(1889) Méthode évolutive-instrumentiste d’une poésie rationnelle
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(1889) Méthode évolutive-instrumentiste d’une poésie rationnelle

Des sollicitations me venant, de donner à part le présent Article — que demanda et vient de publier la Revue Indépendante sous la direction de M. Albert Savine :

le voici tel qu’il parut en cette Revue, dont soit remercié en toute cordialité le Directeur.

R. G.

Méthode évolutive-instrumentiste
d’une poésie rationnelle

Comme un devoir m’est de répondre à l’heur qui m’est offert de résumer en cette Revue l’égoïste vouloir de ma Poésie, en même temps de rendre à chacun ce qui lui est dû avec l’impartialité de qui admire et de qui, d’autre part, ne peut être ému devant choses lui étant indifférentes.

Pour ce, que l’on me permette de feuiller (en disant là, des noms, quant à la première partie) les pages de mon Traité du Verbe : tel qu’après deux éditions progressives et scientifiquement avérantes, écrit en mars 88, il est édité en préface par l’éditeur de mon Œuvre entière, à Bruxelles : et que cet article soit commentaire à ce Traité du Verbe.

 

Après s’être remémoré le cours de notre histoire poétique, l’on arrive à cette conclusion fatale que de sensation, d’instinct et de sentiment ; fut la poésie, au gré omnipotent de l’heure de plaisir ou de douleur de poètes, enfants nuement géniaux : produisant, d’une certaine somme de notations passionnelles, des recueils de poèmes, au hasard, sans lien, sous un titre sans signification.

Exception faite en faveur de du Bartas, au xvie  siècle, qui conçut une œuvre une et comme synthétique du savoir contemporain, en une forme châtiée aux rythmes souventefois très adéquats à l’idée — se servant du seul vers alexandrin dont il tient puissamment le secret ; et avec des effets surprenants de musique vocale.

Exception encore pour Victor Hugo, dont la Légende des Siècles, malgré les faiblesses dans l’unité, montre ce souci également, — chez ce génie divinateur si plein d’intermittents souffles d’avenir qu’il ne sut formuler.

Cette poésie de sensation et de hasard a eu sa gloire pleine en ce siècle — et en d’autres âges et d’autres langues elle ne se délivra pas de cette étreinte primitive, si nous mettons à part le poète latin Lucrèce.

Car, dans cette formule sont impliquées pour moi telles folies et dangereuses imaginations inspirées par les religions (citons plus près de nous Milton et Dante), et sensationnelles seulement, pour peu qu’on les pense, sont les ordinaires visions de paradis ou d’enfers sous divers noms, où se meuvent les diverses théogonies d’amour et d’effroi.

Cette poésie a eu sa gloire pleine en ce siècle —  avec Musset, le plus instinctif et le plus faible de tous, et avec Lamartine, Hugo, Banville, tous les purs et ruisselants romantiques enfin, par qui elle a triomphé au délire suprême, à la mort.

Immensément remueuse du cœur elle fut, et remueuse de strophes amoureusement lancées et de mots tumultueux et éclatamment nés. Et cette Poésie demeure, grande, nécessaire, digne à travers tous les temps de l’admiration profonde de tous, car ses poètes firent leur devoir : devoir le seul à des époques de sensation ; de foi et de non-savoir seuls — et ne disaient-ils dès lors en le vers seul logique et, lorsque sa loi sue permet de le délivrer de monotonie, seul magnifique, l’alexandrin.

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La Science qui tue la poésie de rêverie (celle-là seule, car celle qui se lève l’appelle au contraire et prend en elle son principe rationnel), la Science et son positivisme n’avaient étreint les fronts encore pour le doute fécond, et tout naturellement la Poésie s’accommodait-elle des songeries des philosophes prioristes ne gênant ses religiosités, ou le plus souvent les ignorait-elle même : et le bonheur de vivre, troublé de seules mélancolies d’amour, s’épanchait aux mots sonores, et la douceur des légendes des cultes était en tout poème, en tout cantique d’amour.

Après l’époque sanglante et de mutisme de la Révolution, plus haut chantèrent cette liesse et ces vœux, étouffant ce que de menaçant avait murmuré naguère cette Science naissante.

Cependant que parmi cette explosion dernière de poésie vibrante d’insouciance géniale, des mots amers et des vers plus sobres étaient écrits : et en haine d’elle et de ne trouver autre chose, Vigny et Leconte de Lisle, avec calme hautain, parfois parlaient doucement ou fortement de désespoir et de néant.

