(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 120-124
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 120-124

DELILLE, [Jacques] Abbé, Professeur au Collége de la Marche, né en 17.. a débuté dans la carriere des Lettres par des Odes & des Epîtres qui ne le distinguoient de ses Rivaux, que par une versification heureuse & pittoresque.

La vraie source de sa réputation littéraire est sa Nouvelle Traduction en Vers des Géorgiques de Virgile Ouvrage qui lui fait autant d’honneur auprès des esprits capables de sentir les difficultés qu’il avoit à vaincre, qu’il eût pu en recueillir d’un Ouvrage de son invention. En général, il paroît animé du feu de son Modele. Il l’égale quelquefois, & on voit qu’il eût pu l’égaler plus souvent, si le génie de notre langue n’étoit point inférieur à celui de la langue de Virgile. Le Traducteur est sur-tout admirable dans les morceaux techniques, qu’il rend avec autant de précision, que d’élégance & de naturel.

Il seroit à souhaiter qu’il eût également réussi dans les morceaux de sentiment. On ne sauroit se dissimuler qu’il les défigure le plus souvent par une touche seulement nerveuse, lorsqu’elle devroit avoir ce moëlleux d’expression, cette douceur d’harmonie, cette vivacité de coloris, le vrai charme du Cygne de Mantoue : mais, comme l’a dit Horace,

Ubi plura nitent in carmine, non ego paucis
Offendar maculis.

On sait que M. Clément a fait une critique de cette Traduction. Ses Observations en général nous ont paru très-judicieuses, mais un peu trop séveres ; car si, comme il le dit lui-même dans un Ouvrage qu’il a donné depuis, les anciens Poëtes ne sauroient jamais être traduits que très-difficilement & toujours très-imparfaitement, on doit avoir de l’indulgence pour un Traducteur qui a su faire passer dans notre langue une partie des beautés de son original. Quoi qu’il en soit, la bonne foi avec laquelle M. l’Abbé Delille est, dit-on, convenu de ses fautes ; sa docilité à les réparer ; son honnêteté à l’égard de son sévere Censeur, sont des leçons pour la plupart de nos Poëtes, & un devoir d’imiter ses procédés, s’ils ne peuvent égaler ses talens.

Il faut bien se garder de confondre avec le Traducteur des Géorgiques, un certain M. Delille, Ex-Oratorien, Auteur d’une Traduction inexacte & plate de Suétone ; d’une prétendue Philosophie de la Nature, qui n’est que l’écho infidele de ce qui a été dit mille fois d’une maniere plus simple & plus précise ; & enfin d’une Poétique sur la Tragédie, qu’on n’auroit pas été tenté d’attribuer à un Poëte, quand même l’Auteur n’auroit pas mis sur le frontispice en très-gros caractere, PAR UN PHILOSOPHE. Peut-être a-t-il cru donner, par ce titre, une recommandation à son Ouvrage, très-éloigné de faire honneur à la Philosophie*.

On connoît un troisieme Auteur du même nom, à qui le Théatre Italien doit trois Pieces qui prouvent du talent, & dont voici le titre : Arlequin sauvage, le Faucon, Timon le misanthrope.