Rotrou, [Jean] né à Dreux en 1609, mort dans la même ville en 1650, le meilleur, après Corneille, des cinq Poëtes choisis par le Cardinal de Richelieu, pour exécuter les sujets de Tragédie ou de Comédie que ce Ministre leur fournissoit lui-même. Le style de Rotrou est plus naturel que celui de ses Contemporains. Il substitua, aux pointes ridicules de Mairet & des autres Poëtes dramatiques qui l'avoient précédé, des pensées vives & fortes qui naissoient du sujet. Sa facilité étoit étonnante : une Tragédie s'imaginoit, se composoit, s'exécutoit souvent en quinze jours, ce qui n'est certainement pas le moyen d'atteindre à la perfection. On joue encore son Venceslas, dont la premiere scene & presque tout le quatrieme acte sont des chef-d'œuvres. Ses autres Pieces, si l'on en excepte Cosroès, ne valent pas la peine d'être lues.
L'anecdote que nous allons rapporter, fait certainement plus d'honneur au
                            caractere de son ame, que ses Pieces n'en font à son génie. Pendant le
                            cours d'une maladie contagieuse qui régnoit dans sa Patrie, où il étoit
                            Lieutenant Civil, il résista aux sollicitations de ses amis, qui le
                            pressoient de se soustraire au danger & de revenîr à Paris. La
                            fermeté de son ame ne lui permit pas d'écouter de semblables avis. Il ne
                            cessa point de veiller au bon ordre, & de secourir ses Concitoyens.
                                    
                  Ce n'est pas que le péril où je me trouve ne
                                    soit fort grand
                  , répondit-il,
                                puisqu'au moment où je vous écris, on sonne pour la
                                    vingt & deuxieme personne qui est morte aujourd'hui :
                                    ce sera pour moi quand il plaira à Dieu.
 Il mourut
                            en effet de la contagion. Les Poëtes tragiques, qui l'emportent
                            aujourd'hui sur Rotrou pour le langage du sentiment,
                            seroient-ils capables d'un pareil courage ? Et les Lettres ne
                            seroient-elles pas doublement honorées, si ceux qui les cultivent
                            puisoient dans leur propre cœur les hautes maximes qu'ils 
étalent dans leurs Ouvrages avec tant
                            d'appareil ?