Première et rudimentaire transposition dans l’intellect de la sensation et du sentiment antérieurs : transposition très malheureuse d’ailleurs (plus malheureuse peut-être), et toute religieuse encore simplement : mais quant à la forme poétique dont ils usaient, première, sagesse qui amènera la langue trop exultante et non épurée à la stricte richesse et l’impeccable propriété qui deviendra nécessaire.

Et paraissent Gautier, plus pur et mesuré formiste encore — sans pensée du reste ; et Baudelaire, maître puissant et sobre, dont le mot correct par la place voulue qu’il occupe s’entoure dès maintenant d’atmosphère musicale et lumineuse — et dont la pensée est comme un ferment invincible de doute détruisant la splendeur sans souci d’antan ; mais qui égoïstement disant ses angoisses, ne dit aucun vocable salutaire qui les épargnera à ceux qui viennent.

Ceux qui vinrent furent les Parnassiens : qui, avec une tranquillité extraordinaire se désistant de doute et de n’importe quel rêve suivi, s’appliquèrent, disciples de Gautier et de Banville, à n’être que de très corrects formistes, en même temps — et c’est leur nécessité heureuse — qu’ils faisaient perdre aux mots ce que de criard, de hasardeux, leur demeurait encore — et avec la patience et l’art subtil parfois avec lesquels ils surent les ménager au vers, leur communiquaient ces adoucis et nets éclats de pierreries aux lointaines vibrations, ces orients. MM. Sully-Prudhomme et Stéphane Mallarmé surtout les cristallisaient purs diamants.

Et dans des hasards triomphants, et comme hantise des grands orchestres publics qui commençaient à épandre leurs flots, nés de cette préoccupation de la place à donner aux mots s’équilibrant mutuellement, de prestigieux essais de musique s’éveillaient aux vers : et par là survécurent MM. Paul Verlaine proclamant les nuances, Sully-Prudhomme heureux par hasards, Stéphane Mallarmé écrivant la radieuse églogue l’Après-midi d’un Faune.

Mais avec l’école parnassienne se perdaient le mouvement et la force de la phrase romantique, si profonds — pour de sculpturales attitudes de périodes ou de murmurantes et trop lâches fluidités.

Ce fut le temps du vers parfait pour lui-même, sans suite d’idée, mais où par quelques très purs et subtils poètes passe de plus en plus en l’intellect l’immédiate sensation avant eux immédiatement écrite.

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Cependant, sur le tard, la quarantaine passée, comme si tout ce que d’épars ils avaient produit n’eût été que pour se faire prendre patience à eux-mêmes, tant ils sentaient le mal de leurs poésies sans lien en même temps qu’ils n’acceptaient de sortir du malaise Baudelairien par aussi quelque facile acceptation du néant : esprits très rares, MM. Sully-Prudhomme et Stéphane Mallarmé tentaient, eux depuis longtemps poètes très précieusement intellectuels, une philosophie.

Le premier, sans composer une œuvre, a maintenant publié le livre qui semble le dépositaire de son rêve philosophique : Le Bonheur. Donc, nous avons vu que, malgré comme une velléité très sincère mais peureuse d’accepter pour le poète l’aide scientifique (et remercions du moins de cette velléité), ce livre n’est que déviations mystiquement amoureuses du Catholicisme étrangement mêlées à de faciles conceptions de transmigration des âmes — rêveries à la Camille Flammarion.

La raison proteste.

Quant au second, pendant que très rarement il donne quelque sonnet admirable de plastique idéale et d’éclat irradiant mais d’où la musique se retire de plus en plus et dont l’obscurité n’est excusée par aucune profondeur nécessaire d’idée, il n’a dit que peu de mots épars de l’œuvre philosophique (M. Stéphane Mallarmé ; en effet, a conçu une œuvre, en maints volumes) de laquelle pas un livre encore n’est écrit.

Ce qu’il en a dit montre que le principe de cette œuvre n’est nullement original — et qu’elle ne doit se développer que comme très intelligente et curieuse compilation recréée par un esprit poétique, délicat et éminemment subtil, des conceptions idéales à priori.

C’est ainsi que l’un des livres générateurs est la mise en œuvre par descriptions de nature de cette proposition : Si l’homme n’était pas rien ne serait… Kant, Fichte, Hegel réclament.

Un mot de M. Stéphane Mallarmé montre enfin à quelles tendances s’arrête sa pensée : On ne peut se passer d’Eden.

