Étienne Dolet, et François Floridus.
Étienne Dolet naquit à Orléans en 1509. Il écrivoit très-bien en Latin. Mais,
                        outre ce mérite qu’il partageoit avec la plupart des écrivains de son temps,
                        il avoit un talent particulier, celui d’écrire encore mieux dans sa propre
                        langue. Nous avons de lui la vie de François I, jusqu’en
                        1539, sans compter des harangues, des traductions, beaucoup de critiques,
                        quatre livres▶ de poësies, intitulées Premier & second
                            enfer, & des lettres dans un goût singulier. Elles sont
                        devenues très-rares. L’imagination de ce poëte l’entraînoit continuellement.
                        Il étoit extrême en 
tout, dans ses éloges &
                        dans ses critiques, dans ses plaisirs & dans le travail. Il se faisoit,
                        dit-on, aimer ou haïr avec une sorte de fureur ; traitoit de préjugés
                        absurdes tous les principes de religion & de probité ; ne connoissoit de
                        divinités que la présomption, la haine & la vengeance. Ainsi les plus
                        beaux talens furent gâtés par les inclinations les plus violentes, & par
                        tous les écarts imaginables. Mais rien ne peint mieux Dolet qu’une lettre de
                        Jean Angeodonus, écrite de Strasbourg. « A le voir seulement, dit Angeodonus, on démêloit un étourdi, un
                            fou, un insensé, un furieux, un enragé, un glorieux, un impertinent, un
                            menteur, un débauché, un méchant, un quérelleur, un impie, un écrivain
                            sans dieu, sans foi, sans religion quelconque ; & l’on voyoit si
                            bien tout cela, que, ni le bronze ni la toile n’eussent jamais pu être,
                            comme son visage, l’image d’un monstre. Il est du nombre de ceux qui
                            sont à la fois, selon Erasme, à plaindre & risibles. Il a déshonoré
                            autant qu’il étoit en lui, à force de passions & 
de vices, & les belles-lettres qu’il entendoit
                            parfaitement, & le saint chrême qu’il avoit malheureusement
                            reçu. »
 Partout il s’attira des affaires terribles. Il fut mis
                        en prison à Toulouse, l’an 1553, pour un discours qu’il eut l’audace d’y
                        débiter contre le parlement & contre la nation Toulousaine, qu’il taxoit
                        d’ignorance & de barbarie. Quatre ans après, il commit un assassinat à
                        Lyon. Des protecteurs le tirèrent de l’échafaud. Il retomba dans d’autres
                        crimes, & réchappa encore au glaive de la justice. Cet auteur passoit sa
                        vie à fuir d’un lieu en un autre, jusqu’à ce qu’enfin il expia par le feu sa
                        réputation d’athée public.
Voilà l’ennemi que s’attira François Floridus. Leur querelle vint d’un ouvrage sur la Langue Latine, composé par celui-ci. Dolet crut entrevoir dans ce ◀livre, qui fit alors beaucoup de bruit, des idées contraires aux siennes. Il attaqua vivement l’auteur, Italien de naissance, un de ces sçavans, il est vrai, sans esprit & sans goût, mais considérés à cause de leur application & de leurs recherches, qui ne sortent des bornes de la modération, que lorsqu’on ne garde aucun ménagement pour eux. Ils éclatent alors avec violence. Floridus, outré d’une critique furieuse, se vengea, non en relevant des fautes de grammaire & de goût, mais en reprochant des crimes, en donnant une brochure qui contenoit la vie affreuse de Dolet. L’Italien entroit dans le détail de toutes les accusations intentées contre son Zoïle. Il invitoit les amis, les protecteurs de ce poëte à l’abandonner ; les magistrats à le punir, à faire un exemple des gens de lettres incrédules. La brochure fut imprimée à Rome, & répandue à Paris.
Elle produisit l’effet qu’en attendoit l’auteur. On regarda Dolet comme un monstre. De nouvelles imprudences, de nouveaux attentats, son affectation à tenir à la fois école de bel-esprit, de libertinage & d’athéisme, le firent arrêter à Paris, l’an 1544. Cette détention fut pour lui la dernière & la plus terrible de toutes. On instruisit son procès. Ce malheureux fut condamné, comme athée relaps, à être brûlé. La sentence fut exécutée dans la place Maubert, le 3 août 1546.
Voyant le peuple s’intéresser à lui lorsqu’on le menoit au supplice, il fit un vers qui n’est qu’une allusion à son nom de Dolet *. Les uns veulent qu’il ait jusqu’à la fin bravé la mort & la divinité. D’autres assurent que, sur une exhortation du confesseur, il changea de langage ; qu’au lieu de blasphêmer contre dieu, contre les saints & la vierge, comme il avoit toujours fait, il les invoqua ; qu’il implora sur-tout saint Étienne, son patron. Il avertit les assistans de lire ses ouvrages avec attention, parce qu’ils renfermoient des choses intéressantes & mystérieuses. Les circonstances de sa mort donnèrent lieu à bien des superstitions. Dolet se nommoit Étienne : or il fut brûlé le jour de saint Étienne, & dans une place de la paroisse de saint Étienne du Mont.
Comment M. l’abbé Goujet a-t-il oublié cet auteur, en faisant 
l’énumération suivante : « Jean le Chatelain,
                            auteur de la Chronique de Metz en vers, fut brûlé vif
                            pour crime d’hérésie. Gilles Durant, poëte connu à la cour de
                            Louis XIII, fut rompu en place de Grève, pour avoir écrit contre l’état
                            & contre le roi. Un gentilhomme Italien fut pendu, pour avoir
                            traduit dans sa langue le libèle de Gilles Durant Antoine de
                            Mont-Chrêtien, auteur de plusieurs tragédies, fut traîné sur la claie,
                            pour crime de rébellion. Jean-Baptiste de Crosilles, prêtre &
                            traducteur des épitres héroïdes d’Ovide, fut exilé & mis au cachot,
                            pour s’être marié après sa prêtrise. Le poëte Guillard Danville fut
                            trois ans détenu prisonnier à la Bastille, pour quelques soupçons qu’on
                            avoit conçus contre la fidélité. Resneville, poëte Normand, fut exilé
                            pendant sept ans, pour avoir assisté à un duel dont on vouloit le rendre
                            coupable. Jacques du Lorens, avocat au présidial de Chartres, fut mis à
                            l’amende, pour avoir fait des satyres contre les juges. »
 On
                        peut ajouter à cette liste le célèbre Vanini, qui, pressé, 
avant qu’on le jettât au feu, de demander pardon à dieu,
                        au roi & à la justice, répondit : 
                  Je ne connois
                                point de dieu, je n’ai jamais offensé le roi, & je donne la
                                justice au diable, s’il y en a.