Bergerat, Émile (1845-1923)
[Bibliographie]
Une amie, comédie en un acte, en vers (1865). — Les Deux Waterloo (1866). — Le Maître d’école (1870). — Poèmes de la guerre (1871). — Père et mari, drame en trois actes (1871). — Ange Bosari, drame en trois actes, avec Armand Silvestre (1873). — Séparés de corps, comédie en un acte (1873). — Théophile Gautier, entretiens, souvenirs et correspondances (1879). — Le Nom, comédie en cinq actes (1883). — Enguerrande, avec préface de Théodore de Banville (1883). — Le Faublas malgré lui (1883). — Bébé et Cie (1884). — Mes Moulins (1885). — La Nuit bergamasque, tragi-comédie en trois actes (1887). — Le Livre de Caliban (1887). — Figarismes de Caliban (1888). — L’Amour en République (1889). — Le Rêve de Caliban (1890). — L’Espagnol (1891). — Théâtre en vers, 1884-1887 (1891). — Le Salon de 1892. — Les Soirées de Calibangrève (1892). — La chasse au mouflon (1893). — Les Drames de l’honneur ; le Chèque (1893). — La Vierge (1894). — Le Capitaine Fracasse, comédie héroïque, tirée du roman de Théophile Gautier, cinq actes et sept tableaux (1896). — Le Cruel Vatenguerre (1898). — Plus que reine (1899). — Théâtre (1900).
OPINIONS.
Théodore de Banville
Voici un poème dramatique d’un éclat éblouissant, compliqué et mystérieux, dont le succès est assuré d’avance, parce qu’il répond non pas à-un besoin, mais, ce qui est bien plus, à une aspiration ardente, à un désir effréné. Oui, empêtrés dans les niaiseries d’un théâtre incolore et d’une littérature vulgaire et mercantile, nous voulons, nous appelons à grands cris une œuvre où se trouve réuni tout ce dont nous avons soif : l’héroïsme, l’idéal, l’outrance (pour nous faire oublier tant de platitudes !) et cette étrangeté troublante, dans laquelle, comme le dit si bien Edgard Poe, la beauté rajeunie et transfigurée ne saurait nous plaire ; et cette modernité que réclame impérieusement le siècle de Balzac, eh bien ! cette œuvre si douloureusement réclamée et souhaitée, la voici, étrange, originale, nouvelle, puissamment créée, jaillie comme l’éclair, écrite en vers larges, ingénieux, curieux, étincelants des ors, des pierreries et des inépuisables richesses de la rime, et en même temps exprimant nos doutes, nos angoisses, notre inextinguible appétit de la lumière et de joie, et l’hymne à la Beauté, qui, vainement étouffée et comprimée, s’échappe irrésistiblement de nos âmes.
Paul Belon
« Vous devez être de Paris, vous ! Vous avez joué aux billes avec des
balles quand vous étiez gamin. Vous avez filé du collège pour l’enterrement de
Lamennais,
vous êtes à la coule de tout ce qui s’est passé sur le pavé de la ville, au
moment des coups de chien. Ça vous connaît, rien que parce que votre berceau a
posé sur cette terre qui a avalé depuis cent ans de la mitraille au quintal et
bu du sang à la barrique. »
C’est Jules Vallès, le grand écrivain
croquemitaine, qui saluait ainsi, dans une retentissante préface, l’élégant Homme masqué du Voltaire.
Vallès ne se trompait pas.
Émile Bergerat est né à Paris, rue de la Vieille-Monnaie, près le Pont-Neuf, en 1845, au mois d’avril, alors que les arbres du boulevard poussaient leurs premières feuilles et que les moineaux francs pépiaient au bord des toits, secouant dans un rayon de soleil leur plumage lustré d’une dernière averse…
Lorsqu’il étrenna sa première culotte, ses parents, d’excellents bourgeois, décidèrent qu’il irait l’user sur les bancs d’un collège et le mirent en pension, à Vaugirard, chez les jésuites. Il n’y lit pas long feu ; les injustices le crispaient ; puis, il avait déjà la mauvaise habitude de dire sa pensée tout entière. Un jour, n’y tenant plus, il s’évada. On le conduisit à Charlemagne — je parle du lycée — où il acheva ses études sous la férule enguirlandée de M. Gaston Boissier.
