Chapitre VI.
Des dictionnaires Historiques
Pour juger sainement des Dictionnaires historiques, dit l’Abbé Desfontaines, il faut examiner si leurs auteurs ont choisi ce qui étoit intéressant, indiqué les véritables sources & marqué des dattes sures. C’est sur ce principe que je me réglerai, en vous parlant des différentes collections historico-alphabétiques.
Les premier qui a donné un ouvrage en ce genre, n’est point Moréri, comme le prétend M. de V. Nous avions auparavant un Dictionnaire historique françois, par un nommé Juigné en un vol. in-4°. de plus de douze cens pages, imprimé à Paris en 1644. Ce livre est peu connu, il ne mérite pas de l’être davantage. C’est un fatras d’histoire & de mythologie, compilé par un homme sans goût, sans esprit, sans critique. Il y a des minuties puériles, des faits avancés d’après les auteurs les plus crédules, des fables rabbiniques indignes de toute croyance. Juigné jouit pourtant des honneurs de la réimpression, parce qu’alors on n’avoit rien de mieux ni en françois, ni en latin.
On ne fut guéres plus riche, lorsque Moreri eut donné son Dictionnaire historique en 1673. in-fol. Ce n’est pas que l’auteur ne se fût donné beaucoup de peine pour compiler tout ce qui pouvoit avoir rapport à son but ; mais il manquoit d’ordre & de critique. Il étoit jeune. Il n’avoit eu ni le tems de se former le style, ni celui de peser les faits dans une balance exacte. La seconde édition qu’il avoit préparée & qui ne parut qu’après sa mort en deux vol. in-fol., étoit très-supérieure à la premiere. Il y en a eu beaucoup d’autres ensuite, & on a tellement multiplié les recherches inutiles, les fausses généalogies, les articles de savans inconnus, les détails sur des choses qui n’intéressent personne que le Dictionnaire de Moreri, est aujourd’hui en dix vol. in-fol. On ne peut douter que dans cette immensité il n’y ait du bon ; mais il auroit fallu le séparer du mauvais dans la derniere édition. On pouvoit facilement retrancher quatre volumes in-fol. Il n’en auroit pas été moins utile, il auroit été beaucoup mieux fait, & moins cher.
Le fameux Bayle ayant dessein de publier un Dictionnaire historique d’un goût nouveau, avoit plusieurs fois montré les défauts de celui de Moreri. Il donna enfin le sien en 1693. & il eut le plus grand succès. Son but avoit été d’exposer en peu de mots les principales circonstances de la vie d’un homme illustre & les faits curieux dignes d’exercer la critique, & de les développer ensuite dans d’abondantes remarques mises au bas des pages. Un tel commentaire demandoit de vastes compilations, une lecture universelle, une mémoire heureuse, la connoissance des hommes & des livres, un bon goût d’érudition, un esprit philosophique, une imagination vive & brillante. Bayle avoit toutes ces qualités ; mais comme le dit M. de V. il écrivoit Currente calamo pour son Libraire. Il sçavoit multiplier les volumes ; & au lieu d’un in folio, il en donna quatre remplis le plus souvent des contes les plus frivoles, des remarques les plus minutieuses, des saletés les plus révoltantes. Il enfla son énorme recueil de plus de six cens articles de ministres luthériens, de professeurs calvinistes, de commentateurs allemands que personne ne connoît, ni ne veut connoître. Cherchez l’article de César, vous trouverez Jean Cesarius, professeur à Cologne, & au lieu de Scipion, vous aurez six grandes pages sur Gerard Sciopius. Un défaut plus essentiel, c’est que la religion est très-peu ménagée dans le Dictionnaire de Bayle. Il n’y a pas peut-être un seul blasphême évident contre le Christianisme dans tout son livre ; mais il n’y a pas une seule page, dans les articles des anciens philosophes & des hérétiques, qui ne conduise le lecteur au doute & souvent à l’incrédulité. Il ne se démontre pas ouvertement impie ; mais il fait des impies en mettant les objections contre nos dogmes dans un jour si éclatant, qu’il n’est pas possible à une foi médiocre de n’être pas ébranlée. Et c’est surtout dans ces articles dangereux, qu’il fait briller le plus sa dialectique & le talent de développer. Il se comparoit au Jupiter assemble nuages d’Homére. En effet, personne n’a jamais fait élever autant de brouillards autour de la vérité.
Bayle a trouvé un continuateur, quoique cette entreprise eût dû paroître bien téméraire. M. de Chauffepié, ministre à Amsterdam, a donné en 1750. & années suivantes quatre vol. de supplément, dont la plus grande partie est traduire de l’anglois. Cet auteur respecte la religion, & il différe en cela de Bayle. Mais il lui ressemble encore moins par le style. Le sien est lourd, incorrect & quelquefois embarrassé. Ses articles offrent de recherches curieuses & multipliées ; mais la plûpart sont chargés d’inutilités & de matieres disparates. Cependant, comme il y a dans cette compilation des choses qui ne se trouvent point ailleurs, il faut l’avoir dans une Bibliothèque.