Mais une idée de vérité le domine, du Symbole : quoique dans les poèmes détachés, les quelques sonnets surtout dernièrement parus et faits spécialement pour l’évidence de cette idée, elle n’apparaisse que comme jeu singulier et un peu puéril et faux (rappelons-nous tels sonnets descriptifs d’une console, d’un lit, etc., où tout l’effort du poète tendit à décrire sans les nommer ces meubles !)

Mais souventefois, M. Mallarmé a sévèrement et superbement parlé du vrai symbole. C’est vrai, que tout est relatif et que chaque phénomène s’explique éternellement par un autre, et notre vouloir doit travailler à pénétrer le plus de relations pour, si on les trouvait toutes, arriver ainsi à la Cause première.

Seulement, comme étrange fut l’air de croire inventer cela : car de toute éternité de la matière en devenir le Symbole étant virtuel en la Nature et attendant qui l’en tirera, depuis qu’existent geste et langage n’en sort-il pas peu à peu ?

Et dire qu’une prétendue école novatrice voulut vivre sur cette prétendue trouvaille. Et encore, MM Jean Moréas et Gustave Kahn, les promoteurs de ce lieu commun, ne surent-ils pas s’abstraire du simple Symbole d’images successives tel que le montre en ses essais M. Mallarmé lui-même ; l’autre étant philosophique, d’une philosophie à laquelle ceux-ci comme tous autres sont essentiellement étrangers. Et c’est l’entrée, avec eux, en le chaos actuel.

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Après ou vers la trentaine, nulle preuve donnée de quelque personnalité, MM. Moréas et Kahn trouvaient à point telle erreur émise par M. Mallarmé pour tenter l’attention.

M. Moréas, on l’a vu très vite, n’est certes qu’un poète quand même, content de lui et le disant très haut, et ses pauvres poèmes en deux minces volumes où se sent un essoufflement extraordinaire ne sont remarquables, symbolistes en rien même, que par tout le vocabulaire de Rabelais ! çà et là ressuscité parmi de l’imitation fade de Baudelaire et des traductions sans saveur de chansons grecques — que par aussi des incorrections grammaticales étranges.

Manque non seulement de toute idée, mais encore de toute imagination, le néant.

M. Gustave Kahn, qui de très haut le domine, est lui un esprit curieux.

S’il fut de cette école, une plus large fatalité de refléter tout ce qui l’environne, d’accaparer inconsciemment toutes les tendances a fait de lui (c’est sa personnalité, si l’on veut) un candide et très sérieux incohérent : symboliste par Mallarmé, impressionniste par sa fréquentation des peintres pointillistes, scientifique, philosophique, et même teinté du socialisme puéril qui court les rues, lorsque s’avérèrent scientifiquement mes Théories de philosophie et d’art, et aussi parce qu’un de ses amis s’occupe de sciences transcendantes — en même temps qu’il est pénétré inéluctablement de son hérédité sémite compliquant encore l’hétérogénéité,

Il arrive enfin, après de prolixes et diffus articles, à cette déclaration éminemment neuve que le Rythme est en tout, à cette erreur scientifique que tout est cyclique, — et pour œuvre, il donna ce livre, les Palais nomades, qui trahit ses velléités de lui donner un lien méthodique, et où ce moderniste à outrance fait à chaque page surgir des souvenirs de Palestines et des Tribus, de Babylones et d’Afriques, parmi des gestes de Mages : et, pour le développement des Rythmes, en pressant les images en chaos et les mots et les phrases sans nul effet à satiété répétés, simplement il allongeait ou raccourcissait extraordinairement l’alexandrin, dont il a sainte horreur pour n’en comprendre pas la mathématique savante.

Ce sont, ses vers, en une fluente et grise monotonie, ni vers ni prose, une éternelle mélopée, un peu falote, coupée de soupirs : par qui et à propos de quoi ? comme l’on voudra.

Cette manière avait d’ailleurs été donnée à M. Kahn par M. Paul Verlaine qui très heureusement parfois et avec sagesse et science en ses premiers volumes la fit triompher — mais surtout, à cause de l’emploi quand même et irréfléchi, par deux poètes l’un mort l’autre disparu, qui (à part de leurs productions quelques poèmes d’allure remarquable) furent les maîtres certainement, de ce genre fumiste à l’heure actuelle si florissant en ceux qui s’honorent de porter le titre de Décadents : Tristan Corbière et Arthur Rimbaud.

