(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Laprade, Victor de (1812-1883) »
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(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Laprade, Victor de (1812-1883) »

Laprade, Victor de (1812-1883)

[Bibliographie]

Les Parfums de Magdeleine, poème (1839). — La Colère de Jésus (1840). — Psyché, poème (1841). — Odes et poèmes (1844). — L’Âge nouveau (1847). — Du sentiment de la nature dans la poésie d’Homère (1848). — Poèmes évangéliques (1852). — Les Symphonies (1856). — Idylles héroïques (1858). — Pernette, poème (1868). — Harmodius, tragédie (1870). — Poèmes civiques (1873).

OPINIONS.

Alphonse de Lamartine

Les vers de Laprade m’avaient semblé avoir la transparence sereine, profonde, étoilée, des songes de Platon. Ils m’avaient rappelé aussi Phidias, le sculpteur en marbre de Paros de la frise du Parthénon ; ces vers solides et splendides comme le bloc taillé et poli par le ciseau de Phidias avaient à mes yeux la forme et l’éclat des marbres du Pentélique et un peu aussi de l’immobilité et de la majesté de ces marbres. La muse de Laprade était la plus divine des statues, mais une statue ; le poète était le grand statuaire de notre siècle, un Canova en vers taillant la pensée en strophes, un sculpteur d’idées.

[Cours familier de littérature ( et suiv.).]

Sainte-Beuve

M. Victor de Laprade, par son poème de Psyché (1841), par celui d’Éleusis (1843), par les odes et les pièces qu’il a composées alors et depuis, s’est placé au premier rang dans l’ordre de la poésie platonique et philosophique. M. de Laprade possède au plus haut degré ce qui manque trop à des poètes de ce temps, distingués, mais courts ; il a l’abondance, l’harmonie, le fleuve de l’expression ; il est en vers comme un Ballanche plus clair et sans bégayement, comme un Jouffroy qui aurait reçu le verbe de poésie. Qu’il nous permette d’ajouter que la grandeur et l’élévation dont il fait preuve si aisément, et qui lui sont familières, amènent bientôt quelque froideur ; il n’a pas assez d’émotion et de ces cris qui font songer qu’on est un homme ici-bas ; il n’a pas assez de ce dont M. de Musset a trop.

[Causeries du lundi ().]

Villemain

L’enthousiasme du beau ne peut-il pas donner l’inspiration, comme la charité donne l’héroïsme ? Ainsi nous ont frappé les Symphonies de M. de Laprade, œuvre de méditation et de candeur, mélange d’inductions métaphysiques, de sentiments austères avec tendresse, et de vives émotions empruntées au spectacle de la nature et rapprochées toujours des grandes vérités inscrites au cœur de l’homme comme sur la voûte des cieux.

[Choix d’études sur la littérature contemporaine ().]

Jules Barbey d’Aurevilly

Il débuta dans la Revue des deux mondes par un poème de Psyché, ennuyeux, même à la Revue des deux mondes !! C’est phénoménal ! Puis il se jeta dans les Idylles montagnardes et dans des Poèmes évangéliques. Tout cela l’aurait laissé obscur à Lyon, faisant son cours pour les guides de la Suisse, si l’Académie n’avait voulu recruter une clameur de plus contre l’Empire. Enivré par le succès de sa réception, M. Laprade a payé son entrée à ses maîtres, et il leur a offert le bouquet de ses Satires politiques. L’évangile écœurant s’est cru la plume de fer rougi de Juvénal… Le fer rougi n’était qu’un fer à papillotes, qui brûla un peu l’oreille violette, si prompte à la colère, de M. Sainte-Beuve, lequel, raconte-t-on, — mais c’est un renseignement à prendre, — apporta un matin à l’Académie un morceau de buis pour répondre au fer. On eut grand-peine à désarmer M. Sainte-Beuve, qui se ressouvenait du parapluie dont il avait, dit-on, menacé un jour M. Villemain, place Saint-Sulpice, en l’appelant « le Thersite de la littérature ». Ce jour-là, M. Laprade en fut quitte pour son frisson, et l’Académie, où il se passe de pareilles choses, pour sa dignité…

[Les Quarante Médaillons de l’Académie ().]

