(1881) La psychologie anglaise contemporaine « Conclusion »
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(1881) La psychologie anglaise contemporaine « Conclusion »

Conclusion

I

On peut se demander si les psychologues dont nous venons de parler constituent proprement une École. Ce mot n’est exact qu’autant qu’il exprime une communauté de principes et de méthode : — constituer la psychologie comme science naturelle, avec l’appui de l’expérience et en l’absence de toute métaphysique. D’ailleurs, indépendance absolue dans les recherches et les vues d’ensemble.

Nous n’avons pu donner un tableau complet des travaux psychologiques en Angleterre. Aux écrivains que nous avons cités, il aurait fallu ajouter leurs disciples et même leurs critiques ; mais surtout ces savants — physiciens ou naturalistes — qui ont traité avec une grande compétence plusieurs points de psychologie. Bornons-nous à indiquer quelques noms en commençant par les physiologistes.

Il est bien remarquable, en effet, que tandis qu’en France nos plus volumineuses physiologies278 se bornent généralement à réimprimer sur ces questions quelques phrases de Condillac, les physiologistes anglais sont au courant des plus récents travaux psychologiques et y contribuent pour leur part. Si j’ouvre Carpenter279 je vois qu’il parle à beaucoup d’égards, comme Herbert Spencer ou Bain : « L’objet de la psychologie, c’est de rassembler sous une forme systématique les phénomènes qui se produisent naturellement dans les esprits pensants, de les classer et de les comparer, de façon à en déduire les lois générales suivant lesquels ils se produisent et leurs causes assignables. » Il compare la querelle des spiritualistes et des matérialistes aux deux chevaliers qui se battaient pour la couleur d’un écu qu’aucun deux n’avait jamais pu voir ; et il ajoute : « L’esprit a été étudié par les métaphysiciens, sans s’occuper en rien de ses instruments matériels ; tandis que le cerveau a été disséqué par les anatomistes et analysé par les chimistes, comme s’ils espéraient dessiner le cours de la pensée, peser ou mesurer l’intensité des émotions ». Sa récente Physiologie mentale (1875) est un abondant répertoire d’observations, de documents, de faits peu connus de psychologie normale ou morbide.

Nous retrouvons les mêmes tendances dans le grand physicien Tyndall, dans Huxley, qui s’élève même parfois aux plus hautes conceptions philosophiques, soit pour faire ses réserves à l’égard du positivisme, soit pour adhérer à l’idéalisme de Berkeley.

En psychologie, le nom du Dr Laycock reste surtout attaché à la théorie de la cérébration inconsciente, exposée par lui, dès 1838, dans un journal médical d’Edimbourg ; puis, avec plus de développement, dans son Mémoire Sur l’action réflexe du cerveau (1844). Cette théorie qui a donné lieu de sa part à une revendication de priorité280 joue, comme nous l’avons vu, un rôle important dans les plus récents travaux.

On ne peut guère séparer de l’école qui nous occupe le docteur Maudsley dont la Physiologie et Pathologie de l’Esprit 281 est, comme le fait remarquer Herbert Spencer, tout imprégnée de l’idée d’évolution. L’introduction de cet ouvrage qui a pour sujet « la Méthode en psychologie », est très sévère pour la métaphysique et pour l’emploi exclusif de cette méthode que les Anglais appellent introspective : (l’observation intérieure de Jouffroy et de l’école spiritualiste). On y trouvera un bon exposé de la méthode physiologique ou objective ; et, plus loin, des chapitres substantiels et suggestifs sur la Mémoire et les Sentiments. — Le docteur Maudsley a développé avec beaucoup d’ardeur cette thèse : que les phénomènes ne diffèrent qu’en ce que les plus élevés sont produits par une concentration, les moins élevés par une dispersion de la force : une unité de pensée équivaudrait à plusieurs unités de vie, une unité de vie à plusieurs unités de force purement mécanique. « Toute transformation ascendante de la matière et de la force en est pour ainsi dire la concentration sur un plus petit espace. »

