Pajou
Les bustes du feu dauphin, du dauphin son fils, du comte De Provence, du comte D’Artois . plus plats, plus ignobles, plus bêtes que je ne saurais vous le dire. ô la sote famille en sculpture ! Le grand-père est si noble, a une si belle tête, si majestueuse, si douce pourtant et si fière. le buste du maréchal De Clermont-Tonnerre . du même.
Mais quelle fureur d’éterniser sa physionomie, quand on a celle d’un sot ? Il me semble que, quand on a la fantaisie d’occuper de sa personne un art imitatif, il faudrait avoir d’abord la vanité d’examiner ce que cet art en pourra faire, et si j’étais l’artiste et qu’on m’apportât un aussi plat visage, je tournerais tant, que je le ferais entendre, non à la façon du Puget ou de Falconnet, mais à la mienne, et le plat visage parti, je me frotterais les mains d’aise, et je me dirais à moi-même : dieu soit loué ! Je ne me déplairai pas six mois devant mon ouvrage… il y a pourtant un ciseau, des beautés, de la peau, de la chair dans cette insipide figure ; elle est faite largement ; il y a de la souplesse, du sentiment, de la vie.
Pour dieu, mon ami, détournez-vous de ce coin, ne regardez ni ces enfans de M. de Voyer , ni M. de Sanscey , ni cette figure de la magnificence, dont Pajou n’a pas la première idée, ni cette sagesse ; tout cela est d’une insupportable médiocrité. Cependant Pajou en sait trop dans son art pour ignorer que la sculpture veut être plus grande, plus piquante, plus originale, et en même temps plus simple dans le choix de ses caractères et de son expression que la peinture, et qu’en sculpture point de milieu, sublime ou plat ; ou comme disait au sallon un homme du peuple : tout ce qui n’est pas de la sculpture est de la sculpterie. Pajou nous a fait cette année beaucoup de sculpterie. dessin de la mort de Pélopidas . du même.
On le voit expirant dans sa tente. Sur le fond, au bord de son lit, des soldats affligés, les regards attachés sur lui, tiennent sa couverture levée. à droite, à son chevet, c’est un groupe de soldats debout, ils sont consternés. Sur le devant, vers la gauche, assis à terre, un autre soldat la tête penchée sur ses mains. Tout à fait à gauche, sur le devant, un troisième qui tient la cuirasse du général et qui la présente à ses camarades qui forment un groupe devant lui.
Cela peut être d’un grand effet général pour le technique. Je vois que ces soldats placés sur le fond qui tiennent la couverture levée feront une belle masse ; ils attendent sans doute que Pélopidas soit expiré pour la lui jetter sur le visage ; et je ne nie pas que cette idée ne soit simple et sublime. Mais où est l’incident remarquable ?
Entre tous ces soldats, où est le regret d’un caractère singulier ? Que font-ils pour Pélopidas, qu’ils ne feraient pour tout autre ? Où sont ces hommes qui ont pris le parti de se laisser mourir ?
Une douleur capable de ce projet extrême est muette, tranquille, silencieuse, presque sans mouvement, et n’en est que plus profonde. C’est ce que vous n’avez pas conçu. Vous me feriez presque penser que le génie vous manque. Croyez-vous que, quand vous auriez assemblé quelques-uns de ces soldats autour de la cuirasse brisée de Pélopidas, les yeux attachés sur elle, cela n’aurait pas parlé davantage ? Quelle comparaison entre votre composition et celle du testament d’Eudamidas ! Cependant vous ne persuaderez à personne que votre sujet ne fût ni aussi grand, ni aussi pathétique, ni aussi fécond que celui du Poussin. Je ne vous dirai pas que les têtes penchées sur les mains sont bien usées, tant qu’elles seront en nature on aura le droit de les employer dans l’art. Mais que fait votre Pélopidas ?