François Coppée

Ceux qui auraient pu craindre qu’il s’attardât dans un panthéisme plein de poésie sans doute, mais un peu bruineux et incertain, qu’il restât absorbé dans le rêve mystique où le plongeait la contemplation de la nature, ont été bien vite rassurés. Ils ont vu l’auteur de Psyché et d’Hermia devenir délicieusement chrétien dans les Poèmes évangéliques, s’enflammer jusqu’à la satire pour la défense de sa foi et de ses convictions, unir dans Pernette le drame à l’idylle, trouver, pendant les désastres de l’invasion allemande, des accents inoubliables de douleur et de patriotisme, répandre enfin, dans le Livre d’un père, les mâles et charmantes tendresses de son cœur.

[Discours d’inauguration de la statue de Victor de Laprade à Montbrison, le dimanche 17 juin .]

M. Edmond Biré

Victor de Laprade a créé une forme nouvelle de poésie lyrique, c’est la Symphonie, où tous les rythmes, tous les mètres, toutes les voix, la voix de l’homme et celles de la nature, concourent à un même but : véritable poème lyrique qui ne saurait, sans doute, entrer en comparaison avec les grandes compositions de l’art musical, ni pour l’harmonie savante, ni pour le charme et l’éclat de la mélodie, mais qui a cette supériorité sur elles de traduire avec une admirable clarté les pensées et les sentiments de l’âme.

[V. de Laprade, sa vie, ses œuvres ().]

E. Caro

C’est le désir de l’infini qui inspire Psyché ; c’est l’idée du sacrifice qui inspire les Poèmes évangéliques. En ce sens, on peut dire que ces Poèmes continuent Psyché et lui donnent son véritable dénouement. L’Amour céleste répond à l’appel désespéré de l’Amour humain. Il descend sur la terre et le sanctifie de son exemple, de ses paroles, de son sang de sa croix. La Charité, plus forte que le Désir, va donner à l’homme la mesure du sacrifice divin. Quelques-unes des scènes évangéliques sont reproduites avec un rare bonheur, dans un ton de forte simplicité et de grandeur calme… Psyché, qui est le Désir de l’infini, les Poèmes évangéliques, qui sont la Charité, le Sacrifice, la Douleur, expriment presque au même titre l’idéalisme religieux chez M. de Laprade. Elles l’expriment sous la forme la plus complète et la plus achevée. Il serait inutile d’aller chercher d’ailleurs des témoignages surabondants. Partout nous trouverons le même sentiment, parlant en rythmes graves et amples, d’un ton pénétré, qui sait être solennel sans emphase, parce qu’il s’inspire du plus profond de la conviction humaine, à ce point où le cœur touche à la raison, où la foi du chrétien se confond avec la dialectique du philosophe. Mais ce qui est propre à certains poèmes, ce qui les marque d’un caractère à part, c’est la prédominance d’une sorte de piété attendrie, de vénération filiale pour la Nature.

[Poètes et romanciers ().]

Emmanuel Des Essarts

Il faut avoir entendu parler de ce rôle que joua Victor de Laprade, par Théodore de Banville et par Leconte de Lisle lui-même, pour être persuadé que Laprade fut, à son moment, l’un des novateurs les plus actifs de notre siècle. La publication de Psyché marque une date dans l’histoire de la poésie française. Le romantisme, plus nourri qu’on ne croit de l’antiquité, l’avait abandonnée, au moins en apparence, par le choix des sujets et l’emportement du style. Victor de Laprade instituait le Romantisme classique. Il venait accomplir ce rêve d’André Chénier, traiter des sujets antiques avec une forme et une couleur grecques et revêtir de cette forme et de cette couleur des pensers nouveaux, en un mot interpréter poétiquement les mythes anciens.

[La Revue bleue (2e semestre ).]