CXXe entretien.
Conversations de Goethe,
par Eckermann (2e partie)
I
Quant à la religion positive, il en parle avec une odieuse légèreté.
« Ces mystères incompréhensibles sont beaucoup trop au-dessus de nous pour être un sujet d’observations quotidiennes et de spéculations funestes à l’esprit. Que celui qui a la foi en une durée future jouisse de son bonheur en silence, et qu’il ne se trace pas déjà des tableaux de cet avenir. À l’occasion de l’Uranie de Tiedge, j’ai remarqué que les personnes pieuses forment une espèce d’aristocratie comme les personnes nobles. J’ai trouvé de sottes femmes, et j’ai été obligé de supporter de la part de plusieurs d’entre elles une espèce d’examen à mots couverts sur ce point. Je les indignais en leur disant :
« Je serai très satisfait, si, après cette vie, je suis encore favorisé d’une autre, mais je demande seulement à ne rencontrer là-haut aucun de ceux qui ici-bas ont eu la foi à la vie future, car je serais alors bien malheureux ! Toutes ces âmes pieuses viendraient toutes m’entourer en me disant : Eh bien ! n’avions-nous pas raison ? Ne vous l’avions-nous pas dit ? N’est-ce pas arrivé ?… Et je serais, même là-haut, condamné à un ennui sans fin. S’occuper des idées sur l’immortalité, cela convient aux classes élégantes et surtout aux femmes qui n’ont rien à faire. Mais un homme d’esprit solide, qui pense à être déjà ici-bas quelque chose de sérieux, et qui par conséquent a chaque jour à travailler, à lutter, à agir, cet homme laisse tranquille le monde futur et s’occupe à être actif et utile dans celui-ci. Les idées sur l’immortalité sont bonnes aussi pour ceux qui n’ont pas été très bien partagés ici-bas pour le bonheur, et je parierais que, si le bon Tiedge avait eu un meilleur sort, il aurait eu aussi de meilleures idées. »
L’insensé ! Si les malheureux et les pauvres n’avaient pas le droit de compter sur l’immortalité, où serait leur consolation ou leur vengeance ?
Goethe rectifie lui-même ailleurs ces assertions téméraires. Le temps lui enseigne l’immortalité !
II
Il me dit, ce jour-là, que la connaissance du monde était innée chez le vrai poète, et que pour le peindre il n’avait besoin ni de grande expérience ni de longues observations.
« J’ai écrit mon Goetz de Berlichingen, disait-il, quand j’avais vingt-deux ans, et dix ans plus tard j’étais étonné de la vérité de mes peintures. Je n’avais rien connu par moi-même, rien vu de ce que je peignais, je devais donc posséder par anticipation la connaissance des différentes conditions humaines. En général, avant de connaître le monde extérieur, je n’éprouvais de plaisir qu’à reproduire mon monde intérieur. Lorsque plus tard j’ai vu que le monde était réellement comme je l’avais pensé, il m’ennuya, et je perdis toute envie de le peindre. Oui, je peux le dire, si pour peindre le monde j’avais attendu que je le connusse, ma peinture serait devenue un persiflage. »
C’est ainsi que Goethe disait de Byron que le monde était pour lui transparent, et qu’il pouvait le peindre par pressentiment. J’exprimai quelques doutes ; je demandai si, par exemple, Byron réussirait à peindre une nature inférieure, animale ; son caractère personnel me semblait trop puissant pour qu’il aimât à se livrer à de pareils sujets. Goethe me l’accorda, en disant que les pressentiments ne s’étendaient pas au-delà des sujets qui sont analogues au talent du poète, et nous convînmes ensemble que l’étendue plus ou moins grande des pressentiments donnait la mesure du talent.
« Si Votre Excellence soutient, dis-je alors, que le monde est inné dans le poète, elle ne parle sans doute que du monde intérieur, et non du monde des phénomènes et des rapports ; par conséquent, pour que le poète puisse tracer une peinture vraie, il a besoin d’observer la réalité.
— Oui, certainement, répondit Goethe. Les régions de l’amour, de la haine, de l’espérance, du désespoir, toutes les nuances de toutes les passions de l’âme, voilà ce dont la connaissance est innée chez le poète, voilà ce qu’il sait peindre. Mais il ne sait pas d’avance comment on tient une cour de justice, quels sont les usages dans les parlements, ou au couronnement d’un empereur, et pour ne pas, en pareils sujets, blesser la vérité, il faut que le poète étudie ou voie par lui-même. Je pouvais bien, par pressentiment, avoir sous ma puissance pour Faust les sombres émotions de la fatigue de l’existence, pour Marguerite les émotions de l’amour, mais avant d’écrire ce passage : « Avec quelle tristesse le cercle incomplet de la lune décroissante se lève dans une vapeur humide, il me fallait observer la nature. »
Dimanche, 29 février 1824.
Je suis allé à midi chez Goethe, qui m’a invité à une promenade en voiture avant dîner. Je le trouvai à déjeuner, et je m’assis en face de lui, pour causer sur les travaux qui nous occupent et qui se rapportent à la nouvelle édition de ses œuvres. Je lui conseillai d’y comprendre les Dieux, les Héros et Wieland et les Lettres d’un Pasteur.
« De mon point de vue actuel, je ne peux juger ces productions de ma jeunesse, me dit-il. C’est à vous, jeunes gens, à décider. Cependant je ne veux pas dire de mal de ces commencements ; j’étais encore dans l’obscurité, et je marchais en avant sans trop savoir où j’allais, mais cependant j’avais déjà le sens du vrai, une baguette divinatoire qui m’enseignait où était l’or. »
J’observai qu’il en était ainsi pour tous les grands talents, car autrement, lorsqu’ils s’éveillent dans ce monde si mélangé, ils ne sauraient pas saisir le vrai et éviter le faux. Cependant on avait attelé ; nous suivîmes la route vers Iéna. Goethe, au milieu de différents sujets, me parla des nouveaux journaux français. « La constitution en France, dit-il, chez un peuple qui renferme tant d’éléments vicieux, repose sur une tout autre base que la constitution anglaise. En France tout se fait par la corruption ; toute la révolution française même a été menée à l’aide de corruptions. »
Il pensait à Mirabeau.
III
Une délicieuse et minutieuse description de la maison des champs de Goethe à la fin de l’hiver vient ensuite, cadre du portrait qui en relève l’originalité pensive. Lisez :
Lundi, 22 mars 1824.
Avant dîner je suis allé en voiture avec Goethe à son jardin. Par sa situation au-delà de l’Ilm, dans le voisinage du parc, sur la pente occidentale d’une rangée de collines, ce jardin à quelque chose d’aimable et d’attrayant. Protégé contre les vents du nord et de l’est, il est ouvert aux chaudes et bienfaisantes exhalaisons qui viennent du sud et de l’ouest ; il offre ainsi, surtout en automne et au printemps, un séjour très agréable. On est si près de la ville, qui s’étend au nord-ouest, que l’on peut y arriver en quelques minutes, et cependant, quand on regarde autour de soi, on ne voit s’élever dans les environs aucun édifice, aucun sommet de tour, pouvant rappeler le voisinage de la ville. Les arbres du parc, grands et serrés, arrêtent toute vue de ce côté. Ils se prolongent à gauche, vers le nord, formant ce qu’on appelle l’Étoile ; à côté est le chemin de voitures, qui passe tout à fait devant le jardin. Vers l’ouest et le sud-ouest le regard s’étend librement sur une vaste prairie à travers laquelle, à la distance d’un bon trait d’arbalète, l’Ilm coule en replis silencieux. Au-delà de la rivière, le rivage s’élève de nouveau en collines ; leurs pentes et leurs hauteurs sont couvertes des verts ombrages et du feuillage varié des grands aunes, des chênes, des peupliers blancs et des bouleaux, dont est planté le parc. Cette verdure s’étend bien au-delà et va au loin, vers le sud et vers le couchant, former un horizon harmonieux. L’aspect du parc au-delà de la prairie ferait croire, surtout en été, que l’on est près d’un bois qui se prolongerait pendant des lieues entières. On croit à chaque instant que l’on va voir apparaître sur la prairie un cerf ou un chevreuil. On se sent plongé dans la paix profonde d’une nature solitaire, car le silence absolu n’est interrompu que par les notes isolées des merles qui alternent avec le chant d’une grive des bois. Mais on est tiré de ce rêve de solitude par l’heure qui vient à sonner à la tour, ou par le cri des paons du parc, ou par les tambours ou les clairons qui retentissent à la caserne. Ces bruits ne sont pas désagréables ; ils nous remettent en mémoire que nous sommes près de notre ville, dont nous nous croyions éloignés de cent lieues. À certaines heures du jour, dans certaines saisons, ces prairies ne sont rien moins que solitaires. On voit passer tantôt des paysans qui vont à Weimar au marché ou qui en reviennent, tantôt des promeneurs de tout genre, qui, suivant les sinuosités de l’Ilm, se dirigent surtout vers Ober-Weimar, petit village très fréquenté à certains jours. Puis le temps de la moisson donne à cette place la plus vive animation. Dans les intervalles on y voit venir paître des troupeaux de moutons et même les magnifiques vaches suisses de la ferme voisine. Aujourd’hui cependant, il n’y avait encore aucune trace de ces spectacles qui l’été nous rafraîchissent l’âme. C’est à peine si dans la prairie quelques places çà et là commençaient à verdir ; aux arbres du parc, rameaux et bourgeons étaient encore bruns ; cependant le cri du pinson et le chant du merle et de la grive, qui résonnaient de temps en temps, annonçaient l’approche du printemps. L’air était doux et agréable comme en été ; un souffle à peine sensible venait du sud-ouest. Sur un ciel serein glissaient quelques petites nuées d’orage ; plus haut on en remarquait d’autres, ayant la forme de longues bandes, qui se dénouaient. Nous contemplâmes les nuages avec attention, et nous vîmes que ceux qui dans les régions inférieures s’étaient réunis en amas arrondis étaient aussi en train de se dissoudre ; Goethe en conclut que le baromètre allait monter. Il parla beaucoup sur l’élévation et l’abaissement du baromètre ; sur ce qu’il appelait l’affirmation et la négation de l’humidité. Il parla sur les lois éternelles d’aspiration et de respiration de la terre, sur la possibilité d’un déluge, au cas d’une affirmation d’humidité constante. Il dit que chaque endroit avait son atmosphère particulière, mais que cependant l’état barométrique de l’Europe avait une grande uniformité. Comme la nature est incommensurable, ses irrégularités sont immenses et il est très difficile d’apercevoir les lois.
