(1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le président de Brosses. Sa vie, par M. Th. Foisset, 1842 ; ses Lettres sur l’Italie, publiées par M. Colomb, 1836. » pp. 85-104
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(1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le président de Brosses. Sa vie, par M. Th. Foisset, 1842 ; ses Lettres sur l’Italie, publiées par M. Colomb, 1836. » pp. 85-104

Le président de Brosses.
Sa vie, par M. Th. Foisset, 1842 ; ses Lettres sur l’Italie, publiées par M. Colomb, 1836.

Il s’agit cette fois encore d’un président à mortier comme l’était Montesquieu, mais d’un tout autre caractère. Le président de Brosses, avec un esprit prodigieux, un goût vif et fin, et des parties de génie, n’est pas connu aussi généralement qu’il devrait l’être. Célèbre et populaire en Bourgogne, ce nom n’a pas pris dans la mémoire de tous en France le rang qui lui est dû. L’historien du président de Brosses, M. Foisset, en a très bien vu et assigné les causes. Le président n’a pas vécu à Paris ; il a été l’un des derniers grands représentants de l’érudition et de la littérature provinciale de l’ancienne France. Partagé jusqu’à la fin entre des fonctions graves et le goût des lettres, dispersé avec originalité dans des études diverses, il n’a jamais donné à aucun de ses ouvrages ce feu continu, cette fusion égale, ce poli qui fait l’éclat ; avec des idées de tout genre, des vues vastes, des saillies pénétrantes, et une masse de connaissances précises, il n’a jamais eu la mise en œuvre et la mise en valeur, ce soin de la forme et de l’achèvement par où le talent s’accommode avec bonheur au goût de la société présente, et la ravit ou la domine en s’en rapprochant. Son monument à lui, sa restitution de l’histoire romaine selon Salluste, est venu plus d’un siècle trop tard, à la fin d’une époque empressée et rapide à laquelle suffisaient de reste les Considérations de Montesquieu. Il en est résulté que de Brosses, l’ami de Buffon, n’est resté grand homme que dans sa province ; et, pour l’apprécier aujourd’hui en quelques-unes de ses qualités rares, c’est à ses Lettres écrites d’Italie qu’il faut s’adresser, lettres de jeunesse, écrites pour l’intimité et entre camarades, avec toute la liberté bourguignonne et le sel du pays natal, mais remplies aussi d’observations excellentese, de libres et fins jugements sur les arts, sur les mœurs et sur les hommes. Ces Lettres d’Italie, dont la seule bonne édition a été publiée de nos jours, font véritablement du président de Brosses notre abbé Galiani, mais un Galiani plus sérieusement aimable, et, si je puis dire, plus considérable.

J’ai nommé cet abbé, parce qu’indépendamment de l’esprit hardi, rabelaisien, philosophique, qui a sa ressemblance chez tous deux, le président de Brosses était à peu près de la même taille que lui, c’est-à-dire remarquablement petit. Né à Dijon le 7 février 1709, d’une ancienne et noble famille originaire de Savoie, et qui n’avait pris la robe qu’après avoir porté l’épée, le jeune de Brosses fit des études brillantes en sa ville natale, qui avait alors toutes ses ressources au complet, et qui sentait de tout point sa capitale. Son père, conseiller au parlement de Bourgogne, était un grand lecteur des anciens et très occupé de géographie et d’histoire ; sa mère, femme forte, était petite-fille du grand jurisconsulte Fevret, et faite aussi pour transmettre à son fils le zèle des nobles et solides traditions. Il eut pour professeur de rhétorique un savant jésuite, le père Oudin, à qui il fit d’abord plus d’honneur que Buffon moins précoce. Il se distingua également dans ses cours de droit :

Lorsqu’il soutint sa dernière épreuve, dit M. Foisset, on fut obligé de le faire monter sur un escabeau, sans lequel il n’eût point été aperçu derrière le pupitre affecté aux récipiendaires. Cette thèse fit événement à l’Université ; le corps des professeurs, le doyen à leur tête, vint solennellement féliciter la mère du jeune licencié, et, le 13 février 1730, à peine âgé de vingt et un ans, de Brosses était assis sur le banc des conseillers au parlement de Bourgogne.

