(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 489-492
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 489-492

PERRAULT, [Charles] de l’Académie Françoise, de celle des Sciences, de celle des Inscriptions, né à Paris en 1633, mort dans la même ville en 1723.

A s’en rapporter à M. Diderot, on le regarderoit comme un Grand Homme, & on ne balanceroit pas de le placer parmi les cinq Auteurs du Siecle dernier, les seuls jugés par lui capables de fournir quelques articles* à l’Encyclopédie. L’adoption ne peut être que très-glorieuse, puisqu’il s’agit d’être associé à des Génies qui se flattent de l’emporter sur tout ce que le Siecle précédent a fourni de plus grand.

Il s’en faut cependant de beaucoup que Charles Perrault soit en état de soutenir un poids si immense de gloire, à moins qu’en jugeant par lui des Auteurs Encyclopédistes, sa médiocrité ne fût un préjugé pour la leur, ce qui seroit bien plus vraisemblable. Nous ne prétendons pas l’apprécier, pour cela, d’après les Satires de Boileau. Il suffit d’examiner ses Ouvrages, & l’on verra si cet Auteur presque oublié étoit capable d’honorer l’Encyclopédie par ses travaux.

Est-ce d’abord par le rare discernement qu’il fit paroître, en préférant le mérite des Modernes à celui des Anciens ? Est-ce ensuite par la maniere dont il soutient cette cause ? Il faudroit nécessairement conclure de là, que dans l’Encyclopédie on fait aussi peu de cas du jugement que du style, ce qui ne se vérifie que trop par le plus grand nombre des articles.

Seroit-ce par le goût qui regne dans ses Poésies ? On répondroit encore, que la naïveté est bien éloignée de la platitude ; & cette derniere est éminemment l’apanage de Perrault. Il est vrai qu’il a fait quelques Contes dont les enfans s’amusent, & qu’on peut lire encore dans un âge avancé, pour affoiblir un moment d’ennui ; mais un homme qui fait tomber un aune de boudin par la cheminée, qui occupe le grand Jupiter à attacher ce boudin au nez d’une Héroïne, n’a pas prétendu travailler pour les Gens de goût, encore moins se destiner par-là à figurer parmi les Coopérateurs du grand chef-d’œuvre de l’esprit humain.

Qu’a-t-il donc fait de bien ? Une Epitaphe du Maréchal de Turenne, & quelques autres petites Poésies assez agréables. Après cela on ne trouve plus chez lui qu’une prose diffuse, traînante, monotone, incorrecte, dépourvue de tours & de pensées. On seroit tenté de croire que M. Diderot n’a pas senti qu’il faisoit tort au Dictionnaire Encyclopédique, en regrettant, pour sa perfection, un pareil Ecrivain, ou qu’il a voulu faire connoître par-là le mépris qu’il a toujours eu pour cette Compilation, comme il s’en est expliqué plusieurs fois dans l’Ouvrage même.

Peut-être est-ce en faveur de son caractere, qu’on a jugé Perrault digne d’être agrégé au Corps philosophique. On ne peut nier qu’il ne l’ait eu plein de gaieté, de politesse, de modération, qualités qui transpirent dans ses Ecrits, & bien supérieures au mérite de faire de bons Ouvrages ; mais sont-ce-là des titres pour prétendre aux honneurs de la Philosophie ? Le génie de la plupart de nos Philosophes, si morne, si empesé, si intolérant, ne prouve-t-il pas qu’elles sont plutôt un titre d’exclusion ? De quelque côté enfin qu’on envisage Perrault, M. Diderot n’a point été avoué par ses Confreres, lorsqu’il a pris sur lui d’introduire même son ombre parmi eux.