GOURNAY, [Marie Jars de] morte à Paris en 1645, âgée de 80 ans, fut en haute considération parmi nos premiers Académiciens.
Elle étoit très-jalouse de la société des Beaux-Esprits ; &
                            quiconque prétendoit à ce genre de gloire, devoit, avant toutes choses,
                            un tribut à sa vanité. A ce ridicule près, qui n’en est plus un
                            aujourd’hui, à force d’être commun, Mademoiselle de Gournay n’étoit pas sans mérite. Son esprit étoit orné ;
                            elle avoit l’imagination vive & agréable, une érudition peu commune
                            parmi les personnes de son sexe. Il est facile de s’en convaincre par
                            ses Ouvrages, dont les derniers mots paroîtront certainement singuliers.
                                « Si ce Livre me survit, dit-elle, je défends à toute
                                personne, telle qu’elle soit, d’y ajouter, ni diminuer, ni changer
                                jamais aucune chose, soit aux mots ou en la 
substance, sous peine à ceux qui
                                l’entreprendront, d’être tenu pour détestables aux yeux des Gens
                                d’honneur, comme violateurs d’un sépulcre innocent…. Les insolences,
                                voire les meurtres de réputation que je vois tous les jours en
                                pareil cas en cet impertinent siecle, me portent à lâcher cette
                                imprécation »
. De si terribles anathêmes ont effrayé le
                            Lecteur, & c’est apparemment pour ne pas s’exposer à la tentation
                            qu’elle redoutoit si fort, qu’on ne lit plus ses Ouvrages. On leur
                            rendroit cependant un grand service d’en retrancher une infinité de mots
                            surannés, pour lesquels Mlle de Gournay a toujours eu
                            la plus tendre affection, ce qui engagea Ménage à la
                            faite figurer dans sa Requête des Dictionnaires. Le
                            Cardinal de Richelieu ne pouvoit s’empêcher de rire,
                            quand il lui en entendoit prononcer. Tant mieux, lui
                            répondit-elle un jour, je fais un grand bien à la
                                France. La finesse de ce mot consistoit à faire entendre au
                            Ministre qu’elle conservoit les jours de son 
Eminence en l’égayant, genre de flatterie plus fait pour plaire à
                            celui qui en étoit l’objet, qu’au Lecteur, qui n’en jugera pas de
                            même.
Il ne faut pas ignorer que Mlle de Gournay fut fille adoptive de Michel Montagne, choisi par elle même pour pere, après la mort de ses parens. On lui doit une édition des Essais, avec une Préface à sa maniere, où l’on trouve des traits de sens, d’esprit & d’érudition, qui ont fourni, par parenthèse, à Pasial, trois ou quatre de ses plus brillantes pensées.