Enfin Darwin, indépendamment de ses travaux comme naturaliste et de sa grande théorie de l’évolution, a contribué pour sa part à la constitution de la psychologie comme science expérimentale282. On peut reprocher aux essais psychologiques, épars dans ses œuvres, d’être trop souvent vagues, peu exacts dans l’expression, et de n’être pas fondés sur une classification rigoureuse des phénomènes. Mais dans son Origine des espèces il a posé la question de l’instinct sous un nouveau jour. Au lieu d’y voir, avec l’école de Cuvier, un principe inné et invariable, il l’expliquait par la variation, la sélection naturelle, et l’accumulation des petits changements fixés par l’hérédité dans les générations successives. On peut donc dire que Darwin est le premier avec Herbert Spencer qui ait introduit en psychologie les explications fondées sur l’évolution. — La Descendance de l’homme contient des fragments de psychologie comparée ; mais il n’a fait que montrer la route à suivre. Dans ce champ immense encore presque inexploré, Darwin n’a creusé qu’un seul point : le sens moral. Les deux chapitres283 qu’il a consacrés à étudier ce fait psychologique chez l’homme et chez les autres animaux, à en montrer les conséquences sociales, à rechercher comment la puissance intellectuelle et les aptitudes morales ont dû jouer un grand rôle dans le struggle for life de l’homme contre la nature, contre les autres espèces animales, contre les formes inférieures de sa propre espèce, renferment un grand nombre de faits intéressants, de vues curieuses et neuves ; bref, sont très propres à initier à la nouvelle méthode philosophique les esprits imbus des idées courantes. — Son Expression des Emotions traite un point de la corrélation du physique et du moral. De nombreuses observations étendues aux adultes, aux enfants, aux aliénés, aux diverses races humaines, il conclut que les modes d’expression sont les mêmes partout et qu’ils peuvent s’expliquer par trois principes fondamentaux : la loi d’association ou d’habitude ; le principe de l’antithèse ; l’action directe du système nerveux indépendamment de la volonté, — On peut se demander si Darwin a résolu la question capitale et dernière : pourquoi telle émotion agit sur tel muscle ou tel groupe de muscles plutôt que sur tel autre ; si les trois principes par lui posés sont réellement irréductibles ; si le troisième n’est pas en réalité le fondement des deux autres : l’ouvrage n’en a pas moins une grande valeur psychologique par tes résultats et par la méthode.

En dehors des naturalistes, les tendances expérimentales se rencontrent chez plusieurs psychologues anglais contemporains, parmi lesquels nous ne citerons que MM. Morell, Sully, Murphy.

Dans son Introduction à la psychologie d’après la méthode inductive284 M. Morell « se propose de traiter la psychologie sur le plan et d’après les principes d’une science naturelle. » D’accord avec les auteurs qui précèdent sur toutes les questions de fait, il diffère quelquefois d’eux en théorie par certains points que je réduirai à deux : l’influence des doctrines allemandes, des tendances religieuses et métaphysiques. On ignore généralement en France que depuis environ quinze ans, il s’est produit en Allemagne des travaux remarquables sur la psychologie, considérée als Naturwissenschaft285. Quoiqu’ils nous paraissent inférieurs à ceux de l’Angleterre, cette terre classique de la psychologie expérimentale, cependant, comme ils leur ressemblent à beaucoup d’égards, on pouvait souhaiter de voir ces deux courants de recherches, distincts l’un de l’autre, se rencontrer, se mêler et se confondre. Le livre de M. Morell nous offre un exemple de cette fusion. Après avoir indiqué ce qu’il doit aux travaux de ses modernes compatriotes, physiologistes ou psychologistes, il ajoute qu’il renvoie aussi le lecteur à l’école contemporaine de psychologie allemande, et en particulier à celle qui est issue de Herbart. « Herbart, dit-il, eut le mérite, durant la longue période où l’Allemagne était perdue dans les rêves de l’idéalisme, de maintenir toutes ses spéculations sur une base réelle, et de ne jamais noyer les faits de conscience dans les phrases et formes purement dialectiques. Aussi, depuis que la fureur des systèmes a passé, sa psychologie a augmenté en crédit. » M. Morell reconnaît devoir à Herbart ou à ses disciples, Drobisch, Waitz et Volkmann, la doctrine de l’élaboration des idées, de leur action et réaction, de leur transformation de l’état conscient à l’état inconscient, et vice versa, de leur fusion par la loi de ressemblance, de leur combinaison en groupes, en séries, etc. En dehors de cette école, il cite Georges (de Rostock), Lazarus (de Berne), Fichte fils, Ulrici, Beneke. etc., comme lui ayant fourni des matériaux. Il diffère donc, sous ce rapport, des psychologues précédemment étudiés, dont la doctrine est presque tout entière indigène.