Pendant qu’il me donnait ces hauts enseignements, nous avancions sur la route sablée qui conduit au jardin. Quand nous fûmes arrivés, il fit ouvrir la maison par son domestique, pour me la montrer17. Les murs extérieurs, peints en blanc, étaient entièrement garnis de rosiers disposés en espaliers, qui avaient grimpé jusqu’au toit. Je fis le tour de la maison, et je remarquai avec beaucoup d’intérêt, le long des murs, dans les branches de rosiers, un grand nombre de nids différents qui s’étaient conservés là de l’été précédent, et qui, n’étant plus couverts par le feuillage, se laissaient voir. Je vis entre autres des nids de linots et de diverses espèces de fauvettes, à des hauteurs différentes suivant leurs habitudes. Goethe me conduisit ensuite dans l’intérieur de la maison, que, l’été précédent, j’avais oublié de visiter. Au rez-de-chaussée je trouvai une seule pièce d’habitation ; aux murs étaient suspendus quelques cartes et quelques gravures, et un portrait de Goethe, de grandeur naturelle, peint par Meyer quelque temps après le retour des deux amis d’Italie. Goethe y a l’aspect d’un homme vigoureux d’âge moyen, très brun et un peu gros. Le visage, qui a peu de vie dans le portrait, est très sérieux d’expression ; on croit voir un homme dont l’âme sent qu’elle a charge d’actions pour l’avenir18. Nous montâmes l’escalier, nous trouvâmes en haut trois pièces et un cabinet, mais le tout très étroit et très incommode. Goethe me dit qu’il avait passé là de joyeuses années et y avait travaillé dans la tranquillité. Il faisait un peu frais dans cette chambre, nous allâmes chercher la chaleur en plein air. En nous promenant sous le soleil de midi dans l’allée principale, nous causâmes sur la littérature contemporaine, sur Schelling et sur Schelling et Platen. Mais bientôt cependant notre attention se porta de nouveau sur la nature qui nous entourait. Déjà les couronnes impériales et les lis dressaient leurs tiges vigoureuses, et des deux côtés de l’allée on voyait paraître les feuilles vertes des mauves. La partie supérieure du jardin, sur la pente de la colline, est garnie de gazon et parsemée de quelques arbres fruitiers. Des chemins sinueux, tracés sur les flancs du coteau, s’élèvent vers son sommet et en redescendent en serpentant ; l’envie me prit de monter, Goethe passa devant moi et je suivis son pas rapide, en me réjouissant de sa verte vigueur. En haut, près de la haie, nous trouvâmes un paon femelle qui paraissait être venu du parc du château, et Goethe me dit que l’été il les attirait et les habituait à venir en leur donnant leurs graines favorites. En descendant le coteau par l’autre allée sinueuse, je trouvai, entourée d’un bosquet, une pierre sur laquelle étaient gravés les vers connus :
Ici, dans le silence, l’amant pensait à son amante19…
Et je me sentis dans un lieu classique. Tout à côté était un groupe de chênes, de sapins, de bouleaux et de hêtres de demi-grandeur. En tournant autour de ces arbres, nous retrouvâmes la grande allée ; nous étions près de la maison. Le groupe d’arbres est d’un côté en demi-cercle, et forme comme la voûte d’une grotte ; nous nous assîmes sur de petites chaises placées autour d’une table ronde. Le soleil était si ardent, que l’ombre légère de ces arbres sans feuillages faisait déjà du bien.
« Par les fortes chaleurs d’été, me dit Goethe, je ne connais pas de meilleur asile que cette place. J’ai planté de ma main tous les arbres il y a plus de quarante ans ; j’ai eu le bonheur de les voir pousser, et je jouis déjà depuis assez longtemps de la fraîcheur de leur ombrage. Le feuillage de ces chênes et de ces hêtres est impénétrable au soleil le plus ardent ; j’aime à m’asseoir ici, pendant les chaudes journées d’été, après dîner, lorsque sur la prairie et dans tout le parc à l’entour règne ce silence que les anciens peindraient en disant que Pan dort. »
Nous entendîmes sonner deux heures dans la ville, et nous revînmes.
Mardi, 30 mars 1824.
Ce soir, chez Goethe, j’étais seul avec lui ; nous avons causé de différentes choses, tout en buvant une bouteille de vin ; nous avons parlé du théâtre français, en l’opposant au théâtre allemand.
« Il sera bien difficile, a dit Goethe, que le public allemand arrive à une espèce de jugement sain, comme cela existe à peu près en Italie et en France. L’obstacle principal, c’est que sur nos scènes on joue de tout. Là où nous avons vu hier Hamlet, nous voyons aujourd’hui Staberle 20, et là où demain doit nous ravir la Flûte enchantée, il faudra, après-demain, écouter les farces du plaisant à la mode. »
IV
Voici comment, en homme supérieur, il se jugeait lui-même :
« Le style d’un écrivain est la contre-épreuve de son caractère ; si quelqu’un veut écrire clairement, il faut d’abord qu’il fasse clair dans son esprit, et si quelqu’un veut avoir un style grandiose, il faut d’abord qu’il ait une grande âme. »
Goethe a parlé ensuite de ses adversaires, disant que cette race est immortelle.
« Leur nombre est Légion, a-t-il dit, cependant il n’est pas impossible de les classer à peu près. Il y a d’abord ceux qui sont mes adversaires par sottise ; ce sont ceux qui ne m’ont pas compris et qui m’ont blâmé sans me connaître. Cette foule considérable m’a causé dans ma vie beaucoup d’ennuis, mais cependant il faut leur pardonner ; ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient.
« Une seconde classe très nombreuse se compose ensuite de mes envieux. Ceux-là ne m’accordent pas volontiers la fortune et la position honorable que j’ai su acquérir par mon talent. Ils s’occupent à harceler ma réputation et auraient bien voulu m’annihiler. Si j’avais été malheureux et pauvre, ils auraient cessé.
« Puis arrivent, en grand nombre encore, ceux qui sont devenus mes adversaires parce qu’ils n’ont pas réussi eux-mêmes. Il y a parmi eux de vrais talents, mais ils ne peuvent me pardonner l’ombre que je jette sur eux.
« En quatrième lieu, je nommerai mes adversaires raisonnés. Je suis un homme, comme tel j’ai les défauts et les faiblesses de l’homme, et mes écrits peuvent les avoir comme moi-même. Mais comme mon développement était pour moi une affaire sérieuse, comme j’ai travaillé sans relâche à faire de moi une plus noble créature, j’ai sans cesse marché en avant, et il est arrivé souvent que l’on m’a blâmé pour un défaut dont je m’étais débarrassé depuis longtemps. Ces bons adversaires ne m’ont pas du tout blessé ; ils tiraient sur moi, quand j’étais déjà éloigné d’eux de plusieurs lieues. Et puis en général un ouvrage fini m’était assez indifférent ; je ne m’en occupais plus et je pensais à quelque chose de nouveau.
« Une quantité considérable d’adversaires se compose aussi de ceux qui ont une manière de penser autre que la mienne et un point de vue différent. On dit des feuilles d’un arbre que l’on n’en trouverait pas deux absolument semblables ; de même dans un millier d’hommes on n’en trouverait pas deux entre lesquels il y eût harmonie complète pour la pensée et les opinions. Cela posé▶, il me semble que, si j’ai à m’étonner, c’est, non pas d’avoir tant de contradicteurs, mais au contraire tant d’amis et de partisans. Mon siècle tout entier différait de moi, car l’esprit humain, de mon temps, s’est surtout occupé de lui-même, tandis que mes travaux, à moi, étaient tournés surtout vers la nature extérieure ; j’avais ainsi le désavantage de me trouver entièrement seul. À ce point de vue, Schiller avait sur moi de grands avantages. Aussi, un général plein de bonnes intentions m’a un jour assez clairement fait entendre que je devrais faire comme Schiller. Je me contentai de lui développer tous les mérites qui distinguaient Schiller, mérites que je connaissais à coup sûr mieux que lui ; mais je continuai à marcher tranquillement sur ma route, sans plus m’inquiéter du succès, et je me suis occupé de mes adversaires le moins possible. »
V
Et voyez plus bas combien son génie ne lui servait que pour mieux affirmer son Dieu et l’immortalité de son âme :
Nous avions fait le tour du bois, nous tournâmes près de Tiefurt pour revenir à Weimar ; nous avions en face de nous le soleil couchant. Goethe est resté quelques instants enfoncé dans ses pensées, puis il m’a cité ce mot d’un ancien :
« Même lorsqu’il disparaît, c’est toujours le même soleil ! »
Et il a ajouté avec une grande sérénité :
« Quand on a soixante-quinze ans, on ne peut pas manquer de penser quelquefois à la mort. Cette pensée me laisse dans un calme parfait, car j’ai la ferme conviction que notre esprit est une essence d’une nature absolument indestructible ; il continue à agir d’éternité en éternité. Il est comme le soleil, qui ne disparaît que pour notre œil mortel ; en réalité il ne disparaît jamais ; dans sa marche il éclaire sans cesse. »
VI
Il revint quelques jours après sur la science et passa de là à Byron, pour lequel il avait un enthousiasme sans moralité et sans mesure. Voyez comment il lui immole le Tasse :
« Je suis loin de soutenir qu’une science modeste et saine nuise à l’observation ; au contraire, je répéterai le vieux mot : Nous n’avons vraiment d’yeux et d’oreilles que pour ce que nous connaissons. Le musicien en écoutant un orchestre entend chaque instrument, chaque note isolément ; celui qui n’est pas connaisseur est comme rendu sourd par l’effet général de l’ensemble. Le promeneur qui ne cherche que son loisir ne voit dans une prairie qu’une surface agréable par sa verdure ou par ses fleurs ; l’œil du botaniste y aperçoit du premier coup un nombre infini de petites plantes et de graminées différentes qu’il distingue et qu’il voit séparément. Cependant il y a une mesure pour tout, et comme, dans mon Gœtz, l’enfant, à force d’être savant, ne connaît plus son père, il y a dans la science des gens qui, perdus dans leur savoir et dans leurs hypothèses, ne savent plus ni voir ni entendre. Tout va très vite avec eux, mais tout sort d’eux. Ils sont si occupés de ce qui s’agite en eux-mêmes, qu’il en est d’eux comme d’un homme qui, tout à un sentiment passionné, passera dans la rue à côté de son meilleur ami sans le voir. Il faut pour observer la nature une tranquille pureté d’âme que rien ne trouble et ne préoccupe. Si l’enfant attrape le papillon ◀posé▶ sur la fleur, c’est que pour un moment il a rassemblé sur un seul point toute son attention, et il ne va pas au même instant regarder en l’air pour voir se former un joli nuage.
— Ainsi, dis-je, les enfants et leur pareils pourraient servir dans la science en qualité de très bons manœuvres.
— Plût à Dieu, s’écria Goethe, que nous ne fussions tous rien de plus que de bons manœuvres ! C’est justement parce que nous voulons être davantage, et parce que nous introduisons partout avec nous un appareil de philosophie et d’hypothèses, que nous nous perdons. »
Il y eut un moment de silence. Riemer renoua la conversation en parlant de lord Byron et de sa mort. Goethe a fait une magnifique analyse de ses écrits, lui a prodigué les louanges les plus vives et a proclamé hautement ses mérites. Puis il a dit :
« Quoique Byron soit mort si jeune, sa mort n’a rien fait perdre d’essentiel à la littérature au point de vue de son développement. D’une certaine façon, Byron ne pouvait pas aller plus loin. Il avait touché les sommets de sa puissance créatrice, et, quoi qu’il eût pu faire encore dans la suite, il n’aurait pas pu cependant étendre les limites tracées autour de son talent. Dans son inconcevable poème du Jugement dernier, il a écrit l’œuvre extrême qu’il pouvait écrire. »
L’entretien se tourna ensuite sur le poète italien Torquato Tasso, et sur ses différences avec Byron. Goethe ne cacha pas la grande supériorité de l’Anglais pour l’esprit, la connaissance du monde et la puissance de production.
« On ne peut, a-t-il dit, comparer les deux poètes sans détruire l’un par l’autre. Byron est le buisson enflammé qui réduit en cendres le cèdre sacré du Liban. La grande épopée de l’Italien a soutenu sa gloire à travers les siècles, mais avec une seule ligne du Don Juan on pourrait empoisonner toute la Jérusalem délivrée ! »
VII
Il aimait Klopstock, mais il n’exaltait que son lyrisme.
Les Français, disait-il, ont de l’intelligence et de l’esprit, mais ils n’ont pas de fond et pas de piété, ce qui leur sert.
Il pensait comme moi sur le poème de Dante. On parlait de l’obscurité de ses poésies, qui est telle que ses compatriotes eux-mêmes ne l’entendent pas. Les Français de ce temps ont prétendu les remettre à la mode, mais ils n’oseront pas les remettre en lecture. Ils ont prétendu en faire un guelfe pendant qu’il cherchait à ramener un empereur étranger pour posséder l’Italie. Il m’en parla d’ailleurs avec une profonde admiration ; il ne l’appelait pas un talent, mais une nature.
Il estimait peu le talent des femmes poètes.
