(1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VI. Daniel Stern »
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(1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VI. Daniel Stern »

Chapitre VI.
Daniel Stern6

I

Après George Sand, Daniel Stern ! Seulement doit-on dire Monsieur ou Madame Daniel Stern ?… Daniel Stern n’est pas encore passé génie. Il n’a pas cette haute position de génie reconnu qui autorise le nom d’homme et fait fondre le nom de la femme dans celui-là… Si nous disons Monsieur Daniel Stern, nous sommes ridicule. Ce pseudonyme n’a-t-il pas toujours été le secret de la comédie et d’ailleurs, à la fin du volume que nous avons là sous nos yeux (édition de 1849), le front de la femme n’a-t-il pas fini par trouer le masque de dentelle noire à travers lequel on le voyait ; et Daniel Stern, ce cerveau sans sexe jusque-là, n’a-t-il pas avoué modestement et franchement qu’il en a un ? D’un autre côté, si nous disions Madame, nous serions fort embarrassé. Le mot de madame, dès qu’on l’écrit ou qu’on le prononce, désarme et attendrit la pensée. Il rappelle une faiblesse qui, en France, a toujours été respectée et qui l’est encore. C’est le dernier reflet d’une chevalerie qui n’est plus… Même en cette année de grâce ou de disgrâce, il y a un certain langage qu’on est convenu de tenir aux femmes, alors qu’elles ne méritent plus qu’on l’emploie, et l’homme qui renoncerait à s’en servir pour des raisons, fussent-elles excellentes, non seulement manquerait de savoir-vivre, mais aussi de générosité.

Mme Daniel Stern avait-elle spéculé sur l’embarras dans lequel ce mot de « madame » devant un nom, même faux, jette nécessairement le critique, ou n’avait-elle voulu que se révéler, en se cachant, et jouir du privilège du masque, sans en avoir l’inconvénient ? Mme Stern, tout le monde le sait, était une prêcheuse de liberté. C’était une des séminaristes qui s’exerçaient pour devenir plus tard prêtresses dans une des religions de la République. Le curieux de sa rubrique aurait-il été de préconiser la liberté sans oser la prendre et sans vouloir qu’on la prît avec elle, en faisant la critique dupe ou victime d’une étiquette de bal masqué, qui lui donnait, à elle, toutes les cartes et l’impunité de son jeu ?… Vraiment, ç’eût été là peu amazone ! Dans tous les cas, on comprend qu’au moyen âge et chez les Israélites, les déguisements fussent défendus par la loi.

Tout déguisement, en effet, expose deux personnes, celle qui le prend et celle pour laquelle il est pris. Un soir, la plus innocente des femmes a la fantaisie de se couvrir d’un domino, et sous cette armure un peu légère d’un capuchon de satin, de se risquer dans un de ces bals qui sont des arènes où le vice exécute la danse de Saint-Guy qu’il a inventée. La pauvre curieuse étouffe dans son masque, de pudeur outragée, et rentre chez elle, humiliée des langages qu’on a osé lui tenir. Les coureuses de bal masqué philosophique ou littéraire n’ont peut-être pas autant de pudeur à risquer, mais elles ont leur orgueil et elles l’exposent. En les trouvant si parfaitement déguisées et si hommes, on peut leur manquer, — et ce sont ceux qui ne les manquent pas ! Ce sont ceux qui ne croient pas les femmes plus à leur place là qu’ici, — au bal masqué de l’Opéra qu’au bal de la littérature, — et qui souffrent dans la notion pure, élevée, délicate qu’ils ont de la femme, de ses vertus et même de sa gloire, — en la voyant se travestir comme Mme Stern, non plus seulement en artiste et en femme de lettres, mais mieux que cela, en philosophe !

II

Car Daniel Stern est un philosophe, non pas un philosophe français, ce qui serait déjà, un bon masque, mais un philosophe allemand, ce qui en fait deux ! Tout, de même que Mme George Sand représente l’imagination dans les Lettres françaises, tout de même Mme Daniel Stern, qui a l’esprit très sec, représente la raison, l’abstraction, la métaphysique, qu’on ne peut pas dire tombées en quenouille, quand il s’agit d’elle, car Mme Stern n’en a jamais filé une. De physionomie, c’est une espèce de Du Châtelet sans Voltaire, qui fut, mais dans le privé, astronome et mathématicienne ; de lady Byron sans lord Byron. Ce n’est pas pour rien qu’elle s’est choisi ce nom de Daniel Stern. Daniel est un nom de prophète et Stern veut dire sérieux en anglais. Son esprit, à angles aigus plus qu’ouverts, n’a jamais su sourire. Il est grave, guindé, pédant et intellectuellement ressemble à ce qu’est ostéologiquement une gouvernante anglaise qui a beaucoup voyagé et que le temps, l’ennui, les voyages, ont durcie et pétrifiée sous son busc. Évidemment elle est renseignée. C’est dans l’allemand qu’elle a appris le latin. Elle sait l’allemand, cette langue qui dispense de toutes les autres et dans laquelle on peut apprendre jusqu’au sanscrit, comme la lourde Mme Dacier savait le grec. Si elle ne le savait pas, d’ailleurs, que saurait-elle ? Elle le parle, même en français.

