(1869) Nouveaux lundis. Tome XI « M. Viguier »
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(1869) Nouveaux lundis. Tome XI « M. Viguier »

M. Viguier

M.Viguier, ancien inspecteur général de l’Université, ancien directeur des études et maître de conférences à l’École normale, est mort le 11 octobre dernier à Précy-sur-Oise, où il vivait retiré depuis quelque temps. Cet homme rare, qui n’était bien connu que de ses amis, a rendu dans sa vie de grands services aux Lettres, mais des services qu’il se plaisait en quelque sorte à ensevelir : il aimait à perdre ses travaux dans la renommée de ses amis. Élève du lycée Charlemagne, où il fut condisciple de M. Victor Cousin, il y contracta avec lui dès l’enfance une de ces intimités que rien n’altère ni ne disjoint, et où le plus dévoué se donne sans réserve au plus fort. Il appartint comme élève à la première génération de l’École normale en 1811 ; il fit partie de ce qu’on pourrait appeler sans exagération l’avant-garde intellectuelle du jeune siècle : toutes les idées et les vues nouvelles qui flottaient depuis quelques années dans l’air et qui émanaient du mnonde de Mme de Staël, — qu’elle-même devait au commerce de l’Allemagne, — devinrent pour la première fois chez nous, dans cette haute École, des études précises et bien françaises. Antiquité grecque, connaissance des langues et des littératures étrangères, philologie comparée, histoire reprise aux sources, philosophie et science du beau : M. Viguier, — de concert avec ses jeunes amis, Cousin, Loyson, Patin, Guigniaut et d’autres encore, toute une élite, — se mit résolument à aborder ces branches toutes neuves ou renouvelées, à les suivre de près et à s’en rendre maître, comme s’il avait fait de chacune sa vocation spéciale. C’est un amer regret pour tous ceux qui l’ont connu et apprécié, qu’il n’ait pas fixé en quelque ouvrage, entrepris à temps, cette quantité de notions étendues, de remarques tour à tour fines ou élevées, qui composaient son trésor. Véritable maître, il dépensait toute sa science dans des leçons, dans des conférences, dans des entretiens fructueux pour qui l’écoutait : il ne réservait rien. Dire qu’il est pour quelque chose ou pour beaucoup dans la traduction du Platon de son célèbre ami ; que le Manuel de l’Histoire de la Philosophie de Tennemann a été entièrement traduit par lui ; qu’il a, depuis et jusque dans les derniers temps, donné ses soins à bien des textes, notamment au texte italien de l’édition de Dante, illustrée par Doré ; qu’il y a mis des notes ; qu’il a, sur quelques points, et d’accord avec Fiorentino lui-même, contribué à en perfectionner la traduction déjà excellente ; que dans les œuvres de Corneille, publiées sous la direction de M. Adolphe Regnier, il a soigné toute la partie des imitations espagnoles et les a pesées dans la plus juste balance ; dire tout cela, c’est ne donner qu’une bien faible idée du mérite, des connaissances, de l’utilité pratique, des services enfouis et de l’inépuisable obligeance de M. Viguier. Combien de fois, il y a près de quarante ans, ne l’ai-je pas rencontré dans la plaine de Vanves (il passait alors les étés à Issy) tenant un livre à la main et lisant sous le soleil ! C’était Sophocle ou Euripide, texte grec, qu’il lisait. Une autre fois, c’était Goethe : et si alors vous l’interrompiez brusquement dans sa lecture, il fallait entendre comme, tout plein de son auteur, il vous en parlait ; la source coulait d’elle-même ; les remarques les plus fines, les plus délicates de style se succédaient sur ses lèvres, et vous aviez une conférence improvisée. Il sentait la manière de chaque grand auteur avec une singulière vivacité d’impressions et, on peut dire littéralement, jusqu’au bout des ongles ; son geste même l’indiquait : il avait hérité de la sensibilité esthétique de l’un de ses premier ? maîtres, l'abbé Mablin, le Toscan attique. Il comparait spontanément les écrivains des diverses nations, il les rapprochait d’une manière inattendue et avec une sorte de recherche ingénieuse qui chez lui était naïve ; ce qui aurait pu sembler de la subtilité n’était que la fleur suprême du goût. Il eût été digne d’être de l’Académie de la Crusca, non-seulement en Italie, mais de toutes les Cruscas, s’il y en avait eu une pour chaque littérature étrangère. Voyageur et curieux infatigable, à l’âge de soixante ans il revoyait l’Allemagne en détail, allait s’asseoir sur les bancs des Universités et se faisait un bonheur de se rompre de nouveau à la familiarité du puissant idiome. Il y avait entendu, trente années auparavant, tous les grands professeurs qui présidèrent à la renaissance de l’érudition et de la critique, et, entre autres, à Berlin, l’illustre Wolf. L’article Wolf de M. Viguier dans la Biographie universelle est fait d’original. Trente ans plus tard, il revoyait, en courant les Universités des bords du Rhin, et le vieux Greutzer le mythologue, et l’historien Schlosser, et le jurisconsulte Mittermaier. Il redevenait étudiant comme au premier jour133. En tout de même : ces belles et illustres études de Goethe, de