Mardi, 18 janvier 1825.
Je suis allé aujourd’hui, à cinq heures, chez Goethe, que je n’avais pas vu depuis plusieurs jours, et j’ai passé une belle soirée. Je l’ai trouvé dans son cabinet de travail, causant sans lumière avec son fils et le conseiller aulique Rehbein, son médecin. Je me plaçai avec eux près de la table. On apporta bientôt de la lumière, et j’eus le bonheur de voir Goethe devant moi plein de vivacité et de gaieté. Comme d’habitude, il s’informa avec intérêt de ce que j’avais vu de neuf ces jours-ci, et je lui racontai que j’avais fait connaissance avec une femme poète. Je pus en même temps vanter son talent, qui n’est pas ordinaire, et Goethe, qui connaît quelques-unes de ses œuvres, la loua comme moi. »
« Une de ses poésies, dit-il, dans laquelle elle décrit un site de son pays, a un caractère très original. Elle obéit à un penchant heureux pour les peintures de la nature visible, et elle a aussi au fond d’elle-même de belles facultés. Il y aurait bien à critiquer en elle, mais laissons-la aller et ne l’inquiétons pas sur la route que son talent lui montrera. »
Nous parlâmes alors des femmes poètes en général, et le conseiller aulique Rehbein dit que le talent poétique des femmes lui faisait souvent l’effet d’un besoin intellectuel de reproduction.
— L’entendez-vous ? me dit Goethe en riant ; un besoin intellectuel de reproduction ! comme le médecin arrange cela !
— Je ne sais pas, dit Rehbein, si je m’exprime bien, mais il y a quelque chose comme cela. Ordinairement ces personnes n’ont pas joui du bonheur de l’amour, et elles cherchent un dédommagement du côté de l’esprit. Si elles avaient été mariées quand il le fallait, et si elles avaient eu des enfants, elles n’auraient pas pensé à leurs productions poétiques.
— Je ne veux pas chercher, dit Goethe, jusqu’à quel point vous avez raison ; mais pour les autres genres de talent chez les femmes, j’ai toujours vu qu’ils cessaient avec le mariage. J’ai connu des jeunes filles qui dessinaient parfaitement, mais dès qu’elles devenaient épouses et mères, c’était fini, elles s’occupaient de leurs enfants, et leur main ne touchait plus le crayon. — Cependant, reprit-il avec une grande vivacité, les femmes pourraient continuer autant qu’elles le veulent leurs poésies et leurs écrits, mais les hommes devraient bien ne pas écrire comme des femmes ! Voilà ce qui ne me plaît pas. »
VIII
Un jour je lui dis :
« J’ai toujours été étonné de l’idée de ces savants qui semblent croire que la poésie ne sort pas de la vie, mais des livres. Ils sont toujours à dire : Ceci vient de là, et ceci vient d’ici ! S’ils trouvent dans Shakespeare, par exemple, des passages qui se trouvent aussi chez les anciens, il faut que Shakespeare les ait pris aux anciens ! Ainsi, dans Shakespeare, un personnage, en voyant une charmante jeune fille, dit : « Heureux les parents qui la nomment leur fille ; heureux le jeune homme qui l’amènera comme fiancée ! » Et parce que le même trait se trouve dans Homère, il faut que Shakespeare le doive à Homère ! Est-ce assez bizarre ! Comme s’il fallait aller si loin pour trouver ces choses-là, et comme si tous les jours on n’en avait pas sous les yeux, on n’en sentait pas, on n’en disait pas de pareilles !
— Oui, c’est bien vrai, c’est fort ridicule, dit Goethe.
— Lord Byron, continuai-je, ne se montre pas plus sage lorsqu’il dépèce votre Faust et prétend que vous aurez pris cela ici, et ceci là. »
— Toutes les belles choses que lord Byron cite, dit Goethe, je ne les avais, pour la plupart, pas même lues, et j’y ai encore moins pensé, quand j’ai fait le Faust. Mais lord Byron n’est grand que lorsqu’il écrit ses vers ; dès qu’il veut raisonner, c’est un enfant. Aussi il ne sait pas se défendre contre les sottes attaques, précisément du même genre, qui lui ont été faites dans son propre pays ; il aurait dû prendre un langage bien plus énergique. « Ce qui est là m’appartient ! aurait-il dû dire ; que je l’aie pris dans la vie ou dans un livre, c’est indifférent ; il ne s’agissait pour moi que de savoir bien l’employer ! » Walter Scott s’est servi d’une scène de mon Egmont, il en avait le droit ; il l’a fait avec intelligence, il ne mérite que des éloges. Il a aussi, dans un de ses romans, imité le caractère de ma Mignon ; avec autant de sagacité ? c’est une autre question. Le Diable métamorphosé de lord Byron est une suite de Méphistophélès, c’est fort bien ! Si par une fantaisie d’originalité, il avait voulu s’en écarter, il aurait été obligé de faire plus mal. Mon Méphistophélès chante une chanson de Shakespeare, et qu’est-ce qui l’en empêcherait ? Pourquoi me serais-je fatigué à en chercher une nouvelle, si celle de Shakespeare convenait et disait justement ce qu’il fallait dire ? L’exposition de mon Faust a aussi quelque ressemblance avec celle de Job, tout cela est fort bien et j’en suis plutôt à louer qu’à blâmer. »
Ici Goethe se trompe, ou fait du sophisme en faveur de sa vanité. —
Je prends mon bien où je le trouve
, est un mauvais mot et un mauvais
raisonnement de Molière. Dans la nature ? oui ; dans l’art ? non. L’art appartient à
l’artiste et non au copiste. Toute imitation est un larcin.
IX
L’incendie du théâtre de Weimar, qui eut lieu le 22 mars 1823, c’était la moitié de la vie de Goethe qui s’écroulait. Il la vit s’écrouler avec douleur, mais avec l’impassibilité apparente d’un dieu qui voit brûler son temple et qui songe à le rebâtir promptement. Une seconde promenade à sa maison des champs, où il emmène Eckermann, lui fournit l’occasion de lui confier ses pensées secrètes en politique.
Mercredi, 27 avril 1825.
Vers le soir j’allai chez Goethe, qui m’avait invité à une promenade en voiture.
« Avant de partir, me dit-il, il faut que je vous montre une lettre de Zelter, que j’ai reçue hier et qui touche à notre affaire du théâtre. »
Zelter avait écrit entre autres ce passage :
« Que tu ne serais pas un homme à bâtir à Weimar un théâtre pour le peuple, je l’avais deviné depuis longtemps. Celui qui se fait feuille, la chèvre le mange. C’est à quoi devraient réfléchir d’autres puissances, qui veulent renfermer dans le tonneau le vin qui fermente. »
— Mes amis, nous avons vu cela !
— Oui, et nous le voyons encore.
Goethe me regarda et nous nous mîmes à rire.
« Zelter est un bon et digne homme, dit-il, mais il lui arrive parfois de ne pas me comprendre et de donner à mes paroles une fausse interprétation. J’ai consacré au peuple et à son enseignement ma vie entière, pourquoi ne lui construirais-je pas aussi un théâtre ? Mais ici, à Weimar, dans cette petite résidence21 où l’on trouve, comme on l’a dit par plaisanterie, fort peu d’habitants et dix mille poètes, peut-il être beaucoup question du peuple, et surtout d’un théâtre du peuple ? Weimar, sans doute, deviendra une très grande ville, mais il nous faut cependant attendre encore quelques siècles pour que le peuple de Weimar compose une masse telle, qu’il ait son théâtre et le soutienne. »
On avait attelé ; nous partîmes pour le jardin de sa maison de campagne. La soirée était calme et douce, l’air un peu lourd, et l’on voyait de grands nuages se réunir en masses orageuses. Goethe restait dans la voiture silencieux, et évidemment préoccupé. Pour moi, j’écoutais les merles et les grives qui, sur les branches extrêmes des chênes encore sans verdure, jetaient leurs notes à l’orage près d’éclater. Goethe tourna ses regards vers les nuages, les promena sur la verdure naissante qui, partout autour de nous, des deux côtés du chemin, dans la prairie, dans les buissons, aux haies, commençait à bourgeonner, puis il dit :
« Une chaude pluie d’orage, comme cette soirée nous la promet, et nous allons revoir apparaître le printemps dans toute sa splendeur et sa prodigalité ! »
Les nuages devenaient plus menaçants, on entendait un sourd tonnerre, quelques gouttes tombèrent, et Goethe pensa qu’il était sage de retourner à la ville. Quand nous fûmes devant sa porte :
« Si vous n’avez rien à faire, me dit-il, montez chez moi, et restez encore une petite heure avec moi. »
J’acceptai avec grand plaisir. La lettre de Zelter était encore sur la table.
« Il est étrange, bien étrange, dit-il, de voir avec quelle facilité on peut être méconnu par l’opinion publique. Je ne sais pas avoir jamais péché contre le peuple, mais maintenant, c’est décidé, une fois pour toutes ; je ne suis pas un ami du peuple ! Oui, c’est vrai, je ne suis pas un ami de la plèbe révolutionnaire, qui cherche le pillage, le meurtre et l’incendie ; qui, sous la fausse enseigne du bien public, n’a vraiment devant les yeux que les buts les plus égoïstes et les plus vils. Je suis aussi peu l’ami de pareilles gens que je le suis d’un Louis XV. Je hais tout bouleversement violent, parce qu’on détruit ainsi autant de bien que l’on en gagne. Je hais ceux qui les accomplissent aussi bien que ceux qui les ont rendus inévitables. Mais pour cela, ne suis-je pas un ami du peuple ? Est-ce que tout homme sensé ne partage pas ces idées ? Vous savez avec quelle joie j’accueille toutes les améliorations que l’avenir nous fait entrevoir. Mais, je le répète, tout ce qui est violent, précipité, me déplaît jusqu’au fond de l’âme, parce que ce n’est pas conforme à la nature. Je suis un ami des plantes, j’aime la rose comme la fleur la plus parfaite que voie notre ciel allemand, mais je ne suis pas assez fou pour vouloir que mon jardin me la donne maintenant, à la fin d’avril. Je suis content, si je vois aujourd’hui les premières folioles verdir ; je serai content quand je verrai de semaine en semaine la feuille se changer en tige, j’aurai de la joie à voir en mai le bouton, et enfin, je serai heureux quand juin me présentera la rose elle-même dans toute sa magnificence et avec tous ses parfums. Celui qui ne veut pas attendre, qu’il aille dans une serre chaude.
« On répète que je suis un serviteur des princes, un valet des princes ! comme si cela avait un sens ! Est-ce que par hasard je sers un tyran, un despote ? Est-ce que je sers un de ces hommes qui ne vivent que pour leurs plaisirs en les faisant payer à un peuple ? De tels princes et de tels temps sont, Dieu merci, loin derrière nous. Le lien le plus intime m’attache depuis un demi-siècle au grand-duc, avec lui j’ai pendant un demi-siècle lutté et travaillé, et je mentirais si je disais que je sais un seul jour où le grand-duc n’a pas pensé à faire, à exécuter quelque chose qui ne serve pas au bien du pays, et qui ne soit pas calculé pour améliorer le sort de chaque individu. Pour lui personnellement, qu’a-t-il retiré de son rôle de prince, sinon charges et fatigues ? Est-ce que sa demeure, son costume, sa table, sont plus brillants que chez un particulier aisé ? Que l’on aille dans nos grandes villes maritimes, on verra la cuisine et le service d’un grand négociant sur un meilleur pied que chez lui. Nous célébrerons cet automne le cinquantième anniversaire du jour où il a commencé à gouverner et à être le maître. Mais ce maître, quand j’y pense vraiment, qu’a-t-il été tout ce temps, sinon un serviteur ? Le serviteur d’une grande cause : le bien de son peuple ! S’il faut donc à toute force que je sois un serviteur des princes, au moins ma consolation c’est d’avoir été le serviteur d’un homme qui était lui-même serviteur du bien général. »
X
Rien de plus touchant que l’hommage impartial que l’amitié de Goethe rendait ainsi à l’affection de cinquante ans du grand-duc. Lisez :
Madame de Goethe et Mademoiselle Ulrike entrèrent toutes deux en très gracieuse toilette d’été, que le beau temps leur avait fait prendre. La conversation à table fut gaie et variée. On y parla des parties de plaisir des semaines précédentes et des projets semblables pour les semaines suivantes.
