(1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre sixième. »
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(1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre sixième. »

Livre sixième.

Fable I.

V. 1. Les fables ne sont pas, etc.

Voici encore un Prologue, mais moins piquant et moins agréable que celui du livre précédent ; cependant on y reconnaît toujours La Fontaine, ne fût-ce qu’à ce joli vers :

V. 6. Et conter pour conter me semble peu d’affaires.

Ce vers devrait être la devise de tous ceux qui font des fables et même des contes.

V. 18…. L’un amène un chasseur…

Cette fable et la suivante semblent être la même et n’offrir qu’une seule moralité. Il y a cependant des différences à observer. Dans la première, c’est un paysan qu’on ne peut accuser que d’imprudence, quand il suppose que sa brebis n’a pu être mangée que par un loup. Il se croit assez fort pour combattre cet animal, et trouve à décompter quand il voit qu’il a affaire à un lion. Il n’en est pas de même de la fable suivante. Celui qui en est le héros, sait très-bien qu’il va combattre un lion, et cependant il est saisi de frayeur quand il voit le lion paraître. C’est un fanfaron qui l’est, pour ainsi dire, de bonne foi, et en se trompant lui-même.

Il convenait, ce me semble, que La Fontaine exprimât cette différence et donnât deux moralités diverses. Le paysan n’est nullement ridicule et le chasseur l’est beaucoup. Je crois que la morale du premier Apologue aurait pu être : connaissez bien la nature du péril dans lequel vous allez vous engager. Et la morale du second : connaissez-vous vous-même, ne soyez pas votre dupe, et ne vous en rapportez pas au faux instinct d’un courage qui n’est qu’un premier mouvement. Au surplus, l’exécution de ces deux fables est agréable, sans avoir rien de bien saillant.

Fable III.

V. 1. Borée et le soleil… Voici une des meilleures fables. L’auteur y est poète et grand poète, c’est-à-dire grand peintre, comme sans dessein et en suivant le mouvement de son sujet. Les descriptions agréables et brillantes y sont nécessaires au récit du fait. Observons tous ce vers imitatif… siffle, souffle, tempête, etc. N’oublions pas surtout ce trait qui donne tant à penser :

… Fait périr maint bateau ;
Le tout au sujet d’un manteau.

Enfin la moralité de la fable exprimée en un seul vers :

Plus fait douceur que violence.

Je n’y vois à critiquer que les deux mauvaises rimes de paroles et d’épaules.

Fable IV.

V. 9…. Pourvu que Jupiter, etc.

L’idée de rendre sensible par une fable, que la Providence sait ce qu’il nous faut mieux que nous, est très-morale et très-philosophique ; mais je ne sais si le fait par lequel La Fontaine veut la prouver est vraisemblable. Il paraît certain que le laboureur qui disposerait des saisons, aurait un grand avantage sur ceux qui sont obligés de les prendre comme elles viennent, et qu’il consentirait volontiers à laisser doubler ses baux à cette condition. À cela près, la fable est très-bonne, quoiqu’un goût sévère critiquât peut-être comme trop familiers et voisins du bas ces deux vers :

V. 13. Enfin du sec et du mouillé,
Aussitôt qu’il aurait baillé.
V. 16. Tranche du roi des airs, pleut, vente, etc.

Ces mots pleut, vente, pour dire, fait pleuvoir, fait venter, ne sont pas français en ce sens.

Ce sont de ces verbes que les grammairiens appellent impersonnels, parce que personne n’agit par eux ; mais La Fontaine a si bien préparé ces deux expressions, par ce mot tranche de roi des airs ; ces mots, pleut, vente, semblent en cette occasion si naturels et si nécessaires, qu’il y aurait de la pédanterie à les critiquer. L’auteur brave la langue française et a l’air de l’enrichir. Ce sont de ces fautes qui ne réussissent qu’aux maîtres.

Fable V.

V. 1. Un souriceau tout jeune, etc….

Voici encore une de ces fables qui peuvent passer pour un chef-d’œuvre. La narration et la morale se trouvent dans le dialogue des personnages, et l’auteur s’y montre à peine, si ce n’est dans cinq ou six vers qui sont de la plus grande simplicité. Le discours du souriceau, la peinture qu’il fait du jeune coq, cette petite vanité,

V. 20. Que moi, qui, grâce aux dieux, de courage me pique.

Ce beau raisonnement, cette logique de l’enfance, il sympathise avec les rats.

V. 29…. Car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.

Tout cela est excellent, et le discours de la mère est parfait : pas un mot de trop dans toute la fable, et pas une seule négligence.

Fable VI.

V. 1. Les animaux au décès d’un lion.

Cette fable écrite purement et où le fait est bien raconté, a, ce me semble, le défaut de n’avoir qu’un but vague, incertain, et qu’on a de la peine à saisir.

