La Mare au diable, La Petite Fadette, François le Champi, par George Sand. 
(1846-1850.) 
            
                
J’étais en retard depuis quelque temps
                    avec Mme Sand ; je ne sais pourquoi j’avais mis de la
                    négligence à lire ses derniers romans ; non pas que je n’en eusse entendu dire
                    beaucoup de bien, mais il y a si longtemps que je sais que Mme Sand est un auteur du plus grand talent, que tous ses romans ont
                    des parties supérieures de description, de situation et d’analyse, qu’il y a
                    dans tous, même dans ceux qui tournent le moins agréablement, des caractères
                    neufs, des peintures ravissantes, des entrées en matière pleines d’attrait ; il
                    y a si longtemps que je sais tout cela, que je me disais : Il en est toujours de
                    même, et, dans ce qu’elle fait aujourd’hui, elle poursuit sa voie d’invention,
                    de hardiesse et d’aventure. Mais je suis allé voir le Champi à
                    l’Odéon comme tout Paris y est allé ; cela m’a remis au roman du même titre et à
                    cette veine pastorale que l’auteur a trouvée depuis quelque temps ; et,
                    reprenant alors ses trois ou quatre romans les derniers en date, j’ai été frappé
                    d’un dessein suivi, d’une composition toute nouvelle, d’une 
perfection véritable. J’étais entré à l’improviste dans une
                    oasis de verdure, de pureté et de fraîcheur. Je me suis écrié, et j’ai compris
                    alors seulement cette phrase d’une lettre qu’elle écrivait l’an dernier, du fond
                    de son Berry, à une personne de ses amies qui la poussait sur la politique :
                        « Vous pensiez donc que je buvais du sang dans des crânes
                        d’aristocrates ; eh ! non, j’étudie Virgile et j’apprends le
                        latin. »
            
Nous ferons ici comme elle, nous laisserons la politique de côté avec tous ses méchants propos et ses sots contes : ce sont légendes qui ne sont pas à notre usage. Oh ! la maussade légende que celle du gouvernement provisoire ! Nous voilà tout de bon revenus aux champs ; George Sand, homme politique, est une fable qui n’a jamais existé : nous possédons plus que jamais dans Mme Sand le peintre▶ du cœur, le romancier et la bergère.
Mme Sand faisait mieux l’an dernier, en son Berry, que de lire les Géorgiques de Virgile ; elle nous rendait sous sa plume les géorgiques de cette France du centre, dans une série de tableaux d’une richesse et d’une délicatesse incomparables. De tout temps, elle avait aimé à nous peindre sa contrée natale ; elle nous l’avait montrée dans Valentine, dans André, en cent endroits ; mais ce n’est plus ici par intervalles et par échappées, comme pour faire décoration à d’autres scènes, qu’elle nous découpe le paysage ; c’est la vie rustique en elle-même qu’elle embrasse ; comme nos bons aïeux, nous dit-elle, elle en a subi l’ivresse, et elle nous la rend avec plénitude. Le roman de Jeanne est celui dans lequel elle a commencé de marquer son dessein pastoral. Pourtant ce personnage de Jeanne, la bergère d’Ep-Nell, est bien poétique, bien romanesque encore ; les souvenirs druidiques interviennent dès les premières pages pour agrandir et idéaliser la réalité. On flotte en idée entre Velléda et Jeanne d’Arc ; car Jeanne ici, remarquez-le bien, n’est autre qu’une Jeanne d’Arc au repos et à qui l’occasion seule a manqué pour éclater. La placidité et la simplicité merveilleuse de la belle bergère en restent le plus souvent à la simplesse. Les scènes de « La fenaison » offrent un tableau plein de charme et de grâce assurément, mais on y voit tout à côté cet éternel plaidoyer entre la société et la nature, entre les gens de loisir et les gens du peuple ou de labeur, ceux-ci ayant invariablement l’avantage. Jeanne présente de l’intérêt, un intérêt élevé, mais qui se complique de roman. C’est à La Mare au diable seulement que commencent nos vraies géorgiques ; elles se continuent dans François le Champi, dans La Petite Fadette. Voilà la veine heureuse, voilà le thème où nous nous renfermerons ici.
La Mare au diable est tout simplement un petit chef-d’œuvre. La préface m’avait donné quelques craintes. L’auteur met en avant une idée philosophique, et je tremble toujours quand je vois une idée philosophique servir d’affiche à un roman. L’auteur a voulu faire la contrepartie d’une composition mélancolique d’Holbein, dans laquelle on voit un misérable attelage de chevaux traînant la charrue dans un champ maigre ; le vieux paysan suit en haillons ; la Mort domine le tout sous forme d’un squelette armé du fouet.