Elle arlequine son style de petites phrases allemandes, comme sa pensée de petites idées du même pays. Elle a étudié âprement Hegel et Fuerbach, Elle a déformé les lignes d’un front de camée à écraser tous ces œufs d’autruche, comme disait dans son dédain Joubert, cet amoureux de la lumière. Espèce de Christine de Suède à sa manière, qui n’a pas abdiqué le trône, mais la royauté de la femme, le trône de sa grâce et de sa faiblesse ; elle a pris l’habit équivoque dont nous parle la Palatine et elle a mis sur sa pensée, qu’elle a cru viriliser, une forme qui n’a pas gagné en énergie ce qu’elle a perdu en abondance. Et cependant elle n’est pas devenue hommasse. La maigreur de sa pensée l’a préservée de ce malheur de la forme ! Daniel Stern n’est pas un bas-bleu, car le bas-bleu, c’est encore une femme ; c’est mieux que cela ou c’est pis. C’est un pantalon bleu, le pantalon du blumérisme américain. Pour elle, la blouse a remplacé la robe. Elle porte la casquette de velours de l’étudiant d’Heidelberg et doit fumer dans une pipe infinie. Or, avec la robe, la femme s’en va toujours ; et ce qui reste pour nous, qui ne sommes pas statuaire, est quelque chose d’indéfinissable et de triste. Au moins, quand un homme cesse d’être un homme, on sait ce qu’il devient, et, parfois encore, c’est Narsès, Abeilard, Origène ; mais quand une femme cesse d’être femme et que dans l’impiété d’un travail terrible et la folie d’une ambition, elle porte sur elle-même des mains suicides, ce qu’elle devient n’a plus de nom que celui qu’elle se donne, et voilà pourquoi, hors la mascarade, ce n’est pas vraiment plus madame Daniel Stern qu’il faut dire aujourd’hui que monsieur !

Mais monsieur ou madame a du talent, pourtant. Il ou elle en a comme cette statue antique, que nous ne nommerons pas, a de la beauté qui ne l’empêche pas d’être un monstre. Ce talent n’est pas d’ailleurs un phénomène. Son procédé est l’imitation et son mérite une précision acquise. L’originalité n’y est pas, l’originalité si rare chez toute femme, même chez Mme de Staël, mais l’aristocratie, une aristocratie native, plus forte que les fausses doctrines et les mauvaises habitudes de société, n’a pu en disparaître. Mme Stern a beau s’embourgeoiser dans la raison de Roland, cette femme pot-au-feu de la liberté, elle reste femme comme il faut, du moins dans le sens que le monde donne à ce mot-là. Si on pouvait racheter la démocratie du fond par l’aristocratie de l’attitude, elle la rachèterait.

Mme Daniel Stern a publié plusieurs ouvrages. Comme toute femme qui a fait des observations sur son propre cœur, elle a écrit un roman, intitulé Nelida (on aimerait mieux qu’elle l’eût gardé dans son âme) ; puis des lettres politiques si pleines des erreurs du temps où elle les publia, qu’elle n’a pas osé les rééditer, tant les événements qui se sont produits depuis 1849 l’auraient confondue ! C’est incertain, du reste. Les métaphysiciens aux yeux retournés en dedans, ces marbres pesants sans prunelle et sans rayon visuel, rougissent-ils jamais de leurs bévues en histoire ? Enfin, nous devons aussi à Mme Stern un Essai sur la liberté dont les Esquisses morales ne sont qu’un corollaire : « Car, — dit-elle dans la préface de ses Esquisses, — elles sont l’effort d’un esprit consciencieux qui, pour rappeler une formule célèbre, a cherché de tout temps et ne cessera jamais de chercher la vérité par la liberté et la liberté par la vérité. » Or, ce qu’elle a trouvé, nous allons le voir.

III

Les Esquisses morales, qui composent le volume dont on a annoncé dernièrement une édition nouvelle, sont divisées en deux parties. Ce sont des pensées, des réflexions et des maximes sur la condition humaine, l’homme, la femme, la vie morale, le cœur, l’esprit, l’éducation, le temps présent, les arts et les lettres, l’aristocratie, la bourgeoisie, le peuple et la religion des contemporains. On le voit, c’est toute la sphère d’une philosophie qui va rouler sous ce doigt pensif ! «  Le lecteur ne trouvera ici, dit-elle, ni le parti pris chagrin de La Rochefoucauld, et moins encore la verve caustique de La Bruyère. » Est-ce bien sûr que la misanthropie de La Rochefoucauld fût un parti pris ; et l’optimisme des Jocrisses de la philanthropie moderne n’en serait-il pas beaucoup plus un chez Mme Stern, qui ne paraît pas avoir d’entrailles si aisément émues, qui n’a ni charité ni véhémence, mais qui fait l’effet de la poupée de l’abstraction montée sur un ressort d’acier, remplie du son du panthéisme allemand et pour la sévérité, peinte en Gœthe ?