V. dernier. A peu de gens convient le diadème,

dit La Fontaine ; mais il y avait bien d’autres choses renfermées dans cet Apologue. La sottise des animaux qui décernent la couronne aux talens d’un bateleur, devrait être punie par quelque catastrophe, et il ne leur en arrive aucun mal. Les animaux restent sans roi. L’assemblée se sépare donc sans rien faire. Le lecteur ne sait où il en est, ainsi que les animaux que l’auteur introduit dans cette fable.

Fable VII.

Fable très-bonne dans le genre le plus simple et presque sans ornemens.

Fable VIII.

V. 1. Le mulet d’un prélat…
V. 15. Notre ennemi c’est notre maître.

On ne cesse de s’étonner de trouver un pareil vers dans La Fontaine, lui qui dit ailleurs :

On ne peut trop louer trois sortes de personnes,
Les dieux, sa maîtresse et son roi.

Lui qui a dit dans une autre fable :

Je devais par la royauté
Avoir commencé mon ouvrage.

On ne lui passerait pas maintenant un vers tel que celui-là, et on ne voit pas pourtant qu’on le lui ait reproché sous Louis XIV. Les écrivains de nos jours, qu’on a le plus accusés d’audace, n’ont pas poussé la hardiesse aussi loin. On pourrait observer à La Fontaine que notre maître n’est pas toujours notre ennemi, qu’il ne l’est pas lorsqu’il veut nous faire du bien et qu’il nous en fait ; que Titus, Trajan furent les amis des Romains et non pas leurs ennemis ; que l’ennemi de la France était Louis XI, et non pas Henri IV.

Fable IX.

V. 21. Nous faisons cas du beau, nous méprisons l’utile.

C’est-là un des Apologues de La Fontaine dont la moralité a le plus d’applications, et qu’il faut le plus souvent répéter à notre vanité, qui est, comme il dit ailleurs,

Le pivot sur qui tourne aujourd’hui notre vie.

Fable X.

V. 7. Avec quatre grains d’ellébore.

C’était l’herbe avec laquelle on traitait la folie. Cette plante a perdu chez nous cette propriété.

V. 25. Croit qu’il y va de son honneur
De partir tard….

Toujours la vanité.

V. 31. Furent vains… La coupe de ce vers et ce monosyllabe au troisième pied, expriment à merveille l’inutilité de l’effort que fait le lièvre.

V. 34…. Et que serait-ce
Si vous portiez une maison ?

Trait admirable ; la tortue non contente d’être victorieuse, brave encore le vaincu. C’est dans la joie qui suit un avantage remporté, que l’amour-propre s’épanche plus librement. La nature est ainsi faite chez les tortues et chez les hommes. Louez une jolie pièce de vers, il est bien rare que l’auteur n’ajoute, je n’ai mis qu’une heure, un jour, plus ou moins ; et s’il s’abstient de dire cette sottise, c’est qu’il y réfléchit, c’est qu’il remporte une victoire sur lui-même, c’est qu’il craint le ridicule.

Fable XI.

V. 20…. Quoi donc ! dit le Sort en colère…

Il faut convenir que l’âne n’a pas tout-à fait tort de se plaindre. Le Destin, dans cette-fable-ci, a presque autant d’humeur que Jupiter dans la fable des grenouilles, du soliveau et de l’hydre. Mais j’ai déjà observé que la morale de la résignation est toujours excellente à prêcher aux hommes, bien entendu que le mal est sans remède.

Fable XII.

V. dernier….. Pour un pauvre animal,
Grenouilles, à mon sens, ne raisonnaient pas mal.

Voici une de ces vérités épineuses qui ne veulent être dites qu’avec finesse et avec mesure. La Fontaine y en met beaucoup ; et ce dernier vers, malgré son apparente simplicité, laisse entrevoir tout ce qu’il ne dit pas. Cela vaut mieux que, notre ennemi, c’est notre maître.

Fable XIII.

V. 2. Charitable autant que peu sage ;

Et à la fin,

Il est bon d’être charitable ;
Mais envers qui ? c’est là le point.

Voilà ce qu’il fallait peut-être développer. Il fallait faire voir que la bienfaisance qui peut tourner contre nous-mêmes, ou contre la société, est souvent un mal plutôt qu’un bien ; que, pour être louable, elle a besoin d’être éclairée. C’est-là la matière d’un bon Prologue. La Fontaine en a fait de charmans sur des sujets moins heureux. Au reste, il n’y a rien à dire à l’exécution de cet Apologue. Le tableau du serpent qui se redresse, le vers

V. 25. Il fait trois serpens de deux coups,

mettent la chose sous les yeux. On pourrait peut-être critiquer, cherche à se réunir, pour dire à réunir les trois portions de son corps ; mais La Fontaine a cherché la précision.

Fable XVI.

V. 1. De par le roi des animaux,
…………..
Fut fait savoir, etc.

J’ai déjà observé que ces formules, prises dans la société des hommes et transportées dans celle des bêtes, ont le double mérite d’être plaisantes et de nous rappeler sans cesse que c’est de nous qu’il s’agit dans les fables.