Nous, s’écrie l’auteur, nous n’avons plus affaire à la mort, mais à la vie ; nous ne croyons plus ni au néant de la tombe, ni au salut acheté par un renoncement forcé ; nous voulons que la vie soit bonne, parce que nous voulons qu’elle soit féconde. Il faut que Lazare quitte son fumier, afin que le pauvre ne se réjouisse plus de la mort du riche. Il faut que tous soient heureux…
Je supprime la série de ces Il faut, qui seraient
                    mieux placés dans un de ces petits sermons philosophiques où ceux qui cherchent
                    à 
imposer aux autres une foi qu’ils ne sont pas bien
                    sûrs d’avoir eux-mêmes, s’échauffent en parlant, affirment sur tous les tons, et
                    se font prophètes afin de tâcher d’être croyants. Le véritable artiste est digne
                    de ne pas procéder ainsi ; et pour tous ceux qui ont de bonne heure connu et
                    admiré Mme Sand, ç’a toujours été un sujet d’étonnement et
                    une énigme inexplicable, que de la trouver si aisément crédule et, je lui en
                    demande bien pardon, si femme sur un point : elle croit volontiers à l’idée des
                    autres. Avec un talent du premier ordre et tel qu’on n’en trouverait pas de
                    supérieur en notre littérature dès l’origine, elle semble craindre que ce
                    talent, dans son activité et dans sa puissance, ne manque de sujet, ne manque de
                    pâture. À cette fin elle reçoit et prend le mot et l’idée de gens qui, en
                    vérité, lui sont inférieurs par maint endroit. Elle les croit supérieurs parce
                    qu’ils concluent carrément, comme si un grand ◀peintre▶, un grand poète avait
                    besoin absolument de conclure. « C’est un écho qui double la
                        voix »
, a-t-on pu dire d’elle à cet égard, et en songeant à ceux
                    dont elle prétendait s’inspirer. Et elle fait mieux que de doubler leur voix,
                    elle la rend méconnaissable. Combien de fois n’a-t-elle pas fait passer leurs
                    ennuyeux paradoxes à l’état de magnifiques lieux communs ! Et c’est ainsi que,
                    dans ces charmants volumes de La Mare au diable, je trouve en
                    tête la page que j’ai citée, et, tout à la fin, je ne sais quelle brochure
                    socialiste qui vient s’ajouter là, on ne sait pourquoi. Imaginez un peu de
                    Raynal (du meilleur) cousu par mégarde avec un exemplaire de Paul
                        et Virginie.
J’avais à dire ceci pour l’acquit de ma conscience ; c’est le côté faible et le travers d’un grand talent. Je n’ai plus maintenant qu’à louer et à m’émerveiller en toute franchise. La scène un peu idéale de labour, que l’auteur oppose à l’allégorie d’Holbein, est d’une magnificence à faire envie à Jean-Jacques et à Buffon ; c’est là que le souvenir de Virgile et du labourage romain revient manifestement : l’artiste qui peint ici l’attelage d’une charrue du Berry se souvient encore des bœufs du Clitumne. Mais ce premier chapitre grandiose, entremêlé çà et là d’apostrophes et d’allusions aux oisifs, de ce que j’appelle le Raynal ou la déclamation d’aujourd’hui, me plaît moins que l’histoire toute simple et tout agreste de Germain le fin laboureur. Ce récit commence avec le troisième chapitre et compose, à proprement parler, cette charmante idylle de La Mare au diable.
Il s’agit pour le beau laboureur Germain, veuf à vingt-huit ans avec trois
                    enfants, et qui pleure encore sa première femme, de se remarier par nécessité,
                    par raison. Son beau-père lui-même, le père Maurice, l’y engage par toutes
                    sortes de paroles sensées et positives, et Germain s’y rend, bien qu’à regret.
                    Le père Maurice, en entamant ce propos, avait déjà quelqu’un en vue : c’est une
                    veuve, assez riche, qui demeure à quelques lieues de là, et qu’on dit être un
                    bon parti. Comme il ne s’agit point ici d’un mariage d’amour, mais d’un
                    arrangement entre personnes mûres et sérieuses, une entrevue, selon le père
                    Maurice, suffira pour tout éclaircir : « C’est demain samedi, dit-il à
                        Germain ; tu feras ta journée de labour un peu courte, tu partiras vers les
                        deux heures après-dîner, tu seras là-bas à la nuit ; la lune est grande dans
                        ce moment-ci, les chemins sont bons, et il n’y a pas plus de trois lieues de
                        pays. »
            
Tout l’intérêt et toute l’action du roman se passent dans ce voyage. Germain d’abord devait faire la route seul, monté sur la bonne jument la Grise. Mais une vieille voisine, la Guillette, à qui le père Maurice a fait part du projet, profite de l’occasion de Germain pour lui confier sa fille, la petite Marie, qui vient de s’engager comme bergère tout près de l’endroit où va Germain. Marie ne paraît qu’une enfant, elle va pourtant sur ses seize ans. Germain, grave et honnête, semblerait comme son père ou son oncle. On la lui confie ; elle monte en croupe sur la Grise, et tous deux partent, Germain rêvant à sa défunte plus qu’à sa future, et Marie pleurant de quitter sa mère et le pays.