Les théories sur l’activité inconsciente ou préconsciente, sur les résidas indestructibles considérés comme phénomènes fondamentaux de la mémoire, sur la statique et la dynamique des idées, sont d’importation allemande. Parmi les psychologistes anglais, l’auteur auquel il doit le plus, dit-il, est Herbert Spencer, « en particulier pour l’habile analyse qu’il a donnée du raisonnement sous sa forme qualitative et quantitative. Pour tout ce qui touche à cette théorie, j’ai suivi en une large mesure la route qu’il a indiquée et qui me paraît la plus heureuse qui ait encore été faite sur ce sujet, dans ce pays. »

L’influence des travaux allemands se remarque de même dans le recueil d’essais récemment publiés par M. Sully, sous le titre de Sensation et Intuition 286. Mais ces travaux, bien loin de tendre vers la métaphysique, reposent sur l’expérience, au sens strict du mot. Ainsi ce sont des recherches faites dans les laboratoires par Fechner, Helmholtz, Wundt, Volkmann, etc., que M. Sully a résumées et interprétées physiologiquement dans son essai Recent german experiments with sensation. On ne lira pas non plus sans profit ses études sur le Darwinisme psychologique et sur les rapports de l’hypothèse de l’évolution avec la psychologie humaine. Au reste, les critiques anglais, et Bain à leur tête, viennent de reconnaître en lui « un psychologiste d’un ordre peu commun » ; et nous nous associons pleinement à leur jugement : « que ses traités sont des plus suggestifs que l’École de l’expérience ait publiés en Angleterre, dans ces dernières années. »

Signalons encore M. Murphy qui croit pouvoir faire la part aussi large que possible à l’Associationnisme, sans entamer le domaine de la foi. Dans son livre sur L’habitude et l’intelligence 287, il admet « la loi d’association comme loi dernière, mais pour la psychologie seulement. Elle est vraie de tous les phénomènes mentaux et n’est réductible à aucune autre loi mentale. Mais les phénomènes de l’esprit ne sont qu’une partie des phénomènes de la vie et la loi d’association n’est qu’un cas particulier, quoique très important d’une loi qui est vraie de tous les phénomènes de la vie, — la loi d’habitude. » Il considère aussi les concepts de temps et d’espace, comme les résultats de l’expérience, mais de l’expérience de la race et non de l’expérience individuelle. « Cette doctrine qui réconcilie Locke et Kant sera, dans une génération ou deux, universellement acceptée et la controverse séculaire sur ce sujet cessera. »

Nous ne prolongerons pas cette revue rapide. Elle suffit à montrer combien les études psychologiques sont plus vigoureuses et plus variées en Angleterre qu’en France. Nous ne dirons rien non plus des critiques que notre Ecole a soulevées dans son propre pays288, car ceci est un livre d’exposition, non de critique. Il sera plus utile pour nous de résumer en quelques mots ce qu’elle a fait.

II

Il n’est guère possible, qu’en parcourait les études qui précèdent, le lecteur n’ait pas été frappé de deux choses : de l’accord des philosophes que nous avons passés en revue, sur les questions capitales de la psychologie, et de leurs dissentiments sur quelques points secondaires. Si donc, laissant de côté les opinions personnelles et les solutions discutées, nous mettons en lumière les points sur lesquels ils s’accordent, ce sera donner le résumé des travaux et des résultats de l’Ecole expérimentale, en psychologie. Nous essayerons de les ramener à quelques propositions fondamentales et les exposer dans un ordre méthodique.

La psychologie a pour objet les faits de conscience, leurs lois, leurs causes immédiates, leurs conditions. Elle se propose, soit d’analyser les faits complexes, soit de montrer comment ils se forment par une synthèse de faits simples.

Elle ne s’occupe que des phénomènes. Ce qu’est l’âme ou l’esprit, elle l’ignore. C’est une question hors de sa portée qu’elle renvoie à la métaphysique. Elle n’est ni spiritualiste ni matérialiste : elle est expérimentale.

Sa méthode est double : elle étudie les phénomènes psychologiques, subjectivement, au moyen de la conscience, de la mémoire et du raisonnement ; objectivement, au moyen des faits, signes, opinions et actions qui les traduisent.

La psychologie n’étudie pas les faits de conscience, simplement à l’état adulte : elle essaie d’en découvrir et d’en suivre le développement. Elle contient une embryologie.

Elle a aussi recours à la méthode comparative. Elle ne dédaigne point les manifestations les plus humbles de la vie psychique, se rappelant que rien n’a été plus utile à la physiologie comparée que l’étude des organismes infimes.

La conscience est le mot qui exprime, de la manière la plus générale, les diverses manifestations de la vie psychologique. Elle consiste en un courant continu de sensations, idées, volitions, sentiments, etc.

Le premier fait fondamental, celui qui constitue la conscience, c’est la perception d’une différence.