Schiller, de Shakspeare, de Dante, de Galderon, dont tant de plumes brillantes, dont tant de chaires sonores nous parlaient magnifiquement, mais un peu superficiellement, lui, il ne croyait jamais les posséder assez, il les faisait et les recommençait sans cesse dans une lecture assidue, les yeux collés sur les difficultés du texte autant que sur les beautés. Et en effet, pour qui l’a vu, ses grands yeux saillants, à fleur de tête, semblaient avides de regarder et comme naturellement voués à une continuelle lecture. Et notez que, connaisseur des Anciens comme personne et versé dans toute religion classique, il restait ouvert et des plus sensibles aux découvertes et aux merveilles du génie moderne. Les poésies populaires l’occupaient aussi et le passionnaient à la rencontre ; il les recueillait chemin faisant à plaisir, air et paroles : ses amis se surprirent plus d’une fois à sourire, en lui entendant réciter, vouloir chanter et mettre en action les plus humbles ballades et mélodies. On est tenté de maudire ce trop de curiosité et d’étude qui l’a détourné d’une œuvre à lui, d’une production durable. Il ne se décidait guère à un travail proprement dit que quand il y était sollicité par l’amitié ou par un devoir. Il doit se trouver dans les cartons du ministère de l’Instruction publique des rapports exquis de M. Viguier, à propos de livres, la plupart assez insignifiants, qu’on lui envoyait à examiner : sans y mettre rien de trop, il y appliquait tout son savoir avec justesse. Quelque jeune ami, — et il en avait de cet âge, et un particulièrement bien digne de lui134, — devrait se donner pour tâche pieuse de recueillir dans ses divers écrits, et aussi dans les lettres pleines d’effusion et nourries de détails qu’il adressait à ses amis de France durant ses voyages d’Allemagne et d’Italie, des extraits, des pensées, des jugements, de quoi rappeler et fixer dans la mémoire quelques traits au moins de la physionomie de cet homme excellent dont les qualités morales et la candeur égalaient la haute intelligence. Ce serait une urne modeste, mais qui renfermerait de précieuses reliques. Une première édition à cent exemplaires en amènerait peut-être une seconde, réclamée du public lettré, comme pour Joubert. J’ai tout à l’heure prononcé le mot de candeur : entendons-nous bien, cet homme de simplicité et de modestie n’était nullement dupe, et quand l’amitié ne l’enchaînait pas, il pénétrait avec bien de la sagacité ses grands contemporains universitaires : quelques lignes sur eux qui lui échappaient à l’occasion, tracées de son encre la plus légère, seraient, si on les détachait, tout un jugement135. Nature d’ailleurs indulgente et bénigne s’il en fut, exempte de tout sentiment d’envie, lorsque tant de demi-habiles et de demi-savants se pavanent et triomphent, content de son sort et oubliant de se comparer, il n’éprouvait aucune amertume de n’avoir point donné au public toute sa mesure. L’étude désintéressée et sans terme, voilà proprement son caractère et sa devise. Il était lui-même le premier à sentir qu’il se livrait trop au plaisir de voir et d’apprendre indéfiniment, qu’il embrassait trop à la fois dans ses courses buissonnières à travers le monde, et il s’en confessait de bonne grâce, sauf à récidiver le lendemain. Je lis dans une des lettres affectueuses et touchantes que j’ai sous les yeux, écrites de Vienne à son vieil ami Théodore Gaillard, des aveux et des semblants de remords de cette flânerie délicieuse, de cette humeur incurablement vagabonde qui le promenait par toutes les capitales, prenant de chacune ce qu’elle avait d’original et d’excellent : « Quelle existence frivole ! n’est-ce pas ? quelle flânerie égoïste ! Pensez-vous de moi ainsi ? l’entendez-vous dire ? un véritable Epicuri de grege ! J’en serais pourtant fâché, et je ne voudrais pas, avec ce faux air de cosmopolite, perdre la sympathie des amis de mon village et de mon voisinage, auxquels je pense sans cesse et que je reviendrai voir à temps, j’espère, avant les glaces de l’âge infirme et solitaire ; mais laissez-moi courir ma dernière course. » Cette course dernière ne venait jamais. Il était bien l’aîné d’Ampère en cela. Promeneur amusé de Munich à Vienne, de Vienne à Venise, de Venise à Milan, et se reprochant les agréments mêmes du séjour, un certain charme de sociabilité qu’il rencontrait d’autant mieux chez les autres qu’il le portait avec lui, il écrivait encore : « Dans le voyage de la vie, il ne faut pas trop s’approcher aux stations de passage où l’on ne peut pas compter de retourner, parce qu’après tout, et avant tout, il faut compter sur le poste final de la famille et des vieux amis, où nous attendent le dernier banc au soleil ou à l’ombre, et nos derniers tisons. » Il a eu son dernier banc au soleil. Mort le 11 octobre 1867, il était né le 19 octobre 1793 : il avait soixante-quatorze ans. Mais l’expression de son visage et l’allure de sa personne étaient, presque jusqu’à la fin, restés jeunes. Dans cet esprit toujours en marche, l’enveloppe seulement avait diminué : rien ne s’était appesanti.

