Ségrais, [Jean-Renaud] de l'Académie Françoise, mort à Caen, sa patrie, en 1701, âgé de 76 ans.
Despréaux n'a pas cru pouvoir mieux caractériser ses talens, que par ce Vers,
Que Segrais, dans l'Eglogue, enchante les forêts.
Cet éloge ne paroîtra point excessif, si on fait attention que Ségrais, encore aujourd'hui, est presque le seul de nos Poëtes qui ait réussi dans le genre pastoral. Il a traité l'Idylle & l'Eglogue avec cette simplicité naturelle, mais noble & décente, qui leur convient. Sa diction est pure, sa versification coulante : les figures qu'il emploie sont analogues aux personnages qu'il fait parler. Il a su, par-dessus toutes choses, peindre ces passions tempérées, ces inclinations douces, ces goûts sensibles, cette charmante ingénuité, ces petites inquiétudes, qui caractérisent les mœurs des Bergers. Rien n'est plus rare que d'assortir les pensées & le style aux sentimens & au caractere des personnages qu'on introduit. La plupart de nos Poëtes bucoliques font parler les Bergeres comme des petites Maîtresses qui débitent des sentences galantes sous des expressions recherchées. Ils ont beau les faire entretenir de moutons, de chiens & de houlettes, le raffinement du reste de leur discours les décele & les trahit. On voit la tête d'une Coquette sur les épaules d'une Paysanne, comme le dit fort bien un Auteur* peu connu. Ségrais a évité cet écueil ; les idées, les sentimens, les expressions de ses Bergers sont analogues à l'ingénuité de leurs mœurs ; ils sont tendres, naïfs, & non Métaphysiciens. C'est sur-tout en cela qu'on peut le regarder comme un des meilleurs modeles de Poésie pastorale, quoique la chaleur du sentiment n'anime pas toujours ses Interlocuteurs.
Sa Traduction en Vers des Géorgiques & de l'Enéide, est très-inférieure à ses Eglogues & à ses Idylles ; aussi n'étoit-ce pas son genre. Il n'est pas donné à tous les Poëtes de dire, avec autant de vérité que Virgile : Cecini pascua, rura, duces.
Ségrais écrivoit assez bien en Prose, comme on peut en juger par ses Nouvelles Françoises, aussi bien que par Zaïde & la Princesse de Clèves, Romans auxquels il a eu plus de part que Madame de la Fayette.