(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 520-522
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 520-522

PIRON, [Alexis] né à Dijon en 1689 mort à Paris en 1773.

Il est connu de tout le monde par une Ode trop fameuse, dont la licence ne doit plus lui être reprochée, puisqu’il en a témoigné publiquement son repentir. Personne n’avoit moins besoin des ressources du vice, pour plaire & se faire un nom. M. Piron étoit né avec toutes les qualités qui forment les grands Poëtes, si l’on en excepte, d’un côté, le goût & l’harmonie dans la versification, & si on lui pardonne, de l’autre, trop de penchant à la satire, & trop de facilité à lancer des Epigrammes malignes qui ne sont pas toujours justes.

Après ces deux reproches échappés à la justice & à l’impartialité, nous ne craindrons pas de dire qu’aucun de nos Poëtes n’a plus de droit à l’immortalité, moins par la quantité, que par le mérite des Pieces dont il a enrichi notre Théatre. Gustave plaira toujours, à cause de la vivacité & de l’intérêt des situations. On passera légérement sur quelques négligences de style, en rendant justice à l’adresse avec laquelle cette Tragédie est conduite, & au grand effet qu’elle produit. La Métromanie, mieux écrite & plus fine quant au choix des caracteres & à la maniere de les mettre en jeu, sera toujours regardée comme une excellente Comédie ; Moliere lui-même eût ambitionné la gloire de l’avoir faite, en même temps qu’il eût conspué cette multitude de Drames insipides qui continuent si obstinément à défigurer la Scene.

Une justice qu’on doit rendre à M. Piron, c’est que, malgré les libertés condamnables qu’il s’est permises dans les Productions de sa jeunesse, il ne lui est rien échappé, dans ses Ecrits, contre la Religion. Bien des propos, qu’on lui a attribués dans la Société, ne sont pas de lui, ou peuvent être regardés comme les saillies d’un Esprit vif qui n’a pas toujours su se retenir. Au moins ne peut-on révoquer en doute les preuves qu’il a données de son repentir : elles sont consignées dans les papiers publics. Cette démarche vraiment philosophique a été vraisemblablement la cause de la haine des Philosophes contre lui. Ne sera-ce que dans la hardiesse à tout dire, à tout écrire, à tout faire, que consistera la Philosophie ? Et deviendra-t-on l’anathême de ces Messieurs, parce qu’on aura eu le courage de rétracter ce qui n’auroit jamais dû échapper ?