Le même jour que paraissait dans le Moniteur cet article sur M. Viguier, M. Patin en publiait un dans le Journal des Débats : il y rendait un juste et complet témoignage à l’ami de toute sa vie. A cette même date du 7 novembre (1867), un autre de ses vieux condisciples et collègues, M. Dutrey, m’écrivait :

« … Ce n’est pas sans une vive émotion que j’ai retrouvé, dans ce que vous dites de lui, l’expression si fidèle des souvenirs que m’a laissés notre longue amitié. Depuis l’École normale il n’y a point eu de lacune dans nos relations affectueuses. Il m’a été donné de le voir dans les dernières phases de sa maladie, et de représenter, auprès de son lit de mort et de son cercueil, ses anciens camarades absents ou informés trop tard de la catastrophe. Jusque dans la dernière crise, il s’est montré courageux et résigné avec simplicité ; et, si je ne craignais d’altérer la tristesse de cette impression, j’ajouterais à l’appui d’une de vos remarques que, jusque dans les suprêmes douleurs, je l’ai vu sensible à l’impropriété de quelques mots qui blessaient la pureté de la langue. »

— L’homme de goût fut le dernier à mourir en lui.

En reparcourant à loisir la correspondance de M. Viguier, j’y trouve encore plus d’un agréable passage. — De Munich, le 8 mai 1853, il écrivait à son ami M. Gaillard, laissant bien voir tout ce qu’il y avait d’irrésistible et d’involontaire dans ses entraînements de voyageur, et combien il était à la merci du génie des lieux.

