(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 232-233
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 232-233

MAROT, [Clément] né à Cahors en 1495, mort à Turin en 1544 ; le plus ancien des Poëtes François, dont la lecture soit capable de procurer encore quelque plaisir.

C’est à lui qu’on doit le modèle d’un style plein de naïveté & d’agrément, qui consacrera son nom à l’immortalité. Rien ne prouve mieux le mérite original, que l’approbation constante & l’adoption générale. Marot possédoit, au plus haut degré, cette tournure d’esprit qui rend les plus petites bagatelles intéressantes. Malgré l’imperfection du langage, ses Poésies sont légeres, agréables, délicates, & sur-tout d’une finesse qui plaît infiniment aux personnes de goût. Ce n’est pas tant l’estime des Princes de son temps [estime qui le faisoit appeler alors le Poëte des Princes & le Prince des Poëtes] que l’approbation de Lafontaine, de Despréaux, de J. B. Rousseau, qui a perpétué sa réputation & l’estime de ses Ouvrages. Lafontaine le relisoit toujours avec un nouveau plaisir ; il lui doit les graces naïves qui donnent tant d’agrément à ses Fables. Despréaux le propose comme un modèle de Poésie piquante & gracieuse. Rousseau, en lui adressant une Epître, se fait gloire d’imiter son style & de le regarder comme son maître. Ces trois Poëtes le reconnoissent également pour l’inventeur de la Ballade, genre de Poésie trop néglige à présent, sans doute parce que le génie de nos Poëtes modernes est plus tourné au jargon philosophique, qu’à cette aimable naïveté qui faisoit autrefois le principal caractere & les délices de nos Peres.

Il faut cependant convenir que les Ouvrages de Marot ne font pas toujours à l’abri du blâme. Ses Contes sont quelquefois licencieux, ses Vers trop libres sur des objets qu’il devoit respecter. C’est cette liberté qui lui attira ses disgraces. On sait qu’il a traduit une grande partie des Pseaumes de David en Vers François ; ce n’est pas cet Ouvrage qui l’a rendu célebre. Le Peuple Protestant a pu chanter quelque temps ces Cantiques bizarrement travestis ; mais le bon sens a toujours rejeté des Productions, où le naïf s’efforce en vain d’atteindre au sublime, qui n’a rien de commun avec lui.