Entre temps, pendant les vacances, Sarcey, frais émoulu de l’École normale, lui donna des répétitions. Vous avez bien lu, Francisque Sarcey, qui alors… mais, depuis…
On comprend qu’avec de pareils guides, Bergerat ne pouvait manquer d’aller loin. Il commença par se présenter au baccalauréat, pour faire comme tout le monde, et fut « refusé » à l’unanimité.
Mais le même jour il était « reçu » à la Comédie-Française où il avait déposé un acte en vers, titre : Une amie. Il débutait ainsi, à dix-huit ans, dans la carrière dramatique, que son maître, Sarcey, lui avait probablement ouverte à son insu, en lui apprenant la scène à faire aux dépens de la grammaire latine. Quoi qu’il en soit, le jeune triomphateur en tunique vit s’ouvrir à l’horizon les portes de tous les journaux. Il entra au Figaro comme chez lui, apportant sous son bras les Lettres de Jean Rouge. Tout de suite Villemessant le tutoya, et Bergerat, très à l’aise, lui tapa sur le ventre en l’appelant « mon petit père ». Dès ce moment, sa « copie » eut cours sur la place ; au bout d’un an, on se l’arrachait.
C’est que, d’instinct, le nouveau venu marchait sans balancier sur la corde raide du paradoxe ; il trouvait la formule d’un style clownique, désarticulé, chahutant et cascadeur ; des mots alertes, des phrases retroussées, lestes, pimpantes, décolletées, agaçant l’œil, qui complétaient et servaient merveilleusement son esprit incisif, mordant, railleur, prompt à la riposte et rompu à toutes les charges, à tous les argots d’atelier, de coulisses, de boulevard. Ce qui ne l’empêchait pas de fournir au Journal officiel, des Études et des Critiques d’art de premier ordre.
Il chroniquait à l’Événement, au Soir, au Bien public et dans cinq ou six autres feuilles, quand il commença au Voltaire la campagne de l’Homme masqué. On se rappelle l’éblouissement des lecteurs de ces articles. Beaucoup achetaient des lunettes bleues pour soutenir l’éclat d’un pareil feu d’artifice. Dans les cafés, les garçons ne vous apportaient le journal qu’avec un verre fumé comme aux éclipses.
Auguste Lacaussade
Comme poète, M. Bergerat a
donné le Poème de la guerre, recueil d’odes et de poésies
patriotiques écrites pendant le siège de Paris et dont quelques-unes ont atteint
et conservé la popularité. De ce nombre, il convient de citer les
Cuirassiers de Reischoffen et le Maître d’école, ce
dernier ouvrage surtout, dont un autre poète a dit qu’il était « le plus
beau cri de douleur qu’ait poussé la patrie française pendant son martyre de
1870 »
. Depuis cette époque, M. E. Bergerat, à demi
submergé dans une production presque quotidienne de journaliste militant, n’a plus
donné à la poésie que le poème intitulé Enguerrande, par lequel
il affirme ses convictions shakespeariennes. Entre autres dons naturels précieux, M. E. Bergerat est favorisé de
celui du vers comique. Il l’a exercé brillamment dans la Nuit
bergamasque, comédie qui date des débuts du Théâtre-Libre, puis dans
l’adaptation pour la scène du Capitaine Fracasse de Théophile Gautier, beau-père de
l’auteur, et enfin dans cette Lyre comique que publie chaque
semaine le supplément du Figaro.
Francisque Sarcey
Il y a dans Manon Roland une très belle scène, qui était précisément la scène à faire, au quatrième acte ; un fort joli acte d’intermède, le second ; un dénouement pathétique ; c’en est assez pour exciter la curiosité du public et justifier le succès. Je vais maintenant vous dire le vrai, le grand défaut de ce drame, celui qui est en quelque sorte répandu dans l’œuvre tout entière, et qui m’en a gâté le plaisir ; il n’est pas clair. Je connais Bergerat : il va bondir sur ce mot. Car il tient que la clarté est le premier mérite de tout ce qu’il écrit. Je crois qu’il se trompe. Ce qui fait que quelques-unes de ses pièces, le Nom, par exemple, où se trouvent des parties admirables, des scènes de maître, ne se sont pas imposées au répertoire, c’est que l’allure générale en était incertaine, c’est que l’idée ne s’en dégageait pas nette et lumineuse. Bergerat ne saurait croire que de fois, en écoutant sa Manon Roland, je me suis pris la tête à deux mains, me demandant où il me menait et par quels chemins. Il me semblait marcher à tâtons derrière un guide porteur d’une lanterne sourde.