Un homme du premier ordre dans le droit et dans les lettres avait alors toute autorité à Dijon, et il exerça la plus grande influence sur la direction d’esprit du jeune de Brosses. Le président Bouhier, qui prolongeait les grandes études du xvie  siècle jusque dans le xviiie , érudit, critique, antiquaire, créateur, de vastes collections et possesseur libéral de la plus belle bibliothèque, continuait la race des magistrats illustres qui unissaient l’amour de leur état au culte de l’Antiquité. De Brosses fut séduit par ce noble et grave exemple ; il oublia trop que le président Bouhier, comme l’évêque d’Avranches Huet, était déjà un oracle d’un autre âge, et qu’il regardait le passé ; il oublia que le xviie  siècle, dans toute sa gloire moderne et désormais vulgaire, était venu. Le premier grand projet littéraire du jeune homme, cet idéal suprême qui ne prend bien qu’une fois dans notre imagination, comme le parfait amour ne prend peut-être qu’une seule fois dans notre cœur, se forma pour de Brosses sous le regard et sous l’influence du président Bouhier. Il conçut l’idée d’un ouvrage qui pût sourire à ce grand homme (comme on disait alors) par l’assemblage de connaissances nécessaires à l’exécution. Après avoir hésité entre Suétone et Salluste, et avoir quelque temps songé à les mener de front l’un et l’autre, il se fixa au dernier, non pas seulement pour une édition et une traduction, mais pour une restitution complète des parties détruites et manquantes ; il eut même l’idée d’abord de les rédiger en latin, et, dans tous les cas, comme si c’était Salluste qui se retrouvât tout d’un coup et qui se mît à parler en son nom. Il résolut, à cet effet, de consulter et de collationner tous les manuscrits existants de cet historien latin, de réunir à son sujet tous les renseignements et les accompagnements désirables, en géographie, en médailles, en portraits des hommes célèbres dont il avait parlé. Cet ouvrage, conçu dès la jeunesse du président, et qui ne parut que l’année même de sa mort (trois volumes in-4º, 1777), fut l’œuvre savante à laquelle il revint toujours à travers ses digressions nombreuses. De telles études, ennoblissement et délices de la vie, ne sont jamais une erreur ; mais celle-ci, avec la forme qu’il y donna, fut au moins un anachronisme. Le xviiie  siècle s’était ouvert par les Lettres persanes : il allait se continuer par des œuvres qui, même sérieuses, et dans l’ordre historique le plus régulier, n’auraient plus cet appareil érudit. De Brosses le sentait bien, et, dans son voyage d’Italie, voyant à quels détails sa recherche le conduisait, il se disait qu’il tournait le dos au goût du siècle, et peut-être à celui de l’avenir :

Tout ce qui est du ressort de la littérature, disait-il (prenant ici la littérature comme on l’entendait du temps de Casaubon), n’est plus guère du goût de notre siècle, où l’on semble vouloir mettre à la mode les seules sciences philosophiques, de sorte que l’on a quasi besoin d’excuses quand on s’avise de faire quelque chose dans un genre qui était si fort en vogue il y a deux cents ans. À la vérité, nous n’en avons plus aujourd’hui le même besoin ; mais, en négligeant autant qu’on le fait les connaissances littéraires, n’est-il pas à craindre que nous ne retournions peu à peu vers la barbarie, dont elles seules nous ont retirés ? Si je ne me trompe, nous avons déjà fait quelques pas de ce côté-là.

Il allait un peu loin, ce me semble, dans ce dernier pronostic, qui n’est vrai que dans un sens. À mesure qu’on s’éloigne de l’époque de la Renaissance et de l’âge de cette grande invasion classique, il est bien clair que le monde tend à se dégager de plus en plus du poids de l’Antiquité, qui avait d’abord été accablant. L’humanité, ce voyageur pressé, choisit de plus en plus dans son bagage, et rejette ce qui lui serait trop embarrassant. L’intérêt qui se porte à tel ou tel ordre de la connaissance humaine, voyage et se déplace, en quelque sorte, avec la société même et avec les besoins nouveaux ; mais on n’est point, pour cela, barbare.

De Brosses qui, à plus d’un égard, était bien du xviiie  siècle, dut à ce retour vers une époque antérieure et vers des sources plus hautes, de n’être point engagé dans les partis et dans les ligues philosophiques de son temps ; il en eut plus de largeur de vues et d’indépendance. Non plus que Buffon, il ne prit le mot d’ordre de personne. Amateur déclaré de la science et de son accroissement, zélateur de la gloire de sa patrie et du bien de l’humanité, il procédait, dans ses plans généreux, de la libre impulsion de Bacon, et nullement de l’Encyclopédie ; il était patriote comme on l’eût été encore du temps de Colbert. Aussi n’attaqua-t-il jamais à fond rien d’essentiel dans l’ordre de la société ; ses plaisanteries même et ses licences, nées de son humeur et du génie du terroir, n’eurent rien de systématique ni d’hostile ; et, en mêlant à ses propos de tous les jours bien des grains de Rabelais, il n’y mit jamais le venin qui blesse malignement et qui tue. Mais, pour le mieux connaître, il est plus simple de le suivre dans son voyage d’Italie.

