Vien
Le triste et plat métier que celui de critique ! Il est si difficile de produire une chose même médiocre ; il est si facile de sentir la médiocrité. Et puis, toujours ramasser des ordures, comme Fréron ou ceux qui se promènent dans nos rues avec des tombereaux. Dieu soit loué, voici un homme dont on peut dire du bien et presque sans réserve ! L’image la plus favorable sous laquelle on puisse envisager un critique, est celle de ces gueux qui s’en vont avec un bâtonnet à la main remuer les sables de nos rivières pour y découvrir une paillette d’or. Ce n’est pas là le métier d’un homme riche.
Les tableaux que Vien a exposés cette année sont tous du même genre, et comme ils ont presque tous le même mérite, il n’y a qu’un seul éloge à en faire. C’est l’élégance des formes, la grâce, l’ingénuité, l’innocence, la délicatesse, la simplicité, et tout cela joint à la pureté du dessin, à la belle couleur, à la mollesse et à la vérité des chairs.
On serait bien embarrassé de choisir entre sa Marchande à la toilette, sa Bouquetière, sa Femme qui sort du bain, la Prêtresse qui brûle de l’encens sur un trépied, la Femme qui arrose ses fleurs, la Proserpine qui en orne le buste de sa mère et l’Offrande au temple de Venus. Comme tout cela sent la manière antique.
Ces morceaux sont petits. Le plus grand n’a pas plus de trois pieds de haut sur deux de large ; mais l’artiste a bien fait voir dans sa Sainte Genevieve du dernier Salon, son Icare qui est à l’Académie et d’autres morceaux, qu’il pouvait tenter de grandes compositions et s’en tirer avec succès.
Celui qu’il a appelé La Marchande à la toilette représente une esclave qu’on voit à gauche agenouillée. Elle a à côté d’elle un petit panier d’osier rempli d’Amours qui ne font qu’éclore. Elle en tient un par ses deux ailes bleues qu’elle présente à une femme assise dans un fauteuil, sur la droite. Derrière cette femme est sa suivante debout. Entre l’esclave et la femme assise l’artiste a placé une table sur laquelle on voit des fleurs dans un vase, quelques autres éparses sur le tapis, avec un collier de perles.
L’esclave un peu basanée avec son nez large et un peu aplati, ses grandes lèvres vermeilles, sa bouche entrouverte, ses grands yeux noirs, est une coquine qui a bien la physionomie de son métier et l’art de faire valoir sa denrée.
La suivante qui est debout, dévore des yeux toute la jolie couvée.
La maîtresse a de la réserve dans le maintien. L’intérêt de ces trois visages est mesuré avec une intelligence infinie ; il n’est pas possible de donner un grain d’action ou de passion à l’une, sans les désaccorder toutes en ce point. Et puis c’est une élégance dans les attitudes, dans les corps, dans les physionomies, dans les vêtements ; une tranquillité dans la composition ; une finesse ; tant de charmes partout, qu’il est impossible de les décrire. Les accessoires sont d’ailleurs d’un goût exquis et du fini le plus précieux. Ce morceau en tout est d’une très belle exécution. La figure assise est drapée comme l’antique. La tête est noble. On la croit faible d’expression ; mais ce n’est pas mon avis. Les pieds et les mains sont faits avec plus grand soin. Le fauteuil est d’un goût qui frappe ; ce gland qui pend du coussin, est d’or à s’y tromper. Rien n’est comparable aux fleurs pour la vérité de la couleur et des formes, et pour la légèreté de la touche. Le fond caractérise bien le lieu de la scène. Ce vase avec son piédestal est d’une belle forme. O, le joli morceau !
On prétend que la femme assise a l’oreille un peu haute ; je m’en rapporte aux maîtres.
Voilà une allégorie qui a du sens, et non pas cet insipide Exercice des Amours de Vanloo. C’est une petite ode tout à fait anacréontique. C’est dommage que cette composition soit un peu déparée par un geste indécent de ce petit Amour papillon que l’esclave tient par les ailes. Il a la main droite appuyée au pli de son bras gauche qui en se relevant indique d’une manière très significative la mesure du plaisir qu’il promet.
En général, il y a dans tous ces morceaux peu d’invention et de poésie, nul enthousiasme ; mais une délicatesse et un goût infinis. Ce sont des physionomies à tourner la tête ; des pieds, des mains et des bras à baiser mille fois.
L’harmonie des couleurs, si importante dans toutes compositions, était essentielle dans celles-ci ; aussi y est-elle portée au plus haut degré.
Ce sont comme autant de madrigaux de l’Anthologie mis en couleurs. L’artiste est comme Apelle ressuscité au milieu d’une troupe d’Athéniennes.
Celui que j’aime entre toutes, est la Jeune Innocente qui arrose son pot de fleurs. On ne la regarde pas longtemps sans devenir sensible. Ce n’est pas son amant, c’est son père ou sa mère qu’on voudrait être. Sa tête est si noble ! Elle est si simple et si ingénue ! Ah, qui est-ce qui oserait lui tendre un piège ? C’est la couleur de chair la plus vraie ; peut-être y désirerait-on un peu plus de vigueur. La draperie est large ; peut-être la voudrait-on un peu plus légère. Malgré le bas-relief dont on a décoré le pot de fleurs, on dit qu’il ressemble un peu trop pour la forme à ceux du Quai de la ferraille.
Mais encore un mot sur la Marchande de modes. On prétend que les Anciens n’en auraient jamais fait le sujet d’un tableau isolé ; qu’ils auraient réservé cette composition et celles du même genre, pour un cabinet de bains, un plafond, ou pour les murs de quelque grotte souterraine. Et puis, cette suivante qui d’un bras qui pend nonchalamment va de distraction ou d’instinct relever avec l’extrémité de ses jolis doigts le bord de sa tunique, à l’endroit… En vérité, les critiques sont de sottes gens ! Pardon, Monsieur Vien, pardon ! Vous avez fait dix tableaux charmants. Tous méritent les plus grands éloges par leur précieux dessin et le style délicat dans lequel vous les avez traités. Que ne suis-je possesseur du plus faible de tous ! Je le regarderais souvent, et il serait couvert d’or, lorsque vous ne seriez plus.