Les détails du départ, le premier trot de la Grise, la mère de celle-ci, la
                    Vieille Grise, qui, paissant près de là, reconnaît sa fille au passage, et qui
                    essaie de galoper sur la marge du pré pour la suivre, tout est peint au naturel,
                    avec une observation parfaite et une expression vivante. On n’a pas affaire ici
                    à un ◀peintre▶ amateur qui a traversé les champs pour y prendre des points de
                    vue : le ◀peintre▶ y a vécu, y a habité des années ; il en connaît toute chose et
                    en sait l’âme ; il sait le vol des grues dans le nuage, le babil de la grive sur
                    le buisson, et l’attitude de la jument au bord de la haie, « pensive,
                        inquiète, le nez au vent, la bouche pleine d’herbes qu’elle ne songeait plus
                        à manger »
.
Germain, après les premiers moments de silence, commence à deviser avec la petite Marie. Elle est au fait du motif de son voyage. Il lui parle de ses enfants, du petit Pierre, son gentil aîné, qu’il n’a pas embrassé au moment de partir, et qui s’est sauvé en boudant parce que son père n’a pas voulu l’emmener. Il laisse échapper son inquiétude qu’une épouse nouvelle ne soit pas, pour ces enfants d’un autre lit, telle qu’il faudrait. La petite Marie répond à tout avec modestie et raison, avec ce tact du cœur qui chez les femmes enseigne toutes les délicatesses :
Moi, à votre place, dit-elle, j’aurais emmené l’aîné. Bien sûr, ça vous aurait fait aimer tout de suite, d’avoir un enfant si beau.
— Oui, si la femme aime les enfants ; mais si elle ne les aime pas ?
— Est-ce qu’il y a des femmes qui n’aiment pas les enfants ?
Mais voilà qu’au tournant d’un buisson la jument fait un écart. Qu’est-ce donc qu’on aperçoit dans le fossé ? Ce n’est autre chose que le petit Pierre, qui, voyant que son père ne voulait pas l’emmener, a pris les devants et qui, en l’attendant au passage, s’est endormi. La gronderie du père, la câlinerie de l’enfant, sa ferme volonté de ne plus lâcher prise et d’être du voyage, tous ces riens sont retracés au vif et relevés de mille grâces. Chaque trait naïf est pris sur le fait. La petite Marie sert de médiatrice ; elle arrange tout, elle montre les facilités. La Grise est solide et peut très bien, à la rigueur, porter trois personnes, dont deux surtout pèsent si peu. Le petit Pierre sera devant, comme Marie est derrière. Cependant un cantonnier qui travaille là-bas, au haut de la route, ira avertir à la métairie pour qu’on ne soit pas inquiet du marmot. C’est Marie qui a pensé à ce cantonnier. Marie pense à tout, s’avise de tout. On sent que cette simple enfant porte en elle toutes les qualités de nature qui font que la femme prudente est la providence du foyer.
On devine déjà l’intention qui va présider à cette chaste aventure. Il faut que, sans le vouloir, sans que personne y vise, peu à peu, Germain soit amené à se dire : « Eh quoi ? je vais chercher bien loin une femme que je ne connais pas, qu’on dit riche, qui est fière sans doute, qui croira me faire grand honneur en m’épousant avec mes trois enfants ; et voilà que j’ai tout près de moi une enfant simple, pauvre, mais riche des dons de Dieu, des qualités et des vertus naturelles, et qui serait un trésor dans ma maison et dans mon cœur. » Il faut que Germain, insensiblement, et avant la fin de ce court voyage, devienne amoureux de cette petite Marie qu’il n’avait jamais considérée jusque-là que comme une enfant.
De petits incidents surviennent. Petit Pierre a faim : il faut s’arrêter, et tous
                    les trois en profitent pour prendre un léger repas. « Les paysans ne
                        mangent pas vite. »
 On perd une heure ; on est en retard, et il
                    reste encore à traverser les grands bois. Un épais brouillard s’élève avec la
                    nuit. La Grise, avec son fardeau, a fort à faire. On se trompe de route, et l’on
                    est en pleine forêt. Force est de descendre de cheval et de cheminer à tout
                    hasard, Germain tenant la bête par la bride, tandis que Marie porte le petit
                    Pierre endormi, qu’elle enveloppe dans sa cape du mieux qu’elle peut. L’embarras
                    de s’orienter redouble : « Le brouillard rampait et semblait se coller à
                        la terre humide. »
 On rôde autour de cette maudite Mare au diable
                    (c’est ainsi que l’appellent les gens du pays), et, après maint effort pour s’en
                    éloigner, on y est toujours ramené comme par un sort. Bref, il faut bien prendre
                    le parti de s’arrêter et de bivouaquer, d’autant plus que la Grise, dans un
                    moment d’impatience, a cassé ses sangles et s’est sauvée seule, au galop, à
                    travers la forêt. Ici, dans deux chapitres intitulés « Sous les grands chênes »
                    et « Prière du soir », on a une suite de scènes délicieuses, délicates, et qui
                    n’ont leur pendant ni leur modèle dans aucune idylle antique ou moderne.