« Vous me faites l’amitié de me poser bien doucement une question à laquelle je suis sensible, savoir quand je devrai revenir. Il est bien vrai que je n’en sais rien maintenant. Si je ne vais pas voir Dresde et Berlin, j’en serai bien fâché ; mais au midi me sollicitent le Tyrol, Salzbourg, les lacs, Vienne, Gratz, Laybach, les contrées qui descendent vers Trieste et Venise. Quel embarras ! quelle perplexité ! L’année n’a que douze mois, et je vais entendre sonner un lourd decennium (la soixantaine) au revers de quelque montagne, sous les rayons d’un soleil trop ardent pour ma pauvre tête chenue. Je reviendrai donc vers mes amis, c’est mon désir, avant d’y être forcé par un excès de malaise et de fatigue… Il ne faut pas, j’en conviens, s’exposer trop à laisser ses os en terre étrangère. J’espère que le bon Dieu voudra bien me rappeler à temps auprès de mes amis, avant le grand rappel définitif… »

Parlant de ses relations à Rome dans le carnaval de 4855 et des trois commensaux avec lesquels il pouvait causer, M. Servois, l’ancien élève de l’École des chartes, un M. de Garriod, ancien officier savoisien, homme modeste et d’un vrai mérite, profond connaisseur en peinture, il ajoutait ce fin portrait d’un troisième :

« J’attirais aussi quelquefois le professeur de belle littérature de l’Université (à la Sapience), dont j’ai entendu les leçons avec plaisir : mémoire facile et sûre des plus beaux textes latins et italiens, prononciation parfaite, et sur le tout un sentiment irréprochable d’excellent humanisme pour rapprocher, à chaque leçon, quelques beaux passages classiques de l’antique et de la moderne Italie. Mais, hélas ! c’est un type romain, et vous avez beau le trouver charmant et ne pas vous lasser de l’aller entendre, de lui faire des compliments dans sa langue et de recevoir les siens, gardez-vous de lui dire que la critique littéraire est jusqu’à un certain point une branche de la philosophie et de la critique historique ; que le divin Dante tient quelquefois du barbare (sans en être moins étonnant et moins intéressant, tant s’en faut !) etc., etc. : l’audace de ces assertions, le mot philosophie qui s’y trouve mêlé témérairement, lui donneront un frisson dangereux pour sa santé ; il éludera votre rencontre, et regrettera peut-être de vous avoir donné un exemplaire de ses Monumenla Vaticana versibus descripta (in-8°. 1854) »

Un La Bruyère dirait-il mieux ?

Je donnerai encore comme un parfait exemple de son indépendance et de son étendue d’esprit, comme aussi de son indulgence et de sa mesure, une lettre de lui écrite à M. Émile Deschanel au lendemain d’une conférence sur Voltaire à laquelle il avait assisté :

« Paris, 21 février 1867.

« Mon compliment, cher Deschanel ! vous m’avez rendu témoin d’un succès brillant au milieu d’une salle si nombreuse où j’ai été heureux de trouver une petite place. Mes vieilles oreilles un peu dures ne perdent pas une syllabe de votre débit, dont le mouvement vif et naturel captive l’attention du public sans la fatiguer un seul instant…

« Quant à votre coquin de Voltaire, vous l’avez très-joliment prêché ; je vous dirais, comme les Italiens, salvo il vero, — c’est-à-dire réserve faite de tous les contraires inhérents à l’exercice des grandes facultés, des ambitions et des activités prodigieuses. Hélas ! combien y a-t-il eu de grands hommes dont les protubérances excessives n’aient pas été souvent des difformités ; dont l’ardeur n’ait pas été souvent une fièvre emportée et malfaisante ? — Je l’ai beaucoup lu et beaucoup feuilleté, je vous assure. Maintenant surtout que le charme de ses surprises est passé, il est difficile de l’aimer comme on l’admire. Indépendamment des défauts et des torts corrélatifs, pour ainsi dire, à ses qualités, comme chez Rousseau, il en a de gratuits et par surérogation comme menteur, mal élevé, ami de Richelieu, sans décence et sans dignité dans sa grandeur. Quelle différence faites-vous pour l’édification des âmes entre le déisme de Voltaire et l’athéisme (qui vaut même bien mieux chez les gens sérieux) ? Quoi de moins philosophique que de n’avoir pas su au moins, en vieillissant, reconnaître l’éternelle nécessité en fait, de quelque religion positive dans les sociétés humaines et, au lieu de faire la part de cette nécessité en la conciliant avec la justice, d’avoir voulu entraîner le peuple à écraser l’infâme ? Au lieu d’aller aux lois de tolérance, c’était préparer les horreurs de 92. Et puis, tenez, une idée philosophique à laquelle je tiens beaucoup, c’est que le génie des peuples modernes n’a pas tant besoin d’être ni excité ni endoctriné par tels ou tels hommes. Aucune idée fausse ne me blesse plus que celle qui considère le genre humain comme incapable d’avoir trouvé et fixé la vraie morale s’il n’avait eu l’Évangile. De même, sans Voltaire, je vois toutes les idées libérales entrer dans le monde par tous les pores. Je suis même sans cesse disposé à imputer la partie fausse et violente qui s’y mêle aux travers personnels des prétendus porte-flambeau. Le bienfait de ces hommes rares est loin d’égaler le bruit, l’éclat, le tapage qui fait la gloire, — ce dont on aime mieux à entendre parler. Pour moi, comme bienfaiteur de l’humanité, je place Voltaire bien au-dessous de l’honnête Beccaria avec son petit livre.

