(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 530-531
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 530-531

POLIGNAC, [Melchior de] Cardinal, de l’Académie Françoise, né au Puy-en-Velay en 1661, mort à Paris en 1741.

La Nature s’est plu à le favoriser de ses dons les plus précieux. Mémoire prodigieuse, imagination brillante & féconde, esprit vaste & flexible, également propre aux Affaires, aux Sciences, aux Belles-Lettres, tout s’est réuni pour en former un de ces hommes destinés à faire honneur à leur Siecle par leurs talens, & par l’heureux usage qu’ils en ont fait.

Toutes les Nations connoissent son Anti-Lucrece, Ouvrage où la saine raison est embellie de toutes les graces de la Poésie. Quoique ce Poëme ait été écrit en Latin presque sous nos yeux, la tournure & le génie de la Langue Latine y sont si bien conservés, qu’on seroit tenté de croire que l’Auteur est né au Siecle de l’Adversaire qu’il combat. On ne peut, après cela, qu’attribuer à sa modestie, ce qu’il dit de ses Vers,

Eloquio victi, re vincimus ipsâ.

Non seulement ce Poëte, aussi élégant que lumineux, détruit, par des raisonnemens simples & convaincans, le systême du Partisan d’Epicure, en se servant de tout ce que la Physique, la Morale & la Métaphysique ont de plus positif & de moins contesté ; mais encore sa touche, également vive, pénétrante, ingénieuse, & fleurie, ajoute à ses raisons un charme secret, qui porte dans les ames raisonnables le plaisir avec la conviction.

De tels Auteurs seront pour tous les temps de dignes objets d’admiration, ainsi que de vrais modeles. Leurs Ouvrages, sans aucune éclipse, iront déposer chez la Postérité la gloire des talens & celle des vertus. C’est s’aveugler & dégrader son Siecle, que de prétendre à l’immortalité par une autre route que celle qui nous a été frayée par les Grands Hommes. On pardonnera sans peine au Cardinal de Polignac de légers défauts dans le style, en faveur de la solidité de ses pensées & de la droiture de ses intentions : mais les Ecrivains téméraires de notre Siecle sont assurés de perdre le mérite de leurs expressions, par le mépris qu’on aura pour leurs pensées & leurs sentimens.