Germain, comme tous les hommes, même les plus robustes et les plus vaillants, est
                    impatient de nature : la petite Marie, comme les femmes quand elles sont
                    excellentes, est la patience même. Dans sa vie de pauvre bergère aux champs,
                    n’a-t-elle pas appris à se suffire avec rien, à tirer parti de tout ? Au milieu
                    du désarroi où l’on est, elle trouve moyen de tenir l’enfant 
chaudement et de lui faire un lit, d’allumer du feu avec des
                    branches sèches, et d’opposer encore la bonne humeur au guignon. Germain, en
                    présence de ce mérite qu’il n’avait jamais soupçonné, s’étonne. Ses idées, sans
                    qu’il s’en aperçoive trop d’abord, commencent à prendre une certaine tournure.
                    Cependant la nature parle, l’estomac crie ; il a faim. On peut bien, sans
                    offense, détacher une perdrix d’un certain cadeau de gibier qu’il portait à sa
                    future. C’est Marie qui est encore l’ordonnatrice et l’intendante de ce festin
                    improvisé. « Petite Marie, l’homme qui t’épousera ne sera pas un
                        sot ! »
 telle est l’idée qui naît irrésistiblement dans l’esprit de
                    Germain, en la voyant si avisée, si industrieuse. Il commençait non seulement à
                    le penser, mais à le dire tout haut et à s’embrouiller un peu : « Dites
                        donc, laboureur ! voilà votre enfant qui se réveille »
, dit la
                    petite Marie.
L’enfant s’éveille en effet : il entre aussitôt en appétit, à son tour, et en
                    babil. Tout ce joli parler est déduit ici au long avec une vérité de nature qui,
                    poussée à ce degré, est plus que la science des mères, et qui est le don unique
                    du génie. Marie continue de s’occuper de petit Pierre, elle le rassure dans ses
                    terreurs, elle l’amuse, et Germain ne peut s’empêcher de remarquer : « Il
                        n’y a personne comme toi pour parler aux enfants, et pour leur faire
                        entendre raison. »
 Au milieu de cela il reparle toujours de sa
                    première femme, de sa pauvre défunte, et maudit ce voyage entrepris pour la
                    remplacer. Cependant l’enfant fait sa prière, que lui souffle mot à mot la
                    petite Marie, et, comme il est arrivé à un certain endroit de l’oraison où il
                    s’endort régulièrement chaque soir, il ferme les yeux déjà ; mais ses idées à
                    lui-même s’embrouillent un peu à ce moment de s’endormir, et, mêlant vaguement
                    tout ce qu’il a vu et entendu durant cette soirée : « “Mon petit père,
                        dit-il, si 
tu veux me donner une autre mère, je
                        veux que ce soit la petite Marie.” — Et sans attendre de réponse, il ferma
                        les yeux et s’endormit. »
            
Touchante délicatesse que ce soit le petit Pierre, l’ange d’innocence, qui, le
                    premier, exprime, en s’endormant, cette idée qui n’a été que vague et flottante
                    jusque-là ! Germain, à partir de ce moment, ne se fait plus faute de la bercer
                    et de la retourner en cent façons. Il s’aperçoit que cette petite Marie, à
                    laquelle il n’avait jamais songé pour sa beauté, est plus fraîche qu’une rose de
                    buisson, et il se détaille le gracieux portrait en concluant : « C’est
                        gai, c’est sage, c’est laborieux, c’est aimant, et c’est drôle… Je ne vois
                        pas ce qu’on pourrait souhaiter de mieux. »
 Dans le chapitre qui
                    suit la « Prière du soir » et qui a pour titre « Malgré le froid », il y a un
                    moment où j’ai craint qu’une brusquerie fâcheuse ne vînt gâter la pureté de
                    l’ensemble : mais que voulez-vous ? nous sommes dans la réalité, nous sommes aux
                    champs, et on a beau vouloir se tenir dans le sentiment pur, il y a, comme dit
                        Mme de Sévigné, de certaines grossièretés sensibles dont on ne se passe pas si aisément. Germain en
                    triomphe du moins, il respecte cette pureté de la jeune fille qu’il a étonnée un
                    moment ; il achève son voyage, et n’arrive qu’au matin chez la veuve, la lionne de village, dont il est dégoûté, même avant de
                    l’avoir vue. Je n’ai pas à continuer ici cette analyse ; je n’ai voulu insister
                    que sur les parties tout à fait rares et neuves de l’idylle, sur la première
                    partie du voyage. La petite Marie, en arrivant chez le fermier qui l’a louée
                    comme bergère, court un danger sérieux de la part de cet homme brutal. Elle se
                    sauve effrayée, emmenant le petit Pierre, et retrouve à temps Germain pour la
                    protéger et la venger. Il est bien encore que ce soit le petit Pierre qui
                    raconte à Germain la mésaventure 
de Marie avec le
                    fermier : en passant par la bouche de l’enfant, ce récit s’épure. En général, le
                    petit Pierre reparaît dans toutes les situations décisives et vient clore les
                    choses ; c’est l’ange, je l’ai dit, c’est le médiateur et comme le lien entre la
                    première femme et celle qui sera la seconde. Quand l’expression manque, le petit
                    Pierre arrive, et il est l’expression vivante.