Il expire, et puis c’est tout ; et cela n’eût pas été mal, si la résolution de ne pas lui survivre eût été caractérisée dans les siens par l’inaction, le silence et l’abandon. Vous n’y avez pas pensé, et vous m’autorisez à vous demander : quoi ! Dans cette foule le général thébain n’avait pas un ami particulier ? Il n’y avait pas là un seul homme qui songeât à la perte que fesait la patrie, et qui parût tourner ses yeux, ses bras, ses regrets vers elle ? Je ne sais ce que j’aurais produit à votre place ; je me serais renfermé longtemps dans les ténèbres ; j’aurais assisté à la mort de Pélopidas ; et je crois que j’y aurais vu autre chose. En général la multitude des acteurs nuit à l’effet de la scène, cette abondance est vraiment stérile ; on n’y a recours que pour suppléer à une idée forte qui manque. Pigalle, jettez-moi à bas et ce squelette, et cet Hercule, tout beau qu’il est, et cette France qui intercède ; étendez le maréchal dans sa dernière demeure, et que je voie seulement ces deux grenadiers affilant leurs sabres contre la pierre de sa tombe ; cela est plus beau, plus simple, plus énergique et plus neuf que tout votre fatras moitié histoire, moitié allégorie.
Pajou a écrit à sa porte, pour devise, la maxime de Petit-Jean : sans argent, sans argent, l’honneur n’est qu’une maladie. de tout ce qu’il a exposé je n’en estime rien. J’ai suivi cette longue enfilade de bustes, cherchant toujours inutilement quelque chose à louer. Voilà ce que c’est que de courir après le lucre. Je vois sortir de la bouche de cet artiste en légende : de contemnenda gloria ; écrit en rouleau autour de son ébauchoir : de pane lucrando ; et sur la frange de son habit : fi de la gloire, et vivent les écus ! il n’a fait qu’une bonne chose depuis son retour de Rome.
C’est un talent écrasé sous le sac d’or, qu’il y reste. Vous verrez qu’il aura lu ma dispute avec son confrère sur le sentiment de l’immortalité et le respect de la postérité ; et qu’il aura trouvé que je n’avais pas le sens commun.
Caffieri. l’innocence. figure en marbre de 2 pieds 4 pouces de proportion.
L’ innocence ? Cela l’ innocence ? Cela vous plaît à dire, Monsieur Caffieri. Elle regarde en coulisse, elle sourit malignement ; elle se lave les mains dans un bassin placé devant elle sur un trépied.
L’innocence qui est sans la moindre souillure n’a pas besoin d’ablution. Elle semble s’applaudir d’une malice qu’elle a mise sur le compte d’un autre. La recherche et le luxe de son vêtement réclament encore contre son prétendu caractère ; l’innocence est simple en tout. Du reste, figure charmante, bien composée, bien drapée ; le linge qui dérobe sa cuisse et sa jambe à miracle ; jolis pieds, jolies mains, jolie tête. Permettez que j’efface ce mot, l’ innocence, et tout sera bien. Vous n’avez pas fait ce que vous vouliez faire, mais qu’importe ? Ce que vous avez fait est précieux. la vestale Tarpeïa . du même.
Elle est debout ; elle est sage, bien drapée, d’un caractère de tête extrêmement sévère ; c’est bien la supérieure de ce couvent. J’aime beaucoup cette figure ; elle imprime le respect ; on lui voit neuf pieds de haut. l’amitié qui pleure sur un tombeau. du même.
On voit à gauche une cassolette où brûlent des parfums ; la vapeur odoriférante se répand sur un cube qui soutient une urne ; il s’élève de derrière le cube quelques branches de cyprès recourbées sur l’urne. à droite, éplorée, étendue à terre, un bras appuyé sur le dais, la tête posée sur son bras, l’autre bras tombant mollement sur une de ses cuisses, la figure de l’amitié.
