3. Clément, [Jean-Marie-Bernard] ancien Professeur au Collége de Dijon, sa Patrie, parent du Prédicateur, né en 1742.
Non seulement il a su, quoique jeune, se garantir de la contagion des travers littéraires de notre siecle, mais encore il a eu le courage de se déclarer pour le bon goût ; & les différentes critiques qu’il a publiées, prouvent qu’il en connoît les principes, & qu’il est capable de les rappeler avec succès. L’étude des Anciens & des bons Modeles, dont il paroît nourri sera toujours la source de cette aversion que tout esprit vraiment éclairé a pour le faux ou le médiocre, & un préservatif contre les innovations des minces Littérateurs.
M. Clément a peut-être excédé les bornes de la critique, non pas en s’écartant, comme on a voulu le faire croire, de la modération & de l’honnêteté, mais en mettant trop de sévérité dans ses décisions, en s’attachant à des détails quelquefois minutieux, & sur-tout en négligeant d’analyser les beautés, après avoir discuté les défauts. Ce dernier devoir est d’autant plus indispensable, qu’on ne sauroit acquérir le droit de blâmer ce qui est mal, que par une égale disposition à louer ce qui est bien. D’ailleurs, l’exposition des beaux morceaux ne contribue pas moins aux progrès de l’Art, que la critique des endroits défectueux.
Cette espece d’injustice a paru principalement dans ses Observations, à l’égard de la Traduction en vers des Géorgiques de Virgile, par M. l’Abbé Delille. On conviendra, sans peine, qu’on y rencontre des endroits foibles & mal traduits. Ces défauts doivent-ils empêcher de rendre justice aux vraies beautés qui y brillent souvent, & auxquelles le Critique semble n’avoir pas assez fait d’attention ?
Nous ne saurions trop le répéter ; il est avantageux, & même nécessaire au maintien de la République des Lettres, qu’il s’éleve de temps en temps des esprits assez éclairés pour connoître les regles du bon goût, assez habiles pour démêler les usurpations du mauvais, & assez fermes pour en arrêter les progrès. La Littérature est une espece d’arene, où les combattans sont soumis au jugement de chaque Spectateur, qui a droit d’aller y combattre à son tour ; & personne ne doit s’y engager, s’il refuse de s’assujettir aux loix établies, dont la premiere est la liberté.
Ce sera toujours en vain qu’un Auteur médiocre prétendra se mettre à l’abri de la critique. Les petites intrigues de société, les éloges mendiés des Journalistes, la gauche admiration de quelques zélateurs, l’aveugle protection de quelques Mécenes, l’autorité même, sont de foibles remparts contre les traits du goût & de la raison offensés. Denis a beau s’armer des terreurs de la tyrannie, ses Ouvrages n’en deviennent pas meilleurs ; & Philoxene, après les avoir lus, dira, plutôt que de les approuver, qu’on me remene aux Carrieres. Le Public, qu’on ne peut y envoyer avec lui, sera du parti de Philoxene, & le Tyran n’aura pour partage que le ridicule de ses Ecrits, & la honte de l’oppression.
Il eût donc été plus utile à ceux qui ont éprouvé la critique de M. Clément, de faire tourner ses leçons au profit de leurs talens, s’ils en étoient susceptibles, que d’employer leur crédit à le persécuter.
