qu’une chose c’est que nos fripons de brocanteurs ont certainement vendu à notre ami le baron un morceau coupé d’un plafond pour un tableau. Il n’y a point de commerce où il y ait tant de mauvaise foi que dans celui des tableaux. On vous engoue d’une croûte qu’on vous fait acheter au poids de l’or ; on vous dégoûte d’un morceau excellent. On vous donne un tableau d’un maître, d’une école, pour un tableau d’un autre maître ou d’une autre école ; une copie pour un original ; on vernit. On repeint. On allonge. On rogne. À tout moment les plus fins y sont pris.
Du même. Il est de 5 pieds sur 4.
Psyché qui vient avec sa lampe surprendre et voir l’Amour endormi. Les deux figures sont de chair ; mais elles n’ont ni l’élégance, ni la grâce, ni la délicatesse qu’exigeait le sujet. L’Amour me paraît grimacer. Psyche n’est point cette femme qui vient en tremblant sur la pointe du pied ; je n’aperçois point sur son visage ce mélange de crainte, de surprise d’amour, de désir et d’admiration qui devrait y être. Elle devrait avoir la bouche entrouverte, et craindre de respirer. C’est son amant qu’elle voit, qu’elle voit pour la première fois, au hasard de le perdre. Quelle joie de le voir et de le voir si beau ? Ô que nos peintres ont peu d’esprit ! qu’ils connaissent peu la nature ! la tête de Psyche devrait être penchée vers l’Amour ; le reste de son corps porté en arrière, comme il l’est lorsqu’on s’avance vers un lieu où l’on craint d’entrer et dont on est prêt à s’enfuir, un pied posé et l’autre effleurant la terre ; et cette lampe, en doit-elle laisser tomber la lumière sur les yeux de l’Amour ? ne doit-elle pas la tenir écartée, et interposer sa main, pour en amortir la clarté. Ce serait un moyen d’éclairer ce morceau d’une manière bien piquante. Mais ils ne songent à rien. Ces gens-là n’ont jamais vu une mère qui vient la nuit voir son enfant au berceau, une lampe à la main, et qui craint de l’éveiller. Ils ne savent pas que les paupières ont une espèce de transparence.
Du même. Il est de 9 pouces de haut, sur 2 pieds de large.
La Jeune Grecque qui orne un vase de bronze, avec une guirlande [de] fleurs. Le sujet est charmant ; mais qu’exige-t-il ? une grande pureté de dessin, une grande simplicité de draperie, une élégance infinie dans toute la figure ? je demande si cela y est ; de l’ingénuité, de l’innocence et de la délicatesse dans le caractère de la tête ? je demande si cela y est. Toute la grâce possible dans les bras et dans leur action ? je demande encore si cela y est. Tenez, mon ami. C’est que c’était là le sujet d’un bas-relief et non d’un tableau.
Du même. Il est de 11 pieds de haut, sur 6 de large.
Je n’ai remarqué ni l’Hebé du même peintre, ni la Musique, ni ses autres tableaux. Pour son Germain qui donne une médaille à Ste Genevieve, je crois que celui qui ne voit pas avec la plus grande satisfaction ce morceau, n’est pas digne d’admirer Le Sueur. Rien ne m’en paraît sublime, mais tout m’en paraît beau. Je n’y trouve rien qui me transporte, mais tout m’en plaît et m’arrête. Il y règne d’abord une tranquillité, une convenance d’actions, une vérité de disposition qui charment. Le St Germain est assis. Il est vêtu de ses habits pontificaux. La jeune sainte est à genoux devant lui. Il lui présente la médaille. Elle étend la main pour la recevoir. Derrière St Germain, il y a un autre évêque et quelques autres ecclésiastiques ; derrière la sainte, son père et sa mère. Son père qui a l’air d’un bon homme ; sa mère, pénétrée d’une joie qu’elle ne peut contenir. Entre la sainte et l’évêque, un aumônier en grand surplis, un peu penché, d’un beau caractère et qui fait le plus bel effet. Autour de l’aumônier, des peuples qui s’élèvent sur leurs pieds et qui cherchent à voir la sainte. La sainte est dans la première jeunesse.
Son vêtement est simple ; sa taille élégante et légère. Ce sont l’innocence et la grâce même. Le vieil évêque a le caractère qu’il doit avoir. Et puis une lumière douce, diffuse sur toute la composition comme on la voit dans la nature, large, s’affaiblissant ou se fortifiant d’une manière imperceptible. Point de places luisantes ; point de taches noires. Et puis une vérité, et une sagesse qui vous attachent secrètement. On est au milieu de la cérémonie. On la voit ; et rien ne vous détrompe. Peu de tableaux au Salon où il y ait autant à louer ; aucun où il y ait moins à reprendre. Les natures ne sont ici ni poétiques, ni grandes ; c’est la chose même, sans presque aucune exagération. Ce n’est pas la manière de Rubens ; ce n’est pas le goût des écoles italiennes. C’est la vérité qui est de tous les temps et de toutes les contrées.