(1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — II. (Fin.) » pp. 350-370
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(1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — II. (Fin.) » pp. 350-370

II. (Fin.)

On a beau dire, il y a du regret à n’être plus ministre, surtout quand on l’a été comme l’était M. Necker en son premier ministère, au milieu de la faveur publique et de l’applaudissement. Marmontel, au moment où il apprit la disgrâce de M. Necker, était à Saint-Brice ; il courut à Saint-Ouen pour l’y visiter, lui et surtout Mme Necker, à laquelle il avait voué beaucoup de vénération. Il passa toute la soirée seul avec eux et avec un frère de M. Necker :

Ni le mari ni la femme, dit-il, ne me dissimulèrent leur profonde tristesse. Je tâchai de la diminuer en parlant des regrets qu’ils laisseraient dans le public, et de la juste considération qui les suivrait dans leur retraite ; en quoi je ne les flattais pas. « Je ne regrette, me dit M. Necker, que le bien que j’avais à faire, et que j’aurais fait si l’on m’en eût laissé le temps. »

Les divers ouvrages que M. Necker composa dans les années qui suivirent (1781-1788), portent la marque de cette sensibilité tendre et vive qu’il ne prend pas le soin de dissimuler. C’est pour se distraire, pour chercher à soulager et à remplir son âme, qu’il conçut son travail estimable contre les athées, les incrédules du temps et les railleurs, et qu’il intitula : De l’importance des opinions religieuses (1788) :

Mes pensées, dit-il, ne pouvant plus s’attacher à l’étude et à la recherche des vérités qui ont l’avantage politique de l’État pour objet ; mon attention ne devant plus se fixer sur les dispositions particulières de bien public qui sont nécessairement unies à l’action du gouvernement, je me suis trouvé comme délaissé par tous les grands intérêts de la vie. Inquiet, égaré dans cette espèce de vide, mon âme, encore active, a senti le besoin d’une occupation.

Entre toutes celles qui pouvaient convenir à une âme élevée, à un homme public jeté avant l’heure dans la retraite, il n’en était point de plus digne assurément que de considérer l’idée religieuse dans ses rapports essentiels avec le maintien de la société. M. Necker avait compris quelque chose de l’immense danger social qui était prêt à sortir de toutes les doctrines irréligieuses du xviiie  siècle, et il venait montrer les avantages publics de la religion, l’appui efficace, l’achèvement qu’elle seule apporte à l’ordre général, en même temps qu’il parlait avec persuasion du bonheur intime et de la consolation intérieure qu’elle procure à chacun. L’ouvrage de M. Necker caractérise bien l’époque de Louis XVI et cette espèce de réaction modérée et sentimentale qui s’y manifestait contre les excès de l’école encyclopédique ; cet ouvrage est bien le contemporain des Études de la nature de Bernardin de Saint-Pierre, et de l’Anacharsis de l’abbé Barthélemy. L’Académie française, bien que M. Necker réfutât l’idée d’un catéchisme purement moral qu’elle venait de proposer, lui décerna le prix récemment fondé pour l’ouvrage le plus utile aux mœurs. Rivarol, qui n’était pas encore mûri par l’expérience, riposta à l’ouvrage de M. Necker par deux Lettres très vives, très hardies, où il s’arme de la méthode de Pascal, mais à mauvaise fin, et pour en venir à des conclusions ouvertement spinozistes et épicuriennes. M. Necker, dans son déisme théologique, s’avançait avec ménagement et précaution comme médiateur entre la philosophie et le sacerdoce ; il admettait les religions révélées, mais sa qualité de protestant, et son désir d’éviter toute discussion intérieure au christianisme, le forçaient à se tenir dans la généralité et dans le vague. Rivarol profite de cette indécision apparente ; il le serre de près, et lui propose, pour l’embarrasser, ce dilemme connu, qui se résume en deux mots : Tout ou rien ! Ce qu’on peut répondre à Rivarol, c’est que lui-même, quelques années après, éclairé par l’esprit encore plus que par le cœur, il prenait soin de se réfuter en rendant hommage à son tour aux doctrines religieuses et conservatrices. La vivacité de sa polémique dans le premier moment était déjà un succès pour l’ouvrage qu’il attaquait. À l’instant où il parut, le livre de M. Necker en eut un d’un autre genre, et plus digne de son objet. Buffon, malade de sa dernière maladie, se faisait lire l’introduction, et, deux jours avant sa mort, il dictait à son fils une lettre adressée à Mme Necker, et dans laquelle il remerciait magnifiquement l’auteur. Buffon n’a rien écrit ni rien lu depuis ce moment, et ce fut l’honneur du livre de M. Necker d’avoir tiré de cette grande intelligence les dernières paroles où il salue l’idée du souverain Être et de l’immortalité.