Ce modèle de tombeau est simple et beau, l’ensemble en est pittoresque, et l’on ne désire rien à la figure de l’amitié de tout ce qui tient aux parties de l’art ; la position, l’expression, le dessin, la draperie, sont bien ; mais qu’est-ce qui désigne l’amitié plutôt qu’une autre vertu ? le portrait du peintre Hallé . je ne me le rappelle pas. le portrait du médecin Borie . du même.
Ressemblant à faire mourir de peur un malade.
Tout ce que Caffieri a exposé cette année est digne d’éloge. Certes cela ne manque pas de ce que vous savez. Je crois que cet artiste est mort il y a quelques mois ; un an plus tôt, on ne l’aurait pas regretté.
Berruer. l’annonciation, en bas-relief. Aux deux côtés du bas-relief la foi et l’humilité. grand morceau dont on a exposé le modèle sur la moitié de sa grandeur.
Hors du bas-relief, à droite, contre un pilastre, une figure de ronde-bosse tenant une balle dans la main, foulant du pied une couronne, son autre bras ramené sur son ventre, y soutenant sa draperie, ce qui lui donne l’air d’une fille grosse, et je ne voudrais pas jurer qu’il n’en fût quelque chose, car elle est triste. Je n’entends rien à ces symboles. Qu’est-ce que cette balle ? Et l’orgueil foule encore mieux aux pieds les couronnes que l’humilité. à gauche, adossée au pilastre correspondant, une autre figure de ronde-bosse, un calice à la main, ce calice surmonté d’une hostie, l’autre main montrant le vase sacré. Figure hiéroglyphique, paquet de draperies.
Entre ces deux pilastres, dans un enfoncement formant l’intérieur d’une chambre, l’ annonciation.
La vierge est à droite, à genoux, le corps incliné, en devant s’entend, et se soumettant au fiat.
Elle est aussi de ronde-bosse ; ses bras étendus, ouverts, rendent bien sa résignation. Il n’y a du reste ni bien ni mal à en dire, c’est de position, de draperie, de caractère une vierge comme une autre. à gauche, en l’air et de bas-relief, l’ange annonciateur. Ce n’est pas celui de st Roch.
Celui-ci eût tenté la vierge, fait cocu Joseph et l’esprit-saint camus. Berruer ou Dieu le père l’a choisi cette fois maigre, sec, élancé et d’un caractère de tête ordinaire. Il fait son compliment, et montre d’une main l’esprit-saint de ronde-bosse, à l’angle supérieur droit de la chambre, à la pointe du faisceau lumineux et fécondant qui passe sur la tête de la vierge et forme des sillons de bas-relief sur le fond.
Ouvrage commun dans toutes ses parties. Ces figures des côtés en détruiraient le silence, s’il y en avait. Ne nous arrêtons pas davantage à ce qui n’a arrêté personne.
Hébé . du même.
Ah, quelle Hébé ! Nulle grâce. C’est la déesse de la jeunesse et elle a vingt-quatre ans au moins.
C’est celle qui verse aux dieux l’ambroisie, ce breuvage qui alume dans les âmes divines une joie éternelle, et elle est ennuyée et triste. L’artiste aura choisi le jour où Ganimède fut admis au rang des dieux. Les bras de cette Hébé ne finissent point. un buste. du même.
Je ne sais de qui et placé je ne sais où. Berruer a du talent qu’il a bien caché cette année.
Gois.
Aristée désespéré de la perte de ses abeilles. qui est ce désespéré renversé sur une ruche au dedans de laquelle on voit des rayons de miel ?
Comme ses cheveux pendent ! Comme il se tord les bras ! Comme il crie !
A-t-il perdu son père, sa mère, sa sœur ou sa fille, son ami ou sa maîtresse ? Non, c’est Aristée qui a perdu ses mouches. Quand l’idée est absurde, j’ai peine à parler du faire. Cette figure est bien modelée, et il y a, certes, de très-belles parties et du ciseau. la douleur. du même.
