(1920) Action, n° 4, juillet 1920, Extraits
/ 3475
(1920) Action, n° 4, juillet 1920, Extraits

Introduction

À la fin de ce numéro, un placard, imprimé jusqu’au n° 7 inclus, constitue le manifeste de la revue. Adressé « À nos lecteurs », il souligne son indépendance vis-à-vis des écoles et met en avant les valeurs d’énergie et de nouveauté, la revue se voulant paradoxalement inscrite dans le présent, mais « dépassant l’actualité ». Ce manifeste est aussi une invite à la constitution active d’une communauté partageant ces valeurs : « Si notre effort vous est sympathique, confiez-nous le soin de vos éditions, travaux d’impression, catalogues et publicité. Faites souscrire à nos ouvrages, faites lire la revue. Toute personne nous ayant procuré cinq abonnements recevra la revue gratuitement pendant un an. » Cet activisme est le pendant des difficultés financières qu’exprime la page de sommaire : « Les difficultés d’impression s’opposent momentanément à notre parution régulière, nos abonnés sont assurés de recevoir douze numéros, correspondant à leur abonnement d’un an. »

Le numéro fait se rencontrer de façon exemplaire les différentes esthétiques nourrissant la revue, le post-symbolisme du récit de Hertz succédant à l’évocation d’Apollinaire, le poème de Péret rencontrant les fables de Max Jacob. L’intérêt pour les lettres étrangères se confirme avec l’article de Pol Michels sur l’expressionnisme allemand suivi de poèmes et d’un article du yougoslave Boško Tokin sur le futurisme, tandis que l’article de Follin rappelle l’ancrage politique de la revue.

Le lien entre la revue et les Éditions Action est assuré de nouveau par la publicité, notamment pour le Voyage en autobus de Sauvage à paraître aux Éditions Action dont il est donné ici un extrait (le recueil paraîtra chez Liber, voir ci-dessous l’introduction du n° 7). Cette page de publicité, qui reprend les sommaires des numéros précédents de la revue, renseigne également sur les recensions critiques qui réapparaissent au numéro suivant sous le nom, justement d’« ouvrages reçus » : seront recensés les ouvrages envoyés en double à la revue.

La part des arts plastiques croît : il leur est consacré quatre articles, dont un de Théodore Duret, ami de la grand-mère de Fels, défenseur de l’impressionnisme et initiateur du jeune Fels au monde de l’art. La chronique de Duthuit, qui fait là son apparition, est essentiellement consacrée à la peinture, mais évoque également le cinéma, la musique et le théâtre, et se fait l’écho du Festival Dada, qui a eu lieu salle Gaveau (45, rue de la Boétie) le 26 mai 1920, dont Duthuit souligne le caractère décevant. Le contraste dans la revue entre un discours très critique sur le groupe et des recensions élogieuses de ses productions se confirme, et prend aussi son sens dans le refus des écoles et la valorisation des créateurs affirmés par le programme-manifeste d’Action.

On remarque enfin la présence du « suburbanisme », mouvement dont nous n’avons pas trouvé trace et qui nous paraît marquer le goût de la blague dont témoigne Action, et notamment Fels, comme le démontreront ses « Critiques » du n° 5 ou sa recension de Paris-Revue dans le n° 7, entre deux revues d’avant-garde. Le « mouvement » est ainsi présenté :

Il existe, dans la banlieue de Paris, un groupe de poètes, qui ont résolu, sous une forme en quelque sorte communiste, le problème de la vie. Ces Sages ont créé une école — le Suburbanisme — puisqu’aussi bien on ne peut réunir dans une brasserie, un hôtel meublé ou un restaurant, deux ou trois écrivains sans qu’ils entreprennent de « coordonner leurs efforts ».

Nous avons accueilli ces poètes, qui nous furent révélés par M. Henri Béraud. Les « Suburbanistes » ne visent ni au scandale ni au profit. Ils se contentent de la persécution qui guette quiconque prétend penser sans contrainte.

