(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 94-98
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 94-98

Rigoley de juvigny, [Jean-Antoine] Conseiller Honoraire du Parlement de Metz, né à Paris en 17.

Nous ne connoissions ni sa personne, ni ses Ouvrages, lorsque la premiere édition de celui-ci parut. C'en est assez pour réfuter ceux qui ont débité qu'il y avoit eu part. Mais nous assurerons avec la même vérité, qu'après la lecture de son Discours sur les progrès des Lettres en France, mis à la tête de la nouvelle édition des Bibliotheques de la Croix du Maine & de du Verdier, nous nous sommes applaudis de voir nos principes conformes aux siens. Cet excellent Discours qui présente les révolutions de notre Littérature depuis son origine jusqu'à présent, est tout à la fois un Tableau historique des Productions du génie, un Code abrégé des regles du bon goût, & une habile Critique des travers de nos Littérateurs actuels. Nourri de la lecture des Anciens, dont il paroît s'être pénétré ; appuyé sur les principes invariables de la nature, qui sont ceux du vrai & du beau ; toujours armé du flambeau de la raison, l'Auteur parcourt d'un pas noble & ferme les différens âges du Génie Littéraire de la France, découvre les causes qui l'ont retenu long-temps captif dans les chaînes de l'ignorance & du mauvais goût, & nous montre par quels secours il en a triomphé. D'un autre côté, il apprécie, avec autant de justesse que de précision, les Ecrivains qui ont fait époque, soit en perfectionnant les Arts, soit en étendant leurs limites. Plein de discernement & de zele pour la gloire des Lettres, il peint avec des couleurs énergiques les ravages du faux bel-esprit & la dégradation dans laquelle il nous a précipités. Un tel Discours ne peut être que le fruit de l'érudition la plus étendue, d'une connoissance réfléchie de l'Histoire, de la Politique, de la Morale, & de la Religion. Il est écrit d'ailleurs d'un style noble, élégant, nombreux, toujours net & toujours châtié. Peut-être ceux qui s'intéressent à la perfection de cet Ouvrage désireroient-ils que l'élocution en fût plus animée, la marche plus rapide & le ton plus varié. Ce désir, après tout, n'indique que la confiance qu'on a dans les talens de M. Rigoley de Juvigny : on devient plus difficile à mesure qu'on voit plus de ressources dans un Ecrivain.

L'Introduction qu'il a mise à la tête de la Bibliographie de du Verdier, & qui paroît une suite naturelle du Discours sur les progrès des Lettres, est un morceau de critique qui ne fait pas moins d'honneur à son discernement & à sa plume. Même solidité de principes, même justesse d'observations, même sûreté de goût. En parcourant les différentes branches de la Littérature, on y met en opposition les Ecrivains qui ont préparé le Siecle de Louis XIV, avec ceux d'aujourd'hui ; & ce parallele, tracé avec autant de lumiere que de vérité, malgré les exceptions qu'on a soin de faire, ne tourne point à l'avantage des derniers. On n'y désigne pas ; il est vrai, en particulier, les corrupteurs de chaque genre, mais les applications sont aisées à faire. Cette maniere de procéder présageoit bien des murmures ; mais les murmures de ceux que l'Auteur attaque n'effrayent point son zele. Il parle avec d'autant plus de liberté & de force, que les défauts sont aujourd'hui plus communs & l'audace plus révoltante. Elevés , dit-il, dans les principes séveres du goût & de la vérité, nous ne nous en écarterons jamais ; & la seule estime dont nous soyons jaloux est celle des honnêtes gens.

M. Rigoley de Juvigny l'a obtenue cette estime & l'obtiendra toujours de quiconque sentira combien il est essentiel pour nous de conserver la gloire littéraire & la gloire nationale. Son Ouvrage porte le caractere d'une ame vraiment Françoise, & d'un esprit au dessus de la Cabale, de ses vengeances & de ses applaudissemens. Tant qu'un Ecrivain pourra s'assurer de ne combattre qu'en faveur du bien public, il ne doit pas s'attendre aux suffrages de ceux qui en sont les plus mortels ennemis. Que lui importeroient leurs louanges ! elles ne sont dispensées qu'à des complices ; & quel homme jaloux de son honneur voudroit l'être à si bas prix !

Au reste, les sentimens de M. de Juvigny ont toujours été les mêmes. Depuis vingt ans il résiste au torrent de la dépravation, & s'en est constamment montré l'adversaire. Ses Remarques Littéraires & Critiques sur les Bibliotheques de la Croix du Maine & du Verdier, ses Mémoires historiques sur la vie & les Ouvrages de la Monnoye, offrent des traits fréquens de zele & de réclamation contre les attentats de la Philosophie. Il n'est pas jusqu'à son petit Mémoire * pour l'âne de Jacques Féron, plaisanterie ingénieuse & écrite avec beaucoup d'agrément, où nos Philosophes ne soient poursuivis par des saillies très-humiliantes pour leur amour- propre. Ne rentreront-ils jamais en eux-mêmes ? L'encens qu'on leur prodigue est si suspect & si fade ! & les coups qu'on leur porte si directs & si accablans !