(1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XVII. La flûte d’ybilis »
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(1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XVII. La flûte d’ybilis »

XVII. La flûte d’ybilis

(Bambara)

Un enfant qui était sorcier, mais que sa mère portait encore sur le dos, dit un jour à celle-ci : « Mère, porte-moi chez mon oncle ; j’ai envie de le voir ».

La mère le chargea sur son dos et se dirigea vers le village de son frère. En route, la pluie l’obligea à s’abriter dans une vieille case pleine de crânes humains. C’était la case d’Ybilis.

Au bout de quelques instants ils entendirent Ybilis qui rentrait. La mère et l’enfant se cachèrent dans la toiture et aussitôt Ybilis parut, porteur d’un cadavre qu’il venait de déterrer.

Il posa son fardeau à terre puis, se débarrassant de sa flûte, il la ficha dans la paille de la toiture, là où il avait pour habitude de la placer. Il alluma ensuite un grand feu qui dégagea une fumée épaisse. Cette fumée incommoda fort le petit qui se mit à crier : « Mère ! Mère ! la fumée ! »

Ybilis fut grandement surpris d’entendre cette voix. Il s’imagina que c’était le cadavre qui parlait. Il reprit sa flûte et sortit de la case malgré la pluie qui continuait à tomber à torrents. Une fois dehors, il se mit à jouer la flûte. Et sa flûte disait :

J’ai déterré des cadavres du côté du Levant
Et du côté où tombe le soleil.
Et nul cadavre ne m’a dit :
« Mère ! la fumée ! Mère ! la fumée ! »

Cela fait, Ybilis rentra et remit sa flûte où il l’avait prise. Le bois manquant tout à coup pour entretenir le feu, il sortit de nouveau pour aller en ramasser.

Avant qu’il fût de retour, le petit redescendit de la toiture avec sa mère et s’empara de la flûte d’Ybilis, puis il reprit sa place sur le dos de la femme, et tous deux regagnèrent le village.

Ybilis revint avec du bois. Il fit cuire le cadavre et s’en repût.

Le lendemain seulement, au moment de repartir à la recherche des cadavres, il chercha sa flûte pour l’emporter avec lui mais il lui fut impossible de mettre la main dessus.

Vingt années entières, il la chercha partout sans succès. Un jour enfin qu’il arrivait près d’un village il entendit un bilakoro174 jouer de la flûte : Et cette flûte disait :

J’ai déterré des cadavres vers le Levant
Et du côté où tombe le soleil
Et nul de ceux-là ne m’a dit
« Mère ! la fumée ! Mère ! la fumée ! ».

« Oh mais ! murmura Ybilis, c’est de ma flûte qu’on joue là-bas ! » Il alla près de l’adolescent sous une forme qui ne pouvait éveiller la défiance de celui-ci puis, arrivé tout à côté de lui, il se changea en arbre.

Le soir, quand le bilakoro rassembla ses moutons pour regagner le village, Ybilis prit la forme d’une femme très belle et le suivit ainsi jusqu’à la case de ses parents. Il y entra avec lui et dit au père : « Je n’ai pas de mère et je suis venue pour t’épouser ».

Le père était cet enfant d’autrefois qui avait dérobé à Ybilis sa flûte. Il reconnut du premier coup d’œil à qui il avait affaire mais il dissimula : « Cela va bien, répondit-il, et je vais te prendre pour femme ».

Il donna à sa première épouse l’ordre de faire chauffer de l’eau pour ses ablutions. Après s’être lavé, il vint trouver Ybilis : « Femme, lui dit-il, c’est à ton tour d’aller te laver. Il reste de l’eau là-bas. Vas-y. Ensuite tu viendras me rejoindre dans ma case où tu me trouveras couché sous ma couverture et tu te coucheras derrière moi175 ».

Ybilis alla faire ses ablutions. Avant qu’il revint, l’homme avait lié ensemble trois pilons à mil et les avait placés sous la couverture de façon à faire croire que c’était un homme qu’elle recouvrait.

Quand Ybilis revint, il aperçut cette forme confuse et se coucha près d’elle sans souffler mot mais, à minuit, il se réveilla et, d’un seul coup de ses mâchoires, il trancha net les trois pilons, croyant tuer son voleur de flûte. Ensuite il partit, sans se préoccuper de son instrument.

Le lendemain l’homme appela sa vieille mère et lui raconta ce qui s’était passé. On ne revit plus Ybilis dont la flûte resta dans le village.

Conté par SAMAKO NIEMBÉLÉ, dit SAMBA TARAORÉ.

ÉCLAIRCISSEMENTS

Le travestissement d’un génie, ou d’un animal, en femme pour se venger de quelqu’un est un procédé fréquent dans les contes de tous les pays.

La substitution d’un mannequin à une personne se rencontre aussi fréquemment. Cf. L’adroite princesse (Mme d’Aulnoy). — Pardon du guinnârou. — Le forage du puits.