Ces poètes sont Maria Pequiale, Jean Blanmœl, Ivan Le Fouloc et Joseph Doucher. Henri Béraud (1885-1958) est écrivain et journaliste français, ancien combattant pacifiste, collaborant au Petit Parisien, à Paris-Soir. Dans les années vingt, il attaque violemment La Nouvelle Revue française et glisse à droite. Il sera de 1934 à 1944 l’éditorialiste de Gringoire, où il manifestera son anglophobie et son rejet du socialisme. (NdE)

Souvenirs sur Guillaume Apollinairea

Qu’ils sont pauvres et modestes, mes souvenirs de Guillaume Apollinaire ! Ce n’est guère un récit que je tente, c’est plutôt une confession votive que j’exhale, un regret que j’exprime à l’illustre disparu, ou, suivant la parole charmante de la Duchesse de Clermont-Tonnerre, à propos de Remy de Gourmont, un « tardif envoi de pleurs »c que je lui fais.

Bien peu de chose en vérité. Mais — ô notre maître Rouveyred, — sur ce chemin délicat que vous avez ouvert à nos curiosités froissées par la pesanteur et l’insincérité des critiques professionnels — ne nous avez-vous pas enseigné que tout fait vrai, doré d’un peu de sentiment, peut avoir son prix et son parfum ?

C’était au Salon d’Automne, en 1911. Je parcourais les salles en compagnie d’une des femmes les plus tumultueuses et les plus brutales que Paris ait supportées. Passe près de nous une figure hâve et peinée, d’un dessin assez romain. Et mon interlocutrice de s’exclamer : « Par ici, Apollinaire ! Monsieur Germain, je vous présente Guillaume Apollinaire qui sort de prison ».

Le libre prince, des fantaisies venait, en effet, d’être immobilisé quelques journées durant par le bon plaisir de ces procureurs qui, généralement chargés de convoitises, de dols et de stupres infiniment plus vastes que ceux de leurs adversaires, se plaisent à venger la Morale Publique. Dans ce cas-ci, ils avaient été obligés d’avouer aussitôt leur méprisee. Quand votera-t-on une loi équitable, stipulant qu’à l’élargissement de chaque prévenu injustement séquestré on enfermera, pour un nombre égal de jours, le magistrat ?

J’aime toutes les victimes, et j’allais inventer quelque hommage ou quelque diversion à celle-ci, lorsqu’une explosion nouvelle de la dame agressive nous cloua l’un en face de l’autre, atterrés. « Vous allez en faire de la littérature ? » criait-elle, avec vitalité. Cette hâtive vivisection secoua d’un haut-le-corps un homme que la guerre ne devait jamais ébranler, mais qui était à la merci d’un trop brusque bourreau, juge ou femme.

Ma muette sympathie se tourna vers lui, sans oser s’accentuer. Pourquoi n’ai-je pas cherché, le lendemain, quelque geste, ami ? Les débris d’une éducation infiniment cléricale et d’une hérédité bourgeoise me laissaient timide envers mes élans. Par une logique que je reconstitue difficilement, mon précepteur en bas violets, qui me lisait Claudine à l’Ecolef et tenait devant moi avec ses joyeux confrères des propos d’une vigueur toute militaire, s’acharnait en même temps à me donner des superstitions et des terreurs contre les romanciers qu’il dénommait « pornographes ». Quand je lui échappai enfin, à vingt-cinq ans, mon ignorance et mes scrupules me barraient plus d’un joli sentier : Anatole France, et Apollinaire me semblaient coupables et lointains autant qu’une Cléo de Mérodeg ou qu’une Emilienne d’Alençonh.

 

Mes préjugés m’avaient quitté, lorsque six ans plus tard, en août 1917, ce complotant hasard qui s’appelle Pierre Benoîti me remit en présence de l’auteur du Poète assassiné.