Un des points qui préoccupent le plus M. Necker dans son ouvrage, c’est de faire voir ce qui peut, dans l’ordre actuel de la société, réconcilier le pauvre avec le riche ; le prolétaire avec le propriétaire, celui qui vit de son salaire de chaque jour avec « les dispensateurs des subsistances ». Il a, sur ce sujet, de l’inégalité moderne comparée à l’antique esclavage, des paroles plus énergiques qu’on ne l’attendrait de lui. Or, cette idée heureuse et réparatrice, qui remet jusqu’à un certain point l’équilibre, il ne peut la découvrir que dans une obligation de bienfaisance d’une part, de patience et de soumission de l’autre, dans un esprit général de charité mis en recommandation parmi les hommes. Il démontre sous toutes les formes, et par une quantité de considérations prises dans le cœur humain, que la morale religieuse vient sans cesse au secours de la législation civile :

Elle parle un langage que les lois ne connaissent point ; elle échauffe cette sensibilité qui doit devancer la raison même ; elle agit, et comme la lumière et comme la chaleur intérieure ; elle éclaire, elle anime, elle s’insinue partout ; et ce qu’on n’observe point assez, c’est qu’au milieu des sociétés cette morale est le lien imperceptible d’une multitude de parties qui semblent se tenir par leurs propres affinités, et qui se détacheraient successivement, si la chaîne qui les unit venait jamais à se rompre.

Son livre est rempli de vues élevées ou fines, mais sous forme un peu compacte ; il est fait pour être lu et médité par des hommes de pensée et de réflexion plutôt que par l’ordinaire du public ; il n’a rien qui se détache ni qui frappe ; l’auteur continue d’être abstrait, tout en sentant que l’abstrait ne prend point et n’est pas le plus court chemin pour arriver à l’effet qu’il désire. Une fois ou deux, il essaie du tableau, comme lorsqu’il veut rendre l’impression que fait la vue des invalides prosternés aux pieds des autels ; mais M. Necker n’est pas peintre, et il faut attendre, pour le réveil et le triomphe des images chrétiennes, que Chateaubriand soit venu. Ce qu’a M. Necker en matière religieuse, c’est la sincérité parfaite, c’est l’onction, un sentiment profond et persuasif qui passe dans ses paroles, et qui remplace souvent la métaphysique par une morale touchante. Aux bons endroits, il a quelque chose d’un sermonnaire ému. Au moment où Mirabeau agitait déjà sa Provence, et où le signal des États généraux résonnait dans l’air :

Quel temps, je le sais bien, s’écriait en finissant M. Necker, quel temps je suis venu prendre pour entretenir le monde de morale et de religion ! et quel théâtre encore que celui-ci, pour une semblable entreprise !… Chacun est autour de sa moisson ; chacun vit dans son affaire ; chacun est englouti dans l’instant présent.

Et il revenait sans cesse sur sa situation personnelle et sur ses peines sensibles :

Ah ! plus on a connu le monde, ses fantômes et ses vains prestiges, plus on a senti le besoin d’une grande idée pour élever son âme au-dessus de tant d’événements qui viennent la décourager ou la flétrir. Courez-vous après les honneurs, après la gloire, après la reconnaissance, partout il y a des erreurs, partout il y a des mécomptes… Si vous laissez votre vaisseau dans le port, les succès des autres vous éblouissent ; si vous le mettez en pleine mer, il est battu par les vents et par la tempête : l’activité, l’inaction, l’ardeur et l’indifférence, tout a ses peines ou ses déplaisirs… Rien n’est parfait que pour un moment…

Tout ce motif est développé avec bonheur, et vraiment comme l’eût fait un Bourdaloue. Il en concluait qu’il fallait recourir « aux idées immuables », à celles qui « conviennent également aux moments de triomphe et aux jours de défaite, aux temps de la fortune et à ceux de l’adversité ». Il définissait l’idée chrétienne « la plus heureuse des persuasions et la plus sublime des pensées ». M. Necker écrivait ce dernier chapitre de son ouvrage dans la disgrâce et dans l’exil sous Calonne ; il le publiait et le voyait couronné au moment du retour et quand il rentrait au ministère.

J’ai prononcé le mot de sermonnaire ; c’est celui qui convient le mieux au genre de talent que déploie M. Necker dans cet ordre d’idées et de méditations religieuses. Il le sentait si bien que, vers la fin de sa vie, en 1800, il publia un Cours de morale religieuse divisé en discours qui sont censés adressés par un pasteur à son troupeau. Je recommande particulièrement celui de L’Union conjugale, qui est plein de sentiment et de beauté. Je trouve, dans les dernières pensées de M. Necker, des élans d’espérance qui arrivent à une sorte d’éclat d’expression :

Il y a quelque secret magnifique caché derrière cette superbe avant-scène qui forme le spectacle du monde.

