Tailhade, Laurent (1854-1919)
[Bibliographie]
Le Jardin des rêves (1880). — Un dizain de sonnets (1882). — Au pays du mufle (1891). — Vitraux (1894). — Venise sauvée, conférence (1895). — Terre latine▶ (1897). — Terre ◀latine▶ (1898). — À travers les groins (1899). — La Pâque socialiste, conférence (1899). — L’Ennemi du peuple, conférence (1900).
OPINIONS.
Théodore de Banville
Voici un des plus beaux et des plus curieux livres de poèmes qui aient été écrits depuis longtemps (Le Jardin des rêves), un livre qui s’impose à l’attention, car il est bien de ce temps, de cette heure même, et il contient au plus haut degré les qualités essentielles à la jeune génération artiste et poète, c’est-à-dire, à la fois, la délicatesse la plus raffinée et la plus excessive, et le paroxysme, l’intensité, la prodigieuse splendeur de la couleur éblouie.
Henri de Régnier
À la bassesse d’une époque, comme est la nôtre, contraire à tout propos de faste et d’élégance, M. Tailhade a répondu par des poèmes où il donnait la stature de son âme et fixait à jamais son rêve en des vers sonores, précis et coruscants.
Remy de Gourmont
Ayant écrit Vitraux, poèmes qu’un mysticisme dédaigneux pimentait singulièrement, et cette Terre ◀latine, prose d’une si émouvante beauté, pages parfaites et uniques, d’une pureté de style presque douloureuse, M. Tailhade se rendit tout à coup célèbre et redouté par les cruelles et excessives satires qu’il appela, souvenir et témoins d’un voyage que nous faisons tous sans fruit, Au pays du mufle.
Charles Morice
Laurent Tailhade est un païen mystique, un sensuel spiritualisant. Il tient de M. de Banville, de M. Armand Silvestre, du soleil et des hymnes religieuses. Moins appartiendrait-il à la génération nouvelle qu’à celle des Parnassiens, croirait-on d’abord, à le lire. Mais, chez lui, les joailleries du Parnasse prennent un autre accent, éblouissant, puis qui inquiète. Des mysticités douteuses et trop parées, une madone telle que l’eût priée Baudelaire, mais combien plus sombre d’avoir oublié de l’être, combien plus triste de sourire ainsi… C’est surtout par les couleurs de son inspiration, par ce lyrisme mystique et sensuel qui, à ce degré, n’est que de ce siècle, que Laurent Tailhade nous appartient.
Tristan Klingsor
À travers les groins : Ce n’est pas ici du poète rare des Vitraux qu’il s’agit, mais de celui du Pays du mufle. Il prodigue la cocasserie d’un style enrichi d’épithètes inattendues pour lancer ses invectives cinglantes, et personne comme lui ne saurait atteindre au biscornu cruel d’un octosyllabe ou d’un alexandrin parfait, et cette perfection leur confère la durée d’une marque au fer rouge. Certes les horions pleuvent un peu de tous côtés, et l’on eût pu désirer que quelques-uns fussent épargnés. Mais quelle maîtrise de forme en somme, et quelles joies inavouées parfois, à rouvrir ce « livre précieux de haine comme un écrin, aux poisons »…
Paul Léautaud
Malgré tant de points parfaits où la modernité s’allie au grand passé que nous
tous portons en nous, où « l’harmonie, la grâce du paysage, le charme
virgilien, loin de
nuire à l’originalité de l’auteur, y ajoutent encore »
, et qui sont
d’une langue et d’un rythme admirables, c’est surtout comme poète satirique que
M. Laurent Tailhade est
connu. Son Au pays du mufle, « qui n’a pas besoin d’être
recommandé aux lettrés »
, ainsi que l’a dit le préfacier, M. Armand Silvestre, et où,
tantôt en des quatorzains et tantôt en des ballades, les uns et les autres d’une
écriture et d’une musique jamais faiblissantes, tant de gens notoires, la sottise
actuelle et une certaine presse étaient fouaillés vigoureusement, est resté
célèbre par les colères qu’il souleva. Les nombreux duels aussi qu’attirèrent à
M. Laurent Tailhade sa
verve et ses féroces objurgations ne sont pas moins connus. Et l’on sait aussi
comme se vengèrent courageusement, en le bafouant et en l’insultant quand il fut
blessé, le 4 avril 1894, au restaurant Foyot, par l’explosion d’une bombe
d’anarchiste, les éminents illettrés qu’auparavant, dans son livre et dans sa
conférence au Théâtre de l’Œuvre, lors de la représentation d’Un
ennemi du peuple, il avait fustigés sans qu’ils aient alors osé répondre.
Il semble pourtant aujourd’hui que ces plaisirs retentissants soient achevés, et
que le petit livre : À travers les groins, que le poète écrivit
au cours d’une affaire qui fit récemment quelque bruit, doive rester sa dernière
expression dans le genre où il s’illustra.