Quant à la verve caustique de La Bruyère, elle n’est certainement pas dans ce livre exsangue et pâle, mais acéré. Seulement nous avons une imitation à froid et à balles forcées de sa manière : « Ô Fulvie ! croyez-moi, ne méconnaissez pas ainsi le pur idéal que Dieu a mis dans votre âme ! En vain vous espérez vous abuser vous-même. Vous ne sauriez faire taire la nature révoltée. Jamais elle ne consentira à ce funeste divorce de l’estime et de l’amour. Ô Fulvie ! Fulvie ! ne l’entendez-vous pas qui proteste et murmure au-dedans de vous ?… » Ô Madame Stern ! ô Madame Stern ! ce que nous entendons là, c’est La Bruyère ! Au milieu de toute votre allemanderie, vous vous ressouvenez du tour de La Bruyère et vous en ornez votre pensée. La femme nous revient dans l’écho !

Et pourquoi n’y a-t-il que le tour dont elle se souvienne ? Mme Stern expose des idées qui feraient sourire celui qu’elle imite. Le grand moraliste chrétien La Bruyère croyait à la Chute. Mme Daniel Stern n’y croit pas. « Je ne pense pas mal de l’espèce humaine, nous dit-elle, car je la crois plus abusée que perverse : je la plains plus que je ne la condamne, car je la vois toujours rectifiant de plus en plus ses erreurs et redressant ses voies à mesure que s’étendent ses lumières et que s’exerce dans de plus vastes limites sa liberté. » On l’entend : c’est la ritournelle du progrès chantée aux bornes sur toutes les orgues de Barbarie philosophiques. C’est le mot de l’Italien qui avait tué son père et qui disait : « J’ai fait un malheur » transporté dans l’ordre moral où nous ne voulons plus voir que des malheurs et non des fautes, tant nous fluons de pitié ! Mme Daniel Stern est une rabâcheuse de progrès. Le sens pratique des relations de droit commun entre les personnalités de l’ordre et de la famille fait défaut à cette moraliste qui veut juger la société. Comme les autres philosophes de son sexe qui renoncent à leur sexe, elle jabote contre le catholicisme, parce qu’elle est sortie de la catholicité, qui traduit ces relations dans la vie réelle et pratique. Une lamentable lacune s’est produite dans sa conscience et dans son esprit. Du reste, rendons-lui cette justice, il n’y a rien de formel ni de bien audacieux dans Mme Stern. La femme tremble dans la Clorinde. Cette amazone intellectuelle, qui n’a pas qu’un sein coupé, comme la guerrière, mais qui a les deux, n’est jamais, après tout, que l’ambidextre éternel qui, dans la pensée comme dans la vie, toujours poltronne et toujours coquette, avance quand on recule et recule lorsqu’on avance. Reflet troublé de deux grands prêtres, Lamennais et de Lamartine, toute sa philosophie n’est que l’horreur de la loi salique. Elle en est perpétuellement, pour son propre compte et pour celui de ses concitoyennes, comme elle dit, à la déclaration des droits de l’homme. C’est de l’homme, qu’elle est évidemment jalouse. Elle voudrait rivaliser avec lui, mais n’ose… Et pourquoi n’ose-t-elle pas ?…

IV

Qui sait ? Elle a peut-être été bien élevée. L’aristocratie d’éducation ou de race lui a probablement donné le sentiment du ridicule de ses propres opinions, et voilà pourquoi à la page 390 de son volume elle dit la cause des femmes compromise par celles qui la prêchent et qui la défendent. Très bien ! Mais que veut-elle alors ? Ce qu’elle veut, hélas ! c’est ce que veulent toutes les autres, ni plus ni moins, les George Sand, les Julie d’Héricourt, les Pauline Le Roux. Seulement, est-ce plus de tenue ou plus de finesse ? pour arriver à cela plus tard, Mme Stern se contente de donner aujourd’hui sa conception de la femme et, telle qu’elle l’entend, il n’y en a plus. La femme se dissout dans cette conception comme un métal dans le creuset. C’est l’eunuchisme appliqué par Mme Stern à tout son sexe. D’abord, elle lui retranche les larmes. « Il me déplaît, dit-elle, que les femmes pleurent. Elles sont victimes, disent-elles. Mais de quoi ?… De leur ignorance… de cette petitesse d’esprit qui borne leur activité aux tracas domestiques… Pleurez moins, ô mes chères contemporaines !… Prenez part de la science un peu amère et du travail compliqué de ce siècle. Méditez, pensez, agissez », Ailleurs, elle diminue les mères. « Les devoirs de la maternité, dit-elle, sont compatibles avec les grandes pensées. Une mère en allaitant son fils peut rêver avec Platon et méditer avec Descartes. » Elle assure même assez drôlatiquement que le lait n’en sera pas plus mauvais, ce qui dépend, du reste, de la force de la méditation ou de l’ardeur de la rêverie. Philaminte enragée, mais qui veut plus que des sonnets, des ballades et de la grammaire. « On apprend, dit-elle, à bien penser, comme on apprend à coudre. Et encore les hommes de ce pays-ci, s’écrie-t-elle avec une voix pleine de rancune, ne veulent pas qu’une femme soit docte. Ils craindraient, disent-ils, d’être moins aimés. » Et elle ajoute comme une objection renversante : « Ombre d’Héloïse, levez-vous et répondez-leur ! » ne s’apercevant pas qu’Héloïse précisément fait la réponse contraire ; que jamais cet atroce bas-bleu anticipé à qui la science avait châtré le cœur, tout en lui corrompant la tête, n’avait aimé son misérable Abeilard. Docte distraite ou peut-être pas assez docte, parce que les hommes ne l’ont pas voulu, elle n’aurait point parlé de l’amour d’Héloïse, si cette philosophe du douzième siècle, au lieu d’écrire en latin ses désirs fétides, les avait écrits en français !… ou même en allemand.

