Ghil, René (1862-1925)
[Bibliographie]
Légendes d’âmes et de sang (1885). — Traité du verbe (1886 et 1888). — Le Geste ingénu (1887). — I. Dire du Mieux : Le Meilleur Devenir et le Geste ingénu (1889). — Méthode évolutive-instrumentiste d’une poésie rationnelle (1889). — I. Dire du Mieux : La Preuve égoïste (1890). — En méthode à l’œuvre (1891). — I. Dire du Mieux : Le Vœu de vivre (1891-1892-1893). — I. Dire du Mieux : L’Ordre altruiste (1891-1895-1897).
OPINIONS.
Stéphane Mallarmé
Il me rappelle des époques de moi-même au point que cela tient du miracle.
Teodor de Wyzewa
J’ai lu le Geste ingénu avec le souci d’y percevoir l’instrumentation poétique. Balourdise native ? défaut d’habitude ? Je n’ai rien perçu. L’abondance même des majuscules ne m’a pas ému. Et je persiste à être gêné par une imitation incessante de vers que j’aime, qui furent toujours étrangers à toute instrumentation, et que je retrouve ici déformés, vidés de leur intime raison d’être, sans la moindre compensation musicale…
Paul Ginisty
                     M. René Ghil ne le cède guère à
                    M. Kahn, comme gardien d’un
                  temple où n’entrent que les initiés. Mais il doit y avoir de subtiles distinctions
                  dans leurs théories, où je n’ose m’aventurer. M. René Ghil, lui, salue M. Stéphane Mallarmé comme le
                  prophète qui a révélé la bonne doctrine, et il l’appelle « père et seigneur
                    de l’or, des pierreries et des poisons »
. Son livre, Le
                    Geste ingénu, se plaît à de bizarres dispositions typographiques : au bas
                  d’une page blanche, par exemple, on trouve deux vers, en caractères minuscules. Il
                  paraît qu’il y a là une intention profonde.
À son tour, M. René Ghil a un disciple, qui est M. Stuart Merrill, et qui lui dédie les Gammes. Ces poètes hiéroglyphiques paraissent remplis de bons procédés les uns pour les autres. Je le dénonce pourtant à l’indignation du groupe ; quelques-uns de ses vers sont presque écrits en simple français !
Dans son Centon, M. Ch. Vignier met aussi un peu d’eau claire dans le vin mystérieux de l’école. Pas trop, assurément ; il est déjà loin, toutefois, du farouche et intransigeant M. Kahn !
Paul Verlaine
Son « livre d’essais », pour parler comme on voudrait qu’il parlât, lui a conquis
                  l’attention admirative de tous compétents. Stéphane Mallarmé
                  particulièrement l’a discerné, qui écrivait à l’auteur : « … Peu d’œuvres
                    jeunes sont le fait d’un esprit qui ait été, autant que le vôtre, de
                    l’avant »
, et il lui prodigua les conseils, attirant son attention sur
                    L’Harmonie contenue en ces vers de la Légende
                    d’âme et de sang, « et ainsi, disait dernièrement Ghil, me jeta dans la voie, ma voie,
                    selon un sens harmonique très développé en moi, qui me fait écrire en
                    compositeur plus qu’en littérateur »
.
Charles Morice
À celui-ci exceptionnellement soyons sévère, car il a fait tout ce qui était en lui pour compromettre l’art qu’il croyait servir. Il fut sincère, on n’en doit point douter, mais il fut trop hâtif, ambitieux d’un titre et de ce bruit des journaux où le talent court des risques. D’ailleurs, je sais de lui, dans ses Légendes d’âme et de sang, de beaux vers.
Remy de Gourmont
M. René Ghil est un poète philosophique. Sa philosophie est une sorte de positivisme panthéiste et optimiste. Plus brièvement, quoique peut-être avec moins de clarté, on pourrait appeler cela un positivisme mystique… Ce positivisme mystique est, à vrai dire, le positivisme même, celui de Comte et de ses plus fidèles disciples… Si M. René Ghil n’avait pas faussé comme à plaisir son talent et son instrument, il aurait pu être ce poète, celui qui dit au vaste peuple sa propre pensée, qui clarifie ses obscurs désirs. La langue dont a usé M. Ghil lui a rendu ce rôle impossible.
Paul Léautaud
Son livre de débuts, Légendes d’âmes et de sang, qui révélait
                  un poète ne procédant d’aucun maître, et dont la préface, où il donnait les
                  grandes lignes de l’œuvre qu’il méditait, laissait pressentir les théories de
                  musique verbale que le Traité du verbe devait répandre avec
                  éclat, d’un coup attira sur lui l’attention. C’est en rendant compte de ce premier
                  livre que M. Édouard Rod,
                  alors, écrivit : « M. René
                      Ghil ne sera jamais banal »
. En 1886, parut pour la
                  première fois le Traité du verbe, petite brochure d’une dizaine
                  de pages, où M. René Ghil
                  exposait sa théorie, encore spontanée et un peu incomplète, de l’instrumentation
                  verbale, expression par lui créée et qui devint assez courante. Tantôt louangeuse
                  et tantôt railleuse, toute la presse européenne s’occupa de cet ouvrage, dont deux
                  nouvelles éditions, en 1887 et en 1888, achevèrent de faire connaître M. René Ghil et ses théories
                  instrumentistes. C’est alors que, séduit par ces, théories, M. Gaston Dubedat, en 1887, fonda
                  les Écrits pour l’Art, petite revue qui parut
                  jusqu’en décembre 1892 et où combattirent pour leurs idées les jeunes écrivains
                  partisans de M. René Ghil, qui,
                  dans l’édition du Traité du verbe publiée en 1888, avait exposé
                  complètement et définitivement la philosophie de son œuvre, laquelle philosophie
                  partait du transformisme et donnait comme substratum à l’idée poétique l’idée
                  scientifique. Enfin, en 1889, avec le Meilleur Devenir et le Geste ingénu, dont il était paru une édition d’essai en 1888,
                    M. René Ghil commença l’œuvre
                  qu’il avait annoncée à ses débuts et qui, sous le titre général et rigoureux d’Œuvre, se divise en trois parties : Dire du Mieux.
                    — Dire des Sangs. — Dire de la Loi. La première partie de cette œuvre, qui
                  est aujourd’hui réalisée, compte cinq livres, lesquels se composent chacun d’un ou
                  de plusieurs petits volumes paraissant à peu près chaque année. Et la deuxième
                  partie est commencée avec le Pas humain, publié en 1898. L’Œuvre est une. De même que tous les volumes se relient les uns
                  aux autres, se font suite et se pénètrent par l’idée générale et les motifs
                  musicaux, comme les instants d’un drame lyrique, de même tous les poèmes sont
                  solidaires et se complètent, voix multiples pour un dire unique. C’est pourquoi
                  ces poèmes n’ont point de titres, comme habituellement, mais simplement des
                  numéros d’ordre, lesquels équivalent à des numéros de chapitre. Seuls, la marche
                  et le mouvement des idées y marquent des sortes de strophes, un peu irrégulières,
                  car la strophe ancienne est répudiée par M. René Ghil au même titre que les sylves de poèmes sans pensée
                  générale et écrits uniquement selon l’inspiration. Le rêve scientifique domine
                  cette œuvre, où l’auteur, dans son écriture, veut synthétiser les différentes
                  formes d’art : littéraire, musicale, picturale et plastique.