— Nous ne croirons pas que notre imagination s’élance au-delà des temps pour nous fournir un simple jouet ; nous ne valions pas la peine d’être trompés, de l’être avec tant d’éclat, si nous ne devions avoir qu’une existence éphémère.

Par ces divers travaux religieux dans lesquels il a soigneusement évité de marquer les points qui auraient fait sentir un désaccord avec l’Église catholique, M. Necker, on le voit, est un des précurseurs les plus honorables du grand mouvement qui éclata au commencement du xixe  siècle, et son recueil de discours ne précéda que de deux années le Génie du christianisme. Il y aurait, si j’en avais la place, à faire ici une comparaison comme celle que j’ai déjà faite de Chateaubriand à l’abbé Barthélemy. Si Chateaubriand, en effet, comprit et peignit la Grèce avec un éclat qui était inconnu au savant abbé antiquaire, il comprit et peignit également le christianisme catholique avec un à-propos de splendeur et de poésie que ne pouvait espérer d’atteindre la plume de l’estimable ministre de Louis XVI. Il y aurait entre eux un parallèle à établir, dans lequel la question de sincérité serait hors de cause. Certes, M. Necker, dans la teneur morale de sa vie, doit sembler plus d’accord avec ses doctrines religieuses que ne le fut avec les siennes le brillant et fragile auteur de tant d’écrits passionnés : mais l’idée du Génie du christianisme (je le prouverai un jour par une pièce décisive que j’ai été assez heureux pour rencontrer) fut sincère à l’origine et réellement conçue dans les larmes d’une pénitence ardente, bien que trop tôt distraite et dissipée. Cette première inspiration fut suffisante à l’artiste pour le soutenir de loin ensuite dans l’exécution de son œuvre ; le reste lui vint de son génie littéraire et de son pinceau, de ce don divin de l’imagination qui avait été refusé à ses devanciers. Ce n’est qu’à ce prix qu’il est donné à quelques-uns d’agir en un instant sur tous les hommes. M. Necker intervient dans la guerre ouverte entre les incrédules et les intolérants de tout genre dont il était environné, comme un médiateur honnête, sensé, sincère, éloquent même à la longue, si l’on consent à l’écouter ; il dira de toutes les manières à ceux qu’il s’efforce de ramener :

Un homme sage ne se permet jamais de semer la tristesse et le découragement, pour la ridicule vanité de se montrer un peu élevé au-dessus des opinions communes, ou pour le plaisir de faire des distinctions plus ou moins ingénieuses sur quelques parties de la religion établie.

Il dira encore :

Je souhaiterais que les hommes d’un esprit étendu, et qui découvrent mieux que personne comment tout se tient dans l’ordre moral, n’attaquassent jamais qu’avec prudence, et dans un temps opportun, tout ce qui communique de quelque manière avec les opinions les plus essentielles au bonheur.

De telles paroles font estimer celui qui les profère, mais elles agissent peu. Chateaubriand ne traita pas de la sorte ceux qui riaient, il les attaqua ; il reprit l’offensive et parut dans la lice à la française, en combattant. Il ne parla point vaguement d’opinions religieuses, il montra la croix. Il se remit en marche vers la Jérusalem de la religion et de la poésie, le casque en tête et le glaive à la main, comme un des chevaliers du Tasse, et non sans se laisser aussi surprendre en chemin par les enchantements ; il entra dans la Cité sainte reconquise par l’arc de triomphe ou par la brèche (je ne sais trop), mais en plein soleil, tandis que M. Necker ne se dégage jamais entièrement de sa colonne de brouillard obscur. Et à ceux qui voulaient des images douces, Chateaubriand avait, à pleines mains, à en offrir de telles, de charmantes et de parlantes toujours : on lut le chapitre « Des rogations », et l’on pleura.

Un de ses amis que j’aime à citer souvent parce qu’en bien des cas il a rendu des jugements définitifs sous une forme qu’on ne retrouverait plus, M. Joubert, platonicien de pensée, et placé au meilleur point de comparaison entre les deux écoles, a dit :

Les Necker et leur école : — Jusqu’à eux on avait dit quelquefois la vérité en riant ; ils la disent toujours en pleurant, ou du moins avec des soupirs et des gémissements. À les entendre, toutes les vérités sont mélancoliques. Aussi M. de Pange m’écrivait-il : « Triste comme la vérité. » Aucune lumière ne les réjouit ; aucune beauté ne les épanouit ; tout les concentre.

Et pour être juste, il ajoute aussitôt :

Le style de M. Necker est une langue qu’il ne faut pas parler, mais qu’il faut s’appliquer à entendre, si l’on ne veut pas être privé de l’intelligence d’une multitude de pensées utiles, importantes, grandes et neuves.