Après de longs mois de repos et de maladie en pleine Suisse austère je revenais à mon nid, friand de délires parisiens. L’Atlante m’en voulut inonder, m’amenant d’un coup Careo et Apollinaire, Pour une modeste agape qui a laissé, je le crains, d’insuffisants souvenirs à notre parfait Tyrtéej de Montmartre, j’avais adjoint à tant d’inconnu, doux tempéraments, un poète suissek et un jeune peintre français qui revenait avec élégance du front où il avait reçu une blessure et trouvé envers les Hommes de la bonté fraternelle.

La conversation s’engagea mal, sur la Guerre. Le Suisse se taisait avec discrétion, mais mon ami qui pouvait opposer un uniforme à celui de Careo et une citation brillante à celle d’Apollinaire, usa de l’une et de l’autre pour soutenir avec honneur sa thèse antibelliciste. Apollinaire tint par réaction des propos barrésiens cependant que l’ambigu Francis, dont la pensée était ailleurs et dont le regard fixait avec rancune des pinards détestables, disait des choses molles en faveur de la Patrie. Le grand nom de Barbusse, tombant sur cette décomposition estivale où la chaleur et les fraises nous faisaient glisser, nous réveilla en nous enflammant. Les littérateurs prononcèrent avec unanimité qu’il n’avaient aucun talent ; nous osâmes, le peintre et moi, nous faire mépriser en traitant Le Feul chef-d’œuvre.

Le Feu avait alors quelques mois de carrière ; Kœnigsmarkm insoupçonné remuait à peine dans le ventre qui le portait. Qui nous eut dit qu’un an plus tard, l’amant d’Antinean se dresserait sur la cendre des Prévost et des Bourget en face de Barbusse lui-même, comme un triomphateur colossal ?

Ce jour-là hélas ! je ne prévoyais ni ne voyais rien. Car au lieu de me heurter à des apparences verbales et de m’étonner du Poète qui, affreusement atteint par la guerre, la peignait « fraîche et joyeuse » j’aurais dû me concentrer sur une réalité plus profonde, sur ce trou béant par où, sous les bandages, s’écoulait goutte à goutte une vie encore jeune, si précieuse à tous les amoureux des Lettres…

Vers un sujet très personnel, je détournai les fureurs publiques que déchaînaient l’actualité et son admirable interprète. J’avais une autorisation un peu scabreuse à solliciter d’Apollinaire.

Quelques semaines auparavant, dans un ennuyeux jardin de Lausanne, un voyageur m’avait surexcité en me contant la représentation des Mamelles de Térésiaso. Je vois souvent par contrastes. Au chef futuriste dont les audaces me divertissaient s’était joint comme un antagoniste nécessaire le plus lauré des fantômes, l’ombre énorme et désuète de M. Paul Bourget. Une farce héroïque était née où dans un décor montmartrois la Jeunesse des Lettres et la Vétusté académique s’affrontaient. Pour le dénouement, un peu violent, j’avais besoin de situer l’auteur de l’Hérésiarque parmi les parentés Israélites du très catholique romancierp.

Je m’ouvris à lui de ce vœu. Il m’écouta avec bonne grâce. Mais comme je lui proposais de le naturaliser Juif, il sursauta : cette hypothèse lui paraissait horrible. Avec piété il attesta les mânes de son grand-père qui était camérier secret de Pie IXq ; avec chevalerie il mentionna un duel où les Tharaud avaient appuyé ses revendications ethniquesr. Je le désarmais en lui choisissant, au lieu d’une mère, une maîtresse au sein de ce peuple élu dont le sang l’eut contaminé, mais dont le contact charnel le révoltait beaucoup moinss.

