(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 369-371
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 369-371

Toussaint, [François-Vincent] Avocat, de l’Académie de Berlin, né à Paris en 1715, mort à Berlin en 1772, où il étoit Professeur de Belles-Lettres Françoises.

De tout ce qu’il a écrit [& le nombre de ses Productions est assez considérable], le seul Ouvrage qui lui ait donné de la célébrité, est son Livre des Mœurs ; nouvelle preuve que la plupart des Esprits de ce Siecle n’ont cru pouvoir se faire un nom qu’en s’écartant des routes ordinaires, & en débitant des systêmes opposés à toutes les idées reçues. Ce Livre fut accueilli par les Philosophes, & condamné par le Parlement de Paris aussi-tôt qu’il parut. Sous prétexte de donner des leçons de Morale, l’Auteur y débite des maximes absurdes, & renverse le plus souvent les notions des vertus, les plus invariables dans leurs principes. Il est vrai que la Philosophie de l’Ecrivain des Mœurs a su du moins respecter quelque chose. Elle n’a point attaqué, comme on l’a fait depuis, l’existence de Dieu, l’immortalité de l’ame, la nécessité d’un Culte ; elle ne s’est point élevée contre certains préceptes de la Morale chrétienne, tels que le pardon des offenses, &c. ; elle ne s’est point consumée en raisonnemens en faveur du suicide, de l’adulterre, de la vengeance ; au contraire, elle ne s’est jamais écartée d’un caractere de modération, de respect, à l’égard du plus grand nombre des vertus religieuses & sociales. Elle a même cela de particulier, qu’elle s’exprime avec une douceur & une onction rares dans tout ce qui appartient à la Philosophie. Ce ton a sans doute déplu aux autres Philosophes, & les Beaux-Esprits de ce Corps se sont égayés en donnant à M. Toussaint le nom de Capucin de la Secte. L’expression est heureuse ; mais ces Messieurs devroient savoir que, si cet Auteur, réprouvé parce qu’il est décent, honnête, raisonnable dans la plupart de ses sentimens, n’a pas mérité d’être célébré par eux, comme tant d’autres, il n’en a pas moins le mérite d’écrire d’une maniere bien supérieure aux Auteurs de la Philosophie du bon sens, du Code de la Nature, du Christianisme dévoilé, & de tant d’autres rapsodies aussi insupportables par l’extravagance des idées, que par la bizarre contexture du style.

A propos du Livre de M. Toussaint, il n’est pas inutile d’observer qu’il a paru, il y a quelques années, un Essai sur les mœurs du temps, par M. Reboul, qu’on peut lire avec fruit & sans crainte d’y rencontrer rien de contraire aux principes de la Morale ni de la Religion. L’Auteur ne se borne pas à faire la satire des ridicules & des vices du Siecle, il présente aussi les moyens de les corriger ; & si ses observations ne sont pas toujours élégantes & vivement exprimées, elles ont du moins le mérite de la justesse, & annoncent un Esprit aussi éclairé, que jaloux du bonheur de ses Concitoyens.