(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Musset, Alfred de (1810-1857) »
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(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Musset, Alfred de (1810-1857) »

Musset, Alfred de (1810-1857)

[Bibliographie]

Contes d’Espagne et d’Italie (1830). — Un spectacle dans un fauteuil (1832). — La Confession d’un enfant du siècle, roman (1836). — Poésies complètes : 1re partie, Contes d’Espagne et d’Italie (1830) ; Poésies diverses : 2e partie, Un spectacle dans un fauteuil ; 3e partie, Poésies nouvelles (1835-1840) — Les Deux Maîtresses ; Frédéric et Bernerette (1840). — Comédies et Proverbes (1840-1848-1851), contenant : André del Sarto ; Lorenzaccio ; Les Caprices de Marianne ; Fantasio ; On ne badine pas avec l’amour ; Une nuit vénitienne ou les Noces de Laurette ; La Quenouille de Barberine ; Le Chandelier ; Il ne faut jurer de rien ; Un caprice. — Dans une deuxième édition (1857) sont ajoutés : Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée ; Louison ; On ne saurait penser à tout ; Carmosine ; Bettine. — Nouvelles (1841-1846) : Les Deux Maîtresses ; Emmeline ; Le Fils du Titien ; Frédéric et Bernerette ; Croisilles ; Margot. — Nouvelles, avec M. Paul de Musset (1848). Deux des quatre nouvelles contenues dans ce volume : Pierre et Camille ; Le Secret de Javotte, sont d’Alfred de Musset. — L’Habit vert, proverbe en un acte, avec M. Émile Augier (1849). — Louison, comédie en deux actes et en vers (1849). — Poésies nouvelles (1850). — Œuvres posthumes (1860).

OPINIONS.

Sainte-Beuve

Quelles sont, dans les pièces de poésie composées depuis 1819 jusqu’en 1830, celles qui se peuvent relire aujourd’hui avec émotion, avec plaisir ? Je pose la question seulement et n’ai garde de la trancher, ni de suivre de près cette ligne légère, sensible pourtant, qui, chez les illustres les plus sûrs d’eux-mêmes, sépare déjà le mort du vif. Poètes de ce temps-ci, vous êtes trois ou quatre qui vous disputez le sceptre, qui vous croyez chacun le premier ! Qui sait celui qui aura le dernier mot auprès de nos neveux indifférents. Rien ne subsistera de complet des poètes de ce temps. M. de Musset n’échappera point à ce destin dont il n’aura peut-être point tant à se plaindre ; car il y a de lui des accents qui iront d’autant plus loin, on peut le croire, et qui perceront d’autant mieux les temps, qu’ils y arriveront sans accompagnement et sans mélange. Ces accents sont ceux de la passion pure, et c’est dans ses Nuits de mai et d’octobre qu’il les a surtout exhalés.

[Causeries du lundi ().]

Sainte-Beuve

Goethe, dès sa jeunesse et dès le temps de Werther, s’apprêtait à vivre plus de quatre-vingts ans. Pour Alfred de Musset, la poésie était le contraire ; sa poésie, c’était lui-même, il s’y était rivé tout entier ; il s’y précipitait à corps perdu ; c’était son âme juvénile, c’était sa chair et son sang qui s’écoulait ; et quand il avait jeté aux autres ces lambeaux, ces membres éblouissants du poète qui semblaient parfois des membres de Phaéton et d’un jeune dieu (se rappeler les magnifiques apostrophes et invocations de Rolla), il gardait son lambeau à lui, son cœur saignant, son cœur brûlant et ennuyé. Que ne prenait-il pas patience ? Tout serait venu en sa saison. Mais il avait hâte de condenser et de dévorer les saisons.

Après les jeux de la passion que devenait cette enfance, elle-même pourtant, elle vint, la passion en personne : nous le savons ; elle éclaira un moment ce génie si bien fait pour elle, elle le ravagea… Il a dû à ces heures d’orage et de douloureuse agonie de laisser échapper en quelques nuits immortelles des accents qui ont fait vibrer les cœurs, et que rien n’abolira. Tant qu’il y aura une France et une poésie française, les flammes de Musset vivront comme vivent les flammes de Sapho.

[Portraits littéraires ().]

