(1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Police générale d’une Université et police, particulière d’un collège. » pp. 521-532
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(1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Police générale d’une Université et police, particulière d’un collège. » pp. 521-532

Police générale d’une Université et police
particulière d’un collège.

Une université doit avoir un chef ou un inspecteur général des mœurs et des études.

Cette fonction doit être remplie par un homme d’État, distingué, expérimenté et sage. C’est à son tribunal que seront portées toutes les affaires contentieuses, pour être décidées en dernier ressort par Sa Majesté Impériale ou par son conseil.

Le premier pas de la sagesse de nos jours a été de rapporter tout à la culture de la terre ; le second pas qui lui reste à faire, c’est de sentir l’importance de l’éducation publique ou de la culture de l’homme.

Qu’il ne se fasse aucune innovation ni dans l’ordre des études ni dans les règlements, sans la sanction expresse de la souveraine.

Que ces règlements soient examinés et confirmés tous les cinq ans, non pour changer l’ordre de l’enseignement qui doit être éternel, s’il est bon, mais pour en perfectionner l’exécution.

Dans chaque collège, s’il y en a plusieurs, il faut un principal dont la fonction soit de surveiller les maîtres et d’ordonner de toute l’administration de la maison.

Sous le principal, un préfet ou un surveillant des écoliers, un économe et un chapelain.

Le préfet ne surveille les étudiants que hors des écoles, c’est une espèce de lieutenant de police.

Je ne m’étendrai point sur les devoirs de ces supérieurs, ils seront détaillés dans les règlements, et il n’y a rien qui distingue leurs devoirs de ceux que Sa Majesté Impériale a prescrits aux maîtres qui dirigent ses autres établissements sous des noms différents.

Chaque classe d’étudiants aura son enceinte particulière et séparée et pendant le temps des études sous les professeurs et au sortir des études.

Au sortir des études, les élèves passeront sous un nouvel ordre de maîtres que nous appelons ici maîtres de quartier ou répétiteurs.

Chaque classe a son répétiteur ou maître de quartier comme elle a son professeur.

La fonction de maître de quartier participe de celle du professeur et de celle du préfet : il fait la police comme le préfet lorsque le mauvais temps renferme les élèves dans l’intérieur de la maison et que les récréations ne se font pas en plein air.

Il préside aux études que les élèves font hors des classes dans l’intérieur. Il leur fait répéter la leçon de la classe. C’est lui qui répond, aux professeurs, de la diligence et des progrès des étudiants ; au principal, de la conservation de leurs mœurs : c’est à lui à prévenir la licence du jour et de la nuit.

Pour bien entendre les fonctions de maître de quartier, il faut se faire une idée nette de la journée de l’étudiant.

Dans la classe, l’étudiant est sous le professeur. Hors de la classe, en récréation générale, en plein air, il est sous le préfet.

Hors de la classe, en étude, il est sous le maître de quartier. En récréation particulière et intérieure, il est encore sous le maître de quartier.

Hors de la classe, en étude, ou il se prépare seul, en silence, à la répétition des leçons qu’il a reçues dans la classe, ou il est en répétition ; c’est à ce moment que le maître de quartier fait exactement dans l’intérieur la fonction d’un professeur.

Jusqu’à l’âge de quinze ans, les élèves sont rassemblés pour l’étude intérieure dans de grandes classes communes. Chaque classe a sa salle. Passé quinze ans, chaque étudiant a sa petite cellule particulière.

Le maître de quartier doit être presque aussi instruit que le professeur, car un de ses devoirs est de le remplacer lorsqu’il est indisposé ; de même que le devoir du préfet est de suppléer en pareil cas le professeur et le maître de quartier.

L’attente du maître de quartier ou répétiteur est de devenir professeur à la vacance d’une chaire, et lorsqu’on n’aura rien de grave à lui reprocher ; il est important que son attente ne soit pas trompée. C’est un professeur en survivance, mais seulement à la classe qu’il aura répétée.

J’ai suivi jusqu’ici l’ordre et la discipline de nos collèges, parce que j’en ai connu par mon expérience l’utilité pour les bonnes mœurs et pour les progrès dans la science.