Ne sera-t-il donc pas permis de dire que des vers, prétendus philosophiques, sont froids & rampans ; de relever des défauts de poésie, de versification, de style & de goût ; de se plaindre d’une langueur & d’une monotonie assommantes dans un Ouvrage (le Poëme des Saisons) dont l’agrément, la chaleur & la variété devoient faire tout le prix, sans avoir à craindre une détention ignominieuse, quand on n’offense, ni la Religion, ni le Gouvernement, ni les mœurs ? Les Lettres ne rougiront-elles pas un jour d’avoir vu subsister, parmi elles, une Inquisition plus redoutable & plus odieuse que celle que la Philosophie reproche si amérement à certains pays qu’elle appelle Barbares ; une Inquisition que les Philosophes eux-mêmes exercent envers les Littérateurs qui ont assez de bon sens pour ne pas adopter leurs opinions, assez de droiture & de vigueur pour les réfuter ? Quelle contradiction entre leurs maximes & leur conduite ! On voit, d’un côté, ces Apôtres de la tolérance ne prêcher dans leurs Ouvrages que la modération & la paix : de l’autre, on les voit, oubliant leurs préceptes, s’intriguer dans les sociétés, se rendre les ministres d’une persécution injuste, & devenir les Familiers du S. Office, toutes les fois qu’il s’agit d’accabler le Citoyen éclairé qui brave leur délire, & qui devroit, par cette raison même, être plus à l’abri de leurs manœuvres.
Graces au Gouvernement, éclairé par d’autres lumieres que par les lumieres philosophiques, les sages Littérateurs ne seront plus exposés à de pareilles insultes. On connoît à présent tout le danger de cet esprit systématique, qui, d’une main, renversoit les Autels consacrés, & de l’autre, s’en élevoit à lui-même ; on a dévoilé les mysteres de cet orgueil plus qu’hypocrite, qui s’immoloit tous les jours de nouvelles victimes, & ne décoroit que les humbles Satellites destinés à embellir son triomphe. La fausse ostentation de l’amour de la Patrie n’en imposera plus dans des bouches mensongeres ; & l’Ecrivain utile qui respectera les Loix, vengera la Religion, rappellera les mœurs, défendra le goût, sera assuré de voir protéger ses travaux, & de n’avoir pas à gémir des tristes effets de son zele.
Au mérite de bien analyser un Ouvrage, d’en faire connoître les défauts, de donner d’excellens préceptes de goût, tous fondés sur la nature & la raison, M. Clément joint le talent de la versification. Nous connoissons de lui plusieurs Satires, qui, sans annoncer un successeur à Boileau, prouvent que personne, jusqu’à présent, n’a plus approché de la maniere de ce Satirique, soit pour le fond des choses, soit pour la tournure des vers. Les bonnes plaisanteries, les tours heureux, les pensées courageuses, les expressions énergiques qu’on trouve sur-tout dans celle qu’il a intitulée Mon dernier mot, prouvent qu’il a un talent marqué pour ce genre de Poésie, & nous l’invitons à le cultiver. Peu de nos Poëtes actuels connoissent aussi bien que lui l’art de la versification. La plupart n’ont pas la force de soutenir leurs vers au delà de deux ou de quatre ; leur Muse est essoufflée, & a besoin de reprendre haleine par intervalles égaux. Celle de M. Clément est moins gênée, plus flexible, plus variée ; elle fait enchaîner ses périodes d’une maniere différente, rouler son style avec autant de noblesse que de simplicité, & se ménager des repos qui contribuent à l’harmonie. Par cet art, aujourd’hui si négligé, on attache le Lecteur, & on le dédommage de l’ennui cruel, fruit inévitable de la monotonie de nos Poésies modernes.
M. Clément a publié depuis les premieres éditions de notre Ouvrage, plusieurs volumes de Lettres à M. de Voltaires, qui confirment de plus en plus le témoignage que nous avons rendu à la sagacité de son jugement & à la sûreté de son goût. Ceux qui s’intéressent au succès de ses travaux, autant qu’à l’avantage du Public, sont portés, par ces deux motifs, à désirer qu’au talent de l’analyse, il pût réunir un style plus flexible, plus agréable, plus varié. Cet heureux accord lui procureroit le suffrage d’un plus grand nombre de Lecteurs, & contribueroit plus efficacement au triomphe du goût & à l’amour des vrais principes. C’est beaucoup, sans doute, de dire de bonnes choses ; pourquoi ne pas s’attacher à les dire d’une maniere piquante, qui leur donneroit un nouveau prix ?