Arrivons au ministre maintenant, c’est-à-dire à l’homme moral dans le ministre, et connaissons-le. M. Necker, en rentrant dans la politique, conserve toute son honnêteté et sa pudeur première, mais il retrouve sa susceptibilité, sa « fière raison », son « cœur orgueilleux » (c’est lui qui les nomme ainsi), ce dédain qu’il oublie aisément dans une méditation solitaire et tranquille, mais qui se réveille en présence des hommes. Sa carrière politique se partage nettement en deux parties. Dans son premier ministère, qui dura cinq ans (1776-1781), il lutte contre les courtisans et contre les abus, et il tombe, il se retire par roideur et faute d’adresse devant le vieux Maurepas, qu’il ne s’agissait que d’user et de laisser mourir. Dans son second et son troisième ministère, qui durent en tout deux ans (août 1788-septembre 1790) et qui sont séparés par un court exil, par un retour triomphant et par la date ineffaçable du 14 Juillet, dans ces deux derniers ministères qui n’en font qu’un, sachant désormais assez bien à quoi s’en tenir sur la Cour et les courtisans, M. Necker n’est pas revenu de son opinion sur le peuple et sur le gros de la nation : il transporte de ce côté son illusion et sa confiance ; il se fait l’idée d’une nation tout aimable, sensible, aisée à conduire et à ramener, sans corruption et sans vices, et il ne perd cette idée qu’à la dernière extrémité. Tombé cette fois devant l’Assemblée constituante et devant Mirabeau, il s’écrie encore, en revenant sur les moyens termes qu’il avait imaginés pour procurer le salut de la France, et en les opposant à ce qui a prévalu :

Quels moyens on a préférés ! tandis qu’avec un peu de retenue dans ses systèmes, avec un peu d’égards envers les opprimés, avec un peu de ménagement pour les antiques opinions, surtout avec un peu d’amour et de bonté, c’est par des liens de soie qu’on eût conduit au bonheur toute la France.

Il écrivait cela à Coppet en 1791. À cette date, il croit encore qu’avec tous ces un peu combinés ensemble et acceptés de tous, on eût fait face au torrent, et qu’on l’eût transformé et dirigé en un canal tranquille.

Il y a un écrit de M. Necker qui le donne à connaître à fond comme homme et comme politique, c’est l’apologie de son administration écrite par lui-même en 1791, aussitôt après sa retraite en Suisse et avant que la Révolution ait produit ses derniers excès. Cet écrit, peu lu, équivaut à une confession. L’auteur, encore tout ému de sa chute et de l’ingratitude de l’Assemblée, ne prévoyant pas que, dans les malheurs qui s’apprêtent à fondre sur toutes les têtes, cette retraite prématurée deviendra pour lui un salut et un bienfait, l’auteur se laisse aller à toutes ses pensées ; il nous livre son âme au vif, toute saignante et gémissante ; il la montre dans sa sensibilité, dans ses étonnements, dans ses douleurs de tout genre, dans ses passions naturelles, honnêtes, droites, humaines et un peu débonnaires. Il n’aurait pas osé parler ainsi deux ans plus tard, après 1793 ; car il était certes un des privilégiés du sort ; mais, en 1794, il se croyait une victime choisie entre tous, et il gémissait. Pour mettre sa sensibilité plus à son aise, par un singulier et subtil accommodement il supposait que c’était d’un autre que lui qu’il parlait :

C’est d’un moi que je parle, et non pas de moi ; car, loin des hommes, au pied des hautes montagnes, au bruit d’une onde monotone qui ne présente d’autre idée que la marche égale du temps, et sans autre aspect qu’une longue solitude, une retraite silencieuse que bordent déjà les ombres d’une éternelle nuit, je n’ai plus de rapport avec ce ministre naguère emporté par les événements, agité par les passions du monde, et sans cesse aux prises avec l’injustice ; je n’ai plus de rapport avec lui que par les émotions d’une âme sensible…

Il revient à chaque instant, avec des cris de David ou de Job, sur cette calamité, qui véritablement n’était pas si grande qu’il le supposait :

Quelquefois seulement, au pied de ces montagnes où l’ingratitude particulière des représentants des Communes m’a relégué, et dans les moments où j’entends les vents furieux s’efforcer d’ébranler mon asile, et renverser les arbres dont il est environné, il m’arrive alors peut-être de dire comme le roi Lear : « Blow, winds, … Soufflez, vents impétueux ! livrez-vous à votre fureur, je ne vous accuse point d’ingratitude, vous ne me devez point votre existence, vous ne tenez point de moi votre empire ! »