La journée du collège.

Un philosophe ancien disait : Je commande à toute la Grèce, car je commande à Aspasie, qui commande à Périclès, qui commande à toute la Grèce.

Il y a dans toute maison commune un subalterne qui commande à une Aspasie qui commande despotiquement à tous, et cette Aspasie, c’est la cloche. La cloche commande aux supérieurs, aux maîtres, aux préfets, aux répétiteurs, aux étudiants aux domestiques, à tous.

La cloche sonne, et des domestiques ad hoc répètent, le matin, son ordre suprême à toutes les portes, frappant jusqu’à ce qu’on leur ait répondu.

Les heures du lever et du coucher sont fixées pour l’hiver et pour l’été. Dans nos collèges, les étudiants se lèvent à cinq heures et demie. On peut accorder un peu plus de sommeil aux basses classes.

Les étudiants seront éveillés à cinq heures et demie, et la prière sera faite dans chaque salle à six heures.

A six heures, ils s’habillent et ils étudieront en particulier jusqu’à six heures trois quarts.

A six heures trois quarts, ils seront en répétition sous les maîtres de quartier jusqu’à sept heures trois quarts.

A sept heures trois quarts, ils déjeuneront et se récréeront, chaque classe dans sa salle, intérieurement jusqu’à huit heures et demie.

A huit heures et demie, ils entreront dans les classes du premier cours d’études, chacun dans sa classe séparée et sous son professeur, et ils y resteront jusqu’à dix heures et demie.

A dix heures et demie, ils se retireront dans l’intérieur, où ils se récréeront un moment, et s’appliqueront ensuite à leurs études particulières jusqu’à onze heures trois quarts.

A onze heures trois quarts, ils dîneront jusqu’à midi trois quarts.

A midi trois quarts, récréation générale de tous les étudiants ensemble, en plein air, s’il fait beau, ou récréation intérieure de chaque classe dans sa salle, s’il fait mauvais temps, jusqu’à une heure et demie.

A une heure et demie, ils rentreront, s’ils sont en plein air, ou ils se placeront en silence dans leur salle pour y travailler séparément jusqu’à deux heures et demie.

A deux heures et demie, ils se rendront tous dans les classes du second cours d’études, où ils resteront jusqu’à quatre heures et demie.

A quatre heures et demie, ils passeront tous au troisième cours d’études, à la classe de dessin, où ils resteront jusqu’à cinq heures et un quart.

A cinq heures et un quart, goûter et récréation générale ou particulière jusqu’à six heures.

A six heures, retraite et étude particulière jusqu’à six heures trois quarts.

A six heures trois quarts, répétition chez les maîtres des leçons des deux premiers cours d’études, jusqu’à sept heures trois quarts.

A sept heures trois quarts, récréation jusqu’à huit heures.

A huit heures, souper jusqu’à huit heures trois quarts. .

A neuf heures, la prière sera faite ; les étudiants seront tous couchés à neuf heures un quart et la journée studieuse sera finie.

Jours de vacances des classes et cessation d’études
pour les maîtres et pour les étudiants.

Les classes seront fermées et il y aura suspension de travail pour les maîtres et pour les élèves le mercredi et le samedi, seulement l’après-midi et jusqu’à six heures.

A six heures, retraite et étude particulière jusqu’à six heures trois quarts.

A six heures trois quarts, répétition chez les maîtres de quartier jusqu’à sept heures trois quarts.

Ces deux demi-journées seront employées à toutes sortes de jeux. Le repos est nécessaire aux maîtres et l’exercice aux élèves. Entre les élèves, les enfants de la campagne sont plus robustes que les enfants des villes ; entre les enfants des villes, ceux du peuple et des artisans sont plus vigoureux que ceux des riches bourgeois ; les plus faibles et les moins sains sont les enfants des grands. Tout se compense.

La vie sédentaire de l’homme d’étude ; la méditation, exercice le plus contraire à la nature, sont en même temps des sources de maladies particulières ; la stagnation des humeurs en amène l’altération, et le corps se corrompt tandis que l’âme s’épure ; cela est triste.

