Ronsard, et Saint-Gelais.
Pierre Ronsard, né dans le Vendomois en 1525, passa pour le plus grand poëte de son temps. Il conserva cette réputation jusqu’à Malherbe. Le génie de Ronsard se tourna d’abord du côté de la guerre & des négociations. Ce fut le sçavant Lazare Baïf qui lui donna le goût des belles-lettres. Ils furent liés étroitement. On raconte que Ronsard étudioit jusqu’à minuit ; & qu’en se couchant, il réveilloit Baïf, qui prenoit sa place. Ils employoient tout leur temps à l’étude des langues Grecque & Latino. Aussitôt que Ronsard fut rempli de la lecture des anciens auteurs, il se mit à pindariser, selon sa propre expression ; c’est-à-dire, qu’il voulut imiter Pindare. Il donna l’essor à son génie, & se plaça dans les nues. Il prit le vent & l’enflure pour de la verve ; & ses contemporains se trompèrent également. Ils traitèrent ses vers empoulés d’inspiration divine. Sa muse, d’abord reçue avec enthousiasme à la ville, fut bientôt connue à la cour. Des églogues, des sonnets, des épithalames l’y mirent en réputation. Henri II fut curieux de lire ses poësies : mais, auparavant, il voulut sçavoir du vieux Saint-Gelais ce qu’il pensoit du jeune poëte.
Mellin de Saint-Gelais étoit en possession de charmer par le caractère des siennes. On y trouve de la douceur, de l’agrément, de la facilité. On le met à quelques égards au-dessus de Villon, de du Bellai, de Sarrasin, & même de Marot. C’est à lui que nous devons le sonnet, qui passa de l’Italie en France. La crainte de se voir éclipsé par une muse naissante, lui fit parler d’elle avec mépris au monarque. Mais un effet plus étonnant de sa jalousie, c’est la manière dont il lut à Henri II une pièce de Ronsard. Il falsifia, tronqua la plupart des vers, & récita les autres à contre-sens. Le prince en avoit demandé la lecture avec empressement ; & sa curiosité fut mal satisfaite.
Un procédé si bas vint bientôt à la connoissance de Ronsard. Rien n’indigne tant un poëte que des vers mal rendus par un acteur ou par un lecteur. Il n’apprit qu’avec un dépit extrême que les siens avoient été défigurés, & cela pour le détruire à la cour. Le démon satyrique s’empara de lui sur le champ, & lui suggéra des vers contre un médisant de Ronsard :
Avant, avant, vers furieux,Fouldroyons l’homme injurieux,Qui, de sa bavarde ignorance,Veut honnir l’honneur de la France,Aboyant d’un gozier felonUn des plus chéris d’Apollon.Ourdissons une corde telleQue celle d’Archiloc, ou celleQu’Hipponax Ireus rétordit,Afin que Bupal se pendit.
Tel est son début, pour venger son injure & vomir des horreurs. L’idée d’avoir manqué sa fortune, d’avoir perdu l’estime de son prince & l’espoir de ses libéralités, faisoit son tourment. On peut mettre ces affreux couplets avec les plus horribles que nous ayons eus depuis. Ronsard y parcourt l’histoire & la fable, & s’épuise en imprécations. Il avoit son offense tellement présente à son esprit, que, dans les sujets mêmes les plus éloignés de la satyre, il trouvoit le moyen de l’y amener. Par exemple, elle termine cette strophe d’un hymne triumphal sur la mort de Marguerite de Valois, reine de Navarre, qu’il plaît au poëte de mettre au rang des plus grandes saintes.
Je te salue, ô l’honneurDe mes muses, & encoreL’ornement & le bonheurDe la France qui t’honore.Ecarte loin de mon chefTout malheur & tout méchef.Préserve-moi d’infâmie,Et de tout acte malin ;Et fais que devant mon princeDésormais plus ne me pinceLa tenaille de Mellin.