— Si les belles soirées se maintiennent, dit madame de Goethe, j’aurais un grand désir de donner ces jours-ci dans le parc un thé, au chant des rossignols. Qu’en dites-vous, cher père ?
« — Cela pourrait être très joli ! répondit Goethe.
— Et vous, Eckermann, dit madame de Goethe, cela vous convient-il ? peut-on vous inviter ?
— Mais, Ottilie, s’écria mademoiselle Ulrike, comment peux-tu inviter le docteur ? Il ne viendra pas, ou, s’il vient, il sera comme sur des charbons ardents, on verra que son esprit est ailleurs, et qu’il aimerait beaucoup mieux s’en aller.
— À parler franchement, répondis-je, je préfère flâner avec Doolan dans les champs des environs. Les thés, les soirées avec thé, les conversations avec thé, tout cela répugne si fort à mon naturel, que la seule pensée de ces plaisirs me met mal à mon aise.
— Mais, Eckermann, dit madame de Goethe, à un thé dans le parc, vous êtes en plein air, par conséquent dans votre élément.
— Au contraire, dis-je, quand je suis si près de la nature que ses parfums viennent jusqu’à moi, et que cependant je ne peux vraiment me plonger en elle, alors l’impatience me saisit, et je suis comme un canard que l’on met près de l’eau en l’empêchant de s’y baigner.
— Ou bien, dit Goethe en riant, comme un cheval qui passe sa tête par le fenêtre de l’écurie et voit devant lui d’autres chevaux gambader sans entraves, dans un beau pâturage. Il sent toutes les délices rafraîchissantes de la nature libre, mais il ne peut les goûter. Laissez donc Eckermann, il est comme il est, et vous ne le changerez pas. Mais, dites-moi, mon très cher, qu’allez-vous donc faire en pleins champs avec votre Doolan, pendant toutes les belles après-midi ?
— Nous cherchons quelque part un vallon solitaire, et nous tirons à l’arc.
— Hum ! dit Goethe, ce n’est pas là une distraction mal choisie.
— Elle est souveraine, dis-je, contre les ennuis de l’hiver.
— Mais comment donc, par le ciel ! dit Goethe, avez-vous ici, à Weimar, trouvé arcs et flèches ?
— Pour les flèches, j’avais, en revenant de la campagne de 1814, rapporté avec moi un modèle du Brabant. Là, le tir à l’arc est général. Il n’y a pas si petite ville qui n’ait sa société d’archers. Ils ont leur tir dans des cabarets, comme nous y avons des jeux de quilles, et ils se réunissent d’habitude vers le soir dans ces endroits où je les ai regardés souvent avec le plus grand plaisir. Quels hommes bien faits ! et quelles poses pittoresques, quand ils tirent la corde ! Comme toutes leurs énergies se développent, et quels adroits tireurs ce sont ! Ils tiraient habituellement, à une distance de soixante ou quatre-vingts pas, sur une feuille de papier collée à un mur d’argile détrempée ; ils tiraient vivement l’un après l’autre et laissaient leurs flèches fixées au but. Et il n’était pas rare que sur quinze flèches cinq eussent touché le rond du milieu, large comme un thaler ; les autres étaient tout à côté. Quand tout le monde avait tiré, chacun allait reprendre sa flèche et on recommençait le jeu. J’étais alors si enthousiaste de ce tir à l’arc, que je pensais que ce serait rendre un grand service à l’Allemagne que de l’y introduire, et j’étais assez sot pour croire que ce fût possible. Je marchandai souvent un arc, mais on n’en vendait pas au-dessous de vingt francs, et où un pauvre chasseur pouvait-il trouver une pareille somme ? Je me bornai à une flèche, comme l’instrument le plus important et travaillé avec le plus d’art ; je l’achetai dans une fabrique de Bruxelles pour un franc, et avec un dessin, ce fut le seul butin que je rapportai dans mon pays22.
— Voilà qui est tout à fait digne de vous, répondit Goethe. Mais ne vous imaginez pas que l’on pourrait rendre populaire ce qui est beau et naturel ; ou du moins il faudrait pour cela avoir beaucoup de temps et recourir à des moyens désespérés. Je crois facilement que ce jeu du Brabant est beau. Notre plaisir allemand du jeu de quilles paraît, en comparaison, grossier, commun, et il tient beaucoup du Philistin.
— Ce qu’il y a de beau au tir de l’arc, dis-je, c’est qu’il développe le corps tout entier et qu’il réclame l’emploi harmonieux de toutes les forces. Le bras gauche, qui soutient l’arc, doit rester bien tendu sans bouger ; le droit, qui tire la corde, ne doit pas être moins fort ; les pieds, les cuisses, pour servir de base solide à la partie supérieure du corps, s’attachent avec énergie au sol ; l’œil, qui vise, les muscles du cou et de la nuque, tout est en activité et dans toute sa tension. Et puis, quelles émotions, quelle joie quand la flèche part, siffle et perce le but ! Je ne connais aucun exercice du corps comparable.
— Cela, dit Goethe, conviendrait à nos écoles de gymnastique, et je ne serais pas étonné si, dans vingt ans, nous avions en Allemagne d’excellents archers par milliers. Mais avec une génération d’hommes mûrs il n’y a rien à faire, ni pour le corps, ni pour l’esprit, ni pour le goût, ni pour le caractère. Commencez adroitement par les écoles, et vous réussirez.
— Mais, dis-je, nos professeurs allemands de gymnastique ne connaissent pas le tir à l’arc.
— Eh bien, dit Goethe, que quelques écoles se réunissent et fassent venir de Flandre ou de Brabant un bon archer ; ou bien qu’ils envoient en Brabant quelques-uns de leurs meilleurs élèves, jeunes et bien faits, qui deviendront là-bas de bons archers et apprendront aussi comment on taille un arc et fabrique une flèche. Ils pourraient ensuite entrer dans les écoles comme professeurs temporaires et aller ainsi d’école en école. Je ne suis pas du tout opposé aux exercices gymnastiques en Allemagne, aussi j’ai eu d’autant plus de chagrin en voyant qu’on y a mêlé bien vite de la politique, de telle sorte que les autorités se sont vues forcées ou de les restreindre, ou de les défendre et de les suspendre. C’était jeter l’enfant que l’on baigne avec l’eau de la baignoire. J’espère que l’on rétablira les écoles de gymnastique, car elles sont nécessaires à notre jeunesse allemande, surtout aux étudiants, qui ne font en aucune façon contrepoids à leurs fatigues intellectuelles par des exercices corporels, et perdent ainsi l’énergie en tout genre. Mais parlez-moi donc de votre flèche et de votre arc. Ainsi, vous avez rapporté une flèche du Brabant ! Je voudrais bien la voir.
— Il y a longtemps qu’elle est perdue, répondis-je. Mais je me la rappelais si bien, que j’ai réussi à en faire une pareille, et non une seule, mais toute une douzaine. Ce n’était pas aussi facile que je le pensais, et je me suis mépris bien souvent. Il faut que la tige soit droite et ne se courbe pas après quelque temps, qu’elle soit légère, assez solide pour ne pas se briser au choc d’un corps solide. J’ai essayé le peuplier, le pin, le bouleau : ces bois avaient un défaut ou un autre ; avec le tilleul je réussis. Le choix de la pointe en corne m’a donné aussi du mal ; il faut prendre le milieu même d’une corne, sinon elle se brise. Et les plumes, que d’erreurs avant d’arriver !
— Il faut, n’est-ce pas, dit Goethe, coller seulement les plumes à la flèche ?
— Oui, mais il faut que ce soit collé avec grande adresse ; et l’espèce de colle, l’espèce de plumes à choisir, rien n’est indifférent ; les barbes des plumes de l’aile des grands oiseaux sont bonnes, en général, mais celles que j’ai trouvées les meilleures sont les plumes rouges du paon, les grandes plumes de coq d’Inde, et surtout les fortes et magnifiques plumes de l’aigle et de l’outarde.
— J’apprends tout cela avec grand intérêt, dit Goethe. Celui qui ne vous connaît pas ne croirait guère que vous avez des goûts si pratiques. Mais dites-moi donc aussi comment vous vous êtes procuré votre arc.
— Je m’en suis fabriqué quelques-uns moi-même, répondis-je. J’ai fait d’abord de la bien triste besogne, mais j’ai ensuite demandé des conseils aux menuisiers et aux charrons, essayé tous les bois du pays, et j’ai enfin réussi. Après des essais de différents genres, on me conseilla de prendre une tige assez forte pour que l’on pût la fendre (schlachten) en quatre parties.
— Schlachten, me demanda Goethe, quel est ce mot ?
— C’est une expression technique des charrons ; cela répond à fendre. Lorsque les fibres d’une tige sont droites, les morceaux fendus sont droits, et on peut s’en servir, sinon, non.
— Mais pourquoi ne pas les scier ? dit Goethe, on aurait des morceaux droits.
— Oui, mais quand les fibres du bois se courbent, on les couperait, et la tige ne pourrait plus dès lors servir à un arc.
— Je comprends, dit Goethe ; un arc se brise quand les fibres de la tige sont coupées. Mais continuez, vous m’intéressez.
— Mon premier arc était trop dur à tendre ; un charron me dit : « Ne prenez plus un morceau de baliveau, le bois est toujours très roide ; choisissez un des chênes qui croissent près de Hopfgarten23. Le bois en est tendre. » Je vis alors qu’il y avait chênes et chênes, et j’appris beaucoup de détails sur la nature différente du même bois, suivant son exposition ; je vis que les fibres des arbres se dirigent toujours vers le soleil, et que si un arbre est exposé d’un côté au soleil, de l’autre à l’ombre, le centre des fibres n’est plus le centre de l’arbre ; le côté le plus large est du côté du soleil ; aussi les menuisiers et les charrons, s’ils ont besoin d’un bois fin et fort, choisissent plutôt le côté qui a été exposé au nord.
— Vous devez penser, me dit Goethe, combien vos observations sont intéressantes pour moi qui me suis occupé pendant la moitié de mon existence du développement des plantes et des arbres. Racontez toujours ! Vous avez donc choisi un chêne tendre ?
— Oui, et un morceau du côté opposé au soleil. Mais après quelques mois, mon arc se déformait. Je fus donc obligé de recourir à d’autres bois, au noyer d’abord, et enfin à l’érable, qui ne laisse rien à désirer.
— Je connais ce bois, dit Goethe, il pousse souvent dans les haies ; je m’imagine en effet qu’il doit être bon ; mais j’ai vu rarement une jeune tige sans nœuds, et il vous faut pour votre arc une tige absolument libre de nœuds.
— Quand on veut faire monter l’érable en arbre, on lui retire les nœuds, ou en grossissant il les perd de lui-même. Quand il a quinze ou dix-huit ans, il est donc bien lisse, mais on ne sait pas comment il est à l’intérieur et quels mauvais tours il peut jouer. Aussi, on fera bien de faire scier son arc dans la partie la plus rapprochée de l’écorce.
— Mais vous disiez qu’il ne fallait pas scier le bois d’un arc, mais le fendre, le schlachten, comme vous dites.
— Quand il se laisse fendre, certainement, c’est-à-dire quand les fibres sont assez grosses, mais les fibres de l’érable sont trop fines et trop entremêlées.