Objection et réponse.

Voilà, dira-t-on, une journée bien laborieuse.

  • — Cela se peut, mais qu’importe ? Est-ce qu’il est si nécessaire qu’il y ait un grand nombre de savants ? Est-ce que la journée du manufacturier, du commerçant, du magistrat, du laboureur est moins pénible ? Est-ce que la science s’acquiert sur un oreiller ?

Cependant les occupations sont coupées par des relâches  ; les études sont variées, et c’est l’application assidue à une seule chose qui ennuie, fatigue et dégoûte l’homme et l’enfant.

Quintilien, auteur d’un grand sens, assure qu’un enfant

sera moins lassé de quatre leçons différentes112 par jour que d’une seule qui remplirait la durée de quatre.

Des élèves.

Il n’y aura point d’âge fixe pour être reçu dans les écoles. L’éducation de nos ancêtres ne précédait guère l’âge de quinze ans ; avant que de s’occuper de la culture de l’esprit ils songeaient à la force du corps.

On exigera seulement que l’enfant qui se présente soit instruit de ce qu’on doit avoir appris ou dans la maison paternelle ou dans les petites écoles.

On examinera s’il sait bien lire, si son caractère d’écriture est bon, s’il sait orthographier passablement, s’il connaît les chiffres de l’arithmétique et s’il n’ignore pas les premiers principes de sa religion.

Il y aura trois sortes d’élèves : des pensionnaires, des boursiers et des externes.

Les pensionnaires habitent le collége, y sont logés, instruits et nourris aux frais des parents.

Les externes n’y sont qu’instruits. Ils sortent de la maison de leurs parents pour venir aux écoles, et au sortir des écoles ils retourneront chez leurs parents.

Les boursiers, commensaux du collége, ne différent des pensionnaires qu’en ce qu’ils sont logés, vêtus, nourris, instruits, défrayés de toutes dépenses par la bienfaisance de quelque homme riche qui a fondé les places qu’ils occupent.

On ne peut trop encourager les grands seigneurs à un aussi digne emploi de leur superflu. Sa Majesté impériale ne manquera certainement pas de leur en donner l’exemple.

Mais il ne faut pas absolument que ces places ou bourses soient à la nomination des fondateurs ; on rejettera leurs offres, ou ils renonceront à un privilége qui remplirait une école d’ineptes protégés.

Ces bourses seront mises au concours public ou accordées à un mérite constaté par un examen rigoureux. Il ne faut pas perdre du temps et des soins à cultiver l’esprit bouché d’un enfant à qui la nature n’a donné que des bras qu’on enlèverait à des travaux utiles.

Il est à propos que les commensaux de la maison, pensionnaires ou boursiers, soient distingués des externes par un vêtement particulier, de crainte que, dans le tumulte de la sortie des écoles, les premiers, confondus avec ceux-ci, ne trompent la vigilance des portiers et ne s’échappent.

Le préfet doit être présent à l’entrée et à la sortie des classes.

Un point important sur lequel j’insisterai, c’est que des députés du sénat se transportent quatre fois par an dans chacune des classes, qu’ils fassent prêter serment aux professeurs et aux maîtres de quartier de dire vérité, et que ceux-ci leur indiquent les sujets ineptes qu’il faut chasser de l’école et renvoyer à leurs parents.

J’entends par un sujet inepte celui qui n’a ni bonne volonté ni talent. Il vaut mieux risquer d’égarer le génie que d’enlever aux professions subalternes une multitude d’enfants pour les livrer à tous les vices qui suivent l’ignorance et la paresse.

Ce règlement de police diminuera successivement le nombre des élèves, depuis la première classe jusqu’à la dernière, la classe des langues anciennes où se fabriquent les poètes et les orateurs ; et tant mieux.

Il faut considérer toutes les classes comme une seule grande qui a ses différentes divisions, et le séjour des élèves dans chacune des divisions ne doit se régler que sur leurs progrès. Il y a des élèves d’une conception précoce et facile, d’autres dont l’esprit est tardif et d’une marche lente ; il y en a d’appliqués et de dissipés, et qu’il faut par conséquent ou arrêter dans la même division ou transporter dans la division qui suit.