Me voici de nouveau en Suisse. La retraite est exquise cette fois, et le Printemps me veille comme un hôte. En un établissement abandonné où se baignèrent les belles d’il y a cinquante ans, au fond d’un vieux parc où les arbres montent tandis que s’affaissent les élégances humaines, je lis les Mémoires de Cora Pearlt. Une campagne semée de bosquets s’en va jusqu’au plus doux des lacs, celui de Zug ; des montagnes lointaines et trop célébrés ne sont plus sur l’horizon qu’un memento discret et qu’un vaporeux rappel. Est-ce l’Helvétie ou l’Arcadie ? Dans la plaine proche se dresse, qui console de tout, un mont noble aux lignes grecques, une sorte d’Acropole.

C’est dans ce paysage de toute aménité, créé pour aiguiser et raffiner les émotions, que je reçus une lettre d’Apollinaire. Il me remerciait au sujet d’une Anthologie des Poètes nouveauxu où naturellement je lui réservais sa place. Il semblait s’étonner de cette justice et ajoutait un peu douloureusement : « Il paraît que vous m’avez attaqué dans les Ecrits Nouveauxv  ». Ce grief imaginaire, enfanté par je ne sais quel mauvais camarade, accentuait la gentillesse des autres paroles. Parmi les innocences rustiques je les goûtai comme un signe de paix ; pourquoi me suis-je endormi sur les prés au lieu de répondre à l’appel ?

 

A l’automne suivant, mon séjour a changé, et mon âme aussi. Ces lourdes ténèbres qui nous font si souvent contemporains du roi Saul m’enserrent. Rien ne berce mon cœur oppressé ni l’abri presque inespéré de ce manoir de Brestenbergw qui vous accueille avec ses fenêtres d’idylle et ses délicatesses de boiseries anciennes, ni au bout du lac cet antique fief prodigieux qui sommeille sur les eaux comme la Silhouette intacte d’un Géant-Chevalier ni tout près de moi la présence d’une amie attentive, née au pays des tulipes et qui portant au bout d’une longue tige un peu raide le délicieux calice de son visage, semble la sœur même de ces fleurs maladroites et belles.

Alors devant mes regards aveugles que tente aussi vainement la perpétuelle offrande des gestes dévoués que le fuyant sourire des Ondines surgit en une vision profonde cet Apollinaire-là, suprêmement exquis, que je n’ai jamais su voir. Ce sont des pages d’André Bretonx qui me le révèlent — lasses et extrêmes comme la voix qui au fond des grottes ne s’entend que par échos, avouant dans un expirant murmure le mystère qui ne sera jamais approché. Cette caresse et cette subtilité auxquelles on ne s’attend plus si l’on a vu trop de visages et lu trop de livres brillent et raisonnent dans la nuit de ma fatigue comme des lueurs persuasives et de câlins accents auxquels le pire des entêtements ne peut se dérober. Pour la première fois je respire et je devine un peu Apollinaire ; mais avec l’excessive sensibilité des malades, j’éprouve comme quelque chose d’irréparable et de triste ces lignes du début qui ont une solennité d’adieu et un avant-goût d’oraison. Le cruel et fin André Breton médite-t-il déjà la mort de son Maître — cœur singulier qui doit se chercher des chagrins et des remords pour cesser d’être, en la prison de cristal, le mystificateur ailé et l’elfe stérile ?

 

Ces semaines d’automne se précipitent, qu’emplit le bruit des Empires qui s’écroulent et des dernières canonnades. J’arrive à Paris quelques jours après l’armistice. Dans le fracas du moment, j’entends à peine une nouvelle funèbre, pourtant plus importante aux Lettres que le sort d’une province ou le montant d’une indemnité. Une vie déjà presque enfuie n’était plus capable de résister au choc de ces achevées et impitoyables phrases qui la tiraient dans l’au-delà. Le petit meurtrier a consommé son œuvre ayant emprunté le poignard de Lalique de l’Amazone ou le sourire monocléen dont Giraudoux inventorie les cadavres de poètesy — armes exquises, flèches aériennes de ses aînés, les deux charmeurs en qui se reflète l’Insensibilité de notre temps. Apollinaire est mort : Breton l’a tuéz.