— Hum ! hum ! dit Goethe. Avec vos goûts d’archer vous êtes arrivé à de très jolies connaissances, et à des connaissances vivantes, à celles que l’on n’obtient que par des moyens pratiques. C’est là toujours l’avantage d’une passion, elle nous fait pénétrer le fond des choses. Les recherches et les erreurs donnent aussi des enseignements ; on connaît non seulement la chose elle-même, mais tout ce qui la touche tout à l’entour. Que saurais-je moi-même sur les plantes, sur les couleurs, si j’avais reçu ma science toute faite et si je l’avais apprise par cœur ? Mais comme j’ai tout cherché et trouvé par moi-même, comme à l’occasion je me suis trompé, je peux dire que sur ces deux sujets j’ai quelques connaissances, et que j’en sais plus qu’il n’y en a sur le papier. Mais parlez-moi toujours de votre arc. J’ai vu des arcs écossais tout droits, et d’autres au contraire recourbés à leur extrémité ; lesquels tenez-vous pour les meilleurs ?
— Je pense que la force du jet est plus grande dans les arcs à extrémités recourbées. Depuis que je sais comment on courbe les arcs, je courbe les miens ; ils lancent mieux et sont aussi plus jolis à l’œil.
— C’est par la chaleur, n’est pas, dit Goethe, que l’on produit ces inflexions ?
— Par une chaleur humide. Je trempe mon arc dans l’eau bouillante à six ou huit pouces de profondeur, et après une heure, quand il est bien chaud, je l’introduis entre deux morceaux de bois qui ont à leur intérieur une ligne creusée suivant la forme que je veux donner à l’arc. Je le laisse dans cet étau au moins un jour et une nuit, et quand il est sec il ne bouge plus.
— Savez-vous ? dit Goethe en souriant mystérieusement ; je crois que j’ai pour vous quelque chose qui ne vous déplairait pas. Que diriez-vous, si nous descendions et si je vous mettais à la main un vrai arc de Baschkir ?
— Un arc de Baschkir ! m’écriai-je avec enthousiasme, un vrai ?
— Oui, mon cher fou, un vrai ! Venez un peu.
Nous descendîmes dans le jardin. Goethe ouvrit la porte de la pièce inférieure d’un petit pavillon, dans laquelle je vis, aux murs et sur des tables, des curiosités de toute espèce. Je ne jetai qu’un coup d’œil sur tous ces trésors ; je n’avais d’yeux que pour mon arc.
« Le voici, dit Goethe, en le tirant d’un amas d’objets bizarres de toute espèce. Il est bien resté tel qu’il était quand un chef de Baschkirs me le donna en 1814. Eh bien, qu’en dites-vous ? »
J’étais plein de joie de tenir cette chère arme dans mes mains. La corde me parut encore fort bonne. Je l’essayai, il se tendait très suffisamment.
— C’est un bon arc, dis-je, la forme surtout m’en plaît, et elle me servira désormais de modèle.
— De quel bois le croyez-vous fait ? me demanda Goethe.
— Cette fine écorce de bouleau qui le couvre empêche de voir ; les extrémités sont libres, mais trop noircies par le temps. C’est sans doute du noyer. Il a été fendu.
— Eh bien ! si vous l’essayiez ? dit Goethe. Voici aussi une flèche ; mais méfiez-vous de la pointe, elle est peut-être empoisonnée.
Nous retournâmes dans le jardin et je tendis l’arc.
— Sur quoi tirerez-vous ? dit Goethe.
— D’abord en l’air, il me semble.
— Eh bien, allez !
Je lançai ma flèche vers les nuages lumineux, dans le bleu de l’air. La flèche monta droit, et en retombant, se ficha en terre.
« À mon tour », dit Goethe.
Je fus heureux de son désir. Je lui donnai l’arc et tins la flèche. Goethe ajusta la fente de la flèche sur la corde, prit l’arc comme il le fallait, non cependant sans chercher un peu. Puis il visa et tira. Il était là comme un Apollon, vieilli de corps, mais l’âme animée d’une indestructible jeunesse. La flèche ne s’éleva que très peu haut. Je courus la ramasser.
« Encore une fois ! » dit Goethe.
Il tira cette fois horizontalement dans la direction de l’allée du jardin. La flèche alla à peu près à trente pas. J’avais un bonheur que je ne peux dire à voir ainsi Goethe tirer avec l’arc et la flèche. Je pensai aux vers :
La vieillesse m’abandonne-t-elle ?Et de nouveau suis-je un enfant ?Je lui rapportai la flèche. Il me pria de tirer aussi horizontalement, et me donna pour but une tache dans les volets de son cabinet de travail. Je visai. La flèche n’arriva pas loin du but, mais elle s’enfonça tellement dans ce bois tendre, que je ne pus la retirer.
« Laissez-la fichée, me dit Goethe, elle y restera pendant quelques jours et sera un souvenir de notre partie. »
XI
Un second jugement de lui sur Byron est d’une justesse qui diminue l’enthousiasme, le voici : Il n’est pas juste que la haine et l’immoralité reçoivent la récompense de la charité et de l’amour. Le sublime de Byron, c’est la haine et le mépris.
Écoutez Goethe :
« Si Byron avait eu l’occasion de se décharger au parlement, par des paroles fréquentes et amères, de toute l’opposition qui était en lui, il aurait été comme poète bien plus pur. Mais comme au parlement il a à peine parlé, il a conservé en lui tout ce qu’il avait sur le cœur contre sa nation, et pour s’en délivrer il ne lui est resté d’autre moyen que de le convertir et de l’exprimer en poésie. Si j’appelais une grande partie des œuvres négatives de Byron des discours au Parlement comprimés, je crois que je les caractériserais par un nom qui ne serait pas sans justesse. »
Nous avons enfin parlé d’un des poètes allemands contemporains qui s’est fait un grand nom depuis quelque temps24, et dont nous avons aussi blâmé l’esprit négatif.
« Il ne faut pas le nier, dit Goethe, il a d’éclatantes qualités, mais il lui manque l’amour. Il aime aussi peu ses lecteurs et les poètes ses émules que lui-même, et il mérite qu’on lui applique le mot de l’Apôtre : “Si je parlais avec une voix d’homme et d’ange, et que je n’eusse pas l’amour, je serais un airain sonore, une cymbale retentissante.” Encore ces jours-ci je lisais ses poésies, et je n’ai pu méconnaître la richesse de son talent ; mais, je le répète, l’amour lui manque, et par là il n’exercera jamais autant d’influence qu’il l’aurait dû. On le craindra, et il deviendra le dieu de ceux qui seraient volontiers négatifs comme lui, mais qui n’ont pas son talent. »
Mercredi, 3 janvier 1827.
Aujourd’hui, à dîner, nous avons causé des excellents discours de Canning pour le Portugal.
Il y a des gens, dit Goethe, qui prétendent que ces discours sont grossiers, mais ces gens-là ne savent pas ce qu’ils veulent ; il y a en eux un besoin maladif de fronder tout ce qui est grand. Ce n’est pas là de l’opposition, c’est pur besoin de fronder. Il faut qu’ils aient quelque chose de grand qu’ils puissent haïr. Quand Napoléon était encore de ce monde, ils le haïssaient, et ils pouvaient largement se décharger sur lui. Quand ce fut fini avec lui, ils frondèrent la Sainte-Alliance, et pourtant jamais on n’a rien trouvé de plus grand et de plus bienfaisant pour l’humanité. Voici maintenant le tour de Canning. Son discours pour le Portugal est l’œuvre d’une grande conscience. Il sait très bien quelle est l’étendue de sa puissance, la grandeur de sa situation, et il a raison de parler comme il sent. Mais ces sans-culottes ne peuvent pas comprendre cela, et ce qui, à nous autres, nous paraît grand, leur paraît grossier. La grandeur les gêne, ils n’ont pas d’organe pour la respecter, elle leur est intolérable. »
« Jeudi soir, 4 janvier 1827.
Goethe a beaucoup loué les poésies de Victor Hugo. Il a dit :
« C’est un vrai talent, sur lequel la littérature allemande a exercé de l’influence. Sa jeunesse poétique a été malheureusement amoindrie par le pédantisme du parti classique, mais le voilà qui a le Globe pour lui : il a donc partie gagnée25. Je le comparerais avec Manzoni. Il a une grande puissance pour voir la nature extérieure, et il me semble absolument aussi remarquable que MM. de Lamartine et Delavigne26. En examinant bien, je vois d’où lui et tous les nouveaux talents du même genre viennent. Ils descendent de Chateaubriand, qui, certes, est très remarquable par son talent rhétorico-poétique. Pour voir comment écrit Victor Hugo, lisez seulement ce poème sur Napoléon : les Deux Îles. »
Goethe me tendit le livre, et resta près du poêle. Je lus.
— N’a-t-il pas d’excellentes images ? dit Goethe, et n’a-t-il pas traité son sujet avec une liberté d’esprit complète ? »
Et en parlant ainsi, il revint vers moi :
« Voyez ce passage, comme c’est beau ! »
Il lut le passage où le poète parle de la foudre remontant pour frapper le héros :
Il a bâti si haut son aire impérialeQu’il nous semble habiter cette sphère idéaleOù jamais on n’entend un nuage éclater !Ce n’est plus qu’à ses pieds que gronde la tempête ;Il faudrait, pour frapper sa tête,Que la foudre pût remonter !La foudre remonta ! Renversé de son aire…« Voilà qui est beau ! car l’image est vraie, et on l’observera dans les montagnes ; quand on a un orage au-dessous de soi, on voit souvent l’éclair jaillir de bas en haut. Ce que je loue dans les Français, c’est que leur poésie ne quitte jamais le terrain solide de la réalité. On peut traduire leurs poésies en prose, l’essentiel restera. Cela vient de ce que les poètes français ont des connaissances ; mais nos fous allemands croient qu’ils perdront leur talent s’ils se fatiguent pour acquérir du savoir ; tout talent pourtant doit se soutenir en s’instruisant toujours, et c’est seulement ainsi qu’il parviendra à l’usage complet de ses forces. Mais laissons-les ; ceux-là, on ne les aidera pas ; quant au vrai talent, il sait trouver sa route. Les jeunes poètes qui se montrent maintenant en foule ne sont pas de vrais talents ; ce ne sont que des impuissants à qui la perfection de la littérature allemande a donné l’envie de créer. — Que les Français quittent le pédantisme et s’élèvent dans la poésie à un art libre, il n’y a rien d’étonnant. Diderot et des esprits analogues au sien ont déjà, avant la révolution, cherché à ouvrir cette voie. Puis la révolution elle-même, et l’époque de Napoléon, ont été favorables à cette cause. Si les années de guerre, en ne permettant pas à la poésie d’attirer sur elle un grand intérêt, ont été par là pour un instant défavorables aux muses, il s’est cependant, pendant cette époque, formé une foule d’esprits libres, qui maintenant, pendant la paix, se recueillent et font apparaître leurs remarquables talents.
Je demandai à Goethe si le parti classique avait été aussi l’adversaire de l’excellent Béranger.
« Le genre dans lequel Béranger a composé, dit-il, est un vieux genre national auquel on était accoutumé ; cependant, pour maintes choses, il a su prendre un mouvement plus libre que ses prédécesseurs, et aussi il a été attaqué par le parti du pédantisme. »
Il ne sentait des poètes français de nos jours comme grandiose que Mérimée et Béranger. L’esprit lui éclipsait le génie. Chateaubriand, Hugo et autres, lui faisaient peu d’impression ; toujours Mérimée, toujours Béranger. C’était le temps de ce petit journal le Globe qui ne vantait que le persiflage, et qui préparait le régime amphibie des doctrinaires.
Mercredi, 31 janvier 1827.
J’ai dîné avec Goethe.
— Ces jours-ci, depuis que je vous ai vu, m’a-t-il dit, j’ai fait des lectures nombreuses et variées, mais j’ai lu surtout un roman chinois qui m’occupe encore et qui me paraît excessivement curieux.