Il partit de Dijon le 30 mai 1739, avec un sien cousin géomètre, M. Loppin, « ami intime des lignes droites », et personnage, ce semble, un peu roide. Il rejoignit en Avignon les deux inséparables frères, Lacurne et Sainte-Palaye, ce dernier grand amateur de sonnets, de vieux manuscrits gaulois, et s’enflammant pour le gothique autant que de Brosses s’en souciait peu. Cette diverse et joyeuse bande prit tout d’une voix de Brosses pour secrétaire, le chargeant d’écrire les détails du voyage aux amis de Dijon, à toute une aimable et franche coterie bourguignonne, le gros Blancey, le bon Quintin et d’autres encore, même d’aimables dames, qui savaient, comme autrefois, être de très honnêtes femmes et entendre le mot pour rire. Avignon, Aix, Marseille, sont les premières stations, et je ne puis m’arrêter à toutes les badineries du chemin. En Italie, il commence par Gênes, par Milan ; son goût pour la peinture et pour les marbres se déclare. Pourtant, quand il aura vu Rome, c’est-à-dire la grande et suprême beauté, il regrettera plus d’une de ses exclamations premières et superlatives, qui lui sont échappées : « À mesure qu’on se forme le goût, on devient plus difficile. » Il ne regarde pas seulement ce qui est de l’art, il fait attention aux hommes, beaucoup aux dames, à la société, aux conversations, à la nature. En allant visiter les îles Borromées, il nous parle du saint si vénéré, de Charles Borromée, ce grand personnage, bienfaiteur du pays, et qui a partout laissé sa trace : « Il est singulier qu’un homme qui a si peu vécu ait pu faire tant de choses de différents genres, toutes exécutées dans le grand, et marquant de hautes vues pour le bien public. » Il traite assez lestement ce petit faquin de lac Majeur qui s’avise de singer l’Océan et d’avoir des tempêtes :

Les bords du lac, dit-il, sont garnis de montagnes fort couvertes de bois, de treilles disposées en amphithéâtre, avec quelques villages et maisons de campagne, qui forment un aspect assez amusant. Nous voyions près de nous des montagnes couvertes de neige, qui nous faisaient frais aux yeux

On a dit du président de Brosses qu’il savait peu écrire ; le fait est qu’il n’y songe pas ; son style en lui-même n’est rien, mais l’esprit lui donne à tout moment de ces expressions heureuses, pittoresques, qui disent tout en deux mots. Par exemple, quand il passe en Dauphiné, il dira de l’Isère : « Nous passâmes ensuite à l’embouchure de l’Isère, rivière infâme s’il en fut jamais : c’est une décoction d’ardoise. » Et à Marseille : « On trouve en cette province, à chaque pas, l’agréable et jamais le nécessaire ; aussi, à vous parler net, la Provence n’est qu’une gueuse parfumée . » À propos d’une danseuse qu’il voit à Vérone, et qui surpasse tous les maîtres en entrechats : « De sorte, ajoute-t-il, qu’à l’égard de la légèreté, la Camargo est auprès d’elle une danseuse de pierre de taille. » Parlant du Giorgione à Venise, et le comparant, pour le coloris, à ce qu’est Michel-Ange pour le dessin, il dira : « Ces deux maîtres sont les czars Pierre de la Peinture, qui en ont banni la barbarie ; mais ce n’a pas été sans férocité. » Et en débarquant à Livourne : « Figurez-vous une petite ville de poche, toute neuve, jolie à mettre dans une tabatière, voilà Livourne. » Je cite ces mots au hasard, non comme des mots (car quelques-uns pourraient sembler maniérés, s’ils étaient faits pour être détachés et mis en relief), mais comme faisant partie du mouvement et du pétillement d’esprit ordinaire au président de Brosses. Son bon sens vif et pétulant se revêtait de ces formes frappantes et gaies qui avaient tout leur prix dans la conversation, et qui ne perdaient pas tout sur le papier.

Son goût n’a rien d’exclusif et se prend à quoi que ce soit qui en vaille la peine, tableaux, statues, jolies boiseries, vieux livres, raretés bibliographiques : « Car je suis comme les enfants, les chiffonneries me délectent. » En toute rencontre, et principalement dans le cabinet du grand-duc à Florence, devant « cet abîme de véritables curiosités », il s’arrête à tous les chefs-d’œuvre d’art, de sciences, de curiosités, et de douces chiffonneries, qui en font véritablement la chose la plus surprenante du monde ». Et c’est le même qui, à Rome, en se trouvant pour la première fois au milieu de ces augustes solitudes du Colisée et des Terme Antoniane, ne pourra s’empêcher « de ressentir dans l’âme quelque petit saisissement, à la vue de la vieille majesté de leurs antiques masses révérées et abandonnées » ; c’est le même qui aura sur les marbres antiques et sur leur magnificence grandiose une page pleine de majesté et presque d’amour : « On peut dire qu’en France nous ne savons presque ce que c’est que des marbres, et qu’on n’en a point vu si l’on n’est venu dans ce pays-ci… » (T. II, p. 109.)