Tels sont les degrés successifs et les nuances par lesquels Mme Daniel Stern, cette effrayante éleveuse de pédantes, croit nous amener à l’émancipation définitive de son sexe, qui est toute la politique pour elle. Les désirs qu’elle exprime dans son livre d’aujourd’hui sur l’amélioration de la femme, et cette amélioration qu’elle indique, sont déjà le commencement de cette émancipation. Dans les Esquisses morales, Mme Stern ne s’occupe pas seulement de la femme ; elle jette aussi des vues sur l’homme, sur son éducation, dans laquelle elle remplace le catholicisme et sa tradition, qui éveille trop tôt l’enfant du beau rêve de la nature (n’est-ce pas joli ?), par Triat et ses gymnastiques et par Diafoirus et Purgon. L’enfant doit être purgé, dit-elle, en s’appuyant sur l’opinion d’un grand médecin de ses amis. Il paraît que la purgation n’éveille pas trop tôt du beau rêve de la nature. Après l’homme, on trouve aussi des vues sur Dieu dans le livre de Mme Stern. Ce mot-là (Dieu) recouvre, dit-elle, pour la plupart de ceux qui l’emploient, par son ampleur, le vide de la pensée. Elle répète avec Spinoza « que la volonté de Dieu est l’asile de l’ignorance ». Le mot, qui veut être cruel, pourrait être charmant. L’ignorance, toquée de superbe, préfère à cette volonté l’asile des quatre vents et l’hôtel de la Belle-Étoile. Il faut un tuteur et un asile à la faiblesse : or que dire de l’ignorance de Mme Stern, abjurant l’asile et le tuteur ?… Quoi qu’il en soit de ces points de vue divers, la grande question qui domine les Esquisses morales et la pensée de leur auteur est l’émancipation de la femme, et c’est sur cette question que la Critique doit particulièrement insister.

Hélas ! cette question est maintenant jugée, et nous ne disons pas seulement, avec Mme Daniel Stern, qu’elle est compromise, nous disons qu’elle compromet ceux qui la touchent. Une plume honnête ou spirituelle ne peut impunément la traiter. Mme Daniel Stern est spirituelle. Nous ne la confondons pas avec ces sorcières de Macbeth socialistes, ramassis infect de ribaudes expulsées du vice qui n’ont de la femme que les souvenirs et la jupe, débauchées, fourbues, libres puanteurs, qui cuisinent un affreux ragoût de doctrines mêlées sous les auspices du diable Légion, dans les carrefours de la publicité, et disent « mon roi » au prolétaire. Nous l’avons dit, malgré le bas-bleu, la blouse, la casquette, le cigare, les défis à, l’opinion chrétienne, Mme Stern, qui a tué son sexe autant qu’elle a pu dans sa personne, a pourtant gardé la chasteté de je ne sais quel goût ; elle n’a pu perdre je ne sais quelle aristocratie, et cette dernière marque de son origine doit la faire cruellement souffrir, quand elle reprend une thèse tombée si bas que personne ne la relève plus.

Mme Stern ne nous croira pas : avec son esprit plus haut que ses idées, avec son style très travaillé, trop travaillé, hélas ! mais patricien au fond, et patricien involontaire, — elle était faite pour mieux que pour vouloir être l’entremetteuse politique d’un sexe qui sait bien, d’ailleurs, faire ses affaires tout seul. — Pendant le bon temps, quand elles sont jeunes, les émancipées le sont de fait et n’en demandent pas plus ; et lorsque la vieillesse et la laideur fondent sur elles, c’est en vain qu’elles mendient le suffrage des portefaix et des prolétaires, à la porte des mairies, une sébile électorale à la main ! Le bon temps de la femme émancipée n’est que le temps bien juste des Mille et une Nuits. Signe de regrets de laideur et de décrépitude, que ces postulations insensées, indiscrétions au premier chef ! Quelle femme d’esprit (n’eût-elle que cela) accepterait sans crainte la responsabilité d’une thèse qui n’est le plus souvent qu’une révélation des misères et des déchéances de la vie ? Allez ! ce n’est pas qu’en économie commerciale que la vigueur de l’offre prouve la rareté de la demande, et que dans toute marchandise qui insiste pour être acceptée, il y a du rabais !