Le second fait fondamental, celui qui continue la conscience, c’est la perception d’une ressemblance.

Le seul fait psychologique, primitif et irréductible, est la sensation.

Nos diverses sensations peuvent se classer en sept groupes principaux : 1° sensations musculaires ; elles nous informent de la nature et du degré d’effort de nos muscles. Ces sensations, d’un caractère très général et les premières dans l’ordre chronologique, forment comme un genre à part ; 2° sensations organiques qui nous révèlent le bon ou le mauvais état de nos organes internes ; 3° goût ; 4° odorat ; 5° toucher ; 6° ouïe ; 7° vue. Les sensations de ce dernier groupe sont les plus élevées et les plus importantes ; seules avec les sensations de l’ouïe, elles ont un caractère esthétique.

La loi la plus générale qui régisse les phénomènes psychologiques est la loi d’association. Par son caractère compréhensif, elle est comparable à la loi d’attraction dans le monde physique. L’association a lieu soit entre des faits de même nature : association des sensations entre elles, des idées entre elles, des volitions entre elles, etc. ; soit entre des faits de différente nature ; association des sentiments avec des idées, des sensations avec des volitions, etc.

Les deux faits principaux qui servent de base à l’association, sont la ressemblance et la contiguïté.

L’association produit soit des successions, soit des simultanéités.

Les objets que nous appelons externes (un homme, une maison), sont des agrégats formés par association simultanée. Comment les percevons-nous ?

La perception du monde extérieur n’est pas un état purement passif, où l’esprit ressemblerait à un miroir reflétant fatalement les objets. Elle est l’œuvre commune du sujet sentant et de l’objet senti289.

Il est conforme aux données des sciences de croire que ce monde matériel, pris en lui-même, ne ressemble nullement aux perceptions que nous en avons : ce qui condamne le réalisme vulgaire.

Nos perceptions sont donc les états internes qui correspondent aux existences externes, mais qui ne leur ressemblent pas. Quand je perçois un chêne, ma perception correspond à un objet externe particulier, mais n’en est pas la copie.

La perception est un produit qui diffère de ses deux facteurs (sujet. objet), comme l’eau diffère de l’oxygène et de l’hydrogène.

Les corrélatifs « sujet » et « objet » sont les deux termes les moins inexacts, pour exprimer l’antithèse fondamentale de la connaissance et de l’existence. Matière et Esprit, Externe et Interne en sont les synonymes populaires, mais prêtent plus à l’équivoque.

L’expérience fondamentale, irréductible, qui donne la notion de l’extériorité, c’est la résistance.

Les faits de conscience ayant la propriété de durer, de laisser leur trace, et de réapparaître, de là résultent la mémoire et l’imagination. L’association est le fond de ces phénomènes, quoiqu’elle ne les explique pas tout entiers.

La question de la croyance ou affirmation reste posée, mais non résolue d’un commun accord. Les uns (M. J. Mill, M. Spencer) l’expliquent par une association indissoluble ; d’autres (M. Bain et M. Stuart Mill) y voient une forme de notre nature active, c’est-à-dire de notre volonté.

Le raisonnement, sous sa forme primitive, va du particulier au particulier. Par l’accumulation des vérités particulières se forment les propositions générales : le raisonnement s’appelle alors induction. La proposition générale est une simplification, un memorandum, un registre de notes groupées sous une seule formule. Elle sert de point de départ à la déduction.

En somme, le procédé du raisonnement, pris dans sa totalité, part du particulier et aboutit au particulier, en traversant le général qui est un amas de particuliers.

Le syllogisme est si peu le type du raisonnement qu’il n’est, à proprement parler, qu’un procédé de vérification.

Sur l’origine des idées, l’École qui nous occupe n’est ni avec les sensualistes (Locke, Condillac), ni avec les rationalistes (Descartes, Leibniz), ni avec les criticistes (Kant).

Elle dit aux sensualistes : Votre hypothèse de la « table rase » est fausse, contraire aux faits. Elle oublie que dans l’acte de la connaissance, l’esprit met du sien au moins autant qu’il en reçoit. D’où vient que deux hommes ayant eu même éducation, mêmes impressions, même milieu, diffèrent quelquefois du tout au tout ? Ce fait à lui seul tiendrait en échec votre théorie.