« Voyez-vous, mon cher ami, comme je me laisse aller à bavarder, parce que le succès de votre panégyrique d’hier me met en bonne humeur de penser à votre sujet ! Qu’importe que je vous contredise ? Toute pensée n’est-elle pas sujette à la contradiction comme à la première de ses lois (et à la plus utile) ? Il suffit que je sois bien d’accord avec vous pour me réjouir de ces bonnes aventures de parole, de ces victoires de renommée, récompense de votre vie courageuse et laborieuse, — et pour vous en souhaiter, comme je l’espère, beaucoup de semblables. Toutefois, si j’avais beaucoup l’occasion de vous voir, indépendamment du goût que j’aurais à causer après la pièce de ce que j’aime mieux penser comme vérité, — je m’attacherais dans votre intérêt au point de vue de la prudence qui, sans exiger de vous le sacrifice de vos opinions, doit vous conseiller beaucoup de mesure, en proportion même des applaudissements que recevez. Au reste, j’espère que cette pensée est aussi la vôtre. Votre répertoire de conférences est heureusement rempli de sujets moins scabreux que celui d’hier. Vous êtes dispensé d’un rôle exclusif de tribun en littérature, qui deviendrait très-dangereux.

« Bonjour et mille amitiés.

« Viguier.

« Vous êtes occupé : pas de réponse ! »

M. Deschanel avait été un de ses élèves à l’École normale. Il se plaît à raconter comment M. Viguier, quand il lisait et expliquait à sa conférence de l’Aristophane, — de ce Voltaire-Rabelais, et qui était encore quelque chose de plus, — était lui-même tout à fait à peindre, ne se tenant pas d’aise et de surprise à chaque instant, trépignant de plaisir, riant et pleurant tout ensemble, rougissant lorsqu’une énormité succédait dans le texte à des détails exquis ; et il s’écriait avec une douceur charmante : « Ah ! messieurs, quelles canailles que ces Grecs, mais qu’ils avaient donc de l’esprit ! » Les Viguier, qui étaient de bons bourgeois de Paris, possédaient dans le prolongement de la rue de Rivoli une maison à laquelle ils avaient fait mettre sur la rue un cadran solaire avec une devise. Cette devise, qui était de la composition de M. Viguier, lui ressemblait fort : fera inlucre, media sequere. Une maxime de Montaigne ou d’Horace. Et il en avait fait lui-même une paraphrase en vers :

Passant, quand le soleil brille à ce méridien,
Contemple le temps vrai, mais n’en fais point usage ;
Le bon sens et la loi suivent le temps moyen.
« Prends l’heure à la paroisse » est un honnête adage
Dont plusieurs font abus, mais qui convient au sage,
Eût-il même du Vrai le miroir en sa main.

Tel était cet aimable et savant homme dont la figure, peu connue dans le monde, est et restera présente et chère à tous ? ses amis, — une figure qui ne ressemblait à nulle autre. Puissions-nous en avoir transmis quelque idée sensible et durable à nos lecteurs !