Venise et son originalité de site et de mœurs, le sang si doux de ses heureux habitants, cette vie molle et de volupté silencieuse qui se berce et glisse sur les eaux, y est délicieusement retracée. Si une ville d’Italie pouvait se plaindre de De Brosses, ce serait Florence, à laquelle il rend d’ailleurs bien des hommages, mais pas autant peut-être qu’il lui en est dû : il était malade et avait légèrement la fièvre dans le séjour qu’il y fit. Après un premier passage très rapide à Rome, d’où il est parti pour visiter Naples et ses environs, il revient dans cette capitale du monde chrétien, et c’est là que pendant des mois il vit chaque jour de jouissance en jouissance et achève de se former au grand goût, dont elle offre seule l’entier modèle. S’il a pu souvent paraître accorder trop à l’esprit gaulois et à la gausserie gaillarde de toutes choses, il sait ici s’élever à un sentiment digne du spectacle qu’il a sous les yeux, et il s’inspire des mânes d’autrefois. Les Italiens modernes eux-mêmes, quand ils s’en mêlent, lui paraissent entendre le faste mieux que les Français :

Ce que nous appelons le plus communément en France, dit-il, faire une grande figure, avoir une bonne maison, c’est tenir une grande table. Un homme riche, qui représente, a force cuisiniers, force services d’entrées et d’entremets, des fruits montés d’une manière élégante (dont l’usage, par parenthèse, nous vient d’Italie). La profusion des mets doit toujours être au triple de ce qu’il en faut pour les convives… Un Italien ne fait rien de tout cela : sa manière de paraître, après avoir amassé par une vie frugale un grand argent comptant, est de le dépenser à la construction de quelque grand édifice public, qui serve à la décoration ou à l’utilité de sa patrie, et qui fasse passer à la postérité d’une manière durable son nom, sa magnificence et son goût. Ce genre de vanité n’est-il pas mieux entendu que l’autre ?

Ses jugements, ses impressions sur Michel-Ange et la chapelle Sixtine, sur Raphaël et les Chambres du Vatican, sont de l’homme de goût que la nature a doué avant tout d’organes délicats, et qui ne mêle à son sentiment direct rien d’étranger ni de littéraire. Quand de Brosses visita le Vatican, il y trouva les élèves de notre Académie de peinture occupés à copier les tableaux de Raphaël, et il n’en fut point satisfait du tout : leur dessin lui parut correct, le contour exact : « Mais on n’y retrouve plus, disait-il, ce feu ni ce trait hardi des originaux. Outre ceci, ils les défigurent de plus en plus par un maudit coloris plâtreux à la française. » Il se montre partout sévère pour cette négligence de notre école de peinture à l’égard du coloris ; il regrette de ne point trouver cette qualité attachante au milieu des ordonnances sévères et judicieuses qu’il reconnaît à Le Brun, Jouvenet, Boullongne et Bourdon : « Tous nos Français sont si mauvais coloristes ! » Il sent qu’on est, par ennui, à la veille d’une réaction ; que les Hollandais et les Flamands, non pas seulement les plus grands comme Van Dyck et Rubens, mais ceux d’une moindre manière, vont l’emporter et prendre le dessus dans l’estime : « Ne serait-ce pas l’extrême platitude du coloris de nos peintres français qui aurait contribué à jeter notre goût dans l’excès opposé ? » Il propose lui-même une manière de faire copier avec éclat et durée les plus fameux ouvrages à fresque d’Italie. C’est une certaine manière en mosaïque qui n’est pas ici à discuter ; je ne prends que l’idée, qui est grande :

Ce serait une magnificence bien digne d’un aussi puissant roi que le nôtre, dit de Brosses, de faire construire exprès un vaste bâtiment en galerie, pour y réunir les copies en mosaïque19 des plus fameux ouvrages à fresque qui sont en Italie, tant en tableaux qu’en plafonds, en les distribuant dans un bel ordre et dans un beau jour, au milieu d’une riche architecture. Vis-à-vis de ce bâtiment, en un clin d’œil, avec ma baguette de fée, j’en construis un autre, où je réunis à la file les modèles tirés des creux de toutes les plus fameuses statues. Croyez-vous qu’on puisse rien imaginer de mieux pour l’honneur des arts et de leur protecteur ? Croyez-vous que la curiosité des étrangers qui trouveraient ici réunies les principales choses qu’ils vont chercher de côté et d’autre à grands frais, ne rendrait pas au triple à l’État la dépense que lui auraient coûtée de tels monuments ? Communiquez, je vous prie, de ma part, ce projet aux mânes du grand Colbert.