Une fois le mariage de Germain et de Marie décidé, le ◀peintre les oublie un peu
                    pour nous décrire la cérémonie des noces, les rites et coutumes du pays qui ont
                    cessé en partie à l’heure qu’il est, et qu’on ne peut s’empêcher de regretter :
                        « Car, hélas ! s’écrie Mme Sand, tout s’en va.
                        Depuis seulement que j’existe, il s’est fait plus de mouvement dans les
                        idées et les coutumes de mon village, qu’il ne s’en était vu durant des
                        siècles avant la Révolution… »
 Ô poète, je vous arrête ici et je
                    vous prends sur le fait. Pardonnez-moi donc de m’emparer de cet hélas ! involontaire qui vous a échappé, et de vous dire : « Tout s’en
                    va, et, dans ces choses qui s’en vont, il en est que vous regrettez vous-même.
                    Donc tout n’était pas mal dans le passé. Tout n’était pas bien non plus, je vous
                    l’accorde. Mais, moralement, non moins que poétiquement, il y avait des qualités
                    et des vertus que l’âge nouveau, avec ses inventions et ses recettes
                    industrielles ou philosophiques, n’a pas su remplacer encore. Eh bien ! puisque
                    cela est, ô poète, convient-il donc, sur la foi de certains systèmes non
                    éprouvés et que rien ne garantit, de pousser si fort et si violemment ces restes
                    d’un passé déjà si ébranlé ? Il s’en va bien assez vite de lui-même. »
Cette fin de La Mare au diable, dans la description des noces,
                    semble peut-être un peu longue ; mais on n’est pas fâché, malgré tout, de
                    s’arrêter sur ces images d’abondance rurale et de copieux bonheur, qui
                    rappellent, 
à leur manière, le tableau de Théocrite
                    dans les Fêtes de Cérès, et celui de Virgile célébrant les
                    vertus des vieux Sabins : « Casta pudicitiam servat
                            domus »
. Mme Sand, même quand elle se
                    complaît à des images douces, a en elle le puissant et le plantureux. Quoi
                    qu’elle fasse, même dans les touches gracieuses, on sent une nature riche et drue, comme on dirait en ce vieux langage.
               La Mare au diable n’était que le premier pas dans la voie
                    pastorale qu’elle s’est ouverte ; le Champi et La Petite Fadette marquent le second pas, qui diffère déjà du premier.
                    Je m’arrêterai surtout, comme exemple, à La Petite Fadette.
                    Dans La Mare au diable, l’auteur remarque en un endroit qu’il
                    est obligé de traduire le langage antique et naïf des paysans
                    de la contrée : « Ces gens-là, dit-il, parlent trop français pour nous,
                        et, depuis Rabelais et Montaigne, les progrès de la langue nous ont fait
                        perdre bien des vieilles richesses. Il en est ainsi de tous les progrès, il
                        faut en prendre son parti. »
 Mme Sand ici ne le
                    prend pas. Elle regrette ces richesses ; elle regrette, comme Fénelon, ce je ne
                    sais quoi de court, de naïf, de hardi, de vif et de passionné, qui
                    animait notre vieux langage et que la langue rustique a conservé par endroits.
                    Dans La Petite Fadette elle essaie de ressaisir ce je ne sais
                    quoi et de le raviver. Sous prétexte que c’est le chanvreur qui lui a raconté
                    l’histoire à la veillée, elle garde le plus qu’elle peut des mots et des
                    locutions qu’il employait. Elle adopte un genre mixte, comme si elle contait
                        « ayant à sa droite un Parisien parlant la langue moderne, et à sa
                        gauche un paysan devant lequel elle ne voudrait pas dire une phrase, un mot
                        où il ne pourrait pas pénétrer. Ainsi elle a à parler clairement pour le
                        Parisien, naïvement pour le paysan »
. Le problème est délicat à
                    résoudre, et elle s’en tire aussi merveilleusement qu’il est possible. 