— D’où il s’ensuivait que l’Assemblée nationale lui devait son existence, qu’elle avait reçu uniquement de lui son empire, et qu’elle était une fille ingrate et dénaturée autant que les filles du roi Lear ; pauvre vieux roi, un peu plus errant toutefois que ne l’était M. Necker, et tout à fait sans asile ! Dans l’agitation lyrique de son cœur, M. Necker, à ce moment, ne trouve aucune image au-dessus de sa situation personnelle ; au milieu de tous ces reproches d’ingratitude qu’il exhale, il lui semble encore qu’il use de clémence : « Comme le Prophète, après être venu sur la montagne pour maudire, je ne voulais y rester que pour bénir. » Un si grand tumulte de cœur, dans une situation qui était véritablement amère et cruelle, dépasse pourtant ce qu’on a droit d’attendre d’un homme d’État ferme, et qui a mesuré d’avance les chemins par où il faut passer : c’est qu’aussi M. Necker n’était rien moins que cet homme d’État, et il est le premier à nous le dire. Laissons les détails à l’historien. M. Necker fit-il bien de louvoyer, comme il fit, aux approches des États généraux ? de rappeler encore une fois les notables, et de les laisser discuter sur les formes de la représentation prochaine, au lieu d’avoir dès le premier jour un plan arrêté ? Fit-il bien d’attendre si longtemps avant de se déclarer pour la double représentation du tiers état ? de laisser l’Assemblée s’ouvrir, sans faire prendre au roi l’initiative des mesures en litige ? de laisser aux ordres le temps de s’irriter dans des discussions préliminaires qu’on eût pu trancher ? Fit-il bien de repousser dès cette première heure critique, par son accueil dédaigneux, les avances sincères de Mirabeau ? Eut-il tort ou raison de ne point assister à la séance royale du 23 juin, où le roi tint un discours qu’il désapprouvait ? Laissons toutes ces questions et bien d’autres, d’où il ne sortirait rien que de trop lent et de trop indirect pour nous ; mais écoutons-le lui-même dans son apologie et dans ses aveux. Il est très vrai qu’au commencement de 1789 il se trouva placé, comme il le dit, entre le trône et la nation, et investi de la double confiance de l’un et de l’autre, au milieu des difficultés les plus grandes où jamais ministre ait eu à se prononcer. Sa prétention singulière et qui le juge déjà, c’est de n’y avoir commis aucune faute :

Dans une pareille situation, dit-il, et au milieu des plus ardentes passions, au centre de toutes les inimitiés et de toutes les haines, il y avait occasion chaque jour de faire quelque faute, et quelque faute d’un genre éminent. C’est une réflexion que j’ai souvent faite avec les autres ministres du roi ; et, quoique mon caractère soit malheureusement inquiet, quoique toute ma vie j’aie porté mes regards en arrière pour me juger encore dans les choses passées, quoique mon esprit se soit ainsi chargé de toute la partie des remords dont ma conscience n’eut jamais que faire, néanmoins, et à mon propre étonnement, je cherche en vain à me faire un reproche.

Voilà un résultat surprenant en effet, et qui, si j’osais le rappeler, est propre encore à caractériser l’espèce tout entière des esprits doctrinaires après leur chute. L’État se fût-il abîmé après eux, et en partie par eux, croyez-le bien, ils n’ont jamais fait aucune faute ; ils n’ont pas un reproche à se faire, et, la main sur le cœur et la tête haute devant Dieu, ils le jureraient. Chez M. Necker, le premier, le mieux intentionné et le plus innocent de tous, cette intrépidité de conscience et cette certitude d’impeccabilité s’alliaient avec un coin de bonhomie40. Beaucoup de gens ont parlé après lui de l’accord parfait de la morale et de la politique ; il n’en parlait pas seulement, il y croyait, et s’y astreignait aussi scrupuleusement que possible en toute circonstance ; mais il entendait cette morale au sens strict et particulier de l’homme de bien agissant dans la sphère privée. Je citerai de lui une page des plus curieuses et décisive, qui le classe, ce me semble, comme politique. Il s’agit de savoir si, l’Assemblée nationale une fois convoquée, il fallait s’abstenir d’influer sur les membres qui offraient prise par quelque côté ; et il y en avait beaucoup plus qu’on ne pense dans cette première Assemblée, sans compter Mirabeau. Fallait-il donc, par un scrupule que ne partageait pas le très honnête M. de Montmorin, collègue de M. Necker, négliger absolument de rattacher ces membres nombreux à la cause royale ?

Je m’étais expliqué avec Sa Majesté, dit M. Necker, de la manière la plus claire et la plus positive sur les avantages et les désavantages de mon caractère ; et, lors d’une conférence qui se tint dans le cabinet de Sa Majesté vers l’époque de la convocation des États généraux, et où les principaux ministres assistèrent, je me souviens d’avoir été conduit, par le mouvement de la discussion, à dire devant le roi qu’aussi longtemps qu’un esprit sage, un caractère honnête, une âme élevée pourraient influer sur l’opinion, je serais peut-être un ministre aussi propre à servir l’État que personne ; mais que, si jamais le cours des événements exigeait un Mazarin ou un Richelieu, ce furent mes propres expressions, dès ce moment-là je ne conviendrais plus aux affaires publiques. Et en effet, les hommes ont chacun leur nature, et plus cette nature est fortement appropriée à de certaines circonstances, moins elle est applicable à toutes indistinctement… Que l’on me place au milieu d’hommes encore susceptibles de raison et de sensibilité, je ferai, je le crois, quelque impression sur eux, et peut-être je mériterai d’être choisi pour un de leurs guides ; mais, s’il faut les tromper, s’il faut les corrompre, ou bien s’il faut les environner de chaînes, s’il faut imposer sur leurs têtes un joug d’airain, je ne suis plus l’homme d’un tel ministère ; il faut alors chercher un Mazarin, trouver un Richelieu.