V

Entre les Esquisses morales et politiques de Daniel Stern et l’Histoire des commencements de la République des Pays-Bas, il s’est écoulé plusieurs années, et l’opinion, pendant ce temps, s’est un peu modifiée sur ces porteuses de noms masculins, que Mme George Sand avait mis à la mode. Et cependant malgré les sots qui ont trouvé cela très joli et qui croient béatement à l’égalité des fonctions et des sexes, la chose n’a pas été de longue durée. On a dit d’abord, comme d’abord elles l’avaient écrit à la garçonnière : George Sand, — Daniel Stern, — André Léo, — « et pourquoi pas ? disaient toujours les sots ravis. Elles sont des hommes par la pensée » ; mais le temps, qui est un galant homme aussi, et plus homme qu’elles, les a prises sous son bras et, comme on fait à l’enfant qu’on va fouetter, il leur a, d’une main patiente et douce, mais irrésistible, ôté simplement leurs culottes. Que dis-je ? elles se sont elles-mêmes déculottées. George Sand est maintenant partout Madame Sand ; Daniel Stern, Madame Daniel Stern ; et même André Léo, la citoyenne André Léo, dans tous les tapis-francs communards de Suisse ! Calembour à part, ces sans-culottes ont repris peu à peu leurs jupes, mais avec, elles n’ont pas repris la grâce qu’elles avaient autrefois à les porter. On ne les quitte pas impunément, ces jupes qui font la femme plus qu’on ne croit, en la voilant…, et lorsqu’une fois on en est impudemment ou impudiquement sortie et qu’on veut rentrer dans le cercle mystérieux et chaste de leurs plis, on y rapporte et on y introduit d’affreuses dégaînes et on les garde. C’est la punition ! Quand une femme a donné dans ce carnaval de l’orgueil et de la Libre-Pensée ; qu’elle a fait l’homme et qu’elle s’est promenée en homme, dans ses livres, elle en reste éternellement gauchie. Femme gauchie et homme gauche, impuissant hermaphrodisme de deux disgrâces ! C’est là ce que je trouve dans Mme Daniel Stern, l’auteur de l’Histoire des commencements de la République aux Pays-Bas !

Elle l’a signée encore Daniel Stern, tout court, tenant à garder les culottes que le monde et le temps commencent à lui ôter… Madame la comtesse d’Agoult doit être, si je ne me trompe, la petite-fille, par mariage, ou la petite-nièce, de ce capitaine des gardes-françaises qui mit si prestement à la porte les premiers polissons parlementaires de la Révolution, féconde depuis en polissons du même genre, et qui, s’il revenait au monde, ce capitaine Haut-la-Main ! n’aurait pas, j’imagine, beaucoup de respect pour les culottes philosophiques que sa petite-fille s’obstine à porter. Elles sont, en effet, philosophiques, ses culottes. Daniel Stern, qui, pour tout au monde, voudrait être Monsieur, a des visées à la Philosophie, comme à la Politique, comme à l’Histoire, comme à toutes les études viriles…, Un jour pourtant, on l’a vu, elle s’est oubliée jusqu’à écrire un roman bien froid ! — glissade de femme sur la glace ! — mais tout de suite, elle est retournée aux austères travaux pour lesquels, de bonne foi, elle se croit faite. Si je m’en souviens bien, elle a publié une histoire, à considérations philosophiques, sur la République de 1848, car elle est républicaine, Mme Stern. Elle est républicaine, parce que c’est plus viril, plus farouche, plus Hercule comme cela.

« Son grand eunuque noir, qui rit de son transport,
« Lui dit qu’il est Hercule. Il le croit… et s’endort ! »

Je ne suis ni eunuque, Dieu merci ! ni noir, et je ne ris point du transport de Mme Stern, mais elle se croit Hercule et ne s’endort pas ! Et même elle se croit mieux qu’Hercule, qui fila un jour aux pieds d’Omphale. Elle, elle n’a jamais filé ; elle a de bonne heure laissé la quenouille pour l’écritoire. Belle autrefois, mais d’une beauté métaphysique, pour ainsi dire, et méprisée des sensuels et des connaisseurs en volupté ; d’un visage correct de médaille que ne réchauffaient même pas ses cheveux blonds devenus très vite blancs, entre la vieillesse et la pensée, elle a dû être mauvaise à aimer pour les âmes ardentes Comme elle a dû les impatienter !