Courier n’a jamais si bien réussi. Voyons un peu.
Le père Barbeau, cultivateur de la cosse, avait du bien et en bonne terre. Il
                    avait une maison bien bâtie, couverte en tuiles, avec jardin, vigne et verger ;
                    il avait deux champs. Il cueillait dans ses prés du foin à pleins charrois, et
                    c’était du foin de première qualité, « sauf celui qui était au bord du
                        ruisseau, et qui était un peu ennuyé par le jonc »
. Il avait déjà
                    trois enfants, quand sa femme, voyant sans doute qu’il avait du bien pour cinq,
                    et qu’il fallait se dépêcher parce qu’elle tirait sur l’âge, s’avisa de lui
                    donner d’un coup deux jumeaux, deux bessons, comme on dit dans
                    le pays. Ces deux bessons, dont l’un, venu une heure avant l’autre, s’appela
                    Sylvain ou Sylvinet, et l’autre Landry, étaient pareils de tout point, et, tant
                    qu’ils furent enfants, on eut peine à les distinguer l’un de l’autre. Ils
                    étaient blonds ; ils avaient tout à fait bonne mine, de grands yeux bleus, les
                    épaules bien avalées, le corps droit et bien planté. Tous ceux
                    qui les voyaient s’arrêtaient émerveillés de leur retirance
                        (ressemblance), et chacun s’en allait disant :
                        « C’est tout de même une jolie paire de gars. »
 Ces deux
                    jumeaux ou bessons sont les héros du roman qui a pour titre La Petite Fadette.
On fera tout d’abord une remarque sur ce style demi rustique, demi vieilli, que l’auteur, dans tout ce roman, a employé et distribué avec beaucoup d’art et de bonheur : c’est que, pour vouloir être ici plus naturel que dans La Mare au diable, l’artificiel commence. Il y a des moments où le chanvreur, qui est censé parler, oublie que c’est lui qui parle, et il s’exprime comme ferait directement Mme Sand ; puis il s’en aperçoit tout à coup, il remet des mots de campagne, des locutions vieillies, et cela fait un léger cahotement. Je me hâte d’ajouter que ce cahotement ici, et pour cette fois du moins, n’est pas du tout désagréable. La Petite Fadette est une étude des plus piquantes et des plus heureuses. On y rencontre des scènes dignes, pour la finesse et la gaieté d’expression, du joli roman de Daphnis et Chloé. J’ai dit que Mme Sand applique le procédé de Paul-Louis Courier ; mais, en s’en souvenant, elle moins savante ; par une grâce de génie, elle fait mieux d’emblée, c’est-à-dire avec plus de verve, plus d’entrain facile. Là même où il y a quelque pastiche, c’est plus vif et comme de source, c’est de l’Amyot à plein courant. Organisation singulière, qui a le don et la puissance d’absorber ainsi tout d’un trait et de s’assimiler d’abord ce qui lui convient ! Elle aura tenu durant une huitaine de jours Amyot entrouvert, elle l’aura lu à bâtons rompus, et elle se l’est infusé plus abondamment et plus au naturel que le docte et l’exquis Courier durant des années de dégustation et d’étude de cabinet.
L’enfance des deux jumeaux est retracée d’une adorable façon : celui qui est
                    censé l’aîné, Sylvinet, s’annonce de bonne heure comme le plus touchant, le plus
                    sensible ; il a plus d’attache, Landry a plus de courage. « Il est écrit dans la loi de nature, remarque
                        l’auteur, que de deux personnes qui s’aiment, soit d’amour, soit d’amitié,
                        il y en a toujours une qui doit donner de son cœur plus que l’autre, qui
                        doit y mettre plus du sien. »
 Les sympathies mystérieuses qui
                    continuent, après la naissance, d’enchaîner ces deux êtres appartiennent à une
                    physiologie obscure que l’auteur a sentie et devinée sans s’y trop enfoncer ;
                    les superstitions populaires s’y mêlent sans invraisemblance. Le moment où, des
                    deux jumeaux, celui qui passe pour le cadet, Landry, se détache, prend le
                    dessus, et se met décidément à devenir l’aîné, à voler de ses propres ailes et à
                    se faire homme, est admirablement saisi. L’autre, le gentil 
Sylvinet, reste enfant, plus faible, plus susceptible, âme
                    toute sensible et maladive, toute douloureuse : il y a là des nuances d’analyse
                    et une anatomie du cœur humain où l’auteur a excellé. La petite Fadette, ou
                    petite fée, n’est autre qu’une petite fille de l’endroit dont la famille a une
                    réputation assez équivoque, et qui passe pour un peu sorcière. Cette petite
                    fille, qui se montre d’abord toute laide, qui ne se soigne pas plus qu’un
                    méchant garçon, et qui est la bête noire du village, mais qui, au fond, se
                    trouve avoir toutes les qualités de l’esprit, de l’imagination et du cœur, et