Procéda de même, mais pourtant avec une logique due à sa très originale sentimentalité ironique et douloureuse, Jules Laforgue, mort si tristement à vingt-cinq ans : car l’on ne peut concevoir autres les vers aux fuyantes et sursautantes allures funambulesques de l’auteur personnel des Complaintes

 

Avec ces trois poètes, dont les deux premiers très profonds et dignes de tous les respects artistes, MM. Sully-Prudhomme, Mallarmé et Kahn, voilà donc ce que produit la conscience non déguisée que la Poésie, en d’autres temps logique telle qu’on la conçoit, ne peut plus être la même en les temps nouveaux peu à peu découverts : une pensée malgré tout religieuse, des principes à priori et rêveries paradoxales, erreurs pédantes de raisonnement et d’expérience scientifique.

À côté, exagération du rêve catholique (que nous donne tel quel M. Paul Verlaine en ses derniers volumes d’où même s’est envolé tout l’art musicien et léger d’autrefois et qui pourraient être de n’importe qui), ce sont encore de nuageuses spéculations de mysticisme lilial — en une langue apâlie et murmurante, plutôt Lamartinienne : et c’est M. Charles Morice qui par les rares vers donnés et à travers des articles critiques, paraît là primer.

Ce sont encore d’étranges songeries hermétiques, astrologiques de certains.

Puis viennent, et nous n’en parlerons pas, les poètes qui sont un peu tous les autres, affadis, stérilisés : ou enfermés en la rigide manière parnassienne, ou, pour ce qu’ils crurent que la variété du Rythme consistait en plus ou moins de coupures très au hasard de l’alexandrin, fluents en soi-disant vers de deux à vingt et quelques pieds : disant de tout et rien, et se voulant tous Symbolistes.

Nous parlerons moins encore, n’est-ce pas, des quelques échappés de l’école primaire, s’appelant Décadents.

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Chaos présomptueux et ignorant.

Et ils sont cela, ces poètes d’imagination qui sonne creux, ces philosophes prisonniers de l’atavisme et posant en principe leur caprice, ces scientifiques puérils et contents : quand la lumière aveuglante a surgi des nues mauvaises déchirées par les génies Lamarck et Darwin ! et ils sont demeurés à leurs futilités, impassibles, disant tranquillement : « L’on ne peut se passer d’Eden ! » quand a été proclamée sur ce siècle l’éternelle loi de l’Évolution des êtres, du Transformisme révélateur d’où une Philosophie enfin rationnelle était à faire surgir…

Et ils continuèrent à mesurer sur leurs doigts des lignes plus ou moins longues d’écriture, sous prétexte de Rythmes et de musique verbale : quand sortait de ses certaines expériences sur les Harmoniques, Helmotz — montrant, en synthèse, qu’aux voyelles et aux instruments de musique sont et sont mêmes ces harmoniques, et donnant à en tirer la loi d’une musique verbale…

 

Contre tous ces poètes (exceptés sont ces génies instinctifs dont il est dit qu’ils firent, à des époques d’instinct et de non-savoir, leur devoir), contre ! mon ironie et dès l’entrée en l’art ma méditation scientifiquement s’avère ont levé une rationnelle révolte,

J’ai dit :

Le devoir du Poète ; maintenant, est :

« de penser et de savoir, selon en premier lieu la pensée et le savoir du savant qui expérimenta, et ensuite, lorsque, lui, le savant, est pour longtemps épars, de, induisant et déduisant plus vite et plus loin, d’un nœud génial, lois et loi et lois aidantes, synthétiser en une parole multiple et logique et musique ! le présent et le plus de l’avenir.

« Tant que de même la poésie, présentement après la musique et le savoir du savant, première désormais ! dominera : et de même elle sera, synthétiquement savante et philosophique expérimentalement en une langue ailleurs inouïe, ou elle n’a plus droit d’exister.

« Quant à la preuve à faire, par un poète, du moderne savoir assez disant partiellement pour une unanime vérité, une œuvre immense et simple est à venir : qui serait en une adéquate parole la philosophie de la matière en mouvement évolutive et transformiste. » Traité du Verbe.

Cette Œuvre sera la mienne, qui est conçue, dont le plan, un livre, des extraits sont publiés : car ce Poète nouveau, rationnel, directeur de la pensée et comme exerçant une magistrature, ça été mon vouloir de l’être, selon mon pouvoir…

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Une Philosophie évolutive.