Lettres allemandes
La jeune poésieaa

L’expressionnisme n’est en somme que l’âpre réaction contre le flou et le vague éthéré d’avant-guerre ; contre la Iégéreté d’âme et le nivellement des esprits, contre la mécanisation des forces spirituelles qui, dans un autre domaine, ont facilité l’éruption du 4 août 1914. Il ne s’agit pas d’un mouvement à intentions clownesques, à recherches extravagantes, mais bien d’un état d’esprit qui préoccupe toute une génération. Dans le principe trinitaire qui, à proportions inégales, dirige la destinée tragique du monde, ils ont fait leur part du Saint-Esprit. Nous assistons à une apothéose du cerveau, de l’intelligence qui crée et produit pousse et fructifie, d’où jaillit, incendiaire et constructeur, l’élan vital. Il en résulte une forte déclaration de guerre au sentimentalisme énervant, à la contemplation bouddhique, à la fixité des opinions étroites, à la stabilité des notions reçues. Ce qui ne veut dire nullement qu’ils aient balayé du bord la tradition qui vivifie, dont le pouls bat incessamment, mais au contraire, ils entendent parler du passé, des cercueils pourris, à germes mortels. Cette jeunesse enseigne la destruction de la réalité en bloc, qui n’est que la cristallisation de la bêtise et de l’infériorité soushumaine, Tous les maux dont nous souffrons peuvent être dérivés de la prédominance de la matière et le réel est synonyme de vide mental. Et ces jeunes gens de s’enthousiasmer pour la faillite du matérialisme, de la science, de la psychologie, pour la banqueroute de toutes les actualités. Et, démiurges, ou se croyant tels, ils préconisent la création de paradis nouveaux. En 1912, Ludwig Rûbiner lance dans « Die Aktion » son fameux manifeste : « Le poète prend parti dans la politiquesac » Politique à ici la belle signification d’action spirituelle qui détruira un jour la néfaste mentalité officielle.

Ecoutons d’ailleurs les professions de foi expressionnistes des poètes les plus qualifiés à cet effet !

« Ivan Goll n’a pas de patrie ; juif par le sort, né en France comme par hasard, un papier timbré le porte comme Allemand, Ivan Goll n’a pas d’âge : son enfance fut absorbée par des vieillards exsangues. Mars a assassiné sa jeunesse. Mais combien de vies faut-il pour devenir un homme.

Etre solitaire et bon comme les arbres silencieux et les pierres muettes : alors il serait le plus éloigné de la réalité et le plus rapproché de l’Art. »

Kurt Heynickead  :

« Tu souris, homme, toi qui a le sens de l’existence bénie ?

Oh, nous ne sommes rien. Un animal à l’étable. Seule notre âme est parfois une cathédrale nous pouvons prier ensemble. »

Else Lasker-Schulerae  :

« Je suis né à Thèbes en Egypte, quoique je vinsse au monde à Elberfeld en Rhénanie. Jusqu’à douze ans j’allais à l’école, je devins Robinson, je vécus cinq ans en Orient et depuis je végète. »

Karl Ottenaf  :

« J’avoue que je n’ai jamais aimé les Allemands, et que je ne hais rien plus au monde que le bourgeois allemand depuis que je sais penser. Et depuis ce temps aussi j’aime la Russie et ce qu’en premier lieu je demande de chaque poète révolutionnaire, c’est qu’il partage cet amour. S’il saisit l’idée russe, il comprendra les erreurs de notre peuple. La lutte pour celle-là et contre celles-ci supprimera la contradiction dans le poète allemand et sa vie réalisera alors la synthèse de personnalité et d’action : révolutionnaire et poète !

N’ayez pas peur des prisons — elles sont ridicules et leurs portes closes ont des arcs de triomphe pour célébrer votre courage. Les fusils tuent bien le corps, mais l’esprit survivra éternellement. »

Alfred Wolfensteinag .

