(1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre premier. Le problème des antinomies » pp. 1-3
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(1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre premier. Le problème des antinomies » pp. 1-3

Chapitre premier.
Le problème des antinomies

La vie sociale ne va pas sans de nombreux conflits entre l’individu et la société. Nous voudrions étudier les principaux de ces conflits.

Pour préciser les idées, disons d’abord ce que nous entendons par individu et par société.

Par société nous entendons non pas seulement l’État, mais l’ensemble des cercles sociaux de toute sorte auxquels peut participer un individu, ainsi que les relations complexes où il se trouve engagé par suite de cette participation. Nous n’érigeons pas la société en être de raison, que ce soit pour la diviniser ou pour l’anathématiser. La société est un système plus ou moins compliqué de relations sociales au sein desquelles un individu humain est appelé à vivre. Ce milieu social exerce sur l’individu un nombre considérable d’influences qui s’entrelacent et s’enchevêtrent de toutes façons, qui tantôt s’additionnent et se renforcent et tantôt s’opposent et se neutralisent, mais qui dans tous les cas, agissent sur l’individu soit pour favoriser, soit pour entraver son développement.

Il est utile également d’indiquer ce que nous entendons par individu.

Il n’est pas question d’opposer ici à la société l’homme primitif, l’homme de la nature de Rousseau, chimérique idéal de bonté naturelle, expression naïve d’un optimisme naturaliste suranné. Il n’est pas question davantage de poser en face de la société l’individualité humaine conçue à la manière de Kant et de Fichte comme une unité absolue, une essence spirituelle, identique chez tous les êtres humains. De telles unités seraient interchangeables et ne présenteraient nulle particularité qualitative qui fût susceptible de les différencier les unes des autres. Il ne peut être question non plus d’opposer à la société un individu absolument isolé et indépendant, vivant en dehors de toute société, un individu nullement façonné ni influencé par la société. Un tel individu est introuvable. Car il faut reconnaître que la conscience individuelle est toujours pour une bonne part le reflet des mœurs et des opinions de son milieu, même quand elle est en réaction contre ces opinions et ces mœurs.

L’individu que nous opposons à la société est l’individu tel qu’il nous est donné en fait au sein de la société, informé en partie par elle. — Mais à côté de la partie qui, dans l’individu, est façonnée par les influences sociales passées ou présentes, il y a un fond physiologique et psychologique qui lui est propre et qui apparaît comme un résidu irréductible aux influences sociales.

Tels sont les deux termes en présence.

Nous allons étudier les antinomies entre l’individu et la société en les rangeant sous les titres suivants : antinomies psychologiques, esthétiques, pédagogiques, économiques, politiques, juridiques, sociologiques et morales.

Le fondement de l’individualisme étant la reconnaissance d’une antinomie essentielle entre l’individu et la société, nous serons amenés, après avoir étudié les diverses antinomies, à nous demander quelle espèce d’individualisme elles autorisent.