Ainsi travailla ma pensée ;

Une proposition de tout le fatras philosophique ancien demeure vraie, et comme essence même du Transformisme, celle de Hégel : que la Matière est en éternel devenir.

La Matière devient. Mais quel est le mouvement géométriquement selon lequel elle devient ?

Périodiquement, ont dit les superficiels se représentent mêmes les événements : tout est cyclique ! cette assertion tant de fois doctoralement revenue chez M. Gustave Kahn, par exemple.

Or, c’est erreur. Tout paraît cyclique, mais pour peu qu’on s’appesantisse, l’on voit que les mêmes phases reviennent évidemment avec une insensible et continue déviation excentrique — selon, oui, un dessin elliptique.

Tout est elliptique.

La matière étant éternelle et illimitée est représentée virtuellement par le cercle, qui si grand qu’il s’élargisse, étant par le fait de cette matière illimité, s’élargira éternellement avec la fatalité de rester le même : la Matière se mouvant selon le cercle n’évoluerait pas, ne progresserait pas.

Mais si elliptiquement elle meut : éternellement et infiniment elle sort par l’ellipse de la fatalité du cercle, elle évolue avec progrès — elle va vers l’affranchissement éternel et infini de la ligne droite, l’ellipse s’allongeant sans cesse vers celle-ci.

Mais puisque virtuellement le cercle est infini, infinie sera l’ellipse et éternellement, sans pouvoir se résoudre, la Matière progresse et va vers le mieux.

Mais par quoi est mise en mouvement selon cette ellipse, la Matière ?

Le Transformisme a posé en loi la lutte pour la vie : ce qui implique, plus essentiellement, la loi de l’Amour procréateur, procréateur du Mieux.

L’Amour, sa Force inhérente, meut la Matière, et son amour veut se connaître. Amour implique deux désirs : si ces deux désirs amoureux eussent assenti à s’aimer en s’ignorant, la Matière serait : et, alors, le cercle serait en effet le signe la représentant. Mais cet Amour veut se connaître, ne pouvant se posséder qu’en se sachant, et c’est par le désir d’un fruit né des deux désirs créateurs et en lequel il se définisse, qu’il se connaîtra : et ce troisième désir est ce qui détermine la sortie hors du cercle, en l’elliptique mouvement. Cette connaissance se fera à travers la sensation, l’instinct, la pensée…

 

Désormais pouvait s’écrire en sûreté le principe de ma « Philosophie évolutive. »

Le voici :

« Et si, se plus et plus dénaturant du cercle dont elle est l’équivalente transformation, se développe une ellipse : plus et plus, va à équivaloir en droite l’elliptique périphérie.

« Ainsi, la matière n’est pas : et en la perpétuelle diversité de sa manière de se manifester qui est mouvement, d’éternité et pour éternité et dans l’illimité ! elle devient.

« D’éternité et pour éternité et dans l’illimité la matière devient amour de soi : et qui est en un seul deux désirs dont un autre s’engendre, son amour fait son devenir, et, qui intégrale ne s’aimera que si intégrale elle se sait, elle devient à se savoir.

 

« Mentalement que si eussent assenti deux désirs à une fatalité d’aimer en s’ignorant, d’éternité et pour éternité et dans l’illimité ! la matière serait.

« Mais quand se désire savoir l’unique dualité et qu’alors elle engendre, sa synthèse, son désir du fruit en qui elle se définisse : d’éternité et pour éternité et dans l’illimité ! d’un meilleur devenir la matière devient.

« À s’aimer, en s’aimant la matière devient : qui intégrale et possessoirement ne s’aimera, que si elle se sent, et, en se sentant, se pense, et, en se pensant, intégrale se sait.

« D’éternité et pour éternité et dans l’illimité ! à se savoir la matière devient.

« Mentalement que si eussent assenti deux désirs à une fatalité d’aimer en s’ignorant, la matière serait : et par la fatalité seule du cercle parfait se figurerait la fatalité de son mouvement.

« Mais quand se désire savoir l’unique dualité et qu’alors elle engendre, sa synthèse, son désir du fruit en qui elle se définisse, d’un meilleur devenir la matière devient : et, qui de la fatalité du cercle virtuel est, progressive lentement à une droite, l’ouverture, l’ellipse loin exagère la figure d’espoir selon laquelle elle meut.