On dit qu’elle a fait des folies de passion, dans sa lointaine jeunesse. Étonnantes, ces folies, avec son visage. Mais elle a dû les commettre à froid, comme ses livres, plus volontairement que fortement pensés et écrits. Mme Stern n’est en réalité qu’une volontaire, toujours en révolte contre son organisme féminin, et la volonté n’a jamais mieux démontré qu’elle n’est pas le talent et qu’elle peut être l’impuissance… Savante, dit-on, du moins de pose savante ; allemande d’éducation intellectuelle ; hégélienne peut-être et, dans tous les cas, très digne de l’être, elle a trouvé que ce n’était pas encore assez de savoir l’allemand et elle s’est mise à apprendre le hollandais pour faire le livre que voici. Ce barbotage de canard hollandais l’a attirée, cette Scaliger. À sa prochaine publication, elle pourrait se jeter dans le chinois et l’apprendre pour nous faire l’histoire de la Chine. Une seule chose peut l’en empêcher, c’est que la Chine est un Empire, et même un Empire d’un certain despotisme, et que des femmes comme Mme Stern, des femmes de cette virilité fière, doivent à la forte décence de leurs mœurs, de ne parler que des Républiques !

VI

Stern a choisi celle des Pays-Bas pour nous en faire l’histoire. Des Pays-Bas ! Non ! c’était trop long, c’était là une œuvre trop vaste, que de petits bras de femme ne pouvaient étreindre. Cela demandait une étude trop continue et trop à fond pour un simple bas-bleu, qui tient à passer pour savante, mais qui a, dans sa robe, tout autre chose qu’un Bénédictin. Le sujet que devait traiter Mme Stern devait faire au moins six volumes et cela devait naturellement s’appeler : La République des Pays-Bas, mais la femme en domino, sous son nom d’homme, devait avoir peur de six volumes à mettre debout et à lancer ! et elle n’en a fait qu’un très efflanqué, — auquel elle a donné, par conscience, ce titre à queue comme un piano : Histoire des COMMENCEMENTS de la République aux Pays-Bas. Les commencements, c’est le plus beau, en tout ; mais particulièrement en républiques, lesquelles d’ordinaire commencent en belles femmes, un peu affolées, mais finissent toujours en queue de poisson, et de poisson vitement pourri, à faire mal au cœur aux républicains les plus solides ! Tout héroïque, bronze et armure de Minerve que Mme Daniel Stern se crût être, elle n’a pas voulu braver ce dégoût. Son histoire commencée en 1581, ne va que jusqu’en 1625, après la mort de Barneveldt ; et cette histoire que je viens de lire n’a changé en rien mon opinion sur Mme Stern en particulier, ni sur son sexe en général, à, qui je ne reconnais pas le droit, démontré par la puissance, d’écrire l’histoire. Les femmes ont la tête et la main trop petites pour cela.

Je ne leur défends point l’érudition, si cela les amuse, car il faut toujours, si bas-bleu qu’elles soient, leur parler d’amusement. Elles sont capables d’érudition. L’érudition c’est un détail, c’est une masse de détails ; c’est une curiosité. C’est une recherche d’épingles perdues, à retrouver et à reficher sur la pelote… Certes, je les crois très capables, entre les deux pots de confitures qu’elles ont à faire, de ramasser ces épingles-là. Cela s’est vu plus d’une fois. Un bas-bleu célèbre, d’un indigo très foncé, l’a entrepris à son honneur vers la fin du siècle dernier. C’était Mlle de Lézardière, savante peut-être comme Mme Daniel Stern ne l’est pas.

Seulement, quand la pauvre diablesse d’érudite ne se contenta plus de cette fonction domestique de ramasseuse d’épingles, au service de l’Histoire, et qu’elle voulut aborder l’histoire elle-même et construire une théorie des lois de la monarchie (rien que cela !), elle montra, par son propre exemple, l’impossibilité pour toute femme de toucher à l’histoire ; et pourtant elle avait derrière elle le robuste Brequigny, qui la conseillait et l’aidait, quand elle jouait ainsi à la Montesquieu ! Il y a toujours du monde à côté, disait Balzac, en parlant des cabinets particuliers. Il y a aussi toujours un homme à côté, quand une femme prend l’ambition de faire œuvre d’homme, et quelle plus œuvre d’homme que l’histoire ?… Les femmes seules ne peuvent y atteindre que par le petit bout, — le bout des Mémoires, des commérages, des anecdotes, des choses, personnelles, charmantes souvent sous leurs plumes ; mais pour l’histoire en elle-même, la grande Histoire, interdite même aux poëtes, aux imaginations de trop de flamme, aux génies inventifs, tant elle exige un regard calme et clair pour discerner les choses, et une main juste et ferme pour n’en pas manquer les proportions !… comment osent-elles s’en mêler ?… Et ce n’est pas seulement leur sensibilité, leur imagination et leurs nerfs qui rendent les femmes parfaitement incapables de se mesurer avec les difficultés de l’histoire ; car Mme Daniel Stern n’a ni feu d’imagination, ni sensibilité, ni nerfs, et elle n’a pas plus réussi dans son Histoire des commencements de la République aux Pays-Bas (quel titre !) que si elle les avait !