« Je naquis en beaucoup de jours. Qui malgré cela a vu la lueur du monde, ne peut décrire sa vie dans l’obscurité. La biographie n’existe pas ; chaque mot qui n’a pas été créé, a subi un viol muet. Seul ce qu’un homme construit a une langue ; pour former l’homme : et seule cette œuvre a une valeur. Il restera un fantôme ; car sa naissance ne représente pas une origine et la mort ne terminera rien. C’est là notre délivrance, que nous tenons des étoiles — et c’est là en même temps l’éternel danger d’une vie crépusculaire. Mais toute poésie se moque du danger et elle proclame : Nous devons exclusivement reproduire ce qui est nôtre. A notre tombe viendront seuls ceux qui ne voient pas nos formes. »

Et puis ces lignes, que le plus profond et le plus lucide critique des tentatives expressionnistes Kurt Pinthuisah leur a consacrées :

« Jamais l’esthète et l’Art pour l’Art ne furent à un tel degré voués au mépris que justement dans cette littérature qui est dans son entière éruption, explosion, intensité et qui doit l’être pour percer d’outre en outre la croûte revêche du passé. C’est pourquoi elle néglige comme moyen de sensation, la description naturaliste de la réalité quoique ce réel pourri fût si tangible ; mais elle se crée elle-même avec une énergie inouïe et brutale ses moyens d’expression et les trouve dans la force accélératrice de l’esprit (ne s’efforçant nullement d’ailleurs d’en éviter les abus !) Elle lance son cosmorama… en un paroxysme extatique, en une tristesse martyrisante, en une douce et musicale élégie, avec la simultanéité de sentiments qui s’entrechoquent, dans la destruction chaotique de la langue, dans la caricature térébrante de l’enfer terrestre, dans sa nostalgie démente de Dieu, de la bonté, de l’amour et de la fraternisation. Et ainsi le social ne sera-t-il jamais présenté en détail exact, en une peinture objective de la misère (comme par l’art de 1890), mais il sera toujours envisagé comme une perspective générale, enregistré dans les grandes idées humanitaires. Même la guerre qui a broyé beaucoup de ces poètes, n’est jamais décrite avec réalisme… »

Résumons : La matérialité des faits est considérée comme secondaire, seules importent les grandes directives qui régissent la vie. L’incident et l’à-côté ne sont rien dans une totalité. L’expressionniste déteste tout ce qui est relatif et compromission, il se trouve en pleine atmosphère de l’Absolu. Ce qui ne veut pas dire qu’il habite les sommets et les tours d’ivoire, au contraire, il préfère être écrasé par la vie que d’en être éloigné. Il hait la distance et compose ses visions toujours grandioses, toujours cosmiques en accumulant de pauvres petites choses. Son pathétique moralise, car les malédictions et les anathèmes dont il accable Dieu et les hommes, reposent sur sa volonté ferme et inébranlable de changer le contenu du monde.

Lettres italiennes
Futurisme et néoprimitifsai

« L’art c’est la mode… La mode c’est l’atmosphère dans laquelle se meuvent, vivent et respirent les artistes véritablement créateurs d’une époque » écrit A. Sofficiak, « Etre à la mode, cela veut dire être moderne… une mode artistique passe et après une période d’oubli elle reparaît. La poésie de Dante redevient à la mode, de même Giotto, de même la vieille musique italienne. L’art le plus puissant est celui qui redevient régulièrement à la mode dans les périodes de renaissance. »

De Chirico s’élève contre la partialité, veut un art de synthèse et « le retour au métieral », ce qui est un peu le retour à l’homme, au dessin (il est de l’avis d’Ingres qu’il cite : un tableau bien dessiné est toujours assez bien peint). Chirico est maintenant contre le futurisme qui est « manque de profondeur et de construction, hermaphroditisme sentimental, plastique pédéraste, faux lyrisme. En fait de métier, le futurisme a donné le coup de grâce à la peinture italienne ».