J’ai voulu citer ce plan grandiose de De Brosses, et dans lequel il n’a fait que devancer de son vœu ce qui s’est en partie exécuté depuis. De Brosses, en laissant de côté les plaisanteries et les gaietés dont il assaisonne son propos, est fécond en de telles idées patriotiques, où il se montre précurseur et promoteur. C’est ainsi que, dans son Histoire des navigations aux terres australes (1756), il tracera le plan d’un voyage de circumnavigation qui inspirera Bougainville. C’est ainsi que dans un genre tout différent et dans une pensée toute parisienne, après avoir discuté avec impartialité des deux musiques italienne et française, il ajoutera : « Je souhaiterais seulement voir établir à Paris un Opéra italien, en laissant subsister le nôtre tel qu’il est. » C’est ainsi encore qu’en visitant le Forum, et en se rappelant que la première pierre milliaire était au milieu, et que c’était de là que partaient toutes les grandes routes dans l’Empire, il proposera quelque chose de pareil dans notre pays :

En France, où nous avons fait sous ce règne-ci, disait-il, tant de beaux grands chemins, ne ferait-on pas bien de placer, de lieue en lieue, de pareilles petites colonnes numérotées, à commencer par la première, placée au centre de Paris sur le Pont-Neuf, au pied de la statue de Henri IV ?

De Brosses, on le voit, abondait en projets de toutes sortes pour l’utilité publique, comme nous en avons vu faire à Perrault, le commis de Colbert ; mais il y portait plus de science et un plus grand goût que Perrault. Je joindrai ici quelques-uns de ses jugements divers qui ont particulièrement trait au goût français : sur la musique, par exemple, — il jugeait la nôtre ce qu’elle était alors. Non plus dans ses Lettres d’Italie, mais dans d’autres lettres écrites de Paris en 1754, il disait de l’opéra de Rameau, Castor et Pollux : « Pièce à la française, noble, belle, triste, assez ennuyeuse » ; et il met en regard la musique italienne des Bouffons :

Combien tout ceci est au-dessus de notre musique française !… La musique leur doit beaucoup à Paris, ils ont commencé d’y apprendre (d’y enseigner) ce que c’était que du coup d’archet, des nuances et de l’accompagnement, choses dont on n’avait pas même de soupçon. Il est étonnant Combien ils ont perfectionné l’orchestre de l’Opéra, qui commence à être un bon écolier.

Du Devin du village de Rousseau dont tout le monde raffolait alors, il juge sans hésiter et en homme qui sait de quoi il s’agit : « C’est une petite misère villageoise, qui est jolie et agréable la première fois, quand on ne la sait pas : quand on la sait, ce n’est plus qu’un lampon et un pont-neuf. Il n’y a point d’étoffe là-dedans. »

En architecture, en sculpture, il est contre le contourné, qui était alors à la mode :

Les Italiens nous reprochent qu’en France, dans les choses de mode, nous redonnons dans le goût gothique ; que nos cheminées, nos boîtes d’or, nos pièces de vaisselle d’argent sont contournées et recontournées, comme si nous avions perdu l’usage du rond et du carré ; que nos ornements deviennent du dernier baroque : cela est vrai.

Il y voit aussi lui-même un retour au goût gothique, lequel « étant petit, délicat et détaillé, peut convenir aux petits objets, et jamais aux grands ». Ce goût gothique, il ne l’a pas étudié, et il ne le sent pas. Il est sévère en général pour les peintres antérieurs à Raphaël, et même injuste pour les pauvres rénovateurs si méritants de l’art en Italie, les Cimabue, les Orcagna. Michel-Ange, peintre, ne l’enlève jamais ; tout en le saluant, il ne lui passe point sa furie d’anatomie, son goût outré et féroce : « Il muscle ses femmes comme des Hercules. » Raphaël seul a toutes ses admirations, et encore sa tendresse est plutôt pour le Corrège. De même en littérature, le poète qu’il aime par-dessus tout est l’Arioste :

L’Arioste fait mes délices perpétuelles ; je ne puis le quitter depuis que je suis en état de l’entendre. Quel poète est plus poète que celui-ci ? Quel autre a jamais possédé le talent de narrer avec plus de grâce, de naturel et de facilité ? Quel homme a jamais mieux su manier sa langue dans tous les tons, sublime, moral, tendre, noble ou badin ? Qui a su mieux peindre les situations, enchaîner les événements, perdre et retrouver d’une façon plus naturelle un si grand nombre de personnages, et, par une transition de deux vers, remettre son lecteur au fait de la suite d’une longue histoire racontée dans les chants précédents ? Plus je le lis, plus je m’y plais ; il vaudrait lui seul, à mon gré, la peine que l’on apprît la langue pour le lire.

