(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 66-69
/ 2289
(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 66-69

Regnard, [Jean-François] né à Paris en 1647, mort en 1709 ; le meilleur de nos Poëtes Comiques, après Moliere, en ce qu'il a le plus approché du génie de ce Grand Homme. On voit, par la plupart de ses Pieces, & sur-tout par celle du Joueur, qu'il auroit pu égaler plus souvent son Modele, si une vie trop dissipée, des voyages très-longs & très-fréquens n'eussent nui à la perfection de ses talens.

Ce n'est que par une application constante, par une continuité non interrompue de travaux sur le même objet, qu'on peut développer les dons qu'on a reçus de la Nature pour y réussir. La vie de Regnard a été totalement opposée à ce principe. Tantôt esclave à Alger, tantôt Voyageur en Laponie, il abandonnoit l'étude & la composition, & n'y revenoit que par l'impulsion de son génie, qui le forçoit, en quelque maniere, à produire malgré lui. Parmi tant de vicissitudes & de distractions, il est étonnant qu'il soit sorti de sa plume un si grand nombre de Pieces dignes de rester au Théatre, & revues avec plaisir. Telles sont le Joueur, le Distrait, les Menechmes, le Légataire universel, les Folies amoureuses, Démocrite, la Sérénade, & le Retour imprévu.

Le Joueur, par-dessus toutes, est une Comédie, dont le principal Caractere & ses accessoires sont dessinés & rendus avec autant de finesse que de fidélité. Une imagination vive & gaie, un bon sens exquis, une connoissance bien étendue du Théatre, le naturel du dialogue, un art admirable de saisir les ridicules & de les peindre dans leur jour le plus brillant, la rendront toujours digne d'être proposée pour modele.

Dans les Pieces d'intrigue, Regnard est supérieur à tous ceux qui l'ont suivi. Personne n'a su mieux manier un sujet, le conduire, & le terminer par un dénouement agréable & piquant. S'il avoit eu soin d'unir la morale à la force comique ; de suivre les regles indispensables de la Comédie, destinée par son institution à instruire & à corriger ; de donner aux travers qu'il expose, les couleurs qui en font sentir & détester la difformité ; de punir sur la Scene les Personnages vicieux qu'il y introduit ; en un mot, de travailler à rendre les hommes meilleurs, autant qu'il s'appliquoit à les amuser : il est certain qu'il auroit droit de prétendre à une gloire plus brillante & plus solide que celle dont il est en possession.

Il ne faut pas conclure cependant de ce reproche, que nos Comédies froides & sentencieuses soient préférables aux siennes. Ce n'est point par des déclamations insipides ; par un étalage de morale empoulée, gigantesque ; par des tableaux d'un coloris aussi forcé que rebutant ; par des sentimens alambiqués ; par une Métaphysique quintessenciée & confuse ; par des maximes parasites, jetées au hasard & avec affectation, que nos prétendus Comiques pourront se flatter d'égaler les Grands Hommes, en prenant une route opposée à celle qui les a conduits au succès. Il n'est pas possible qu'ils se dissimulent leurs méprises, à la vue de l'oubli où sont tombées & où tombent tous les jours quantité de Pieces, applaudies d'abord avec enthousiasme, & rejetées ensuite avec dégoût : tant la réflexion & le retour des vrais principes sont ennemis des Productions contraires à la raison & au bon goût ! Le bizarre peut séduire un moment, mais son triomphe est court, & on méprise ce qu'on avoit d'adord goûté, à proportion de la honte qu'inspirent les travers qui avoient su en imposer.

On a de Regnard quelques petits Ouvrages en prose, dont le Voyage de Laponie est le plus piquant, par les détails curieux qu'il renferme, & la maniere dont ils sont racontés. L'Auteur y paroît cependant trop crédule, à certains égards, & observateur peu judicieux.