(1761) Salon de 1761 « Peinture —  Challe  » pp. 141-142
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(1761) Salon de 1761 « Peinture —  Challe  » pp. 141-142

Challe

Cleopatre expirante. Socrate condamné. Un guerrier qui raconte ses aventures. Le Socrate est de 8 pieds de large, sur 6 pieds, 6 pouces de haut.

Des trois tableaux de Challe, la Cleopatre expirante, le Socrate sur le point de boire la ciguë, et le Guerrier qui raconte ses aventures, on n’en remarque aucun, et l’on a tort. Le Socrate condamné en vaut la peine autant qu’aucun autre morceau du Salon. Je sais grand gré à [notre] Napolitain de l’avoir déterré dans le coin obscur où on l’a placé. Il paraît avoir été peint il y a cent ans ; mais il est bien plus vieux encore pour la manière que pour la couleur. On dirait que c’est une copie d’après quelques bas-reliefs antiques. Il y règne une simplicité, une tranquillité, surtout dans la figure principale, qui n’est guère de notre temps. Le

Socrate est nu. Il a les jambes croisées. Il tient la coupe. Il parle. Il n’est pas plus ému que s’il faisait une leçon de philosophie. C’est le plus sublime sang-froid. Il n’y avait qu’un homme d’un goût exquis qui pût remarquer ce morceau. Non est omnium.Il faut être fait à la sagesse de l’art antique. Il faut avoir beaucoup vu de bas reliefs ; beaucoup de médailles ; beaucoup de pierres gravées. Le Socrate est la seule figure très apparente. Les philosophes qui se désolent sont enfoncés et comme perdus dans un fond obscur et noir. Cela veut être vu de plus près. L’enfant qui recueille sur des tablettes les dernières paroles de Socrate me paraît très beau et de caractère, et de couleur, et de simplicité, et de lumière. Cependant il faut attendre que ce morceau soit décroché et mis sur le chevalet pour confirmer ou rétracter ce jugement. S’il se soutient de près, nous nous écrierons tous : Comment est-il arrivé à Challe de faire une belle chose [?]

De 5 pieds 10 pouces de haut, sur 5 pieds de largeur.

La Cleopatre se meurt, et le serpent est encore sur son sein. Que fait là ce serpent ? mais s’il eût été bien loin, comme le choix du moment l’exigeait, qui est-ce qui aurait reconnu Cleopatre. C’est que le choix du moment est vicieux ; il fallait prendre celui où cette femme altière déterminée à tromper l’orgueil romain qui la destinait à orner un triomphe, se découvre la gorge, sourit au serpent, mais de ce souris dédaigneux qui retombe sur le vainqueur auquel elle va échapper et se fait mordre le sein. Peut-être l’expression eût-elle été plus terrible et plus forte, si elle eût souri au serpent attaché à son sein. Celle de la douleur serait misérable ; celle du désespoir commune. Le choix du moment où elle expire ne donne point une Cleopatre, il ne donne qu’une femme expirante de la morsure d’un serpent. Ce n’est plus l’histoire de la reine d’Alexandrie. C’est un accident de la vie.

Il est de 4 pieds, 6 pouces, sur 3 pieds, 6 pouces.

Je ne sais ce que c’est que ce Guerrier qui raconte ses aventures. Je ne l’ai point vu ; mais je voudrais bien voir de près le Socrate condamné.