Auguste Vacquerie

Un adolescent imberbe et gracieux, qui aspire à la force et qui n’y arrive pas, tel est Alfred de Musset comme homme — et comme poète. Auguste Préault l’a très spirituellement appelé « Mademoiselle Byron » ; le mot est juste et lui restera. Toutes les qualités féminines légères, délicates, fragiles, souffrantes ; ce qu’on entendait par de l’aristocratie quand le mot avait un sens ; la gracilité de ces héritiers élégants et maladifs en qui s’éteignent les familles nobles ; charmant, touchant, oui, — grand, non. On est grand quand, à travers les huées, les colères et les trahisons, on donne à l’art et à la société une forme nouvelle, quand, par le livre ou par l’action, et mieux par les deux ensemble, on ouvre une porte fermée de l’avenir, quand on entre le premier dans l’inconnu, quand on est le conducteur d’un demi-siècle. Alfred de Musset conduire un siècle ? Il n’a pas pu le suivre !

[Profils et grimaces ().]

Alphonse de Lamartine

Alfred de Musset, soit qu’il éprouvât lui-même cette fastidiosité du sublime et du sérieux, soit qu’il comprît que la France demandait une autre musique de l’âme ou des sens à ses jeunes poètes, ne songea pas un seul instant à nous imiter. Il toucha du premier coup sur son instrument des cordes de jeunesse, de sensibilité d’esprit, d’ironie de cœur, qui se moquaient hardiment de nous et du monde. Ces vers faisaient, dans le concert poétique de 1828, le même effet que l’oiseau moqueur fait à la complainte du rossignol dans les forêts vierges d’Amérique, ou que les castagnettes font à l’orgue dans une cathédrale vibrante des soupirs pieux d’une multitude agenouillée devant des autels.

[Cours familier de littérature (-1868).]

Hippolyte Taine

Nous le savons tous par cœur. Il est mort et il nous semble que tous les jours nous l’entendons parler. Une causerie d’artistes qui plaisantent dans un atelier, une belle jeune fille qui se penche au théâtre sur le bord de sa loge, une rue lavée par la pluie où luisent les pavés noircis, une fraîche matinée riante dans les bois de Fontainebleau, il n’y a rien qui ne nous le rende présent et comme vivant une seconde fois. Y eut-il jamais accent plus vibrant et plus vrai ? Celui-là au moins n’a jamais menti. Il n’a dit que ce qu’il sentait, et il l’a dit comme il le sentait. Il a pensé tout haut. Il a fait la confession de tout le monde. On ne l’a point admiré, on l’a aimé ; c’était plus qu’un poète, c’était un homme. Chacun retrouvait en lui ses propres sentiments, les plus fugitifs, les plus intimes ; il s’abandonnait, il se donnait, il avait les dernières des vertus qui nous restent, la générosité et la sincérité. Et il avait le plus précieux des dons qui puissent séduire une civilisation vieillie, la jeunesse. Comme il a parlé « de cette chaude jeunesse, arbre à la rude écorce, qui couvre tout de son ombre, horizons et chemins ! » Avec quelle fougue a-t-il lancé et entrechoqué l’amour, la jalousie, la soif du plaisir, toutes les impétueuses passions qui montent avec les ondées d’un sang vierge du plus profond d’un jeune cœur ! Quelqu’un les a-t-il plus ressenties ? Il en a été trop plein, il s’y est livré, il s’en est enivré. Il s’est lâché à travers la vie comme un cheval de race, cabré dans la campagne, que l’odeur des plantes et la magnifique nouveauté du vaste ciel précipitent à pleine poitrine dans des courses folles qui brisent tout et vont le briser. Il a trop demandé aux choses ; il a voulu d’un trait, âprement et avidement, savourer toute la vie : il ne l’a point cueillie, il ne l’a point goûtée ; il l’a arrachée comme une grappe et pressée, et froissée, et tordue ; et il est resté les mains salies, aussi altéré que devant. Alors ont éclaté ces sanglots qui ont retenti dans tous les cœurs. Quoi ! si jeune et déjà si las ! Tant de dons précieux, un esprit si fin, un tact si délicat, une fantaisie si mobile et si riche, une gloire si précoce, un si soudain épanouissement de beauté et de génie, et au même instant les angoisses, le dégoût, les larmes et les cris ! Quel mélange ! Du même geste il adore et il maudit. L’éternelle illusion, l’invincible expérience sont en lui côte à côte pour se combattre et se déchirer. Il est devenu vieillard, et il est demeuré jeune homme ; il est poète et il est sceptique. La Muse et sa beauté pacifique, la Nature et sa fraîcheur immortelle, l’Amour et son bienheureux sourire, tout l’essaim de visions divines passe à peine devant ses yeux qu’on voit accourir, parmi les malédictions et les sarcasmes, tous les spectres de la débauche et de la mort. Comme un homme, au milieu d’une fête, qui boit dans une coupe ciselée, debout, à la première place, parmi les applaudissements et les fanfares, les yeux riants, la joie au fond du cœur, échauffé et vivifié par le vin généreux qui descend dans sa poitrine et que subitement on voit pâlir ; il y avait du poison au fond de la coupe ; il tombe et râle ; ses pieds convulsifs battent les tapis de soie, et tous les convives effarés regardent. Voilà ce que nous avons senti le jour où le plus aimé, le plus brillant d’entre nous, a tout d’un coup palpité d’une atteinte invisible, s’est abattu avec un hoquet funèbre parmi les splendeurs et les gaietés menteuses de notre banquet.