— Un roman chinois ! dis-je, cela doit avoir un air bien étrange.
— Pas autant qu’on le croirait. Ces hommes pensent, agissent et sentent presque tout à fait comme nous, et l’on se sent bien vite leur égal ; seulement chez eux tout est plus clair, plus pur, plus moral ; tout est raisonnable, bourgeois, sans grande passion et sans hardis élans poétiques, ce qui fait ressembler ce roman à mon Hermann et Dorothée et aux œuvres de Richardson. La différence, c’est la vie commune que l’on aperçoit toujours chez eux entre la nature extérieure et les personnages humains. Toujours on entend le bruit des poissons dorés dans les étangs, toujours sur les branches chantent les oiseaux ; les journées sont toujours sereines et brillantes de soleil, les nuits toujours limpides ; on parle souvent de la lune, mais elle n’amène aucun changement dans le paysage ; sa lumière est claire comme celle du jour même. Et l’intérieur de leurs demeures est aussi coquet et aussi élégant que leurs tableaux. Par exemple : « J’entendis le rire des aimables jeunes filles, et, lorsqu’elles frappèrent mes yeux, je les vis assises sur des chaises de fin roseau. » — Vous avez ainsi tout d’un coup la plus charmante situation, car on ne peut se représenter des chaises de roseau sans avoir l’idée d’une légèreté et d’une élégance extrêmes. — Et puis un nombre infini de légendes, qui se mêlent toujours au récit et sont employées pour ainsi dire proverbialement. Par exemple, c’est une jeune fille dont les pieds sont si légers et si délicats, qu’elle pouvait se balancer sur une fleur sans la briser. C’est un jeune homme, dont la conduite est si morale et si honorable, qu’il a eu l’honneur, à trente ans, de parler avec l’empereur. C’est ensuite un couple d’amants qui dans leur longue liaison ont vécu avec tant de retenue que, se trouvant forcés de rester une nuit entière l’un près de l’autre, dans une chambre, ils la passent en entretiens sans aller plus loin. Et ainsi toujours des légendes sans nombre, qui toutes ont trait à la moralité et à la convenance. Mais aussi, par cette sévère modération en toutes choses, l’empire chinois s’est maintenu depuis des siècles, et par elle il se maintiendra dans l’avenir. — J’ai trouvé dans ce roman chinois un contraste bien curieux avec les chansons de Béranger, qui ont presque toujours pour fond une idée immorale et libertine, et qui par là me seraient très antipathiques, si ces sujets, traités par un aussi grand talent que Béranger, ne devenaient pas supportables, et même attrayants. Mais, dites vous-même, n’est-ce pas bien curieux que les sujets du poète chinois soient si moraux et que ceux du premier poète de la France actuelle soient tout le contraire ?
— Un talent comme Béranger, dis-je, ne pourrait rien faire d’un sujet moral.
— Vous avez raison, c’est précisément à propos des perversités du temps que Béranger révèle et développe ce qu’il y a de supérieur dans sa nature.
— Mais, dis-je, ce roman chinois est-il un de leurs meilleurs ?
— Aucunement, les Chinois en ont de pareils par milliers et ils en avaient déjà quand nos aïeux vivaient encore dans les bois. Je vois mieux chaque jour que la poésie est un bien commun de l’humanité, et qu’elle se montre partout dans tous les temps, dans des centaines et des centaines d’hommes. L’un fait un peu mieux que l’autre, et surnage un peu plus longtemps, et voilà tout. M. de Mathisson ne doit pas croire que c’est à lui que sera réservé le bonheur de surnager, et je ne dois pas croire que c’est à moi ; mais nous devons tous penser que le don poétique n’est pas une chose si rare, et que personne n’a de grands motifs pour se faire de belles illusions parce qu’il aura fait une bonne poésie. Nous autres Allemands, lorsque nous ne regardons pas au-delà du cercle étroit de notre entourage, nous tombons beaucoup trop facilement dans cette présomption pédantesque. Aussi j’aime à considérer les nations étrangères et je conseille à chacun d’agir de même de son côté. La littérature nationale, cela n’a plus aujourd’hui grand sens ; le temps de la littérature universelle est venu, et chacun doit aujourd’hui travailler à hâter ce temps. »
— Quel est le plus grand philosophe de tous ? lui demandai-je.
— C’est Kant, me répondit-il sans hésiter.
XII
Avant le dîner, je suis allé avec Goethe faire un petit tour en voiture sur la route d’Erfurt. Nous y avons rencontré des voitures de transport de toute espèce, chargées de marchandises pour la foire de Leipzig, et aussi quelques troupes de chevaux à vendre, parmi lesquels se trouvaient de fort belles bêtes.
« Il faut que je rie de ces esthéticiens, dit Goethe ; qui se tourmentent pour enfermer dans quelques mots abstraits l’idée de cette chose inexprimable que nous désignons sous cette expression : le beau. Le beau est un phénomène primitif qui ne se manifeste jamais lui-même, mais dont le reflet est visible dans mille créations diverses de l’esprit créateur, phénomène aussi varié, aussi divers que la nature elle-même.
— J’ai souvent entendu affirmer que la nature était toujours belle, dis-je, qu’elle était le désespoir de l’artiste, et qu’il était rarement capable de l’atteindre.
— Je sais bien, dit Goethe, que souvent la nature déploie une magie inimitable, mais je ne crois pas du tout qu’elle soit belle dans toutes ses manifestations. Ses intentions sont toujours bonnes, mais ce qui manque, c’est la réunion des circonstances nécessaires pour que l’intention puisse se réaliser parfaitement. Ainsi le chêne est un arbre qui peut être très beau. Mais quelle foule de circonstances favorables ne faut-il pas voir combinées pour que la nature réussisse une fois à le produire dans sa vraie beauté ! Si le chêne croît dans l’épaisseur d’un bois, entouré de grands arbres, il se dirigera toujours vers le haut, vers l’air libre et la lumière. Il ne poussera sur ses côtés que quelques faibles rameaux, qui même dans le cours du siècle doivent dépérir et tomber. Lorsqu’il sent enfin sa cime dans l’air libre, il s’arrête content, et puis commence à s’étendre en largeur pour former une couronne. Mais il est déjà alors plus qu’à la moitié de sa carrière ; cet élan vers la lumière, qu’il a prolongé pendant de longues années, a épuisé ses forces les plus vives, et les efforts qu’il fait pour se montrer encore puissant en s’élargissant ne peuvent plus complètement réussir. Quand sa crue s’arrêtera, ce sera un chêne élevé, fort, élancé, mais il n’aura pas entre sa tige et sa couronne les proportions nécessaires pour être vraiment beau. — Si au contraire un chêne pousse dans un lieu humide, marécageux, et si le sol est trop nourrissant, de bonne heure, s’il a assez d’espace, il poussera dans tous les sens beaucoup de branches et de rameaux ; mais ce qui manquera, ce seront des forces qui puissent l’arrêter et le retarder, aussi ce sera bientôt un arbre sans nœuds, sans ténacité, qui n’aura rien d’abrupte, et, vu de loin, il aura l’aspect débile du tilleul ; il n’aura pas de beauté, du moins la beauté du chêne. — S’il croît sur la pente d’une montagne, dans un terrain pauvre et pierreux, il aura cette fois trop de nœuds et de coudes, c’est la liberté du développement qui manquera ; il sera étiolé, sa crue s’arrêtera de bonne heure, et devant lui on ne dira jamais : « Là vit une force qui sait nous en imposer. »
— J’ai pu voir de très beaux chênes, dis-je, il y a quelques années, lorsque de Gœttingue je fis quelques excursions dans la vallée du Weser. Je les ai trouvés vigoureux, surtout à Solling, dans les environs de Hœxter.
— Un terrain de sable ou sablonneux, dit Goethe, dans lequel ils peuvent pousser en tous sens de vigoureuses racines, paraît leur être surtout favorable. Quant à l’exposition, il leur faut un endroit tel qu’ils puissent recevoir de tous les côtés lumière, soleil, pluie et vent. S’ils poussent commodément, abrités du vent et de l’orage, ils viennent mal, mais une lutte de cent années avec les éléments les rend si forts et si puissants que la présence d’un chêne, arrivé à sa pleine croissance, nous saisit d’admiration.
— Ne pourrait-on pas, demandai-je, de ces explications tirer une conséquence et dire : Une créature est belle quand elle est arrivée au sommet de son développement naturel ?
— Parfaitement, dit Goethe.
XIII
Ampère, le cosmopolite d’idées, arrive à Weimar. Goethe lui donne à dîner et s’exalte dans son entretien. Mérimée revient dans la conversation, de Vigny et d’autres talents. On a aussi beaucoup causé sur Béranger, dont Goethe a chaque jour dans la pensée les incomparables chansons. On discuta la question de savoir si les chansons joyeuses d’amour étaient préférables aux chansons politiques. Goethe dit qu’en général un sujet purement poétique était aussi préférable à un sujet politique que l’éternelle vérité de la nature l’est à une opinion de parti.
« Les Bourbons ne paraissent pas lui convenir : il est vrai que c’est maintenant une race affaiblie ! Et le Français de nos jours veut sur le trône de grandes qualités, quoiqu’il aime à partager le gouvernement avec son chef et à dire aussi son mot à son tour. »
Après dîner, la société se répandit dans le jardin ; Goethe me fit un signe, et nous partîmes en voiture pour faire le tour du bois par la route de Tiefurt. Il fut, pendant la promenade, très affectueux et très aimable. Il était content d’avoir noué d’aussi heureuses relations avec Ampère, et il s’en promettait les plus heureuses suites pour la diffusion et la juste appréciation de la littérature allemande en France.
« Ampère, dit-il, a placé son esprit si haut qu’il a bien loin au-dessous de lui tous les préjugés nationaux, toutes les appréhensions, toutes les idées bornées de beaucoup de ses compatriotes ; par l’esprit, c’est bien plutôt un citoyen du monde qu’un citoyen de Paris. Je vois venir le temps où il y aura en France des milliers d’hommes qui penseront comme lui. »
XIV
Voici une scène où l’âme scientifique et pittoresque de Goethe se développe en liberté. Lisons-le encore, avant d’arriver aux dernières scènes de sa vie.
Mercredi, 26 septembre 1827.
Ce matin Goethe m’avait invité à une promenade en voiture ; nous devions aller à la pointe d’Hottelstedt27, sur la hauteur occidentale de l’Ettersberg. La journée était extrêmement belle. En montant la colline, nous ne pouvions marcher qu’au pas, et nous eûmes occasion de faire diverses observations. Goethe remarqua dans les haies une troupe d’oiseaux, et il me demanda si c’étaient des alouettes.
« Ô grand et cher Goethe, pensai-je, toi qui as comme peu d’hommes fouillé dans la nature, tu me parais en ornithologie être un enfant !… — Ce sont des embérises et des passereaux, dis-je, et aussi quelques fauvettes attardées qui, après leur mue, descendent des fourrés de l’Ettersberg dans les jardins, dans les champs, et se préparent à leur départ ; il n’y a pas là d’alouettes. Il n’est pas dans la nature de l’alouette de se ◀poser▶ sur les buissons. L’alouette des champs ainsi que l’alouette des airs monte vers le ciel, redescend vers la terre ; en automne, elle traverse l’espace par bandes et s’abat sur des champs de chaume, mais jamais elle ne se ◀posera sur une haie ou sur un buisson. L’alouette des arbres aime la cime des grands arbres ; elle s’élance de là en chantant dans les airs, puis redescend sur la cime. Il y a aussi une autre alouette que l’on trouve dans les lieux solitaires, au midi des clairières ; elle a un chant très tendre, qui rappelle le son de la flûte, mais plus mélancolique. Cette espèce ne se trouve point sur l’Ettersberg, qui est trop vivant et trop près des habitations ; elle ne va pas d’ailleurs non plus sur les buissons.