Aucune des autres querelles de Ronsard n’approche de celle-ci. Il en eut avec Joachim du Bellay, contre lequel il plaida pour se faire rendre des odes que du Bellay lui avoit enlevées ; il en eut avec le bouffon & l’inintelligible Rabelais, qui l’attaquoit partout de conversation & de plaisanterie ; il en eut avec plusieurs ministres protestans, réputés beaux-esprits, qui lui reprochèrent de s’être fait, de curé, soldat au service de l’Ecosse & de l’Angleterre ; il en eut avec Philibert de Lorme, abbé de Livri, qu’il ridiculisa par une satyre intitulée la Truelle crossée : mais personne n’excita sa bile autant que Mellin de Saint-Gelais. Ce dernier sentit la sottise qu’il avoit faite. Il vit combien il est dangereux d’offenser un jeune homme à talent. D’ailleurs, les courtisans même blâmoient cette méchanceté de mal lire des vers qu’on croyoit fort beaux. Toutes ces considérations le déterminèrent à tâcher d’appaiser promptement Ronsard ; à publier qu’il n’avoit rien dit ni rien fait contre lui ; qu’il étoit son plus grand admirateur ; & que, loin de déprécier ses poësies, il les avoit, au contraire, toujours fort vantées au roi. A ces discours, Saint-Gelais joignit toutes sortes d’avances pour en venir à une réconciliation.
C’en fut assez pour désarmer Ronsard. Des transports de la colère, il passe à ceux de l’amitié. Il se reproche ses couplets, & fait des vers à la louange de Mellin.
Las ! ce monstre, ce monstre d’ire,Contre toi me força d’écrire,Et m’élança, tout irrité,Quand, d’un vers enfiélé d’iambes,Je vomissois les aigres flambesDe mon courage dépité ;Pour ce qu’à tort on me fit croire,Qu’en fraudant le prix de ma gloire,Tu avois mal parlé de moi,Et que, d’une longue risée,Mon œuvre par toi méprisée,Ne servit que de farce au roi.Mais ores, Mellin, que tu niesEn tant d’honnêtes compagniesN’avoir médit de mon labeur,Et que ta bouche le confesseDevant moi-même, je délaisseCe dépit qui m’ardoit le cœur.
Les princes du Parnasse étant réconciliés, tout le reste sembloit devoir se règler sur eux. Mais les partisans de Saint-Gelais & de Ronsard continuèrent la guerre. Ils se disputoient, pour sçavoir lequel des deux méritoit la préférence. Les tenans pour Ronsard le proclamoient roi de la poësie. On fondoit ses titres pour le trône, sur les amours de Cassandre, sur les sonnets pour Hélène, les cinq livres▶ de ses odes, son Bocage royal, ses églogues, ses élégies, ses poëmes, mais principalement sur celui de la Franciade, le premier poëme épique François. On retrouvoit dans ce seul poëte les trois plus grands poëtes de l’antiquité, Pindare, Homère & Virgile.
Il faut entendre un badaud de l’Hélicon se plaindre de ce qu’on n’admire pas
assez Ronsard, de ce que son talent n’est pas une égide contre tous les
traits de la critique. « Ce grand Ronsard,
dit-il, ce prince des poëtes François, l’ornement non
seulement de la France, mais de tout l’univers, n’a pu lui-même éviter
les sagettes de la censure. Car soudain qu’il eut fait imprimer ses
amours & le quatrième ◀livre de ses odes, on vit en même-temps une
brigade de petits musquets frisés & rimeurs
de cour, qui, pour faire une ballade & un rondeau
avec le refrein, mal-à-propos s’imaginent avoir seuls mérité les
lauriers du Parnasse. Le chef de cette bande étoit Mellin de
Saint-Gelais, qui, pour avoir quelque chose de plus que les autres,
avoit acquis beaucoup de réputation envers les grands, principalement
auprès du roi, s’efforçoit, par envie, de troubler l’eau pégasine à ce
nouvel Apollon, ayant l’ame touchée de tant d’envie & de présomption
que d’oser blasonner & de reprendre les œuvres dudit Ronsard aux
yeux de sa majesté, pour le rendre odieux. »
Ces plaintes sont
terminées par ce conseil.