Dante, au contraire, lui est pénible et difficile ; il le trouve d’un sublime dur : « Il me paraît plein de gravité, d’énergie et d’images fortes, mais profondément tristes ; aussi je n’en lis guère, car il me rend l’âme toute sombre. » Le Moyen Âge répugne à de Brosses ; il lui refuse le nom d’antiquité ; il visite au retour, à la bibliothèque de Modène, le docte Muratori, avec ses quatre cheveux blancs et sa tête chauve, travaillant malgré le froid extrême, sans feu et nu-tête, dans cette galerie glaciale, au milieu d’un tas d’antiquités ou plutôt de vieilleries italiennes : « Car, en vérité, dit-il, je ne puis me résoudre à donner le nom d’antiquités à tout ce qui concerne ces vilains siècles d’ignorance… Sainte-Palaye, au contraire, s’extasiait de voir ensemble tant de paperasses du xe  siècle. » — Tous ces jugements se tiennent, on le sent, et s’accordent soit en littérature, soit en peinture ou en musique ; et celui qui aime tant l’Arioste pourra se déclarer de la sorte en faveur de Pergolèse :

Parmi tous ces musiciens, mon auteur d’affection est Pergolèse. Ah ! le joli génie, simple et naturel ! On ne peut pas écrire avec plus de facilité, de grâce et de goût. Consolez-moi dans mon affliction, j’en ai grand besoin ; mon pauvre favori vient de mourir de la poitrine, à l’âge de trente-trois ans.

En pénétrant si bien dans le secret des beautés étrangères et de l’art immortel, de Brosses se montre à la fois tout à fait lui-même ; il reste bien Français, de son pays et de sa race. Il goûte certes la gaieté italienne et le comique de Machiavel ; mais il ne trouve pas, comme Algarotti, qu’on puisse mettre sa Mandragore en comparaison avec les bonnes pièces de Molière « qui sont excellentes par toute l’Europe et des chefs-d’œuvre pour nous :

En effet, s’écrie-t-il avec quelque chose de cet enthousiasme qu’il portait dans les Chambres du Vatican, quiconque, à jour et à jamais, voudra connaître à fond la nation française du siècle passé, n’aura qu’à lire Molière pour la savoir sur le bout du doigt ; aussi dans ma dispute avec Algarotti, lui soutins-je que nul homme n’était jamais allé aussi loin dans son art que Molière dans le sien, c’est-à-dire qu’il était encore plus grand comique qu’Homère n’était grand épique, que Corneille n’était grand tragique, que Raphaël n’était grand peintre, que César n’était grand capitaine. Là-dessus il m’arrêta en me disant que César entendait mieux le dénouement que Molière ; qu’il avait eu l’esprit de se faire tuer au moment du comble de sa gloire, dans le temps qu’il allait peut-être la risquer contre les Parthes, et qu’il était mort la montre à la main. Là-dessus finit notre dispute.

Mais ne pourrait-on pas ajouter un dernier mot ? C’est que Molière, lui aussi, est mort la montre à la main, au comble de sa gloire et sans déclin, après Le Misanthrope, le Tartuffe et Les Femmes savantes.

On sent bien que je cause avec le président de Brosses, ou plutôt que je le fais causer devant nous, et que je ne prétends pas analyser son voyage. En même temps que, dans sa seconde visite à Rome, de Brosses voit chaque jour quelque belle et grande chose, il ne néglige pas du tout de vivre de la vie romaine de société. Dès son arrivée, il s’est logé, lui et ses amis, dans un palais qu’ils ont loué, au bas de l’escalier de marbre de la Trinité-du-Mont. Deux autres compatriotes sont encore venus les rejoindre, si bien que « depuis l’invasion des Barbares, disait en riant le cardinal Passionei, on n’avait jamais vu tant de Bourguignons à Rome ». Ces jeunes Bourguignons de qualité ont leur carrosse, font bonne chère, jouent gros jeu et se mêlent aux mœurs du pays. Il faut lire cette jolie chronique dans les Lettres mêmes. Ils sont à Rome depuis des mois, lorsque le pape (Clément XII) se laisse mourir ; un conclave se forme. De Brosses nous donne, à cette occasion, un signalement piquant de chacun des membres du Sacré Collège, y compris son ami Lambertini, précédemment archevêque de Bologne et qui va être pape sous le nom de Benoît XIV. Je résisterai à la tentation de rien citer de ces parties folâtres et un peu irrévérentes de De Brosses, parce qu’en les détachant, on paraîtrait leur donner un sens qu’elles n’ont pas et qui les dénature. En général, sa gaieté, je le répète, et sa liberté même de propos est comme celle de nos bons aïeux, comme celle du respectable Lambertini lui-même : elle est innocente.

« J’aime bien pis que les rois, écrivait un jour le président à Voltaire : j’aime les papes. J’ai vécu près d’un an à Rome ; je n’ai pas trouvé de séjour plus doux, plus libre, de gouvernement plus modéré. » Telle était la Rome des Médicis, même celle des Barberini, celle des Corsini et des Lambertini, la bonne ville pontificale d’avant les révolutions.