— Ah ! ah ! vous paraissez en ces matières n’être pas tout à fait un apprenti.
— Je m’en suis occupé avec goût depuis mon enfance, et pour elles mes yeux et mes oreilles ont toujours été ouverts. Le bois de l’Ettersberg a peu d’endroits que je n’aie parcourus plusieurs fois. Quand j’entends maintenant un chant, je peux dire de quel oiseau il vient. Et même, si on m’apporte un oiseau qui, ayant été mal soigné dans sa captivité, a perdu son plumage, je saurai lui rendre bien vite et les plumes et la santé.
— Cela montre certes une grande habileté ; je vous conseille de persévérer sérieusement dans vos études ; avec votre vocation marquée, vous arriverez à d’excellents résultats. Mais parlez-moi donc un peu de la mue. Vous m’avez dit que les fauvettes descendent après la mue dans les champs. La mue arrive-t-elle donc à une époque fixe, et tous les oiseaux muent-ils ensemble ?
— Chez la plupart des oiseaux la mue vient dès que la couvaison est terminée, c’est-à-dire dès que les petits de la dernière couvée peuvent se suffire à eux-mêmes. Mais alors il s’agit de savoir si, à partir de ce moment jusqu’à son départ, l’oiseau a le temps suffisant pour sa mue. S’il l’a, il mue ici et part avec son plumage nouveau. S’il ne l’a pas, il part avec son plumage ancien et ne mue que dans le Midi, plus tard. — Car les oiseaux n’arrivent pas au printemps et ne partent pas à l’automne tous en même temps. La cause, c’est que chaque espèce supporte plus ou moins facilement le froid et l’intempérie. L’oiseau qui arrive de bonne heure chez nous s’en va tard, et l’oiseau qui arrive tard s’en va tôt. Même dans une seule famille, par exemple dans celle des fauvettes, il y a de grandes différences. La fauvette à claquets ou la petite meunière se fait entendre chez nous dès la fin de mars, quinze jours plus tard viennent la fauvette à tête noire, le moine ; puis, environ une semaine après, le rossignol, et seulement à la fin d’avril ou au commencement de mai, la fauvette grise. Tous ces oiseaux avec leurs petits de la première couvée muent chez nous en août ; aussi on prend ici, à la fin d’août, de jeunes moines qui ont déjà leur petite tête noire. Mais les enfants de la dernière couvée partent avec leur premier plumage et ne muent que plus tard, dans les contrées méridionales ; aussi, au commencement de septembre, on peut ici prendre des moines mâles qui ont encore leur petite tête rouge comme leur mère.
— La fauvette grise est-elle l’oiseau qui vient le plus tard chez nous, ou d’autres viennent-ils encore après elle ? demanda Goethe.
— L’oiseau moqueur jaune et le magnifique pirol jaune d’or, n’arrivent que vers Pâques. Tous deux partent après leur couvaison achevée, vers le milieu d’août, et ils muent dans le Sud. Si on les garde en cage, ils muent en hiver ; aussi ces oiseaux se gardent difficilement. Ils demandent beaucoup de chaleur. Si on les suspend près du poêle, ils dépérissent par manque d’air nourrissant ; si on les met près de la fenêtre, ils dépérissent par suite du froid des longues nuits.
— On dit que la mue est une maladie, ou du moins qu’elle est accompagnée d’un affaiblissement du corps.
— Je ne saurais dire. C’est une augmentation de vie, qui se passe très heureusement en plein air sans la moindre fatigue, et qui réussit aussi très bien à certains individus dans la chambre. J’ai eu des fauvettes qui pendant toute la mue n’ont pas cessé de chanter, ce qui est signe d’une parfaite santé. Si un oiseau pendant la mue est maladif, c’est qu’on le nourrit mal, que son eau est mauvaise, ou qu’il manque d’air. S’il n’a pas dans la chambre assez de force pour muer, qu’on le mette à l’air frais, il muera très bien. Un oiseau libre mue sans s’en apercevoir, tant sa mue se fait doucement.
— Cependant vous sembliez dire que pendant leur mue les fauvettes se retirent dans les fourrées du bois ?
— Elles ont certainement pendant ce temps besoin de quelques secours. La nature agit avec tant de sagesse et de mesure, que jamais un oiseau ne perd tout d’un coup assez de plumes pour ne plus pouvoir voler et chercher sa nourriture. Mais cependant il peut arriver qu’un oiseau perde ensemble par exemple la quatrième, la cinquième et la sixième penne à chaque aile ; il pourra bien voler encore, mais pas assez bien pour échapper aux oiseaux de proie ses ennemis et surtout au très rapide et très adroit hobereau ; voilà pourquoi les fourrés leur sont utiles à ce moment.
— Cela se conçoit. Est-ce que la mue marche également et comme symétriquement aux deux ailes ?
— Autant que j’ai pu observer, sans aucun doute. Et c’est un bienfait. Car si un oiseau perdait à l’aile gauche trois pennes sans les perdre aussi à l’aile droite en même temps, l’équilibre serait rompu et l’oiseau ne serait plus le maître de ses mouvements. Il serait comme un vaisseau qui a d’un côté les voiles trop lourdes et de l’autre côté les voiles trop légères.
— Je vois que l’on peut pénétrer dans la nature du côté où l’on veut ; on trouve toujours une preuve de sagesse !… »
Nous étions arrivés sur le haut de la colline, nous longions la forêt de pins qui la couvre. Nous passâmes près d’un tas de pierres. Goethe fit arrêter, me pria de descendre et de chercher un peu si je ne trouverais pas quelques pétrifications. Je trouvai quelques coquilles et quelques ammonites brisées que je lui donnai en remontant en voiture. Nous reprîmes notre route.
« Toujours la vieille même histoire ! dit-il ; toujours le vieux sol marin ! Quand on est sur cette hauteur, et que l’on voit Weimar et tous ces villages dispersés alentour, cela semble un prodige que de se dire : Il y a eu un temps où dans cette large vallée se jouait la baleine. Et cependant il en est ainsi, ou du moins c’est très vraisemblable. La mouette, volant dans ce temps au-dessus de la mer qui a couvert ces hauteurs, ne pensait guère que nous y passerions un jour tous deux en voiture. Qui sait si dans des siècles la mouette ne volera pas de nouveau au-dessus de ces collines ?… »
Nous étions tout à fait en haut à l’extrémité de la pointe de l’Ettersberg ; on ne voyait plus Weimar ; mais devant nous, à nos pieds, s’étalait la large vallée de l’Unstrut, semée de villes et de villages, éclairée par le riant soleil du matin.
« Là on sera bien ! dit Goethe en faisant arrêter ; voyons encore si un petit déjeuner dans ce bon air nous fera plaisir ! »
Frédéric disposa le déjeuner sur une petite éminence de gazon. Les lueurs matinales du soleil d’automne le plus pur rendaient splendide le coup d’œil dont on jouissait à cette place. Vers le sud et le sud-ouest, on découvrait toute la chaîne de montagnes de la forêt de Thuringe ; à l’ouest, au-delà d’Erfurt, le château élevé de Gotha et la cime de l’Inselsberg ; et vers le nord, à l’horizon, les montagnes bleuâtres du Harz. Je pensais aux vers :
Large, élevé, sublime, le regardSe promène sur l’existence !…De montagne en montagneFlotte l’esprit éternelQui pressent l’éternelle vie……Nous nous assîmes de façon à avoir devant nous, pendant notre déjeuner, la vue libre sur la moitié de la Thuringe. — Nous mangeâmes une couple de perdrix rôties, avec du pain blanc tendre, et nous bûmes une bouteille de très bon vin, en nous servant d’une coupe d’or, qui se replie sur elle-même et que Goethe emporte dans ces excursions, enfermée dans un étui de cuir jaune.
« Je suis venu très souvent à cette place, dit-il, et ces dernières années, j’ai bien souvent pensé que pour la dernière fois je contemplais d’ici le royaume du monde et ses splendeurs. Mais tout en moi continue à bien se maintenir, et j’espère que ce n’est pas aujourd’hui la dernière fois que nous nous donnons ensemble une bonne journée. Nous viendrons à l’avenir plus souvent ici. À rester dans la maison on se sent figer. Ici, on se sent grand, libre comme la grande nature que l’on a devant les yeux ; on est comme on devrait être toujours. — Je domine dans ce moment une foule de points auxquels se rattachent les plus abondants souvenirs d’une longue existence. Que n’ai-je pas fait pendant ma jeunesse dans les montagnes d’Ilmenau ! Et là-bas, dans le cher Erfurt, que de belles aventures ! À Gotha aussi, dans les premiers temps, je suis allé souvent et avec plaisir ; mais depuis longtemps on ne m’y voit pour ainsi dire plus.
— Depuis que je suis à Weimar, je ne me rappelle pas que vous vous y soyez rendu.
— C’est ainsi que vont les choses, dit Goethe en riant. Je ne suis pas là noté au mieux. Voici l’histoire, je veux vous la raconter. Lorsque la mère du duc régnant était encore dans toute sa jeunesse, j’allais là très souvent. Un soir, j’étais seul avec elle, prenant le thé, lorsque les deux princes arrivent en sautant, pour prendre le thé avec nous. C’étaient deux beaux enfants à cheveux blonds, de dix à douze ans. Hardi comme je pouvais l’être, je passai mes mains dans le chevelure de ces deux princes, en leur disant : « Eh bien, têtes à filasse, comment nous portons-nous ? » Les gamins me regardèrent avec de grands yeux, tout étonnés de mon audace, et ils ne me l’ont depuis jamais pardonnée ! — Je ne raconte pas ce trait pour m’en glorifier ; mais cet acte est tout à fait dans ma nature. Jamais je n’ai eu beaucoup de respect pour la condition pure de prince, quand elle n’est pas alliée à une nature solide et à la valeur personnelle. Je me sentais moi-même si bien dans mon être, et je me sentais moi-même si noble que, si l’on m’avait fait prince, je n’aurais trouvé là rien de bien étonnant. — Quand on m’a donné des lettres de noblesse, bien des gens ont cru que je me sentirais élevé par elles. Entre nous, elles n’étaient pour moi rien, rien du tout ! Nous autres patriciens de Francfort, nous nous sommes toujours tenus pour les égaux des nobles, et, quand je reçus le diplôme, j’eus dans les mains ce que depuis longtemps je possédais déjà en esprit. »
Après avoir encore bu un bon coup dans la coupe dorée, nous nous rendîmes au pavillon de chasse d’Ettersberg, en faisant le tour de la montagne. Goethe me fit ouvrir toutes les pièces, et me montra la chambre, à l’angle du premier étage, que Schiller avait habitée quelque temps.
« Autrefois, me dit-il, nous avons passé ici plus d’une bonne journée. Nous étions tous jeunes, pétulants, et, l’été, c’étaient des comédies improvisées, l’hiver, des danses, des promenades en traîneaux aux torches, etc. — Je veux vous montrer le hêtre sur lequel, il y a cinquante ans, nous avons gravé nos noms. Comme tout a changé, comme tout a grandi !… Voilà l’arbre ! Vous voyez, il est encore magnifique ! On peut encore voir trace de nos noms, mais l’écorce s’est tellement resserrée et gonflée qu’on ne les découvre presque plus. Ce hêtre était alors tout seul au milieu d’une place libre et bien sèche. Le soleil resplendissait gaiement tout alentour, et c’était là que, dans les beaux jours d’été, nous improvisions nos farces. Maintenant cet endroit est humide et désagréable. Les buissons se sont changés en arbres épais, et c’est à peine si on peut découvrir le magnifique hêtre de notre jeunesse !… »
Nous retournâmes alors au château, et nous revînmes à Weimar.