                    qui finit même, sous l’éclair de l’amour, par se métamorphoser en beauté, cette
                    petite Fanchon Fadet qui, sous sa verve de lutinerie, cache des trésors de
                    sagesse, remplit ici le rôle qui est volontiers réparti aux femmes dans les
                    romans de Mme Sand ; car elles y ont toujours le beau rôle,
                    le rôle supérieur et initiateur. Mme Sand, même quand elle
                    se mêle d’idylle, n’y porte pas naturellement la douceur et la suavité tendre
                    d’un Virgile ou d’un Tibulle : elle y fait encore entrer de la fierté. La petite
                    Fadette est fière avant tout. On y peut voir aussi, à quelques-unes de ses
                    paroles, une protestation contre la société au nom des êtres disgraciés et
                    intelligents ; mais, ici, toutes ces idées sont arrêtées à point et revêtues de
                    formes si vivantes, si gracieuses et si peu philosophiques, qu’on n’a le temps
                    ni l’envie de les discuter. À côté de cette création poétique il y a
                    l’observation de la nature vulgaire, la belle Madelon à côté de la petite
                    Fadette, de même que dans Jeanne il y avait la coquette
                    Claudie à côté de la belle et chaste bergère. Tous ces jeunes cœurs, les
                    naturels autant que les poétiques, ceux des filles comme ceux des garçons, sont
                    connus, maniés, montrés à jour par Mme Sand, comme si elle
                    les avait faits. Oh ! qu’un poète 
sait donc de
                    choses, surtout quand il lui a été donné d’être tour à tour homme et femme,
                    comme à feu le devin Tirésias !
J’oubliais la suite de mon analyse, et je la finis en deux mots. Landry, le plus mâle des jumeaux, est induit à aimer la petite Fadette, et par là il désole sa famille, surtout son frère le pauvre Sylvinet, dont la fantaisie est d’être aimé à lui tout seul et de posséder sans partage tout un cœur. Mais on n’est malheureux dans un roman qu’autant qu’il plaît au romancier. Tout se répare : la petite Fadette, devenue une belle, sage et riche personne, épouse Landry et guérit presque le souffreteux Sylvinet par ses secrets de magnétisme naturel. Elle réussit même trop bien ; le pauvre Sylvinet, un jour, se croit dans l’obligation de s’éloigner de sa belle-sœur sans dire son motif à personne. Il va s’exposer à la guerre et devient un brave. Ce Sylvinet, d’un bout à l’autre, est touchant ; c’est un être sacrifié, nature distinguée et fine, pas assez forte pour le bonheur, demandant beaucoup, voulant tout donner ; avec ces éléments-là se composent les âmes passionnées et sensibles. Mme Sand le sait bien ; elle excelle à peindre Ces natures qu’elle domine et pénètre si bien du regard. Dans ses romans, depuis Lélia jusqu’à La Petite Fadette, que de Sténio ! que de Sylvinet !
J’aurai peu à dire du Champi, que tout le monde a vu et a lu. Ici du moins le rôle de l’homme n’est pas subordonné ni sacrifié ; mais c’est à titre de revanche pour le pauvre enfant trouvé, et parce que la société l’avait sacrifié déjà. Le roman est d’un intérêt plus pathétique, mais d’une étude moins savante et moins curieuse que La Petite Fadette, et c’est pourquoi j’ai insisté sur cette dernière. En allant voir Champi transporté à la scène, j’avais une crainte ; je craignais l’invraisemblance, une certaine indélicatesse à cet amour filial converti en amour, même conjugal et légitime. L’idée de Jean-Jacques, appelant Mme de Warens maman, m’avait toujours dégoûté. Ici la chose est sauvée, autant que possible, avec une simplicité que les acteurs, pour leur part, ont aidée d’un parfait bon goût. La femme, Madeleine Blanchet, ne se doute pas de cet amour, et la seule idée qu’elle puisse être aimée ainsi n’approche pas d’elle, sinon tout à la fin. Le Champi lui-même ne s’avoue cette pensée et ne l’ose exprimer que quand la malveillance a déjà parlé par la bouche de la Sévère. Les personnages se font à eux-mêmes les objections, ce qui soulage et désarme le spectateur. Finalement la femme, qui n’a pas eu un éclair de coquetterie, et qui, jusque dans sa mise, a soin de se montrer plutôt fanée avant l’âge, ne fait que se résigner et ne semble consentir que parce que tout le monde le veut. En un mot, le mariage qui couronne le dévouement du Champi n’est pas un mariage d’amour, c’est un mariage à la fois de devoir, d’honneur et de tendresse. Rien ne gâte, selon moi, l’impression saine de cette pièce touchante, et, si l’imagination n’est pas tout à fait flattée sur un point, le cœur du moins n’y est pas offensé. Je dis cela, sachant toutefois qu’il est resté comme un froissement dans quelques âmes scrupuleuses, tant cette idée de mère, même de mère adoptive, est une idée sacrée ! On ne serait pas juste envers cette pièce du Champi, si l’on ne signalait, au moins en passant, l’excellent rôle de Jean Bonnin, l’idéal du paysan berrichon.
