(1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LIX » pp. 227-230
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(1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LIX » pp. 227-230

LIX

le procès donon-cadot. — balzac a l’audience. — demande d’argent par le roi louis-philippe. — conflit entre les deux chambres au sujet de la liberté de l’enseignement. — les jésuites et les jacobins. — réponse de m. thiers au roi. — l’ultramontanisme, par quinet. — les actes des apotres, par génin. — pascal. — l’abbé flottes.

La saison littéraire se traîne comme la saison politique. Le grand événement de ces derniers jours a été le procès Donon-Cadot (ce fils qui avait fait assassiner son père et qui est absous) : voilà ce qui fait diversion au roman-feuilleton, et ce qui lui sert d’inspiration aussi. Balzac n’a pas quitté l’audience. Le Juif Errant d’Eugène Sue a passé presque inaperçu dans cet éclat : je ne sais s’il va se relever et regagner l’attention.

— Une impression morale très-pénible, ç'a été celle qu’a produite la note insérée au Moniteur et dans laquelle le roi Louis-Philippe, non content de ses millions, en redemande d’autres et raconte ses secrets de ménage, ses gênes domestiques. L'impression qu’une pareille absence de dignité et d’élévation produit en France, même sur les amis du trône, est au-delà de tout ; il y a là une méconnaissance complète de l’esprit national, un oubli singulier du dégoût que l’on cause. C'est le cas d’appliquer un mot énergique de M. Royer-Collard : l’abaissement éclate de toutes parts, — à commencer par la tête.

— La question de l’Université et du clergé, la grande question de la liberté d’enseignement, n’est pas épuisée : la voilà portée devant la Chambre des députés. Thiers est chargé du rapport ; on devine assez en quel sens il sera. Voilà le conflit entre les deux Chambres qui va s’engager. La Chambre des députés sera aussi universitaire que la Chambre des pairs l’a été peu. Il n’y a guère de solution possible de longtemps et la dispute durera. On cite de Thiers des mots assez piquants et qui lui ressemblent. Au roi qui le pressait, il y a quelques mois, de soutenir la loi telle que l’avait faite Villemain, et qui lui donnait pour raison qu’il fallait accorder quelque chose au clergé, que c’était encore quelque chose de très-fort qu’un prêtre, Thiers aurait répondu : « Sire, il y a quelque chose de plus fort que le prêtre, je vous assure, c’est le jacobin. » — Thiers aurait dit encore : « Qu'on nous donne en France les colléges des jésuites, et dans vingt ans je vous promets un Voltaire. »

— Quinet va publier un volume, résultat de ses leçons de l’année, et qui a pour titre : l’Ultramontanisme. — Il paraît un petit recueil périodique intitulé : Les Actes des Apôtres, dirigé contre le parti prêtre, et rédigé anonymement par M. Génin, ancien professeur de l’Université à Strasbourg et rédacteur du National : c’est âcre, violent et du pur xviiie  siècle.

Ainsi la guerre dure et se régularise, et on se tire des coups de fusil journellement, même quand il n’y a pas de grande bataille rangée.

— La question le Pascal menace de se raviver ou plutôt, nous l’espérons, promet de se terminer. On annonce la publication d’une édition définitive des Pensées.

Au même moment, dans un Recueil intitulé : Revue du Midi, et qui se publie à Montpellier, un professeur de philosophie, l’abbé Flottes, plaide en faveur de Pascal contre Cousin ; il a déjà publié deux articles développés, et en promet un troisième. L'abbé Flottes veut justifier Pascal, non-seulement de toute accusation de fanatisme (et il a bien raison en cela), mais encore de toute pensée et presque de toute émotion sceptique (ce qui est plus contestable). L'abbé Flottes appartient à cette honorable et finissante lignée de l’ancien clergé français qui associait sans trop de peine une certaine philosophie et un certain rationalisme avec le catholicisme ; il est de ceux qui auraient écrit volontiers sur le christianisme de Bacon et des autres grands hommes. Il est de ceux qui verraient volontiers des chrétiens, même chez les philosophes modernes qui le sont si peu. Il ne paraît pas se douter des orages qui assiégent les âmes à de certaines hauteurs. Texte en main et armé de logique, il nous démontre des choses qui restent assez douteuses et ouvertes à la conjecture. Mais il est modéré, il est poli, il est judicieux dans une certaine portée ; c’est un dernier et faible écho de ce qu’aurait été la voix de l’ancien clergé français dans cette querelle.