 

« Hors que, se transformant équivalente du cercle virtuel virtuellement éternel et infini, à la suprême transformation de l’elliptique périphérie en une droite vainquant l’ellipse n’ira pas : et l’ellipse, de l’infinie fatalité ne pouvant avoir la fin, éternelle et infinie se transforme.

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« Ainsi, la matière n’est pas : et en la perpétuelle diversité de sa manière de se manifester qui est mouvement, d’éternité pour éternité et dans l’illimité ! elle devient.

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« A en s’aimant s’aimer et se savoir : qui éternellement et infiniment fait effort mâle et femelle pour, éternellement et infiniment, le fruit en qui elle se mieux saura, selon l’ellipse devient et se transforme la matière en mouvement. » (Traité du Verbe.)

Toute mon œuvre, établie sur tel Principe de Philosophie — Philosophie évolutive — est le développement même de ce Principe. Développement poétique déduisant au cours les nécessités directrices selon l’universelle harmonie, quant à l’Individu, et quant à l’Association des Individus, et au livre dernier promulguant les lois rationnelles et nécessaires.

Trop loin m’entraîneraient des exposés et des exemples, et ce n’est qu’aux livres qu’il faudra les trouver à leur ordre, avec leurs logiques et lointaines attaches.

 

Seulement, il me paraît nécessaire de dire dès maintenant qu’elle est, déduite de ce Principe évolutif tel qu’il est plus haut édicté, la capitale nécessité demandée pour la progressive liberté de l’Individu, et de l’Individu dans la Collectivité.

Puisque « éternellement et infiniment fait effort mâle et femelle pour, éternellement et infiniment, le fruit en qui elle se mieux saura, la Matière » : en une pacifique lutte pour la prépondérance intellectuelle, est donc impliquée l’Inégalité perpétuelle des êtres en route vers le mieux, vers l’égalité harmonique. Inégalité qui devient égalité — : éternellement (d’où le progrès infini et éternel !), tel est mon principe social…

Ceci dit : que l’on me permette de prendre du Traité du Verbe les titres de mon œuvre et de ses parties et des livres, du livre I, le meilleur devenir, qui est l’historique poétique de la Matière éthérée évoluant à l’animal instinctif et sensationnel — au livre dernier, la loi.

 

NATURE

I

DIRE DU MIEUX

I. Le meilleur Devenir. — II. Le Geste ingénu. — III. La Preuve égoïste. — IV. Le Soin de vivre. — V. Le Geste grand.

II

DIRE DE LA GLOSE

I. Le Millier. — II. Les Génitures. — III. Le Geste plein. — IV. Le Manque. — V. Le Devenir.

III

DIRE DE LA LOI

I. La Loi.

 

Et terminons en remarquant que par cette Philosophie évolutive, close en disparaissant est la vieille et prolixe et puérile querelle du Matérialisme et de l’Idéalisme : car elle les unit, en ce que ce dernier sort éternellement de l’autre. Et, cette Philosophie est d’idéalisme enfin rationnel : d’un idéalisme de toute éternité immanent, inconsciemment, à la Matière et qui s’en dégage conscient par évolution, de plus en plus, pour le Mieux.

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L’Instrumentation poétique.

Pour l’expression de cette œuvre une langue adéquate était demandée, de mouvement mathématique, susceptible de varier infiniment le rythme, concurremment avec l’idée.

Ce n’était que scientifiquement que pouvait s’établir une sûreté pareille — et en recherchant quel est le sens intime et directeur de tout idiôme, mais ici particulièrement de notre langue.

C’est en m’appliquant au résultat des expériences de Helmoltz sur les Harmoniques, qu’il me fut permis d’en déduire ma Théorie de l’Instrumentalisation parlée.

Le langage scientifiquement est musique : Helmoltz a, en effet, démontré que, aux timbres des instruments de musique et aux timbres de la voix, ou voyelles, sont les mêmes les Harmoniques. Les voyelles se doivent assimiler aux timbres : l’instrument de la voix humaine étant une anche à note variable complétée par un résonnateur à résonnance variable, que sont le palais, les lèvres, les dents, etc…

La musique, certes, est le mode d’expression le plus multiple ; mais si elle décrit et suggère, elle ne peut définir. Or, compris comme plus haut et c’est ainsi qu’on le doit comprendre, le langage est au-dessus de la musique, car il décrit, suggère, et définit strictement le sens.