Voilà donc, grâce à Mme Sand, notre littérature moderne en
                    possession de quelques tableaux de pastorales et de géorgiques bien françaises.
                    Et, à ce propos, je 
songeais à la marche singulière
                    que le genre pittoresque a suivie chez nous. Au xviie
                siècle, le sentiment du pittoresque naturel est né à peine, il
                    n’est pas détaché ni développé, et, si l’on excepte le bon et grand
                        La Fontaine17, nous n’avons alors à admirer aucun tableau vif et
                    parlant. La marquise de Rambouillet avait coutume de dire : « Les esprits
                        doux et amateurs des belles-lettres ne trouvent jamais leur compte à la
                        campagne. »
 Cette impression a duré longtemps ; tout le xviie
                siècle et une partie du xviiie
                en sont restés plus ou moins sur cette idée de Mme de Rambouillet, qui est celle de toute société polie et,
                    avant tout, spirituelle. Mme de Sévigné, dans son parc, ne
                    voyait guère que les grandes allées, et ne les voyait encore qu’à travers la
                    mythologie et les devises. Plus tard, Mme de Staël elle-même
                    ne trouvait-elle pas que « l’agriculture sentait le fumier »
 ? Ce
                    fut Jean-Jacques qui le premier eut la gloire de découvrir la nature en
                    elle-même et de la peindre ; la nature de Suisse, celle des montagnes, des lacs,
                    des libres forêts, il fit aimer ces beautés toutes nouvelles. Bernardin de
                    Saint-Pierre, peu après, découvre à son tour et décrit la nature de l’Inde.
                    Chateaubriand découvre plus tard les savanes d’Amérique, les grands bois
                    canadiens et la beauté des campagnes romaines. Voilà bien des découvertes, les
                    déserts, les montagnes, les grands horizons italiens ; que restait-il à
                    découvrir ? Ce qui était le plus près de nous, au cœur même de notre France.
                    Comme il arrive toujours, on a fini par le plus simple. On avait commencé par la
                    Suisse, par l’Amérique, par l’Italie et la 
Grèce : il
                    fallait Mme Sand pour nous découvrir le Berry et la
                    Creuse.
En insistant sur l’admiration qui est due à ces dernières productions de Mme Sand, je n’ai pas, au reste, la pensée de lui adresser un conseil : c’est un succès que j’ai voulu constater. Loin de moi l’idée de prétendre circonscrire désormais dans le cercle pastoral un talent si riche, si divers et si impétueux ! Mon seul conseil, mon seul vœu, c’est qu’un tel talent s’ouvre des voies et crée des genres tant qu’il lui plaira, mais qu’il ne serve jamais un parti. Hors de là, qu’il aille à son gré, qu’il se développe, qu’il s’égare parfois ; il est sûr de se retrouver, car il vient de source. Je dirai du talent vrai, comme on l’a dit de l’amour, que c’est un grand recommenceur. Ce qu’il a manqué une fois, il le ressaisit une autre. Il n’est jamais à bout de lui-même, et il récidive souvent. Le moment, pour la critique, d’embrasser ce puissant talent dans son cours, et de le pénétrer dans sa nature, n’est pas venu, selon moi ; il faut le laisser courir encore. On peut préférer de lui telle ou telle manière, mais il est curieux de les lui voir essayer toutes. Pour moi, je préfère, je l’avoue, chez Mme Sand les productions simples, naturelles, ou doucement idéales ; c’est ce que j’ai aimé d’elle tout d’abord. Lavinia, Geneviève, Madeleine Blanchet, la petite Marie de La Mare au diable, voilà mes chefs d’œuvre. Mais il y a aussi des parties supérieures et peut-être plus fortes, plus poétiques en elle, et que je suis loin de méconnaître. C’est Jeanne, c’est Consuelo ; au fond, tout au fond, c’est toujours cette nature de Lélia, fière et triste, qui se métamorphose, qui prend plaisir à se déguiser et à se faire agréer, sous ces déguisements, de ceux mêmes qui ont cru la maudire en face. Et qu’est-ce que Consuelo, par exemple, sinon Lélia éclairée et meilleure ? Enfin, chacun aura ses préférences, mais il ne faut rien interdire en fait d’art à un talent qui est en plein cours, en plein torrent. Un talent fier comme celui-là a été mis au monde pour oser, tenter, se tromper souvent, pour se perdre comme le Rhône, et pour se retrouver aussi.