(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 58-61
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 58-61

Raynal, [N.ABCD l’Abbé] né à Saint-Géniés, Diocese de Rhodez, en 1715, des Académies de Londres & de Berlin ; Ecrivain plus ingénieux que solide dans un genre où la solidité, sur-tout celle qui porte au vrai, doit être préférée à toute autre chose. L’Histoire du Parlement d’Angleterre & celle du Stathoudérat, ressemblent à ces portraits où la vérité est sacrifiée au coloris, & encore plus à ces étoffes dont la broderie couvre le fond. Sa maniere de narrer n’est point un récit ; c’est une déclamation, un amas d’antitheses, un enchaînement de pensées symétriques, une collection de jolis tableaux, qui caractérisent bien plus le pinceau académique, que les vigoureux crayons de la Muse de l’Histoire.

Si cependant le brillant de l’esprit, la fécondité de l’imagination, de l’élégance du dessin, peuvent excuser ces défauts, personne n’aura plus de droit à l’indulgence que M. l’Abbé Raynal. Cette indulgence ne doit pas tirer à conséquence. Il ne faut jamais oublier que le genre historique exclut les ornemens recherchés ; que le naturel, une noble simplicité, la chaleur du style, & avant tout, le discernement & l’amour de la vérité, sont les seules qualités qu’il admet. Sans cela, on ne doit jamais prétendre au titre d’Historien. M. de Raynal n’a peut-être pas eu cette prétention : c’est pourquoi nous regarderons ces deux Histoires comme une source d'amusement pour le Lecteur, en le prémunissant toutefois contre les dangers de la séduction.

Nous ne lui attribuerons pas, comme le Public, l'Histoire de l'établissement du Commerce dans les deux Indes : il seroit trop humiliant pour lui de vieillir au milieu des fables, en enchérissant sur le défaut de véracité, à mesure que les progrès de l'âge devroient perfectionner ses lumieres & mûrir sa raison. Après ses malheureux essais, pourquoi auroit-il pris la peine d'écrire encore une Histoire, en se laissant aller à des déclamations aussi révoltantes que puériles, contre la Religion, les Gouvernemens, les Mœurs, les usages, les bienséances ? Si on appelle cela écrire en Philosophe, les Annales des Nations sont donc à la veille de devenir un amas de chimeres, d'indécences, un dépôt de fiel & de corruption : tous les événemens ne tarderont pas à être altérés, travestis, & dirigés au but d'une subversion générale.

Nous pardonnons à ceux qui se sont extasiés sur le style de cet Ouvrage. Il faut sans doute à leurs oreilles des phrases longues, seches, & contournées avec de pénibles efforts ; il faut à leur esprit des pensées emphigouriques, des réflexions froides, des observations équivoques, des contradictions* révoltantes, des vûes minutieuses, le tout énoncé avec le sombre appareil de la morosité ; il faut pour leur amusement, des critiques ameres, des récits scandaleux, des calomnies.

M. l'Abbé Raynal, nous le répétons, a dû être très-sensible à une imputation si offensante pour son caractere & ses sentimens. Ses Ecrits n'ont jamais annoncé que sa plume dût se prostituer à de tels excès. Cette monstrueuse Histoire ne peut être partie que du cerveau exalté de quelque Philosophe archimaniaque, obstiné à mourir au milieu des accès de sa phrénésie.