Ne pas laisser un étudiant avancer un pas dans la carrière qu’il ne sache ce qui précède aussi bien qu’il est capable de l’apprendre.

Au bout de l’année chaque classe se trouvera composée de nouveaux et de vétérans. Point de vétérans de trois années.

C’est assez l’usage ici de faire doubler la troisième classe de l’étude des langues et la classe de rhétorique.

Il vaut mieux savoir peu et bien, même ignorer, que de savoir mal ; la fausse science fait les entêtés et les confiants ;

l’ignorance absolue dicte la circonspection et inspire la docilité.

Que les étudiants soient bien convaincus que la durée de leurs études dépend absolument de leur application, et que l’exécution rigoureuse de ce règlement tempère l’ambition des parents jaloux de tirer leurs enfants de la condition subalterne qu’ils exercent et de leur procurer l’éducation du sacerdoce, de la médecine ou de la magistrature.

Rien n’est plus funeste à la société que ce dédain des pères pour leur profession et que ces émigrations insensées d’un état dans un autre.

Rien d’arbitraire ni pour la matière des leçons ni pour leur durée.

Rien d’arbitraire ni pour les châtiments ni pour les récompenses.

Point de châtiments corporels ; récompenser les bons, c’est commencer la punition des méchants.

Un petit code pénal des fautes contre la discipline, les mœurs et les études obvierait à la partialité et à la sévérité déplacées et épargnerait aux maîtres la haine des coupables punis par la loi. Ce code instruirait aussi les élèves de leurs devoirs et des peines qu’ils encourront s’ils y manquent.

Que les fautes contre la discipline soient plus sévèrement punies que les fautes contre les mœurs et celles-ci plus sévèrement encore que celles contre les études.

J’inclinerais à ce que les fautes des élèves fussent déférées par les maîtres au chapelain.

La fonction de ce chapelain, les jours de fêtes et les dimanches, après la célébration de l’office divin, serait d’encourager les étudiants à la science et aux vertus.

Exhortateur et censeur, il ferait publiquement l’éloge des élèves qui se seraient distingués pendant la semaine, il les nommerait ; il nommerait aussi les ignorants, les paresseux, les vicieux qu’il apostropherait sans ménagement. Il serait à souhaiter que ce chapelain eût un peu de chaleur et d’éloquence.

Son exhortation et sa censure finiraient par la lecture des articles du code contre lesquels les élèves auraient failli. C’est lui qui prononcerait la peine, c’est lui qui distribuerait les prix de science et de vertus.

Son texte du jour serait de l’utilité des articles enfreints et

de la justice du châtiment. S’il y avait quelque acte de vertu à récompenser, il en ferait aussi l’éloge.

Les autres jours il pérorerait sur les devoirs des supérieurs, des maîtres, des élèves et même des domestiques.

Dans toutes les classes, la matinée du samedi, il y aura répétition de l’enseignement de toute la semaine, et les rangs d’honneur ou d’ignominie seront dispensés entre les élèves en conséquence de cette répétition.

Il faut instituer des marques distinctives de la diligence, il faut décerner des prix, et il importe un peu plus, ce me semble, de récompenser une action honnête qu’une leçon bien apprise. Dans la législation des peuples et dans celle des écoles, on dirait que la vertu n’est rien.

Il faut surtout créer des espérances pour l’avenir, en désignant à des places publiques, au sortir du cours, ceux des élèves qui se seront distingués. Un des vices de notre éducation, c’est de ne mener à rien, à aucun des grades de la société.

Quatre fois l’an il y aura examen des élèves en présence des sénateurs ou magistrats ; cet examen précédera la prestation de serment des maîtres et l’expulsion des ineptes.

Deux fois l’an, il y aura exercices publics de chaque classe. Des programmes imprimés en exposeront la nature et inviteront tous les citoyens à y assister ; et ce qu’il importe bien davantage d’ordonner, c’est que tous les élèves de la classe, ignorants ou instruits, soient indistinctement exposés à répondre aux questions des assistants : moyen excellent d’honorer la diligence, de punir la paresse des élèves et de soutenir l’émulation des maîtres.