Je conçois encore qu’on parle avec cette légèreté de Mazarin, dont la réputation historique, à cette date, n’était pas rétablie encore ; mais s’exprimer avec ce dédain naïf sur Richelieu, dire avec satisfaction et en redressant la tête : « S’il vous faut un Richelieu, trouvez-le ailleurs, ce n’est pas moi » ; cela juge le politique, en M. Necker.

Il était fait, dans l’ordre habituel et régulier d’un régime représentatif, pour figurer avec honneur dans les discussions, et peut-être de temps en temps dans les ministères, pour faire surtout ce rôle d’honnête homme en titre et d’Ariste qu’il faut que quelqu’un remplisse dans cette grande distribution des emplois, pour intervenir dans les grands cas au nom de la morale et de la vertu solennelle, pour ignorer les intrigues de ses amis, pour les servir peut-être, et à son insu toujours. Nous avons vu, depuis, des hommes de bien et de talent remplir de tels rôles ; mais aucun n’y était plus naturellement, plus hautement préparé et voué, en quelque sorte, que M. Necker. En tout, d’ailleurs, c’était le contraire d’un pilote dans une tempête.

Le moment d’éblouissement et d’ivresse, l’apogée de sa vie, ce fut son retour après le 14 Juillet, lorsqu’il reçut à Bâle la lettre du roi et celle de l’Assemblée nationale qui le rappelaient. Sa rentrée en France fut un triomphe. Le premier mouvement de son âme humaine fut pour réclamer la cessation des violences, le pardon et l’amnistie de ceux qu’on poursuivait et qu’on assassinait déjà comme ennemis de la nation. Il obtint tout à l’Hôtel de Ville dans le premier moment, et il a exprimé les sentiments qui l’agitaient alors, en des termes qui honorent l’homme et qui montrent aussi sa facilité d’espérance :

Je voudrais avoir assez d’espace, dit-il après nous avoir donné l’arrêté d’amnistie rédigé à l’Hôtel de Ville, pour transcrire ici les noms de tous ceux, en si grand nombre, qui participèrent à cet acte mémorable. Je ne vous oublierai point, vous qui m’avez fait jouir pendant un moment des délices d’un siècle, vous mes seuls bienfaiteurs !… Ah ! que je fus heureux ce jour-là ! Chacun de ces instants est gravé dans ma mémoire… J’avais obtenu le retour de la paix, je l’avais obtenu sans autre moyen que le langage de la raison et de la vertu : cette idée me saisissait par toutes les affections de mon âme, et je me crus un moment entre le ciel et la terre. Ah ! que j’étais heureux en retournant à Versailles !… Les acclamations du peuple, dont je fis une seconde fois la douce épreuve, je les écoutais avec plus de charme… Mais, hélas ! je l’ai dit, cette félicité, cette joie trop sublime, fut de courte durée ! etc.

Il y a dans ces accents et dans ces effusions quelque chose de Louis XVI et de Ducis, de l’homme excellent, mais qui se noie trop dans les propres affections de son cœur pour pouvoir affronter dès demain la tempête et dominer les flots. Ses cris de douleur et d’étonnement sur l’iniquité et l’ingratitude humaines seront bientôt proportionnés à ses premières expressions de délices et de reconnaissance.