V. 18. Pas un ne marque de retour.

Peut-être était-il d’un goût plus sévère de s’arrêter là et de ne pas ajouter les vers suivans, qui n’enchérissent en rien sur la pensée. Cependant on a retenu les trois derniers vers de cet Apologue, et c’est ce qui justifie La Fontaine.

….. Mais dans cet antre,
Je vois fort bien comme l’on entre,
Et ne vois pas connue on en sort.

Fable XV.

V. 9. Sur celle qui chantait quoique près du tombeau.

Voyez combien ce vers de sentiment jette d’intérêt sur le sort de cette pauvre allouette.

V. 12. Elle sent son ongle maligne.

Maligne rime très-mal avec machine. C’est ce qu’on appelle une rime provinciale.

V. 17….. Ce petit animal
T’en avait-il fait davantage ?

Le défaut de cet Apologue est de manquer d’une exacte justesse dans la morale qu’il veut insinuer. Ce défaut vient de ce qu’il est dans la nature qu’un autour mange une allouette, et qu’il n’est pas dans la nature bien ordonnée qu’un homme nuise à son semblable. De plus, l’autour aurait bien pu manger l’alouette, quand celle-ci n’aurait pas été prise dans le filet.

Fable XVI.

Cette fable très-simple n’est susceptible d’aucune remarque intéressante.

Fable XVII.

Un chien qui est dans l’eau trouble l’eau, et ne saurait y voir l’ombre de sa proie. Si ce chien était sur une planche ou dans un bateau, il fallait le dire.

Fable XVIII.

V. 1. Le phaéton d’une voiture à foin.

Aucun poète français ne connaissait, avant La Fontaine, cet art plaisant d’employer des expressions nobles et prises de la haute poésie, pour exprimer des choses vulgaires ou même basses. C’est un des artifices qui jette le plus d’agrément dans le style.

V. 21. Hercule veut qu’on se remue.

Vers charmant qui méritait de devenir proverbe, comme l’est devenu le dernier vers :

Aide-toi, le ciel t’aidera.

Remarquons la vivacité du dialogue entre le charretier et la voix d’Hercule.

Fable XIX.

V. 7. Un des derniers se vantait d’être……

Le fond de cette fable est un fait arrivé dans une petite ville d’Italie ; mais le charlatan n’avait fait cette promesse qu’à l’égard d’un sot, d’un stupide, et non pas d’un âne : cela était moins invraisemblable, mais n’était pas si plaisant. Que fait La Fontaine ? Il charge, pour rendre la chose plus comique ; à la place du stupide, il met un âne, un âne véritable. Pour cela, il fait parler le charlatan même. Scène entre le charlatan, le prince et un plaisant de la cour. De ce fonds, qui était assez médiocre, La Fontaine sait tirer des détails plaisans ; et le tout finit par une leçon excellente.

Fable XX.

V. 4. Chez l’animal qu’on appelle homme,
On la reçut à bras ouverts.

Bonne satire de l’humanité en général ; puis vient la satire de la société, de l’homme civilisé qui n’a fait, par les conventions sociales, que multiplier les sujets de discorde. La Fontaine ne sort pas du ton de la plus simple bonhommie, et c’est ce qui rend cette fable si piquante. La difficulté de loger la discorde, parce qu’il n’y avait point de couvent de filles, est un trait imité de l’Arioste, qui la loge chez les moines ; mais La Fontaine qui voulait la loger chez les époux, a su tirer parti de cette imagination de l’Arioste.

Fable XXI.

V. 1. La perte d’un époux ne va pas sans soupirs.

Le seul défaut de cette fable est de n’en être pas une. C’est une pièce de vers charmante. Le Prologue est plein de finesse, de naturel et de grâce. Tous ceux qui aiment les vers de La Fontaine, le savent presque par cœur.

Le discours du père à sa fille est à la fois plein de sentiment, de douceur et de raison. La réponse de la jeune veuve est un mot qui appartient encore à la passion ou du moins le paraît. La description de divers changemens que le temps amène dans la toilette de la veuve ; ce vers :

Le deuil enfin sert de parure ;

Et enfin le dernier trait :

Où donc est le jeune mari ?

On ne sait ce qu’on doit admirer davantage. C’est la perfection d’un poète sévère avec la grâce d’un poète négligé.

Épilogue.

V. 1. Loin d’épuiser une matière,
On n’en doit prendre que la fleur.

On verra, par un grand nombre de fables du volume suivant, que La Fontaine aurait bien fait de prendra pour lui-même le conseil qu’il donne ici. On verra que plusieurs des fables qu’il fit dans sa vieillesse, déparent un peu son charmant recueil.

V. 5. Il s’en va temps…. Tournure un peu gauloise, mais qui n’est pas sans grâce, pour dire, il est bien temps.

V. 15. Heureux ! On sait que l’époux de Psyché, c’est l’Amour.