 

Helmoltz me donnait donc exactement la concordance, par le pareil nombre d’harmoniques les faisant se répondre, — entre les instruments de musique proprement dits et les voyelles et diphthongues : et celles-ci, il m’était facile de les constituer intégralement comme véritables instruments, en représentant par les consonnes à chacune appropriées les rumeurs et bruits qui dans chaque instrument proviennent du mode spécial de production du son, ces rumeurs, spirantes, susurrantes, vibrantes, explosives, martelantes et stridentes.

L’Instrumentation parlée était chose désormais indéniable — et scientifiquement était avérée la trouvaille qu’en avait faite antérieurement ma pure intuition poétique.

Car le simple raisonnement ne pouvait-il faire prévaloir cette vérité : que le langage est musique ? Il n’est doute, en effet, qu’à l’époque seulement de la pensée naquit le langage : et ainsi la parole est liée fatalement et essentiellement, et quant à ses sonorités ! à l’idée, et à la sensation et au sentiment, par l’idée.

 

Il restait à rattacher généralement à l’idée, à leur donner une signification générale quant à la sonorité, les instruments tant de musique que vocaux : des essais précédents, quoique barbares me furent cependant précieux. Et ainsi de ces résultats (pour donner ici un exemple de cette nomenclature,, complète au Traité), apparurent : les î, i, ie, iè, ié, par exemple, dont sont les plus nombreux et hauts les harmoniques, correspondent aux violons, contre-basse, basse, etc., — et c’est vulgaire que ces instruments sont essentiellement pour la représentation des plus aiguës exaltations, montées à la douleur même, dans l’amour, la prière, etc.

 

Étant donné tel état de l’esprit à exprimer, il n’est donc pas seulement à s’occuper de la signification exacte des mots qui l’exprimeront, ce qui a été le seul souci de tout temps et usuel : mais ces mots seront choisis en tant que sonores, de manière que leur réunion voulue et calculée donne l’équivalent immatériel et mathématique de l’instrument de musique qu’un orchestrateur emploierait à cet instant, pour ce présent état d’esprit : et de même que pour rendre un état d’ingénuité et de simplesse, par exemple, il ne voudrait pas évidemment dès saxophones ou des trompettes, le poète instrumentiste pour ceci évitera les mots chargés d’O, d’A et d’U éclatants.

Or, que l’on n’aille pas parler de poésie imitative, cette invention facile et inutile ; puisque, nous l’avons vu, la voix humaine est scientifiquement un instrument à note variable, avec ses harmoniques par quoi sont tirés de naturels et immatériels timbres : timbres naturels dont, au contraire, ceux des matériels instruments ne sont qu’une exagération et un grossissement.

 

Par cette série des timbres vocaux, variable à l’infini du fait de la place des mots qui les sonnent : est créée mathématiquement la variété à l’infini du Rythme. Quel dessin d’onde troublé donneront, par exemple, les sauts brusques successifs de mots accumulant des i, à d’autres des ou, à d’autres des a, etc.

Et des montées et descentes de gammes sont même faites ainsi, disons-le en passant : Helmoltz montrant, en effet, que telle voyelle ne peut être prononcée distinctement qu’à telle hauteur de gamme, etc.

Mais à quelles mesures me fallait-il astreindre cette infinité d’ondes rythmiques, cette diffusion sonnante et idéale des mots ?

 

Or. c’est selon le vers alexandrin que se mesure l’instrumentation, — ce vers à la mathématique première et nécessaire, en tant que composé des valeurs deux et trois.

Ces valeurs multipliées faisant les mesures pleines et eurythmiques, et additionnées les dissonnantes : et, tandis que selon que le demande la pensée ces mesures vont à travers la phrase, le retour de la cadence malgré tout demeurante, de l’alexandrin, donne une mesure comme d’accompagnement.

Et cette mathématique de l’alexandrin est si nécessaire et d’absolue logique, que tout vers plus court que lui n’en est qu’une fraction et n’est pas par lui-même un vers, et qu’un plus long n’est que le recommencement d’un autre alexandrin, mis à la suite sur même ligne par simple et naïf artifice typographique.

Quant à la rime : ce n’a été qu’un divertissement pour l’oreille. Or, désormais deux rimes ne s’appelleront plus pour une simple consonnance, mais de manière que cette consonnance apporte une fixité plus grande encore de l’idée, ou autour de cette idée éveille un prolongement comme suggestif, etc.

 

Quant à la strophe : elle est déliée de ses règles empiques, de son ordre puéril et entravant.

L’idée en son évolution règle seule la venue et la durée des intervalles entre telles suites de vers — de même qu’elle amène selon la nécessité de pensée et de son les rimes dont n’est plus asservie aucunement l’occurrence.

