Chapitre XX.
Des Livres de facéties, des recueils d’anecdotes & de bons mots.
LE François étant le peuple le plus gai de l’Europe, il n’est pas étonnant que la France ait produit beaucoup d’ouvrages propres à exciter le rire, ou à amuser agréablement. Les ouvrages de Rabelais sont depuis plus de deux cens ans entre les mains de la nation, qui y cherche le sel de la plaisanterie, & qui n’y trouve souvent que le dégoût & l’ennui. Son Gargantua & son Pentagruel sont un ramas des plus impertinentes & des plus grossieres ordures qu’un homme ivre puisse vomir. On prétend que l’auteur avoit un but en composant ses extravagances, & qu’il avoit pris le masque de la folie pour cacher la satyre qu’il vouloit faire du Pape, des Cardinaux & de l’Eglise. Mais ce but est si caché qu’il est presque impossible de le découvrir ; & l’on n’a guéres lu Rabelais que pour les obscénités dont il est plein. De graves commentateurs ont chargé de notes ce tas de sottises bouissonnes ; des éditeurs les ont abrégées ; mais nous n’indiquerons pour l’intérêt du goût & des mœurs aucun de ces commentaires, ni aucune de ces éditions.
L’écrivain qui dans ce siécle a le plus ressemblé à Rabelais, est le Docteur Swist, Doyen de la Cathédrale de Dublin. Son Conte du Tonne au a été traduit en françois ; il y a des choses très-gaies ; mais encore plus d’impiétés. On voit d’abord à la tête une estampe qui représente le théatre d’Arlequin, la chaire d’un ministre, & l’échelle d’un pendu qui harangue la populace pour la derniere fois. Le fonds du livre est une histoire allégorique du Catholicisme, du Luthéranisme & du Calvinisme, mêlée de cent autres choses qui n’y ont aucun rapport. La traduction françoise que nous en avons, ne peut guéres se lire. Il n’étoit pas possible, suivant M. de V. de rendre le comique dont ce livre est assaisonné. Le comique tombe souvent sur des querelles entre l’Eglise anglicane & la presbytérienne, & sur des jeux de mots particuliers à la langue angloise. Tout cela est perdu pour des françois & ce n’est pas un grand mal.
C’est cette difficulté de saisir les allusions qui rend notre Satyre menipée un ouvrage si ennuyeux pour les lecteurs médiocrement instruits.
Les catalogues de nos grandes Bibliothèques renferment ordinairement une longue liste de Facéties. Mais il y a très-peu à recueillir dans ces livres, qui sont d’ailleurs rares & chers. Il n’y a que les bibliomanes qui les recherchent.
Une espêce d’ouvrages plus commune est ce qu’on appelle les Ana. Nous en avons un très-grand nombre. Les plus curieux sont le Menagiana en quatre vol. in-12. 1715., l’Huetiana, le Longueruana : encore y a-t’il bien des choses hazardées dans ces recueils.
On peut faire le même reproche à Dom Argonne, savant Chartreux, qui nous a donné des Mélanges d’histoire & de littérature, en trois vol. in-12., où l’on trouve beaucoup d’anecdotes vraies & quelques-unes de fausses.
Les Recréations littéraires, par M. Dreux du Radier, en deux vol. in-12., offrent des singularités piquantes.
Les Mémoires de l’Académie de Troyes, la Rue du bois, sont des badinages ingénieux & plaisans.
On doit faire le même éloge du Chef-d’œuvre d’un inconnu, commenté par le Docteur Mathanasius, en deux vol. in-12. Il y a de très-bonnes plaisanteries dans ce livre, qui est une satyre des commentateurs.
Les compilateurs de bons mots ont cherché dans les Ana des matériaux pour leurs recueils. Ils y en ont trouvé ; mais la plupart ont mal choisi. Gayot de Pitaval, le même qui a fait les Causes célébres, nous a donné la Bibliothèque de gens de Cour, l’Art d’orner l’esprit : collections insipides & mal faites. Personne▶ n’a plus compilé de bons mots ; ◀personne n’étoit plus incapable d’en dire. Ce qu’il y a de pis dans les fatras, dont il a inondé le public, c’est qu’il s’avise de faire le plaisant, & qu’il entretient sans cesse ses lecteurs de ses plates productions & de celles de sa femme.
La Bibliothèque curieuse & amusante du Pere Niceron, en trois vol. in-12. vaut beaucoup mieux que les inepties que Pitaval a décorées de titres si pompeux. Mais il n’y a que le premier volume de bon ; & les deux autres qu’on a donné après sa mort ne sont ni de lui, ni dignes de lui.
Ce que nous avons de mieux en ce genre est le Dictionnaire d’anecdotes que M. Lacombe de Prezel donna en 1766. in-8°. Ce livre est proprement (comme l’auteur l’appelle) le Dictionnaire de la Conversation. Applications heureuses de passages connus, historiettes, apologues, contes, bons mots, naïvetés, saillies, reparties ingénieuses, apophtegmes, sentences, maximes, proverbes, pasquinades, jeux de mots, pointes, équivoques, quolibets, turlupinades, tout s’y trouve réuni & avec beaucoup de clarté & de méthode.