Les exercices publics se feront sur les trois cours parallèles de l’éducation publique.

Autre avantage d’un enseignement varié :

Les étudiants n’ont pas une égale aptitude à tout. L’un, doué d’une mémoire prodigieuse, fera des progrès rapides en histoire et en géographie. Un autre, plus réfléchi, combinera avec facilité des nombres et des espaces, et s’instruira, presque sans travail, de l’arithmétique et de la géométrie. Si l’enseignement n’a pendant toute sa durée qu’un seul et unique objet, l’étudiant à qui la nature n’aura donné que peu ou point d’aptitude à cette étude, sera constamment humilié et découragé ; mais si l’enseignement embrasse plusieurs objets à la fois, après son moment de honte viendra son moment de triomphe et de gloire, et ses parents s’en retourneront de l’exercice public avec quelque consolation.

Dans nos écoles où l’on n’enseigne pendant cinq ou six ans de suite que les langues anciennes, trois ou quatre élèves supérieurs éteignent toute émulation dans les autres.

Dans le cours de la journée studieuse, chacun des élèves déployant son aptitude naturelle, il n’y en aura aucun qui garde constamment la supériorité, et ils auront tous un motif de s’estimer réciproquement.

Des maîtres.

Un moyen sûr de juger d’une école, c’est de voir si les élèves qu’on y fait promettent un jour de bons maîtres. Si elle conduit à ce terme, elle est bonne, si elle n’y conduit pas, elle est mauvaise.

Quelles sont les qualités à désirer dans un bon maître ? la science approfondie de la matière qu’il doit enseigner, une âme honnête et sensible.

Si la place d’un maître est importante par son honoraire et par son rang distingué entre les conditions de la société, si cet honoraire est toute sa ressource, s’il se déshonore et se ruine en perdant son état, il en aura ou en simulera les vertus. Tirons de l’intérêt et de l’amour-propre ce que nous aimerions mieux tenir d’une bonne nature.

Entre les maîtres point de prêtres, si ce n’est dans les écoles de la faculté de théologie. Ils sont rivaux par état de la puissance séculière, et la morale de ces rigoristes est étroite et triste.

Les embarras du mariage n’empêchent point un ouvrier de travailler, un avocat de suivre le Palais, un magistrat ou un sénateur de vaquer aux affaires publiques ; ils ne seront pas plus gênants pour un maître de quartier ou pour un professeur. Le professeur et le maître de quartier pourront donc être ou célibataires ou mariés. S’ils ont des enfants, tant mieux, pères de famille, ils n’en seront que plus doux et plus compatissants pour les élèves.

III. 34

Le célibataire logera ou ne logera pas dans l’intérieur de la maison, à sa volonté.

L’homme marié aura son logement au dehors ; point de femmes dans un collége ; le mélange des deux sexes ne tarde point à y introduire les mauvaises mœurs et la division. Mais parce qu’un maître est chargé d’une famille nombreuse il ne faut pas que ses avantages soient moindres que ceux du célibataire ; on lui payera son logement. Ce que je dis ici des maîtres doit s’étendre à tous les autres commensaux de la maison.

Je ne demande à un maître que de bonnes mœurs qu’on exige de tout citoyen, que les lumières que l’enseignement de son école suppose, et qu’un peu de patience qu’il aura, s’il veut bien se rappeler qu’il fut autrefois ignorant.

Les élèves passeront d’une classe à une autre, mais chaque maître restera dans la sienne.

Point d’autre inspecteur absolu de l’éducation publique que l’État ; c’est à l’État à nommer, continuer ou changer le recteur et les principaux, à déposer les professeurs, à chasser les répétiteurs ou maîtres de quartier, et à exclure des écoles les enfants ineptes ou vicieux.

Si l’Université était composée de plusieurs colléges, je ne serais pas éloigné d’assujettir les élèves ou leurs parents à une légère rétribution payable par trimestre. Le gratis de l’enseignement public a abâtardi nos professeurs ; que leur importe en effet d’avoir peu ou beaucoup d’écoliers, de faire bien ou mal leur devoir ? ils ont moins de peine et ils sont également salariés.