À dater de sa rentrée en France, à la fin de juillet 1789, le crédit de M. Necker ne fit plus que baisser et déchoir rapidement ; les meneurs de l’Assemblée prirent à tâche de le déjouer et de le dépopulariser en détail, en même temps que le parti de la Cour le raillait sans cesse et le piquait avec amertume. Il était entre deux feux. Il continua de rendre des services de chaque jour pour les subsistances de la capitale et pour les expédients du Trésor ; mais il allait être dépassé et annulé en finances par une Assemblée qui décrétait la prise de possession des biens du clergé et l’émission des assignats. Lorsqu’il quitta le ministère, en septembre 1790, et qu’il sortit définitivement de France, un peu plus d’un an après son insigne triomphe, M. Necker était oublié. C’était surtout cette indifférence qui le navrait. Dans cet écrit publié par lui et destiné à la combattre, il énumérait tous les titres qu’il avait à la reconnaissance de la nation, et n’oubliait pas d’y ajouter les comptes d’argent. Il avait toujours été désintéressé en pareille matière ; il avait refusé durant ses divers ministères les appointements de ministre des Finances et tous les avantages qui étaient attachés à cette place ; il ne craignait pas de le rappeler avec un faste qui compensait, certes, le désintéressement : « Ainsi, s’écriait-il, l’Assemblée nationale peut à son aise me montrer de l’indifférence, je n’en resterai pas moins créancier de l’État de plusieurs manières, et jamais je n’ai tant joui de cet avantage, jamais je n’y ai tenu plus superbement. » Ces cris d’orgueil sont fréquents chez M. Necker, et l’on est étonné de trouver tant de superbe chez un homme si religieux et si excellent. Parlant des deux partis qui l’avaient tour à tour et à la fois blessé, du parti aristocratique surtout qui ne lui avait point épargné les sarcasmes amers, il disait, dans la supposition qu’il eût pu en regagner les plus indulgents : « Je ne veux aujourd’hui ni d’eux ni de personne ; c’est de mes souvenirs et de mes pensées que je cherche à vivre et mourir ; et, quand je fixe mon attention sur la pureté des sentiments qui m’ont guidé, je ne trouve nulle part une association qui me convienne. » C’est en ces termes que l’honnête homme blessé s’exaltait lui-même dans le premier soulèvement de sa douleur.

Le livre De l’importance des idées religieuses nous avait montré dans M. Necker un esprit élevé, étendu, compliqué et fin, avec un grand fonds de moralité et d’onction ; son livre Sur l’administration de M. Necker par lui-même nous montre encore quelques-unes de ces qualités, mais jointes à une personnalité excessive, non amère, plutôt naïve, surabondante dans l’expression de ses sentiments, et donnant jour, quand elle s’épanche, à toutes les sensibilités de l’homme privé, à toutes les faiblesses de l’homme public,

Les infortunes des autres, celles surtout de son vertueux roi, vinrent un peu calmer les siennes, et, dans les années suivantes, il a retrouvé la mesure de sa pensée et la possession de sa plume quand il écrit. Les ouvrages qu’il composa depuis à titre de spectateur, et qui ont pour objet la Révolution française observée dans les diverses phases de son développement, contiennent quantité de vues justes, élevées, ingénieuses, et les plus honorables désirs. Pendant le régime de la Terreur, il écrivait des Réflexions philosophiques sur la fausse idée d’égalité ; il exprimait en quel sens, selon lui, on devait entendre que les hommes sont égaux devant Dieu ; et, là encore, on retrouve les traces de cette aristocratie d’esprit dont le chrétien même, en M. Necker, ne se défaisait jamais :

Ô Dieu ! disait-il, tous les hommes sans doute sont égaux devant vous, lorsqu’ils communiquent avec votre bonté, lorsqu’ils vous adressent leurs plaintes, et lorsque leur bonheur occupe votre pensée ; mais, si vous avez permis qu’il y eût une image de vous sur la terre, si vous avez permis du moins à des êtres finis de s’élever jusqu’à la conception de votre existence éternelle, c’est à l’homme dans sa perfection que vous avez accordé cette précieuse prérogative ; c’est à l’homme parvenu par degrés à développer le beau système de ses facultés morales ; c’est à l’homme enfin, lorsqu’il se montre dans toute la gloire de son esprit.

La gloire de l’esprit ! il me semble que ce n’est pas là tout à fait la doctrine de l’Évangile ; il me semble que l’apôtre et, depuis lui, saint Augustin, Bossuet et tous les grands chrétiens, ont noté précisément cette gloire et cette superbe de l’esprit comme un des périls les plus raffinés et les plus à craindre pour les hautes âmes. De là ce mot sur les savants et les philosophes : « Autant ils sembleront s’approcher de Dieu par l’intelligence, autant ils s’en éloigneront par leur orgueil. »

Une fois remis de la tempête et assis sur son rivage, M. Necker redevient un écrivain et un dissertateur politique très distingué ; il analyse et il critique les diverses Constitutions qui se sont succédé en France, celles de 91, de 93, de l’an III, de l’an VIII ; il en relève aisément les vices ou les défauts : c’est alors qu’il propose et confectionne à loisir son idéal de monarchie tempérée et de gouvernement à l’anglaise, dont il s’était assez peu avisé dans le temps où il tenait le gouvernail. Déjoué et rejeté dans le présent, il conclut presque tous ses ouvrages par d’éloquents et confiants appels à l’avenir, lequel est toujours assez vaste et assez obscur pour donner, comme les anciens oracles, des réponses au gré de tous. Son illustre fille, Mme de Staël, s’est chargée depuis d’imprimer aux pensées politiques de son père un cachet de précision et d’à-propos, et de leur prêter une expression d’éclat, en composant ses Considérations sur la Révolution française, qui eurent un si grand succès dans la haute société en 1818, et qui présentèrent une théorie spécieuse à la politique de la Restauration. Ces sortes d’examens sont hors de ma portée et dépassent le genre d’études que je me suis proposé ici. Je n’ai voulu, en effet, que donner idée de la personne, de la forme de talent et d’esprit de M. Necker. Une seule réflexion se présentera, comme une conséquence presque littéraire : il serait singulier que l’homme qui a vu bien des choses d’une manière distinguée, mais si peu conforme au génie français, eût vu juste précisément sur le point le plus difficile de tous, sur la forme de gouvernement la mieux appropriée au génie de la France41.

