(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 211-219
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 211-219

Barruel, [Augustin de] Aumônier de Madame la Princesse de Conti, né à Villeneuve, dans le Vivarais, en 1741.

Celui-ci est moins connu que ses Ouvrages, qui sont fort répandus & qui méritent de l’être. Il a dédaigné d’y mettre son nom, parce qu’il est moins jaloux de la célébrité, qu’animé du désir de se rendre utile. C’est ce qui paroît sur-tout par ses Lettres Helviennes ou Provinciales philosophiques ; espece de correspondance littéraire & critique, entre un Chevalier bel-esprit, & une Baronne qui désire d’être initiée dans les mysteres de la Philosophie moderne. Cet Ouvrage est un des plus piquans qu’on ait publiés contre les Auteurs systématiques de nos jours. M. l’Abbé de Barruel semble s’être proposé pour modele les fameuses Lettres de Pascal, & il faut convenir qu’il se montre souvent le digne émule de ce Grand Homme. Il a employé, comme lui, le ton ironique, & il le soutient avec autant d’agrément que de variété. Si son style manque quelquefois de précision & d’élégance, il est du moins toujours clair & correct. Les rêveries de nos Philosophes sur l’origine du monde, la formation de la matiere, les propriétés du mouvement, &c. sont exposées, dans ces Lettres, avec un tel art, que les notions élémentaires de la Physique ne sont pas même nécessaires au Lecteur, pour saisir l’ensemble des systêmes philosophiques & en sentir toute l’absurdité.

Nous exhortons l’Auteur à remplir la promesse qu’il fait dans sa premiere Lettre, sous le nom du Chevalier qu’il a mis en scene. En poursuivant les prétendus Sages de ce siecle dans la carriere des Arts & de la Politique, où ils n’ont pas moins extravagué que dans la Physique, il aura sur les autres adversaires de la Philosophie, l’avantage d’avoir combattu des erreurs dangereuses, avec les seules armes du ridicule & de la bonne plaisanterie.

Avant de publier les Lettres Helviennes, M. l’Abbé de Barruel avoit enrichi notre Littérature d’une Traduction du Poëme latin sur les Eclipses, par M. l’Abbé Boscovich ; entreprise d’autant plus hardie, qu’elle présentoit une foule de difficultés qui nous paroîtroient encore insurmontables, s’il ne les avoit vaincues avec succès. Au mérite de la fidélité, le Traducteur réunit la correction & la noblesse du style. Pour donner à la fois une idée du Poëme & du talent de l’Interprete, nous croyons devoir mettre sous les yeux du Lecteur le morceau où sont décrits les douze signes du Zodiaque.

Quis tamen & formas omnes, & nomina pandat
Singula connumerans, certasque ex ordine sedes ?&c.

« Mais qui pourroit ici détailler le nom & la forme, & le séjour différent de chacun de ces astres ? Telle qu’un diadême éclatant qui ceint le front des Monarques, ou telle que le baudrier suspendu aux épaules d’un Héros soutient à ses côtés le glaive de Mars, & brille enrichi de l’éclat de l’or, des diamans de l’Inde & des dépouilles du Gange, telle une large bande entoure les cieux, & brille du feu de mille étoiles. Douze signes célestes, disposés par la main des Dieux, ornent son contour, & la divisent en autant d’espaces égaux ».

« Le Belier, s’avançant le premier dans les airs, redresse ses cornes étoilées, étale & fait briller l’or de sa toison ».

« C’est lui qui, propice aux enfans d’Athamas, les portoit jadis à travers les eaux. Le jeune Phrixus, assis avec confiance sur son large dos, & tenant ses cornes d’une main assurée, bravoit hardiment la fureur des mers & les vents déchaînés. Hélas ! sa triste sœur, la timide Hellé, se soutient à peine sur la croupe. Effrayée à l’aspect des flots irrités, elle tombe, & son frere éploré lui tend en vain les bras ; en vain il implore pour elle le secours des Cieux. La malheureuse Hellé périt dans les flots ; hélas ! elle périt, & laisse son nom à la mer cruelle qui l’engloutit. Phrixus échappé au danger, aborde au rivage, & bientôt acquittant ses vœux, il allume le bûcher sacré : sur l’autel enflammé de Jupiter, il immole le Belier qui le porta, & suspend à la voûte du Temple sa riche toison. Mais le pere des Dieux protégea sa victime au milieu des flammes, & la transportant dans les cieux, il parsema son front & sa toison d’astres éclatans ».

« Près de lui les Dieux ont placé ce Taureau également fameux, qui mérita d’être transporté parmi les astres, pour avoir porté sur les eaux une Vierge plus chérie de Jupiter, & favorisée d’un sort plus heureux. Castor & Pollux occupent tour-à-tour la troisieme place ; un destin rigoureux ne leur permet point d’y régner ensemble. Le Cancer brûlant qui les suit, voit briller après lui ce Lion féroce dont Hercule triompha dans la forêt de Némée. Sa rage dévorante ne l’a point quitté dans les cieux ; du fond de son cœur & de son foie brûlant, il lance des flammes étincelantes. La Vierge Erigone le suit en portant dans ses bras le brillant épi. Près d’elle Jupiter a placé cette Balance dans laquelle il pese la Nature, & qui tempérant les feux du soleil, alonge les nuits, & rend leur empire égal à celui du jour ».