On dit que cela est beau, que cette tête est touchante, que l’expression en est belle, et le marbre bien travaillé. Je dis moi, contre le sentiment général, que cette douleur n’est que celle d’une vierge au pied de la croix ; qu’elle est unie, monotone, sans inégalités, sans passages ; que c’est une vessie soufflée, que, si l’on appliquait un peu fortement les mains sur ces joues, elles feraient la plus belle explosion. La douleur donne de la bouffissure, mais non jusques là. C’est une infiltration aqueuse la plus complète. buste en terre cuite. du même.
Je ne sais de qui ; mais vrai, vivant, parlant, original. Je gage qu’il ressemble. plusieurs dessins lavés. du même.
Avant que d’en parler, soyons de bonne foi ; c’est peut-être le poëte qui a inspiré au statuaire ce désespéré d’Aristée. Il n’en est rien ; le poëte dit simplement : tristis ad extremi… etc. c’est un fils qui s’adresse à sa mère dans Virgile ; dans le statuaire, c’est un enragé qui charge les dieux d’imprécations.
Les dessins lavés au bistre et à l’encre de la Chine sont sublimes, tout à fait dans le goût des plus grands maîtres ; rien de maniéré, de petit, ni de moderne soit pour la composition, soit pour les caractères, soit pour la touche.
Il n’y a rien de fini ; ce sont des jets de tête, mais beaux, mais grands, mais neufs, et d’un pittoresque ! Un homme qui sent ne passe pas là-devant sans être tiré par la manche. Cet artiste a de l’idée.
Mouchy. le repos d’un berger. il est assis ; il a les mains appuyées sur un bâton qui soutient ses bras ; le reste du corps est assez mollement jetté de la droite à la gauche ; il regarde ; il respire, il vit.
Il apperçoit au loin quelque objet qui l’intéresse.
Il est voluptueux d’attitude mais non de repos ; le repos ici a précédé la fatigue. L’homme qui se repose se soulage d’un malaise, on le voit sur son visage, dans l’affaissement, l’abandon de ses membres, et ces caractères manquent à ce berger.
Je dirai à celui-ci et à celui qui a fait l’ innocence : pourquoi avoir écrit votre intention au bas de votre figure ? C’est une sottise. Avez-vous craint que nous ignorassions que vous n’avez rien entendu à ce que vous fesiez ?
Falconnet a-t-il eu besoin de graver au pied de son amitié, l’amitié ? Eh ! Laissez à notre imagination le soin de baptiser vos ouvrages, elle s’en acquittera bien. Hâtez-vous donc d’effacer ces ridicules inscriptions. Je l’ai revue, cette innocence prétendue ; elle a la tête penchée vers la droite et la gorge nue de ce côté. Si vous la considérez quelque temps, vous croirez qu’elle sourit en elle-même de l’impression que cette gorge a faite sur quelqu’un qui la regarde furtivement et dont elle peut ignorer la présence, et qu’elle dit en elle-même : cela vous plaît ? Je le crois bien ; aussi n’est-il pas mal ce téton… quant à la tête du berger de repos, c’est la copie assez fidelle de la première figure qu’on trouve à gauche, aux tuileries, en entrant par le pont-royal. deux enfans, destinés pour une chapelle. du même.
Cela des enfans ? Ce sont deux gros boudins étranglés par le bout pour y pratiquer une tête. deux médaillons. du même.
Je ne les ai point vus, dieu merci.
Lorsque Mouchy demanda à Pigalle sa nièce en mariage, il lui mit un ébauchoir à la main, et lui présentant de la terre glaise, il lui dit : écris-moi là ta demande. Falconnet en aurait fait autant, seulement il aurait dit : écrivez.
Mouchy disait à un jeune suisse de ses amis : pourquoi ne te fais-tu pas recevoir ? — Diable ! lui répondit le suisse, tu en parles bien à ton aise. Je n’ai point d’oncle, moi.
Francine. un Christ à la colonne. il attend la fessée. Figure commune, plate de caractère et d’expression, sans aucun mérite qui la distingue. Morceau de réception, morceau d’exclusion.