On ne peut quitter Rome quand on y est resté au-delà de quelques semaines ; c’est un charme connu de tous les voyageurs, et auquel de Brosses n’échappe pas : « Car il faut que vous sachiez, écrit-il aux amis de Dijon, que les gens ne sont jamais croyables quand ils disent qu’ils vont partir de Rome. On y est si bien, si doucement, il y a tant à voir et à revoir, que ce n’est jamais fait. » Pourtant de Brosses se décide ; il a ses amis, ses devoirs qui le rappellent ; durant ce voyage, ses yeux sont satisfaits, son cœur est ennuyé. Il a bien du cœur en effet, un foyer d’affection vraie et sincère ; et, après un an environ d’absence, il y a quelque chose qu’il aime encore mieux que de visiter le Capitole, « c’est d’en parler avec ce qu’on aime ».

De retour à Dijon (1740), il devient président de simple conseiller qu’il était ; il se marie ; il vit plus en plein que jamais de sa vie de magistrat, de sa vie d’homme du pays, et aussi d’homme de lettres au sens d’autrefois. Il est un des principaux de la petite Académie qui s’assemble dans la maison du président Bouhier, et plus tard dans celle du président de Ruffey, en attendant que l’Académie des inscriptions et belles-lettres se l’associe. Il lit des mémoires sur toutes sortes de sujets. Je n’essaierai pas d’en donner une complète idée : entre autres projets, par exemple, il avait celui d’une histoire des temps incertains et fabuleux jusqu’au règne de Cyrus : « Car, vous savez, disait-il en riant, que je traite tous les siècles postérieurs de petits jeunes gens. »

L’histoire du président de Brosses comme magistrat, comme érudit, durant les trente-sept années qui s’écoulèrent depuis son retour d’Italie jusqu’à sa mort, est tout entière dans l’ouvrage de M. Foisset, et c’est là qu’il faut la lire. Le Salluste monumental, par lequel il a couronné sa carrière (1777), a été supérieurement apprécié par M. Villemain, juge si compétent. Son mémoire sur le Culte des dieux fétiches (1760), sur cette idolâtrie brute qu’il considère comme un des âges naturels de l’humanité ignorante et grossière en tout pays (en la considérant depuis le Déluge, dit-il, et depuis la dispersion), atteste un esprit philosophique qui, sur ce point, n’est pas allé à toutes ses conséquences. Son livre intitulé : Traité de la formation mécanique des langues et des principes physiques de l’étymologie (1765), rempli de remarques physiologiques extrêmement ingénieuses et ténues, participe de l’esprit du xviiie  siècle, de son ambition, et un peu de sa chimère : avant de reconstruire idéalement les langues, et d’en rechercher à force d’analyse et de simplification conjecturale les racines primitives, il est plus humble et plus sûr de les étudier telles qu’elles nous sont données dans l’infinie variété de l’histoire, et de les comparer dans leurs diverses branches. De telles conceptions pourtant sur les origines et la fabrique intérieure des choses et sur les méthodes humaines naturelles, témoignent d’un esprit qui, de bonne heure, selon l’expression de Buffon, s’était trouvé porté au plus haut point de la métaphysique des sciences, et en avait occupé les sommets : de là sa vue s’étendait sur l’ensemble, et les détails se rangeaient à ses yeux sous de certaines lois. La dispersion d’études chez le président de Brosses n’était donc pas celle d’un érudit ordinaire qui ne gouverne pas ses idées et que la poursuite même égare, mais plutôt le signe d’activité d’un amateur ardent et libre, qui travaillait selon l’occasion et la veine, pour son plaisir et non pour la gloire.

Les contemporains nous l’ont peint tel qu’il était dans la société et dans l’habitude ordinaire, très vif, extrêmement aimable, plein de saillies originales, plaisant, mais sans causticité, « facilement ému par la résistance et par la contradiction » ; ayant « de petites colères qui faisaient rire ceux qui en étaient témoins, et dont il ne tardait pas aussi à rire lui-même » ; il avouait qu’il lui était plus facile de se contenir sur de grands objets que sur de petits. Dans un voyage à Paris, en 1754, il fit la connaissance de Diderot, et Buffon, son introducteur, était en tiers ce jour-là. Qu’on se figure cette diversité de physionomies, d’esprits, et même de tailles : de Brosses plein de trait et gesticulant à sa manière, entre Diderot qui s’échauffe et Buffon qui écoute. Diderot, qui vit sans doute un jour de Brosses dans son appareil de magistrat, a dit quelque part de lui :

Le président de Brosses, que je respecte en habit ordinaire, me fait mourir de rire en habit de Palais. Et le moyen de voir sans que les coins de la bouche ne se relèvent (pourquoi ne pas dire tout simplement sans rire ?) une petite tête gaie, ironique et satyresque, perdue dans l’immensité d’une forêt de cheveux qui l’offusque ; et cette forêt descendant à droite et à gauche, qui va s’emparer des trois quarts du reste de la petite figure ?