XV
On revint le soir à la conversation sur les affinités électives. Goethe dit :
« Je me rappelle un trait des commencements de mon séjour à Weimar. J’étais vite retombé amoureux. Après un long voyage, je venais de rentrer à Weimar, mais j’étais toujours retenu à la cour jusqu’à une heure avancée de la nuit, et je n’avais pu encore aller voir ma bien-aimée ; notre liaison ayant déjà attiré l’attention, j’évitais d’aller chez elle de jour, pour ne pas faire parler davantage. Mais le quatrième ou cinquième soir, je ne peux plus résister, et, avant d’y avoir pensé, je pars et je suis devant sa demeure. Je monte doucement l’escalier, et j’allais entrer dans sa chambre quand j’entends, à un bruit de voix, qu’elle n’est pas seule. Je redescends vite, et je me mets à errer dans les rues, qui alors n’étaient pas éclairées. — Plein de passion et de colère, je marchai à travers la ville pendant une heure environ, repassant sans cesse devant la maison de ma bien-aimée et souffrant d’un désir ardent de la voir. Enfin, j’étais sur le point de rentrer dans ma chambre solitaire, lorsque, en passant encore une fois devant sa maison, je ne vois plus de lumière. Elle est sortie ! pensai-je alors, mais par cette obscurité, dans cette nuit, où est-elle allée ? où la rencontrer ? Je me remets à parcourir les rues, et plusieurs fois il me semble la reconnaître dans les personnes qui passent ; mais, en m’approchant, j’étais détrompé. J’avais déjà, à cette époque, une foi absolue à l’influence réciproque, et je pensais pouvoir l’amener vers moi en le désirant fortement. Je me croyais entouré d’êtres supérieurs qui pouvaient diriger mes pas vers elle ou les siens vers moi, et je les implorais. Quelle folie est la tienne ! me dis-je ensuite, tu ne veux pas aller la voir, et tu demandes des signes et des miracles ! Cependant j’étais arrivé à l’esplanade, devant la petite maison que Schiller habita plus tard ; là, il me prit l’envie de revenir sur mes pas, vers le palais, et de prendre une petite rue à droite. Je n’avais pas fait cent pas dans cette direction que j’aperçois une forme de femme tout à fait ressemblante à celle que j’appelais. La rue n’était éclairée que par les lueurs qui sortaient çà et là des fenêtres, et, comme déjà des apparences de ressemblance m’avaient trompé dans cette soirée, je n’osai pas arrêter cette personne. Nous passâmes tout à côté l’un de l’autre, si près que nos bras se touchèrent ; je m’arrêtai, nous regardâmes autour de nous :
— Est-ce vous ? dit-elle, et je reconnus sa voix chérie.
— Enfin ! m’écriai-je, et j’étais heureux à pleurer. Nos mains se pressèrent.
— Ah ! dis-je, mon espérance ne m’a pas trompé. Je vous demandais, je vous cherchais, quelque chose me disait que certainement je vous trouverais ; quel bonheur ! Dieu soit loué ! c’était vrai !
— Mais, méchant, dit-elle, pourquoi n’êtes-vous pas venu ? J’ai appris aujourd’hui par hasard que vous êtes de retour déjà depuis trois jours, et toute l’après-midi j’ai pleuré, croyant que vous m’aviez oubliée. Il y a une heure, je me suis sentie toute tourmentée ; j’avais un besoin de vous voir que je ne peux vous exprimer. J’avais chez moi quelques amies ; il m’a semblé que leur visite durait une éternité. Enfin elles sont parties ; j’ai malgré moi pris mon chapeau et mon mantelet, et je me suis vue poussée dehors, marchant dans la nuit sans savoir où j’allais. Votre pensée ne me quittait pas, et il me semblait que nous dussions nous rencontrer.
« Pendant que son cœur s’épanchait ainsi, nos mains restaient l’une dans l’autre, nous nous les serrions, et nous nous montrions mutuellement que l’absence n’avait pas refroidi notre amour. Je l’accompagnai chez elle. Elle monta l’escalier noir devant moi, me tenant par la main pour me conduire. J’étais dans un inexprimable bonheur, non seulement de la revoir, mais de n’avoir pas été déçu dans ma foi à une influence invisible. »
XVI
Quelques entretiens scientifiques sur les sciences naturelles.
Le lendemain nous étions levés de bon matin. En s’habillant, Goethe me raconta un rêve de sa nuit. Il s’était vu transporté à Gœttingue, et avait eu avec les professeurs qu’il y connaît toute sorte d’entretiens agréables. Nous bûmes quelques tasses de café et allâmes visiter le cabinet anatomique ; nous vîmes des squelettes d’animaux, entre autres d’animaux antédiluviens, et des squelettes d’hommes des siècles passés. Goethe observa que la forme des dents montre que ces squelettes appartenaient à une race d’une grande moralité. Nous allâmes ensuite à l’observatoire, et le docteur Schrœn nous montra de beaux instruments dont il nous expliqua l’usage. Nous visitâmes aussi avec grand intérêt le cabinet météorologique, et Goethe loua beaucoup le docteur Schrœn de l’ordre qui régnait partout. Puis nous descendîmes dans le jardin ; Goethe avait fait disposer un petit déjeuner dans un berceau sur une table de pierre.
« Vous ne savez guère, me dit-il, à quelle place curieuse nous nous trouvons en ce moment. Ici a habité Schiller. Sous ce berceau, à cette table de pierre, assis sur ces bancs maintenant presque brisés, nous avons souvent pris nos repas, en échangeant de grandes et bonnes paroles. Il avait alors trente ans, moi quarante ; tous deux encore dans notre plein essor ; c’était quelque chose ! Tout cela passe, et s’en va, car moi aussi je ne suis plus aujourd’hui celui que j’étais alors ; mais pour cette vieille terre, elle tient bon, et l’air, l’eau, le sol, tout cela est resté comme autrefois ! — Tout à l’heure, retournez donc chez Schrœn, et faites-vous montrer la mansarde que Schiller a habitée. »
Le déjeuner, dans cet air pur et à cette heureuse place, nous parut excellent : Schiller était avec nous, du moins dans notre esprit, et Goethe rappela encore avec bonheur maint bon souvenir de lui.
Je montai plus tard avec Schrœn dans la mansarde de Schiller ; on avait des fenêtres une vue splendide. Vers le sud, on apercevait plusieurs lieues du beau cours de la Saale qui se perd de temps en temps dans des bouquets de bois. L’horizon était immense ; c’était un endroit excellent pour observer la marche des constellations, et on se disait qu’il n’y en avait pas de meilleur pour composer tous les passages astronomiques et astrologiques du Wallenstein.
XVII
Pendant qu’ils déjeunaient à l’ombre, Eckermann et lui, Eckermann lui demande pourquoi le petit coucou est nourri par des oiseaux qui ne l’ont ni conçu ni élevé ?
Écoutez Goethe :
« C’est une vraie merveille ; cependant on trouve des faits analogues, et même je soupçonne là une grande loi qui pénètre profondément la nature entière. — J’avais pris un jeune linot déjà trop gros pour se laisser nourrir par l’homme, mais trop petit aussi pour manger seul. Pendant une demi-journée, je me donnai avec lui beaucoup de peine, mais il ne voulut rien prendre de moi ; je le mis alors avec un vieux linot, bon chanteur, que j’avais déjà en cage depuis des années, et qui était suspendu à ma fenêtre, en dehors. Je me disais : En voyant manger son compagnon, le petit l’imitera. » Ce n’est pas là ce qu’il fit ; il tourna son bec ouvert vers le vieux linot, l’implorant par de petits cris et battant des ailes ; le vieux linot eut alors pitié de lui, et il lui donna la becquée comme à son propre enfant. — Une autre fois on m’apporta une fauvette déjà grise et trois jeunes ; je les mis ensemble dans une grande cage ; la vieille nourrissait les jeunes. Le jour suivant, on m’apporta deux jeunes rossignols déjà sortis du nid, que je mis aussi avec la fauvette et qui furent adoptés et nourris par elle. Après quelques jours, je mis aussi quelques petits meuniers, presque prêts à voler, et enfin un nid de cinq jeunes moines. La fauvette les soigna tous en bonne mère. Elle avait toujours le bec plein d’œufs de fourmis, courant à tous les coins de la vaste cage, toujours présente là où s’ouvrait un gosier affamé. Bien plus ! une des fauvettes, devenue déjà grosse, se mit à donner la becquée aux oiseaux plus petits qu’elle ; cela, il est vrai, un peu par jeu et en enfant, mais cependant avec le désir et le penchant bien marqué d’imiter l’excellente mère.
— Nous sommes là devant quelque chose de divin, qui me remplit de joie et de surprise, dit Goethe. Si cette nourriture donnée ainsi à des êtres étrangers est une loi qui s’étend à toute la nature, mainte énigme est résolue, et on peut dire avec assurance : Dieu a pitié des jeunes corbeaux orphelins qui crient vers lui.
— C’est certainement une loi générale, dis-je, car j’ai observé aussi cette charité et cette pitié pour les abandonnés chez des oiseaux à l’état libre. L’été dernier, j’avais pris près de Tiefurt de jeunes roitelets, qui semblaient avoir quitté leur nid tout récemment, car ils étaient sept en rangée sur une branche, dans un buisson, et ils prenaient la becquée de leurs parents. Je mis les oiseaux dans mon foulard, et j’allai dans un petit bois isolé : « Là, me dis-je, tu pourras tranquillement voir tes roitelets. » Mais, lorsque j’ouvris mon mouchoir, deux s’enfuirent, disparurent, et je ne pus les retrouver. Trois jours après, je passe par hasard à la même place ; j’entends le cri d’un rouge-gorge ; supposant qu’il a dans le voisinage son nid, je le cherche et le trouve. Mais quel fut mon étonnement, lorsque dans ce nid, près de deux petits rouges-gorges prêts à voler bientôt, je trouvai aussi mes deux petits roitelets qui s’étaient fourrés là bien à leur aise et qui se faisaient nourrir par les vieux rouges-gorges ! Cette trouvaille me rendit extrêmement heureux. « Puisque vous êtes si adroits, dis-je, puisque vous savez si joliment vous tirer d’affaire, et que les bons rouges-gorges vous ont accueilli si bien, je ne veux pas le moins du monde troubler une hospitalité si amicale, et je vous souhaite tout le bonheur possible.
— C’est là une des meilleures histoires sur les oiseaux que j’aie jamais entendues, dit Goethe. Touchez là, et mes bravos pour vous et pour vos heureuses observations ! Celui qui les entend et ne croit pas à Dieu, à celui-là Moïse et les prophètes ne serviront à rien. C’est là ce que j’appelle la toute-présence de Dieu ; au fond de tous les êtres il a déposé une parcelle de son amour infini ; et déjà dans les animaux se montre en bouton ce qui, dans l’homme noble, s’épanouit en fleur splendide. Continuez vos études et vos observations ! Vous paraissez y avoir une chance toute particulière, et vous pourrez par la suite arriver à des résultats inappréciables. »
Pendant que, devant notre table de pierre, nous avions ainsi une conversation sur ces grands et sérieux sujets, le soleil s’était approché peu à peu du sommet des collines qui s’étendaient devant nous à l’occident. Goethe décida notre départ. — Nous traversâmes vite Iéna, payâmes notre aubergiste, et, après une courte visite chez les Frommann, nous partîmes pour Weimar.
XVIII
« La loi de l’amour se révèle dans la nature entière. Que Dieu est grand et que sa bonté égale partout sa grandeur ! »
La nature bien observée avait été le missionnaire de l’existence et de la bonté du Créateur suprême ; il ne doutait plus de rien, et sa piété, illuminée par sa puissante imagination, lui paraphrasait partout les phénomènes dans le catéchisme de la création.
Ici finit le premier volume.
Le second s’élève plus souvent et plus haut vers le ciel des intelligences, et la belle et calme mort qui survient sans agonie et sans angoisses l’endort sur le sein de Dieu.
Voilà l’homme dont les sophistes actuels ont voulu faire un athée.