Si la colère vous enflambe,Ne vous pendez pas, envieux :Je vous remets devant les yeuxLe malheur du pauvre Lycambe.Mais, si le mal tant vous oppresseQu’il ne reçoive guérison,Dessous le figuier de Tymon,Allez finir votre tristesse.
D’autre part, ceux qui tenoient pour Mellin de Saint-Gelais n’accordoient du mérite qu’à lui seul. Ils ne voyoient rien au-dessus de ses poësies tendres. Ils le comparoient à Properce, à Tibulle, à Catulle. Ils faisoient valoir son glorieux surnom d’Ovide François. L’homme dans Ronsard leur sembloit encore plus ridicule que le poëte : en quoi certainement ils ne se trompoient pas. Ronsard étoit vain singulièrement. Il ne parloit que de sa maison, de ses prétendues alliances avec des têtes couronnées. Il étoit né la même année de la défaite de François I, devant Pavie ; comme si le ciel, disoit-il, avoit voulu par-là dédommager la France de ses pertes. Il ne finissoit point sur le récit de ses bonnes fortunes. Etant jeune, il fut recherché des femmes : mais leurs faveurs eurent pour lui de cruelles suites. On lui reprocha des maladies honteuses. Il habitoit le haut d’une tour fort élevée, qu’on appella pendant longtemps la tour de Ronsard. Cette tour fut une source féconde de plaisanteries.
Pour peu que Saint-Gelais & Ronsard eussent voulu souffler ces restes de
feu de discorde, il seroit devenu plus violent que jamais. Aucun d’eux
ne reprit la plume. Ils se respectèrent & se
craignirent encore plus qu’ils ne s’aimèrent. Mellin, appréhendant de ne
pouvoir, au bout de sa carrière, se soutenir avec honneur, abandonna la
poësie Françoise à son jeune rival, & se remit aux vers Latins ; ce qui
fit dire que
le soleil levant l’ayant effacé ou fait
fuir d’un horison, il s’en étoit allé sous l’autre
.
Toutes les trompettes, réunies pour annoncer le mérite de Ronsard, ne se turent que vers le temps de Louis XIII. C’est un des écrivains dont la réputation mal fondée a le plus retardé le progrès de la langue. Sa versification dure, Gallo-Grecque, & souvent inintelligible, chargée d’érudition & de mots nouveaux, servoit de modèle. Ce poëte, dit Despréaux :
Règlant tout, brouilla tout, fit un art à sa mode ;Et toutefois long-temps eut un heureux destin.Mais sa muse, en François, parlant Grec & Latin,Vit dans l’âge suivant, par un retour grotesque,Tomber de ses grands mots le faste pédantesque.
Après sa mort, il reçut des honneurs tels qu’on n’en rend qu’aux gens de lettres qu’en Angleterre. On lui fit un tombeau magnifique, avec sa statue de la façon d’un très-habile sculpteur, & une épitaphe singulière. L’abbé du Perron, depuis Cardinal, prêcha son oraison funèbre dans le collège de Boncourt. On tâchoit, par tous ces honneurs, de répondre à la haute idée que, de son vivant, on avoit conçue de lui. La ville de Toulouse, pour le remercier d’avoir bien voulu mettre aux jeux floraux, dont il remporta le premier prix, ne jugeant pas la récompense ordinaire proportionnée à tant de mérite, fit faire une Minerve d’argent massif, & d’un prix considérable, qu’elle lui envoya. Le présent fut accompagné d’un décret, qui déclaroit Ronsard le Poëte François par excellence. Marie Stuard, reine d’Ecosse, fit aussi présent à Ronsard d’un buffet fort riche, où il y avoit un vase représentant le Mont-Parnasse, avec cette inscription :
A RONSARD,
L’Apollon de la source des Muses.