S’il y avait dans ce portrait quelque chose d’un peu moqueur et d’un peu léger pour de Brosses, celui-ci, sans y viser, l’aurait bien rendu à Diderot ; car, s’étant figuré d’abord, avant de le connaître, qu’il allait trouver en lui une furieuse tête métaphysique, il écrivait, après l’entrevue et au bout de quelques visites :

C’est un gentil garçon, bien doux, bien aimable, grand philosophe, fort raisonneur, mais faiseur de digressions perpétuelles, Il m’en fit bien vingt-cinq hier, depuis neuf heures qu’il resta dans ma chambre jusqu’à une heure. Oh ! que Buffon est bien plus net que tous ces gens-là !

Au milieu des luttes diverses auxquelles il assista et dans lesquelles il eut sa part comme l’une des têtes du parlement de sa province, de Brosses, tout en tenant son rôle, resta modéré et clairvoyant. Exilé pendant le triomphe et le règne du Parlement Maupeou, il revint sous Louis XVI et fut nommé alors premier président (1775). Turgot, qu’il avait connu et qu’il estimait, ne le rassurait que médiocrement en qualité de ministre : « Je le connais fort, écrivait de Brosses en apprenant son élévation ; homme honnête, instruit, dur et tranchant, encyclopédiste, grand sectateur de la philosophie nouvelle. » Et ailleurs :

C’est une terrible besogne. Il est très instruit et fort homme de bien. Pourvu qu’il ne veuille pas nous mener d’une manière tranchante, par système encyclopédique ! Je ne donnerais pas le royaume d’Ithaque à administrer à l’abbé Raynal. Le corps politique est trop affaibli pour supporter les remèdes brusques.

Et bientôt, voyant Turgot à l’œuvre, il trouvait dans sa politique et dans ses édits « plus d’Encyclopédie que de ministère » ; de même, au reste, que dans les discours et remontrances opposés, il trouvait « plus d’envie de contredire que de bien public ». Il ne vécut pas assez pour assister aux avortements successifs de réforme qui signalèrent la première époque de Louis XVI, et qui amenèrent de si violentes conséquences ; il mourut assez brusquement dans un voyage qu’il fit à Paris, le 7 mai 1777, à l’âge de soixante-huit ans.

La ligne du président de Brosses se dessine suffisamment à nos yeux : il est, dans le xviiie  siècle, au premier rang des hommes indépendants, éclairés et spirituels de la province. Dans un temps où ces provinces s’effaçaient de plus en plus et où il fallait que les hommes éminents fissent acte d’adhésion et d’hommage à la vie de Paris et, pour ainsi dire, à la politesse générale et convenue de la France, il resta hardiment fidèle à sa Bourgogne. On a cité quelques-uns des noms qui furent les derniers tenants et demeurants de la féodalité déjà détruite : lui, il est le dernier et le plus considérable des grands littérateurs provinciaux qui gardèrent jusque dans les idées nouvelles quelque chose de l’allure des siècles précédents. En même temps, et si son style laisse à désirer pour un certain poli, nul plus que lui n’eut le goût fin et délicat des arts, la sensibilité italienne unie à la malice et à la naïveté gauloise. Par ce dernier côté, ses Lettres sur l’Italie ont sur celles de Paul-Louis Courier et sur les livres du spirituel Stendhal (Beyle) un avantage durable. Venu avant eux, il est plus naturel qu’eux. Ce sentiment du beau et de l’antique, ou des merveilles pittoresques modernes, qui fait l’honneur de leur jugement, de Brosses ne se donne aucune peine pour l’avoir et pour l’exprimer : il l’a du premier bond et le rend par une promptitude heureuse. Dans cette course rapide et ce séjour de dix mois à travers l’Italie, il y a certes des côtés qu’il n’a fait qu’entrevoir en courant, et où d’autres talents trouveront matière à conquête ; la Campagne romaine, par exemple, les collines d’alentour, Tibur, la Villa Adriana, sont des lieux dont Chateaubriand un jour évoquera le génie attristé et nous peindra les mélancoliques splendeurs : de Brosses reste le premier critique pénétrant, fin, gai et de grand coup d’œil, qui a bien vu dans ses contradictions et ses merveilles ce monde d’Italie.

Dans tout ce qui précède, c’est à dessein que je n’ai fait que nommer Voltaire et que je n’ai pas dit un mot de la grosse querelle qu’il fit à de Brosses, querelle de locataire à propriétaire, d’acheteur à vendeur, à l’occasion du château de Tourney, que le président lui avait cédé à bail sa vie durant. Cet épisode mérite un chapitre à part ; la conséquence fut que de Brosses ne put jamais être de l’Académie française. Il faut voir Voltaire sous bien des jours ; ce monarque absolu et capricieux, qui était sans foi ni loi, du moment qu’on le contrariait, rencontra une fois dans sa vie quelqu’un d’aussi spirituel que lui, qui lui dit son fait, et qui ne fléchit pas.