[Alfred de Musset ().]

Théodore de Banville

Je voudrais le montrer non tel que l’a dessiné Gavarni en cette lithographie exquise où le dandy-poète, déjà fatigué de la lutte, pâli par les veilles, ferme à demi ses yeux et regarde tristement le fantôme de la vie ; — mais fier, charmant, jeune, beau comme dans le médaillon où David nous conserva l’image de son enfance adorable, et tel qu’il apparut à cette soirée chez Charles Nodier, où il lut pour la première fois les Contes d’Espagne et d’Italie, et d’où il sortit célèbre. Sans barbe alors, et tout resplendissant d’une grâce juvénile, ce nez aquilin trop long et trop busqué, d’un caractère si étrange et hardi, ces yeux ingénus et profonds, cette petite bouche aux lèvres amoureuses, faites pour les baisers, ce puissant menton byronien, et surtout ce large front modelé par le génie, et cette épaisse, énorme, violente, fabuleuse chevelure blonde, tordue et retombant en onde frémissante, lui donnent l’aspect d’un jeune dieu. Le cou long, charnu, démesuré, est d’un lutteur, et, en effet, le poète de Rolla avait été doué de la vigueur héroïque, pour que la Passion et la Douleur, ses vraies amantes implacablement chéries, eussent de quoi s’acharner sur leur proie.

[Camées parisiens ().]

Émile Zola

Musset a continué la grande race des écrivains français. Il est de la haute lignée de Rabelais, de Montaigne et de La Fontaine. S’il semble s’être drapé, à ses débuts, dans les guenilles romantiques, on croirait aujourd’hui qu’il a pris ce costume de carnaval pour se moquer de la littérature échevelée du temps. Le génie français, avec sa pondération, sa logique, sa netteté si fine et si harmonique, était le fond même de ce poète aux débuts tapageurs. Il a parlé ensuite une langue d’une pureté et d’une douceur incomparables. Il vivra éternellement, parce qu’il a beaucoup aimé et beaucoup pleuré.

[Documents littéraires ().]

Alexandre Dumas fils

Il a pris la place qui lui était due dans la postérité, entre Horace et Plutarque, entre Calderon et Beaumarchais. L’auteur de Faust l’appelle mon frère, l’auteur d’Hamlet l’appelle mon fils, et toutes les femmes de France, méritant vraiment le nom de femmes, ont un volume de lui sous les coussins où elles rêvent.

[Préfaces.]

Auguste Barbier

C’était une nature poétique des mieux douées qui a été avariée par sa liaison avec Stendhal et Mérimée. Ces amitiés, à mon sens, lui ont nui plus qu’elles ne lui ont profité. De là son scepticisme, ses airs de pose et parfois son cynisme, qui jurait avec son élégance naturelle. L’invention chez lui n’était pas des plus fortes ; vous retrouvez dans toutes ses œuvres les traces de bien des auteurs, Shakespeare, Byron, Calderon, Schiller, puis Boccace, La Fontaine, Régnier, Ronsard, Marivaux, Béranger et tous nos vieux conteurs ; ce qui faisait dire à une femme d’esprit : Quand je lis M. de Musset , je crois toujours avoir lu cela quelque part. Mais ces traces-là chez lui sont enveloppées de tant de grâce, d’esprit et de désinvolture, qu’on se croit en présence de créations propres à l’auteur.

[Souvenirs personnels ().]

Madame Ackermann

Musset pèche par la composition. Ses poésies sont décousues ; on les dirait faites de pièces et de morceaux ! Mais quels morceaux ! C’est du cristal, de l’or, du diamant, ou plutôt c’est un métal à lui et sorti de ses entrailles, fluide, transparent, brûlant.