On peut y placer encore le Dictionnaire historique, ou Mémoires littéraires & critiques de Prosper Marchand, publié en 1758. in-fol. Cet ouvrage intéresse particuliérement ceux qui sont curieux de détails bibliographiques & de longues discussions sur de très-petits objets de littérature. L’érudition de l’auteur est immense ; mais son style est dur, amer, & ses phrases épuisent la poitrine. C’est une compilation indigeste qui offre des recherches peu communes sur des objets ignorés par le plus grand nombre des lecteurs.
Toutes les grandes collections ont eu des abréviations. On a abrégé les Dictionnaires historiques, ainsi que tous les autres recueils volumineux. M. l’Abbé Ladvocat donna en 1752. un Dictionnaire historique portatif, en deux volumes in-8°. qui eut beaucoup de succès. On sentoit bien que ce livre étoit imparfait, qu’il étoit écrit avec sécheresse, qu’il étoit très-défectueux, & que l’abréviateur, beaucoup plus familiarisé avec les scholastiques qu’avec les bons écrivains, connoissoit peu la fleur de notre littérature. Mais on n’eut pendant dix ans que ce livre, & l’on s’en servoit, tout imparfait qu’il étoit.
On voulut réparer les imperfections de ce lexique. On donna un Dictionnaire historique littéraire & critique, en six gros vol. in-8°. 1759., 1760. L’auteur, M. Barral, se proposoit de suppléer aux omissions de l’Abbé Ladvocat. Il se flattoit d’avoir évité l’air décharné de l’abréviateur de Moreri ; d’avoir corrigé ses infidélités, relevé ses erreurs, repoussé ses calomnies, &c. Mais, comme il étoit du parti opposé à celui que M. Ladvocat avoit embrassé, il tombe dans des excès de louange & de satyre, peu convenables à un livre dont le premier mérite doit être l’impartialité. L’enthousiasme, l’emportement, l’esprit de parti, dit M. de Querlon, rendent l’usage de ce Dictionnaire assez dangereux ou peu sûr.
Ce ne sont ni des Jansénistes, ni des Molinistes qui ont dirigé le Nouveau Dictionnaire historique portatif, imprimé à Avignon en 1766. en 4 vol. in-8°., réimprimé à Rouen en 1769., & dont on va donner deux éditions à Paris in-4°. & in-8°. C’est un homme de lettres que sa situation n’ayant pas mis à portée de se laisser prévenir, a tâché de n’avoir d’autre intérêt que celui de la vérité. Son but a été d’exposer sans flatterie & sans amertume ce que les écrivains les plus impartiaux ont pensé sur le génie, le caractère & les mœurs des hommes célébres dans tous les genres. Il faut espérer que l’auteur justifiera dans la nouvelle édition l’accueil que le public a fait à son livre, & qu’il tâchera de mériter de nouveau son suffrage, en corrigeant les dattes défectueuses, & les erreurs de nom qui se glissent si facilement dans un ouvrage si long & si varié.
On a publié en 1768. deux Dictionnaires qui peuvent être mis dans la classe des historiques. Le premier est le Dictionnaire des portraits historiques, anecdotes & traits remarquables des hommes illustres, par M. Lacombe de Prezel. Le second est intitulé : Dictionnaire des dits & faits mémorables, de l’histoire ancienne & moderne, en deux volumes in-8°., par M. Lacroix. Quoique ces deux ouvrages rentrent l’un dans l’autre, on les a lus avec plaisir, parce que les anecdotes dont ils sont semés servent à faire connoître le cœur humain. Les faits particuliers que quelques esprits superficiels affectent de dédaigner, sont quelquefois préférables aux faits les plus brillans de l’histoire. Ceux-ci ne font qu’étonner l’esprit, au lieu que les autres deviennent pour un esprit philosophique un sujet d’étude. Il faut prévenir pourtant le public que presque tous les faits & toutes les anecdotes rapportées par les deux écrivains, se trouvent dans le Dictionnaire historique, ou histoire abrégée des hommes qui se sont fait un nom par le génie, les talens, les vertus, les erreurs, &c. dont nous avons parlé dans l’alinéa précédent. Ainsi ce lexique peut suffire, mais il faut avoir attention d’acheter l’édition de Paris, 1771., augmentée d’un très grand nombre d’articles nouveaux, & revue avec beaucoup de soin.
M. de Bonnegarde a publié cette même année, 1771., un Dictionnaire critique, ou recherches sur la vie & les opinions de plusieurs hommes célébres, tirées des Dictionnaires de M. M. Bayle & Chauffepié, en quatre vol. in-8°. Cet ouvrage, dans lequel on a recueilli les morceaux les plus agréables & les plus utiles de ces deux auteurs, ne renferme qu’un certain nombre d’articles choisis, traités avec plus ou moins d’étendue, suivant ce que l’auteur a trouvé à en dire de nouveau. C’est tantôt un supplément, tantôt une réfutation des autres Dictionnaires historiques. On discute des anecdotes, on donne des idées plus justes du caractère de certains personnages qu’on avoir ou trop loués, ou trop critiqués. Ainsi ceux qui aiment la vérité ne peuvent s’empêcher d’acheter un ouvrage, où on l’a dite avec autant de sincérité que d’exactitude.