Les fils39
M. Saint-Marc Girardin, cet agréable badin, nous raille aujourd’hui dans le
Journal des Débats sur ce que nous avons dit de l’hérédité des esprits en
littérature40. Mais il a légèrement travesti notre
pensée pour la mieux réfuter. Nous n’avons jamais dit que le fils d’un écrivain, d’un
poète célèbre, s’il a lui-même du mérite et du talent, ne pût légitimement hériter et
profiler de la part d’honneur et de faveur acquise par un illustre père ; et il est
surtout très bien à lui de soutenir le nom en sachant varier le mérite. Il y a longtemps
que M. de Fontanes a dit, avant M. Saint-Marc Girardin, et en recommandant un jeune
patricien d’une haute espérance : « C’est un si beau talent dans un si beau
nom ! »
Nous admettons donc très-bien que l’on sache gré à M. Legouvé d’être le
fils de l’auteur du Mérite des Femmes, et que même M. Alexandre Dumas fils
profite du renom de son père. Je ferai seulement remarquer à M. Saint-Marc Girardin qu’il
s’agissait, dans ce que j’ai dit, de l’Académie française, et que leur renom n’a guère
jusqu’ici profité à aucun des deux Dumas. Je les cite, puisqu’il les cite. Il s’agissait
uniquement, dans le cas particulier, de savoir si le prince de Broglie a un talent si
extraordinaire qu’il doive aspirer à une nomination en quelque sorte extraordinaire et
d’exception, qui le fasse siéger à l’Académie à côté du duc, son père ; s’il y a lieu, en
un mot, à un cumul dans une même famille. Je ne crois pas, n’en déplaise à M. Saint-Marc
Girardin, que s’il s’agissait de deux hommes de lettres sans nom aristocratique, et à
mérite égal, la question même se posât à ses yeux. Je fais la part des talents, des
vertus, de l’autorité morale, et je dis qu’un de Broglie à l’Académie, c’est bien, c’est
très-bien ; mais c’est assez. Deux de Broglie à la fois, c’est trop. Est-ce
clair ?
M. Saint-Marc Girardin a voulu nous donner une leçon de goût, nous la lui rendons. Il y a quelqu’un en tout ceci qui a manqué de tact et de discrétion tout le premier et ce n’est pas nous.