Elle dit aux rationalistes : Vous avez bien vu qu’il y a dans l’acte de la connaissance quelque chose qui vient du dedans ; mais votre hypothèse d’idées innées ou à l’état virtuel est insoutenable. Qu’est-ce qu’une idée à l’état latent, une idée qu’on ne pense point ? D’ailleurs si ces idées sont primitives et toutes faites dans l’intelligence, pourquoi se produisent-elles si tard, au lieu d’être les premières dans l’ordre chronologique ?

Elle dit aux partisans de Kant : votre doctrine transcendante des formes de la pensée, bonne en logique, est mauvaise en psychologie. Il est vrai que ces formes se trouvent au fond de nos connaissances puisqu’on peut les en tirer ; mais comment s’y trouvent-elles ? C’est une question de genèse que vous n’examinez pas, parce que vous raisonnez toujours dans l’hypothèse d’un esprit adulte et complètement constitué.

Ces solutions écartées, l’école donne la sienne. Elle reconnaît à l’esprit une spontanéité propre qui élabore et transforme les matériaux venant du dehors ; mais cette spontanéité a sa racine dans l’organisme, en particulier dans la constitution du système nerveux. Quelques particularités s’expliquent par la transmission héréditaire.

En somme, cette solution est la transformation physiologique de la doctrine kantienne des formes de la pensée.

Les deux rapports les plus généraux que conçoive l’intelligence humaine sont ceux de succession et de simultanéité.

Le rapport de succession est le plus simple : il constitue le fait de conscience primitif.

Le rapport de simultanéité est une duplication du précédent : il consiste en une succession qui peut être renversée, c’est-à-dire pensée indifféremment, d’abord dans un certain ordre, ensuite dans l’ordre contraire ; de sorte que l’on va également de A à G et de C à B.

Au rapport de succession se rattache une notion importante, celle de cause, ou, comme dit l’École, de séquence ; elle n’en est qu’un cas particulier.

La causalité est la succession constante et uniforme.

L’antécédent invariable est appelé cause ; le conséquent invariable, effet. L’hypothèse d’un pouvoir efficace formant entre eux un lien mystérieux, est une complication imaginaire, en tant qu’on s’en tient aux causes phénomènes, comme l’École entend le faire.

L’ensemble des rapports de succession est le temps.

L’ensemble des rapports de simultanéité est l’espace.

Le caractère d’infini, propre à ces deux idées de temps et d’espace, c’est-à-dire l’impossibilité pour notre intelligence de leur concevoir des bornes, s’explique par la loi d’association. Nous ne pouvons concevoir un moment du temps sans que cette idée éveille irrésistiblement en nous celle d’un moment qui suit, puis d’un autre. Il en est de même pour l’espace. L’association est irrésistible, parce que les données expérimentales qui lui servent de base ont toujours été sans exception.

L’étude des phénomènes affectifs, émotions, sentiments, est assez incomplète, avons-nous dit, dans l’école expérimentale d’Angleterre. Voici le petit nombre de points sur lesquels on est d’accord.

Les deux faits fondamentaux sont le plaisir et la douleur.

Les émotions ou passions sont de deux sortes : simples, composées.

On ne s’entend ni sur le nom, ni sur le nombre des émotions simples.

On est unanime à ranger parmi les émotions composées toutes les manifestations du sentiment esthétique et du sentiment moral.

La volonté a sa source dans l’activité soit de l’organisme, soit des instincts, appétits et passions.

Sous sa forme adulte, la volonté est un pouvoir directeur, régulateur. Mais avant d’y parvenir, elle traverse une période de tâtonnements, d’efforts et de conquêtes. Le pouvoir volontaire, simple en apparence, est une machine compliquée, faite de pièces de rapport.

Les faits volontaires sont soumis à la loi universelle de la causalité.

Sont-ils notre œuvre ? Sans doute, puisqu’ils sont le résultat de la totalité des états de conscience qui précèdent la résolution, et que cet ensemble d’états de conscience est notre moi.

Sont-ils libres ? — Cette question est factice, inintelligible, par conséquent insoluble. Il faut rayer de la psychologie le mot « liberté », terme inexact qui n’est bon qu’à tout confondre, et y substituer le mot aptitude.

La psychologie ainsi conçue peut et doit être une science distincte. Mais elle ne peut ni ne doit s’isoler des sciences voisines, notamment de la physiologie ; et même, à rigoureusement parler, on ne peut tracer entre elles aucune ligne de démarcation, parce que certains phénomènes appartiennent à l’une comme à l’autre.

Si la psychologie a sa base dans la physiologie, elle sert de base à son tour aux sciences morales, sociales et politiques.

Elle doit pour cela se compléter par une étude pratique : l’éthologie ou science de la formation des caractères, soit individuels, soit nationaux.