Tout cela est écrit pour justifier les essais de construction néoprimitive de Carra, Sofficci, Chirico. Mais si le cubisme est une discipline et non une Esthétique, ce néoprimitivisme (espèce de « petit nègre » de l’art) satisfait moins encore. C’est une réaction, une mode, mais ce n’est pas encore de l’art.

Pour la synthèse et contre le futurisme, disent-ils. Pour la synthèse et contre les cuistres, disent les futuristes. Nombreux sont encore ceux qui restent au futuriste traditionnel. Roma futurista est l’organe de futuristes-arditis. Dans un récent numéro, un article de F. Arari sous le titre : Le théâtre aérien futuristeam. Le vol deviendra l’expression artistique de nos états d’âme.

Vols dialogués. — Pantomimes et danses aériennes.

Tableaux futuristes aériens. — Mots en liberté aériens.

Les Français ont la gloire d’avoir inventé le looping, la vrille et le tonneau. Les Anglais se distinguent en exécutant ces acrobaties à une moindre hauteur,

Mais les aviateurs italiens sont les acrobates par excellence, les jongleurs de l’espace, les clowns infatigables, bizarres et très personnels du grand cirque aérien.

Pour nous autres aviateurs futuristes le ciel devient un véritable théâtre. Nous aimons à nous arracher en haut perpendiculairement puis plonger verticalement dans le vide ; tournoyer dans l’ivresse des virages et nous abandonner dans le remous des spirales qui vont se resserrant autour d’un invisible escalier en colimaçon, cabrioler deux, trois, dix fois dans l’allégresse grandissante des loopings et tomber en tournoyant ; nous bercer en des chutes languissantes de feuilles mortes, ou nous étourdir par une série mouvementée de tonneaux. Nous aimons varier notre étonnante gymnastique sur les invisibles trapèzes de l’atmosphère pour former avec nos aéroplanes une grande girandole aérienne.

Les aviateurs futuristes sont on train de créer aujourd’hui une nouvelle forme d’art qui exprimera, moyennant le vol, les états d’âme les plus complexes.

Par les rythmes berceurs et les cabrements de nos aéroplanes, leurs bizarres zig-zags et leurs hiéroglyphes les plus imprévus, par les cabrioles les plus divertissantes exécutées suivant un dessin voulu, nous manifestons aux foules, du haut du ciel, nos sensations les plus intimes et notre lyrisme personnel d’hommes volants.

Cet art est analogue à la danse, mais infiniment supérieur par l’ampleur de la scène et son extraordinaire dynamisme dans les trois dimensions de l’espace.

J’ai constaté combien il est facile à la foule spectatrice de suivre et de comprendre les moindres nuances des différents états d’âme de l’aviateur

Etant donnée l’identification du pilote et de son aéroplane, celui-ci devient le prolongement de son corps : les os, les tendons, les muscles et les nerfs se prolongent dans les fils et les câbles. Il n’y a presque pas de différence entre les bons chauffeurs d’automobiles de course ; on note au contraire que chaque aviateur a sa manière spéciale de voler. Un aviateur ne vola pas toujours de la même manière. Le vol est donc toujours l’expression précise de l’état d’âme du pilote. Le looping manifeste l’impatience ou la colère. Les renversements alternés à droite et à gauche indiquent nonchalance étourdie, et les longs vols planés expriment la nostalgie et la fatigue. Les arrêts soudains suivis de spirales plus ou moins prolongées, les cabrements, les plongeons, et toutes les combinaisons infinies de ces manœuvres donnent la représentation exacte et claire d’une suite d’état d’âme. Si on multiplie les aéroplanes, on arrive aisément à composer de véritables dialogues et de grandes actions dramatiques. Tous ceux qui ont assisté à des combats aériens ont aisément, apprécié les différents tempéraments des combattants, leur volonté agressive, leur adresse enveloppante et leur prudence calculée. Il n’y avait pourtant là que des éléments de théâtre aérien. Notre théâtre aérien futuriste se propose d’accentuer et de perfectionner les acrobaties des aéroplanes et celles des aviateurs qui, grimpés sur le fuselage et sur les ailes savent modifier et animer les profils des aéroplanes.

