Préface de l’auteur
Quelques mots sur l’origine de ce travail en feront comprendre l’intention. Nous l’avions entrepris exclusivement pour nous. Nous voulions savoir dans quelle mesure notre conception de la durée était compatible avec les vues d’Einstein sur le temps. Notre admiration pour ce physicien, la conviction qu’il ne nous apportait pas seulement une nouvelle physique mais aussi certaines manières nouvelles de penser, l’idée que science et philosophie sont des disciplines différentes mais faites pour se compléter, tout cela nous inspirait le désir et nous imposait même le devoir de procéder à une confrontation. Mais notre recherche nous parut bientôt offrir un intérêt plus général. Notre conception de la durée traduisait en effet une expérience directe et immédiate. Sans entraîner comme conséquence nécessaire l’hypothèse d’un Temps universel, elle s’harmonisait avec cette croyance très naturellement. C’étaient donc un peu les idées de tout le monde que nous allions confronter avec la théorie d’Einstein. Et le côté par où cette théorie semble froisser l’opinion commune passait alors au premier plan : nous aurions à nous appesantir sur les « paradoxes » de la théorie de la Relativité, sur les Temps multiples qui coulent plus ou moins vite, sur les simultanéités qui deviennent des successions et les successions des simultanéités quand on change de point de vue. Ces thèses ont un sens physique bien défini : elles disent ce qu’Einstein a lu, par une intuition géniale, dans les équations de Lorentz. Mais quelle en est la signification philosophique ? Pour le savoir, nous prîmes les formules de Lorentz terme par terme, et nous cherchâmes à quelle réalité concrète, à quelle chose perçue ou perceptible, chaque terme correspondait. Cet examen nous donna un résultat assez inattendu. Non seulement les thèses d’Einstein ne paraissaient plus contredire, mais encore elles confirmaient, elles accompagnaient d’un commencement de preuve la croyance naturelle des hommes à un Temps unique et universel. Elles devaient simplement à un malentendu leur aspect paradoxal. Une confusion semblait s’être produite, non pas certes chez Einstein lui-même, non pas chez les physiciens qui usaient physiquement de sa méthode, mais chez certains qui érigeaient cette physique, telle quelle, en philosophie. Deux conceptions différentes de la relativité, l’une abstraite et l’autre imagée, l’une incomplète et l’autre achevée, coexistaient dans leur esprit et interféraient ensemble. En dissipant la confusion, on faisait tomber le paradoxe. Il nous parut utile de le dire. Nous contribuerions ainsi à éclaircir, aux yeux du philosophe▶, la théorie de la Relativité.
Mais surtout, l’analyse à laquelle nous avions dû procéder faisait ressortir plus nettement les caractères du temps et le rôle qu’il joue dans les calculs du physicien. Elle se trouvait ainsi compléter, et non pas seulement confirmer, ce que nous avions pu dire autrefois de la durée. Aucune question n’a été plus négligée par les ◀philosophes que celle du temps ; et pourtant tous s’accordent à la déclarer capitale. C’est qu’ils commencent par mettre espace et temps sur la même ligne : alors, ayant approfondi l’un (et c’est généralement l’espace), ils s’en remettent à nous du soin de traiter semblablement l’autre. Mais nous n’aboutirons ainsi à rien. L’analogie entre le temps et l’espace est en effet tout extérieure et superficielle. Elle tient à ce que nous nous servons de l’espace pour mesurer et symboliser le temps. Si donc nous nous guidons sur elle, si nous allons chercher au temps des caractères comme ceux de l’espace, c’est à l’espace que nous nous arrêterons, à l’espace qui recouvre le temps et qui le représente à nos yeux commodément : nous n’aurons pas poussé jusqu’au temps lui-même. Que ne gagnerions-nous pas, cependant, à le ressaisir ! La clef des plus gros problèmes philosophiques est là. Nous avons tenté jadis un effort dans cette direction. La théorie de la Relativité nous a fourni l’occasion de le reprendre et de le conduire un peu plus loin.
Telles sont les deux raisons qui nous déterminent à publier la présente étude. Elle porte, comme on le voit, sur un objet nettement délimité. Nous avons découpé dans la théorie de la Relativité ce qui concernait le temps ; nous avons laissé de côté les autres problèmes. Nous restons ainsi dans le cadre de la Relativité restreinte. La théorie de la Relativité généralisée vient d’ailleurs s’y placer elle-même, quand elle veut qu’une des coordonnées représente effectivement le temps.
H. B.