VII

Mais elle ne les a pas. Aucune de ces trois choses qui font la femme tout entière, aucun de ces trois rayons qui composent cette jolie petite foudre qu’on appelle une femme, et qui peut tomber sur nos cœurs, n’est en Mme Stern. Y ont-ils été jamais ? Pour ma part, j’en doute. Mais s’ils y ont été au temps orageux des folies, comme dit la romance de Julie Candeille (un autre bas-bleu), elle les aura éteints pour se faire plus homme ; pour penser plus en homme, pour s’insensibiliser mieux en homme ; car être homme, être homme à tout prix, voilà l’idée fixe dans ces cerveaux femelles ! Voilà quel a été certainement pendant toute sa vie l’effort de Mme Stem, ce bas-bleu acharné, renégat de son sexe ! Ah ! nous n’avons pas affaire ici à un bas-bleu de petite encolure, à un bas-bleu à petits vers, à petits romans, à petites comédies minaudées dans les salons, les soirs où l’on y trissotine. Mme Stern n’est pas de cette petite espèce dont le bas-bleuisme frivole n’est qu’une vanité de plus parmi les vanités des femmes ; une bague de plus, — saphir ou turquoise, — qu’elles font chatoyer parmi les autres bagues de leurs doigts. Il y a des bas-bleus très coquets, qui tirent très bien leurs bas sur des jambes ravissantes ; mais Mme Stern devait porter les siens triboulés ou à l’envers comme La Fontaine, non par distraction, mais par une superbe et intellectuelle non-curance ! Le bas-bleuisme de Mme Daniel Stern n’est pas de la coquetterie, mais de l’orgueil, et il a toute la maussaderie de l’orgueil. Jamais, de fait, dans toutes ses œuvres, une phrase agréable, pimpante ou négligée, souriante ou touchante, a-t-elle échappé à cette femme, correcte de style comme de visage, mais qui n’a pas plus d’agréments, Dieu me damne ! que M. Guizot ? Dans cette Histoire des Pays-Bas, qui rappelle les histoires de cet historien, si gravement terne, et où il se trouve trois ou quatre grandes figures qu’elle devrait aimer et trois ou quatre autres qu’elle devrait haïr et qu’elle décrit sans émotion quelconque, a-t-elle, une seule fois  accouché, frémissante, d’une page chaude ?… C’est que, systématique ou naturelle, cette absence de couleur et de vie est pour elle quelque chose de bien plus mâle que l’éclat de la forme ou l’enthousiasme de la pensée et qu’être mâle, c’est pour elle ce qu’était être vif pour cet Allemand, qui, voulant prouver qu’il l’était, sautait par la fenêtre avec la légèreté d’un bœuf ! Moins aimable, il est vrai, que cette femme amoureuse, qui pleurait devant un miroir et disait à chaque larme : « Pleuré-je bien comme Julie d’Étange ? » Mme Stern, à chaque sécheresse ou à chaque froideur de sa plume, se dit : Suis-je assez mâle comme cela ?… Et comme à, ses yeux parmi les hommes, les plus mâles dans l’ordre intellectuel et moral sont les plus savants, les plus philosophes, les plus puritains, elle se fait, à bras raccourci, savante, philosophe, puritaine. Savante, elle avale le hollandais, fâcheuse pilule ! Philosophe, elle se beurre d’allemand jusqu’au nœud de la gorge — et je dis bien, car elle doit avoir la pomme d’Adam, cette mâle femme-là ! — et puritaine, elle écrit l’histoire des républiques pour faire la leçon aux monarchies et pour prouver sa vertu politique, à elle…

Gymnastique qui doit être fatigante, n’est-ce pas ?…, Mais que voulez-vous ? Il faut être homme ! Il faut devenir, en se travaillant, de nerveuse une musclée, et de femme qui pouvait plaire, un être déplaisant qui n’est pas même un homme déplaisant. Il faut enfin que le chameau passe à travers le trou d’une aiguille ! Mais la nature des choses est la plus forte. Il n’y passera pas !

VIII

Le livre, en effet, cette histoire, est manifestement un livre de femme, malgré toutes les peines que l’auteur se donne. Il est de femme, par le manque d’aperçu, de profondeur, d’originalité, de vigueur enflammée ; qualités viriles que les femmes n’ont pas, parce qu’elles en ont d’autres, la grâce, l’élégance, la finesse, le coloris doux, la tendresse, l’inattendu, la sensation vive que. Stern n’a pas non plus ! Il est d’une femme, ce livre, mais d’une femme maigrie par des études abstraites qui n’étaient point faites pour elle. Parce qu’elle est devenue maigre, elle a cru peut-être devenir homme, mais elle n’a été qu’une femme maigre, sans fraîcheur d’esprit et sans contours ! Mme de Staël, que des critiques sans observation et sans justice se sont permis d’appeler une virago, avait dans sa grosse tête, — et de femme, malgré sa grosseur, — plus d’homme cent fois que Mme Stern n’en a dans la sienne.