[Pensées d’une solitaire ().]

Jules Lemaître

Quand on a dit de Musset qu’il est « le poète de l’amour et de la jeunesse », cela paraît court, et pourtant il n’y a pas grand-chose à ajouter. (Il est vrai qu’on peut alors développer le contenu de ces mots « jeunesse et amour », et que cela ne laisse pas d’être long.) Si l’on remarque ensuite que ce qui distingue Musset des élégiaques anciens, tels que Catulle ou Properce, et des modernes, tels que Ronsard, Chénier et Parny, c’est qu’il a surtout exprimé ce qu’il y a de tristesse dans l’amour, le Surgit amari aliquid du vieux Lucrèce, et aussi dans l’éternel inassouvissement du désir, l’éternelle illusion renaissante ; ou encore que la mélancolie de l’amour lui a été parfois un acheminement aux mélancolies intellectuelles de son siècle, on sera fort près d’avoir tout dit. Et si l’on constate enfin qu’il a été l’un des hommes les plus impressionnables de ce temps et un des plus spirituels ; qu’il a été le plus sincère des écrivains, et le plus gracieux ; — qu’il nous prend à la fois par le charmé aisé d’un esprit de pure lignée française et par la profondeur et la vérité du sentiment et de la passion… ; il me semble qu’il ne restera plus rien à faire qu’à le relire.

[Impressions de théâtre ().]

Gustave Flaubert

Musset aura été un charmant jeune homme et puis un vieillard, mais rien de planté, de rassis, de carré, de sérieux dans son talent (comme existence, j’entends) ; c’est qu’hélas ! le vice n’est pas plus fécondant que la vertu ; il ne faut être ni l’un ni l’autre, ni vicieux, ni vertueux, mais au-dessus de tout cela. Ce que j’ai trouvé de plus sot et que l’ivresse même n’excuse pas, c’est la fureur à propos de la croix. C’est de la stupidité lyrique en action, et puis c’est tellement voulu et si peu senti.

[Correspondance, 9e série, p. 191 ().]

Émile Faguet

Musset a touché au génie par la profondeur et la puissance de sa sensibilité, comme d’autres par la force de l’imagination. Il n’y a atteint que rarement, et la raison en est simple. La passion est dans l’homme une des grandes sources d’art, comme toutes les forces qu’il a en lui. Mais, d’abord, elle s’épuise très vite, et, d’autre part, pour arriver à l’expression artistique, il faut qu’elle se rencontre en nous avec des facultés, des ressources, des talents, qui, d’ordinaire, ne sont pas du même âge qu’elle. C’est dans la jeunesse qu’on sent très vivement et c’est dans l’âge mûr qu’on sait son métier de poète. C’est pour cette cause que nous avons tant de vers d’amour écrits par des jeunes gens qui sont ridicules et tant de vers d’amour écrits par des quadragénaires qui sont agréables, mais froids. Aux uns, c’est l’exécution qui manque, aux autres, le fonds. Tout a servi à Musset pour que la rencontre nécessaire de l’art et de la matière se produisit ; sa précocité, sa candeur, son aptitude, malheureuse d’ailleurs, précieuse ici, à rester enfant.

Il a su faire de beaux vers de très bonne heure ; et, encore adolescent de cœur assez avant dans la vie, il a eu toute l’ardeur de la passion quand il avait tout le talent pour la peindre.

[Études littéraires sur le xixe  siècle ().]

Gustave Larroumet

Il n’y a pas une pièce de Scribe qui ne soit supérieure comme conduite et tour de main aux meilleures comédies de Musset. Pourtant, quelle différence entre Lorenzaccio et Bertrand et Raton, entre Il ne faut jurer de rien et Bataille de dames !

C’est, du reste, Musset qui, dans Une soirée perdue, à propos du Misanthrope, a le mieux marqué la différence essentielle des deux théâtres, le théâtre d’intrigue et le théâtre de pensée, le théâtre qui amuse et celui qui émeut, en montrant le prix d’une pièce comme le Misanthrope au regard de celles qui visent avant tout à « servir à point un dénouement bien écrit », du théâtre qui se tient au niveau de la vie ou s’élève au-dessus d’elle, en comparaison de celui qui atteint son but :

Si l’intrigue, enlacée et roulée en feston,
Tourne comme un rébus autour d’un mirliton.
[Le Temps (25 septembre ).]