 

Et, le poème est certes une instrumentation véritable : avec, élus par l’importance des idées directrices, son leit-motiv, et ses motifs secondaires, passant et repassant, rappelés entiers ou fragmentés, en les mêmes ou diverses mesures, etc…

C’est un poème un : et cette instrumentation et cet ordre grandissent du poème au livre, du livre aux livres et à l’Œuvre entière : c’est ainsi l’Œuvre-une voulue, tant par la pensée que par l’expression.

 

Ces choses dites rapidement, qu’il me soit permis de montrer que cette forme nouvelle de l’expression de l’idée, l’Instrumentation poétique, enferme et perd en elle tous les modes d’art : Elle est l’éloquence, évidemment : plastique pour la variété la plus ordonnée des rythmes : picturale, parce que (nous avons négligé de le dire au long) le moins de hasard a été établi aussi pour la coloration à attribuer aux voyelles, que la généralité des vues maintenant, c’est un fait scientifique, distingue nettement de telle ou telle couleur : musicale parce qu’elle est le sens enfin trouvé du langage, qui, scientifiquement, est musique, et qu’elle est l’immatérialité des instruments de la musique proprement dite :

Elle est, au gré de la pensée qui la conduit et la mesure, la plus complète et intime possibilité de mouvement intellectuellement exprimé.

 

Terminons.

C’est au mois de mars 1888, qu’il me fut donné, sûr de ma pensée, à vingt-cinq ans (l’âge des autres dit plus haut, il m’est permis de dire le mien), d’écrire en son intégralité mon Traité du Verbe, en argument à mon Œuvre entière — édition où sont développées mes présentes méthode de Philosophie évolutive et manière d’art, l’Instrumentation poétique.

Ces Théories qui couvaient dès en mon premier livre de vers, d’essai, de même que le plan de mon Œuvre se dessinait en l’avant-propos de ce livre écrit à vingt-deux ans.

Depuis, deux éditions du Traité du Verbe, avant cette dernière, et le livre II de la première partie de mon Œuvre, Le Geste ingénu (qui sera également repris), ont précisé mon vouloir.

À mesure qu’il s’est précisée et que la vérité d’idée et d’art qui me guide me faisait un devoir très haut de me retirer — courtoisement, de tout le présent poétique, qui ne me satisfaisait pas dès l’entrée en l’art ? ou n’a plus satisfait ma pensée plus positive qui ne voulut vivre de paradoxe et d’orgueil petit :

les insultes (pas trop hautes), et les vains et secrets sarcasmes, raisons de l’impuissance et de la sottise, ne m’ont pas été épargnés. Petits « chers Maîtres » et leurs disciples copieurs, contristés de ce que l’on ne me contestait pas, à moi, — quelques rares et puissants esprits — une « maîtrise d’idée » la seule rare, la seule valable et durable maîtrise…

 

Mais des cordialités sont aussi venues. Une Revue, les Écrits pour l’Art, qui continue son œuvre de droite et artistique propagande, dès 1887 se fondait par le dévouement ami de M. Gaston Dubedat, esprit éclairé et généreux, qui mit au service de mes idées personnelles ce charmant et sévère périodique. Que M. Gaston Dubedat reçoive encore, puisque l’occasion s’en présente, mon merci sincère. Et merci aussi à la Wallonie, autre Revue qui, en Belgique, accueillit l’Art nouveau.

Des poètes, en France et en Belgique, dédaignant la routine et les vaines flatteries, ont affirmé leur talent vers mon espoir auquel les portaient de latentes et plus ou moins pareilles tendances : disons M. Stuart Merrill, Achille Delaroche, Albert Saint Paul, Georges Khnopff, Émile Verhæren, Albert Mockel, tous si fièrement sincères et artistes orgueilleux bellement, dont malheureusement la place me manque pour parler comme le voudraient mon amitié et mon admiration…

Bien que tout individualiste soit mon Art.

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Cependant, longue et rude sera ma lutte : car trop de chimères hantent la généralité des esprits, et trop d’inanes méchancetés, et les hérédités superstitieuses et peureuses trop les tiennent encore. Mais la vie intellectuelle, il me semble, s’activera demain, et les années plus vite se rempliront, et ce n’est pas en vain que mon rêve prend forme en la science…

Et qu’importe : j’ai le temps, et mon temps viendra.

RENÉ GHIL.