« Le Scorpion, traînant son corps immense, montre un cœur brillant, étend ses serres entr’ouvertes & replie sa queue armée d’un double aiguillon. Le Centaure, composé ambigu du corps d’un cheval & de membres humains, bande avec effort un arc Thessalien, & lance ses fleches. Le Capricorne orageux, le front couvert de neige, & le corps engourdi par les frimas, se traîne & devance à peine le triste Verseau. Celui-ci, penchant son urne, inonde les champs de ses eaux. Un lien étincelant unit les Poissons, & leurs feux atteignant les pas du Belier, terminent le cercle radieux ».

« Mais combien d’autres encore insérés par les Dieux au nombre des astres, occupent au loin l’espace des cieux ! Persée, & la tête de Méduse hérissée de serpens, le Héros vainqueur de l’hydre de Lerne, & le jeune Ganimede enlevé par l’oiseau de Jupiter ; la triste Andromede enchaînée à son rocher, Céphée son pere, Cassiopée sa mere, éplorée, s’arrachant les cheveux, & d’autres sans fin ont peuplé la voûte azurée. Ailleurs mille animaux divers paroissent épars ; ailleurs encore l’Eridan, ce Roi des fleuves, la double couronne, la lyre, & le vaisseau célebre, qui, voguant le premier sur les eaux, brava les tempêtes, ont formé chacun leur constellation.

Bartas, [Guillaume du] né dans la Gascogne, près de la ville d’Auch, en 1544, mort en 1590, fut un de ces Militaires qui quelquefois, par délassement ou par manie, s’appliquent à cultiver les Muses, & dont les Ouvrages se ressentent toujours plus du génie de la guerre, que de celui de la Poésie. Sa Semaine a eu une très-grande célébrité. Si la multitude des éditions étoit la preuve de l’excellence d’un Poëme, on pourroit dire que celui-là, qui n’est en lui-même que très-médiocre, doit l’emporter sur beaucoup d’autres : il fut réimprimé trente fois dans l’espace de six ans, & traduit dans cinq langues, tant on étoit alors avide des moindres productions !

L’enthousiasme qu’un grand nombre d’Auteurs ont attribué à Ronsard pour ce Poëme, n’est nullement conforme à la vérité. Il est faux que ce Prince des Poëtes de son temps ait fait présent à du Bartas d’une plume d’or, en lui disant, qu’il avoit plus fait en une semaine que lui, tout Ronsard qu’il étoit, en toute sa vie. On ne voit pas que la mode ait jamais été que les Poëtes célebres montrassent tant de générosité à l’égard de ceux qui pouvoient balancer leur réputation. Il ne faut que lire, pour se désabuser, le Sonnet où l’impérieux Ronsard réfute ce bruit, en s’adressant à Dorat, son ami & son ancien maître.

Ils ont menti, Dorat, ceux qui le veulent dire,
Que Ronsard, dont la plume a contenté les Rois,
Soit moins que du Bartas ; & qu’il ait, par sa voix,
Rendu ce témoignage ennemi de sa lyre, &c.

Une plume d’or, en effet, si elle avoit pu influer sur le style, auroit mieux convenu à du Bartas, avant la composition de son Poëme. L’invention en eût été plus riche, la diction plus naturelle, & l’intérêt plus sensible ; l’Auteur auroit employé des expressions plus correctes, & évité les tournures Gasconnes ; ses images auroient été mieux choisies, ses comparaisons plus justes & moins ridicules ; il n’eût point appelé le Soleil le Duc des Chandelles les Vents les Postillons d’Eole, le Tonnerre le Tambour des Dieux ; le total de l’Ouvrage eût été dans le goût de ces vers du quatrieme Chant, qu’on peut citer avec estime, dès qu’il ne s’agit pas de l’Astronomie :

Il se trouve entre nous des esprits frénétiques
Qui se perdent toujours dans des sentiers obliques,
Qui, sans cesse créant des systêmes nouveaux,
Prouvent que la raison gît loin de leurs cerveaux.
Tels sont, comme je crois, ces Ecrivains qui pensent
Que ce ne sont les lieux ou les astres qui dansent
A l’entour de la terre ; ains que la terre fait
Chaque jour sur son axe un tour vraiment parfait ;
Que nous semblons ceux-là qui, pour courir fortune,
Tentent le dos flottant de l’azuré Neptune,
Et nouveaux, cuident voir, quand ils quittent le port,
La nef demeurer ferme, & reculer le bord.

Les autres Ouvrages de du Bartas valent encore moins que son Poëme des sept Jours ou de la Semaine, ou de la Création, car il est connu sous ces trois noms.