Dans nos vols dialogues et non mots et liberté aériens, le sexe des acteurs sera mis en relief par la forme des aéroplanes, la voix du moteur et le rythme spécial du vol. La voix du moteur peut être réglée en plein ou réduite, hachée en éclats brusques et impérieux, ou modulée en gammes hautes et basses, et qui constitue une expression musicale et bruitiste qui complétera le drame aérien. Russolo, l’inventeur des bruiteurs futuristes, a créé une capote métallique qui augmente les bruits du moteur et un échappement qui en règle la sonorité, sans en modifier la force. Chaque aéroplane et chaque dirigeable sera peint, ou camouflé (animaux, machines, maisons) et signé par un peintre futuriste. Les peintres futuristes Baila, Russolo, Funi, Depero, Dudreville, Baldessari, Rosai, Ferrazzi, Ginna, Primo Conti, Sironi, etc…an ont déjà trouvé de fantastiques décorations pour aéroplanes. Nous aurons en outre le lancement expressif de poussières colorées, confettis, feux d’artifice perfectionnés, parachutes, fantoches en baudruche, petits ballons colorés, etc. Les aviateurs futuristes réaliseront dans le ciel de Milan de grandes représentations de théâtre aérien (vols dialogues, pantomimes, danses et grands poèmes, mots-libristes aériens, créés par les poètes futuristes Marinetti, Buzzi, Corra, Folgore, Mazza, Settimelli, Chiti, Cangiullo, Jamar, Nannelti, Dessy, Vieriao etc.). Sur les innombrables spectateurs couchés, les aéroplanes bariolés ou camouflés danseront le jour dans les zones colorées, formées par les poussières qu’ils auront répandues et composeront durant la nuit, de mobiles constellations et des danses, dans les gerbes éclatantes des projecteurs.

1.)     Le Théâtre aérien futuriste sera une merveilleuse école populaire d’héroïsme.

2.) Le Théâtre aérien sera le premier théâtre vraiment démocratique parce qu’il sera offert gratuitement à des millions de spectateurs. Les pauvres auront enfin leur théâtre.

3.) Le Théâtre aérien, par l’ampleur de ses spectacles, le concours des foules et l’émulation de ses acteurs volants, parmi lesquels brilleront bientôt des Zacconi, Duse, Caruso, Tamagnoap de l’air, stimulera d’une façon décisive l’aviation.

À nos lecteurs

ACTION n’est point faite pour la satisfaction de quelques écrivains mais pour celle des lecteurs attachés à la révélation d’œuvres ardentes et novatrices qui garantissent notre force vitale.

ACTION accepte la collaboration de quiconque veut exprimer librement sa pensée, à condition que notre titre soit justifié, notre dessein étant de rester hors les écoles, les tendances et les opinions, afin de réaliser une œuvre dépassant l’actualité. Nous sommes animés d’une puissance de volonté qui nous permet d’espérer les plus belles destinées pour notre entreprise. Notre époque abonde en essais de tous genres, économiques, philosophiques et artistiques. ACTION situe et commente les problèmes du temps présent et en fait la Somme.

De style viril, combattant toutes décadences et avant tout créatrice, elle ne s’attachera qu’à étudier les idées des hommes vivants et leurs œuvres. On dit couramment qu’en France, tout ce qui a de la valeur ne peut subsister, que seule la médiocrité triomphe.

Prouvez-nous le contraire ; aidez-nous à vivre et à créer.

Si notre effort vous est sympathique, procurez-nous des abonnés, confiez-nous le soin de vos éditions, travaux d’impression, catalogues et publicité. Faites souscrire à nos ouvrages, faites lire la revue. Toute personne nous ayant procuré cinq abonnements recevra la revue gratuitement pendant un an.