Un autre avantage de cette petite dépense, ce serait de diminuer le nombre des étudiants qui ne sera jamais que trop grand, quelles que soient à l’avenir les circonstances de la nation. La facilité d’entrer dans les écoles publiques, l’ambition des parents, leur avarice qui leur fait préférer à tout apprentissage celui qui ne coûte rien, tire une multitude d’enfants de la profession de leurs pères, de grandes maisons de commerce s’éteignent, d’importantes manufactures tombent ou dégénèrent, des corps de métiers s’appauvrissent, et pourquoi cela ? pour faire un docteur.

La faute d’un maître ne doit jamais être traitée légèrement ; point de rémission pour un maître vicieux. Pères, l’indulgence déplacée pour l’instituteur de vos enfants retombera sur eux et sur vous ; souverains, l’indulgence deplacée pour de mauvais instituteurs retombera sur l’espoir de votre nation et sur vous.

Je ne dirai qu’un mot sur la manière d’enseigner, c’est que si les élèves connaissaient mieux la fatigue des maîtres, ils supporteraient plus aisément la leur. Au lieu d’affecter une supériorité de savoir, il vaudrait mieux avoir l’air d’étudier et, de travailler avec eux ; c’est ainsi qu’en apprenant on les familiariserait avec l’art de montrer.

Exemple. Qu’un maître qui résout à son élève un problème d’arithmétique ou de géométrie fasse une fausse supposition, qu’il la reconnaisse, qu’il revienne sur ses pas, qu’il avance et qu’il découvre enfin la vérité qu’il cherchait, je pense qu’il instruira mieux son élève qu’en y arrivant par une marche rapide, sûre et non tâtonnée.

Il y a bien de la différence entre une erreur d’ignorance ou d’inadvertance et une erreur faite d’industrie ; celle-ci tient en garde l’élève : s’il l’aperçoit, sa petite vanité est satisfaite, elle l’habitue à se méfier, elle le forme insensiblement à la recherche de la vérité, elle lui inspire l’esprit d’invention ; l’autre perd le temps et ne rend que du mépris. L’erreur d’industrie pallierait quelquefois l’erreur involontaire et dispenserait le maître de rougir.

Cette méthode d’enseignement en apparence perplexe, douteuse, vacillante, est tout à fait socratique.

Il ne suffit pas que les maîtres soient honnêtement stipendiés, il serait encore à propos de pourvoir au temps de la vieillesse et des infirmités. L’assurance d’une pension viagère après un certain nombre d’années de bons services, les rendrait attentifs à leurs devoirs, les attacherait à leur place et les soutiendrait contre le dégoût de leurs fonctions.

Je n’ose rien prononcer sur la permission ou la défense de recevoir des présents ou autres gratifications des parents ; la permission autorise l’abus, la défense ne l’empêche pas, et c’est une mauvaise loi qu’une loi prohibitive qui n’a point d’exécution.

Et des maîtres, comment s’en pourvoit-on ? Pour le moment on en appelle de toutes les contrées ; bons, médiocres, mauvais, qu’ils aient des mœurs, cela suffit. On les stipendie largement,

On envoie des élèves à Leyde, à Leipsick, à Londres, à Paris, on les soumet à un honnête homme qui les renferme dans une même maison et qui veille à la conservation de leurs mœurs et à leurs progrès dans les sciences.

On encourage par des prix les habitants des contrées instruites à l’étude de la langue russe.

On propose tant, à celui qui se rendra à Moscou ou à Pétersbourg avec une connaissance suffisante de la langue russe pour montrer la géométrie ; tant, à celui qui, pourvu de la même langue, sera en état de professer ou la médecine, ou la jurisprudence, ou les beaux-arts ; et tenez pour certain que si ces invitations sont constamment réitérées et ces promesses fidèlement tenues, elles produiront leur effet.

Arrêter le plan de l’édifice pour le temps où l’on est et, pour l’avenir, en jeter les fondements, élever quelques pans de mur et abandonner à ses successeurs le reste de l’exécution.