Elle a beau, cette piocheuse, piocher dans l’allemand, le hollandais, la métaphysique, la politique et l’histoire des Républiques, elle ne pourrait, si nous ne savions ce que ce nom de Stern cache, être deux minutes la chevalière d’Éon de la littérature. Tout de suite on la reconnaîtrait. On reconnaîtrait le bas-bleu, — le bas-bleu savant, — qui ne tient pas à être artiste ; qui trouve qu’il y a mieux que l’art, c’est la pensée philosophique, et qui croit l’avoir au fond de son creux, comme on a une perle au fond d’une cruche. On reconnaîtrait le bas-bleu, qui s’est beaucoup savonné au courant des Revues germaniques, et qui, trempé dans ces lavoirs, y a perdu de son azur primitif, pour y avoir séjourné trop longtemps. En effet, le style de Mme Stern a fini par n’avoir plus de couleur du tout, et on s’en aperçoit d’autant mieux dans son livre sur les Pays-Bas, qu’il y a quelques citations, dans lesquelles le mot bien souvent étincelle et brille mieux sur ce style plombé, qui voudrait bien, à toute force, être du fer et qui n’est que du plomb, et qui reste plomb jusqu’à la fin du livre.

Chose à noter ! Mme Daniel Stern, malgré ses prétentions à être un philosophe, est surtout une rhétoricienne, mais sa rhétorique n’a point de fleurs. Nul mouvement intérieur n’anime sa phrase et ne la secoue et ne lui imprime ces sinuosités et ces raccourcis qui font du style une peinture. Sa grande diablesse de phrase carrée se développe toujours de la même manière, avec la plus fatigante des monotonies ; mais pour cette femme qui veut être homme, c’est là de la gravité magistrale que cette carrure et cette allure. Le livre de Mme Stern est, par la forme, le pensum de la gravité affectée, comme il est, par le fond, le doctrinarisme de la Libre-Pensée et l’expression de ces misérables généralités philosophiques qui sont les vulgarités intellectuelles de ce temps. Sans initiative par elle-même, sans idée qui lui appartienne, elle ne change rien à ce courant qui l’entraîne. Livrée aux préjugés orgueilleux de l’esprit moderne, mais sans conviction réfléchie et profonde, elle a, entre le Catholicisme et le Protestantisme de ce temps dont elle écrit l’histoire, — entre Philippe II et Guillaume d’Orange — l’impartialité de l’indifférence ; car elle regarde les choses religieuses au point de vue de cette Libre-Pensée qui dit, comme les Médecins de Molière, que « tout est changé » quand il n’y a rien de changé ! Le combat éternel entre l’Église, qui est l’Autorité, et la Révolte, qui est le Protestantisme, est le même au xixe  siècle qu’au xvie . Est-ce qu’hier la Commune n’égorgeait pas nos prêtres et ne souillait pas nos églises ?… Mme Stern, avant la Commune, ne se doutait pas que la question religieuse bouillonne toujours sous nos pieds, à travers la poussière des faits politiques. Mais une tête de penseur plus énergique qu’une tête de femme l’aurait vu !

Elle, elle ne voit rien, ni ne sent rien. D’attitude, dans les livres, je ne connais personne de plus insolemment placide. Rien ne bat sous sa mamelle gauche. Je le crois bien ; elle n’en a pas ! Et elle n’a pas eu besoin de la couper, comme une amazone. La philosophie la lui a desséchée. On a dit assez spirituellement que les femmes naissent et vivent femmes, mais qu’elles meurent vieilles filles. Mme Stern est une de ces vieilles filles-là… C’est une bréhaigne littéraire. Ses livres ne sont point sortis de ses entrailles, mais de ses prétentions. Ils ne sont pas, du reste, plus mauvais que d’autres, mais ils ressemblent aux autres. Vous avez voulu de l’égalité, en voilà ! L’Histoire des commencements de la République aux Pays-Bas pourrait très bien se fourrer dans la Revue des Deux-Mondes, entre un article de M. Duvergier de Hauranne et une étude de M. de Carné, et cela n’y détonnerait nullement sur l’ennui morne qui règne en cet endroit charmant. Quand le bas-bleuisme qui est la Révolution en littérature, car le bas-bleu est pour la femme ce que pour l’homme est le bonnet rouge ; quand le bas-bleuisme qui a commencé par être grotesque, mais qui devient sérieux, touchera à son triomphe définitif, qui est prochain et que je prévois avec un mépris joyeux, pourquoi ne mettrait-on pas Mme Daniel Stern aux Sciences morales et politiques ?… Elle y ferait très bien. C’est bien une pédante de l’Institut. Quand Mme Sand sera, elle, à l’Académie française, Mme Stern aux Sciences morales et politiques et Mlle Rosa Bonheur aux Beaux-Arts, nous aurons complet le triumféminat qui se croit un triumvirat ! La France sera sauvée ! Nous aurons atteint notre destinée la plus haute, et c’est nous, les hommes, qui désormais ferons les confitures et les cornichons7 !