J’ai dit que M. Necker visita à Genève le Premier consul en 1800 ; voici le passage des Mémoires de Napoléon où il est fait mention de cet entretien :

Le 6 mai 1800, le Premier consul partit de Paris… Il arriva à Genève le 8. Le fameux Necker, qui était dans cette ville, brigua l’honneur d’être présenté au Premier consul de la République française : il s’entretint une heure avec lui, parla beaucoup du crédit public, de la moralité nécessaire à un ministre des Finances ; il laissa percer dans tout son discours le désir et l’espoir d’arriver à la direction des finances de la France, et il ne connaissait pas même de quelle manière on faisait le service avec des obligations du Trésor. Il loua beaucoup l’opération militaire qu’il voyait faire sous ses yeux. — Le Premier consul fut médiocrement satisfait de sa conversation.

Deux ans après (1802), M. Necker publiait ses Dernières vues de politique et de finance. Il continuait à y rendre au Premier consul de publics hommages ; s’appuyant de ces hommages mêmes, considérant le Premier consul comme une éclatante exception, et la Constitution de l’an VIII comme transitoire, il cherchait à trouver par la théorie les bases d’un établissement plus durable. Et c’est ici qu’il se trahit à ravir dans toute l’indécision naturelle de sa pensée : il propose à la fois deux plans parallèles, l’un de parfaite république, l’autre de monarchie exemplaire ; il construit tour à tour ces deux plans avec une grande habileté d’analyse, il les balance, et, les ayant pondérés de tout point, il dit à l’homme proclamé par lui nécessaire : « Prenez l’un de mes projets, ou prenez l’autre. » Puis, si on ne les prend pas, il se console par la vue de son propre idéal, et, comme tous les théoriciens satisfaits, il en appelle à l’avenir et au bon sens qui, tôt ou tard, selon lui42, est le « maître de la vie humaine ». Il est curieux de voir comme on charge toujours les générations futures d’avoir le bon sens qu’on suppose que nous n’avons pas.

M. Necker mourut le 30 mars 1804, dans sa soixante-douzième année. Comme écrivain, il s’était beaucoup formé par l’usage, et il était arrivé à se faire un style : style singulier, fin, abstrait, qui se grave peu dans la mémoire et ne se peint jamais dans l’imagination, mais qui atteint pourtant à l’expression rare de quelques hautes vérités. On y trouve des aperçus déliés en masse. Ce style de M. Necker a prévalu depuis lui dans une école politique et littéraire ; on le reconnaîtrait à l’origine des principaux écrivains doctrinaires de ce temps-ci, et jusque dans bien des parties de la langue imposante et forte de M. Royer-Collard. Que vous dirai-je ? c’est une certaine façon compliquée, un peu subtile, un peu hautaine, de prendre et de présenter les choses, qui n’est pas à l’usage des esprits ordinaires, ni même des esprits très naturels ; c’est le procédé de gens habitués à regarder intuitivement (comme ils disent quelquefois) au-dedans de leur pensée, plutôt qu’à mettre la tête à la fenêtre et à laisser courir leur parole au-dehors. Voltaire, qui n’a fait qu’assister à la naissance de ce style et qui s’en est raillé, ne l’a pas vu dans son développement et dans tout son beau ; il était venu à temps, dans sa jeunesse, pour corriger le goût public du précieux de Fontenelle : il a fait défaut, un siècle après, pour percer à jour cette forme de bel esprit plus sérieuse, et pour faire opposition, par son exemple, à des Fontenelle bien autrement prépondérants. Après Necker et son école, il nous a donc manqué un Voltaire. Mais comme le génie d’une nation, à la longue, l’emporte toujours, il s’est trouvé que, peu à peu, le simple usage a ramené la netteté et a rétabli le courant. Plusieurs de ces écrivains, assez doctrinaires d’abord, se sont guéris d’eux-mêmes en continuant d’écrire et en corrigeant leur premier style par l’habitude de la parole. On peut dire que l’esprit français a fait insensiblement l’office d’un Voltaire universel, qui a eu raison, à la fin, du savant défaut dont il s’agit. La langue est bien loin d’être en sûreté, sans doute ; mais, le péril pour elle n’est plus de ce côté.