(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 296-302
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 296-302

FEVRE, [Tannegui le] Professeur de Belles-Lettres à Saumur, né à Caen en 1615, mort en 1672.

Son nom mériteroit d’être, en quelque sorte, consacré parmi nous à distinguer le travail & l’érudition. Personne ne possédoit mieux les Auteurs Grecs & Latins ; & ne s’est plus appliqué à les commenter, à les éclaircir, & à les faire paroître sur la Scène avec tout le cortége d’une Edition travaillée avec soin. Ses Notes sur Lucien, Longin, Eutrope, Justin, sur Anacréon, Lucrece, Virgile, Horace, Térence, Phédre, sont d’un Editeur consommé dans l’étude & la langue de ces originaux. Il n’a pas eu le même succès lorsqu’il a voulu écrire en François ; ses différentes Traductions, ainsi que ses Vies des Poëtes Grecs, sont d’un style pesant, inexact, & trop sec.

Le Fevre fut le pere & l’instituteur de Madame Dacier, ce qui n’est pas une médiocre recommandation dans la République des Lettres. N’oublions pas qu’au mérite du savoir il joignit le mérite plus estimable encore, des vertus sociales. Les Gens de Lettres peuvent apprendre, par son exemple, à se respecter mutuellement dans les succès & dans les malheurs. Il étoit ami de Pélisson. Malgré la disgrace de celui-ci, il eut le courage de lui dédier son Commentaire sur Lucrece, pendant qu’il étoit prisonnier à la Bastille, où l’on ne va pas ordinairement chercher ses Mécenes. Ce seul trait prouve l’élévation de son ame & celle de son Siecle. Le nôtre qui croit assez lourdement qu’on peut tout faire avec de l’esprit & des maximes, devroit se rappeler que l’esprit ne peut jamais donner qu’un foible droit à l’estime, & que des volumes de belles maximes ne valent pas un acte de générosité.

Nous avons aujourd’hui un homme de Lettres du même nom, Auteur d’une Tragédie, intitulée Zuma, qui, malgré le succès qu’elle a eu au Théatre, ne figurera jamais que parmi les Pieces médiocres. La Fable en est romanesque ; point de vraisemblance dans les incidens, des situations forcées, des caracteres peu prononcés ou peu soutenus, des Scènes assez théatrales, des mouvemens très-pathétiques, un style assez noble & quelquefois élégant, voilà ce qu’elle offre à la critique & à l’éloge.

FLÉCHIER, [Esprit] Evêque de Nîmes, de l’Académie Françoise, né à Pernes près d’Avignon en 1632, mort en 1710.

Si on excepte son Histoire de Théodose le Grand, de toutes les parties des Belles-Lettres qu’il a cultivées, l’Eloquence de la Chaire est la seule où il ait réussi d’une maniere distinguée. On a comparé ses Oraisons Funebres, à celles de Bossuet, sans faire attention que les comparaisons deviennent ridicules ou au moins inutiles entre deux Génies différens. Celui de Bossuet étoit sublime en tout ; & celui de Fléchier ne paroît avoir eu en partage que la noblesse des pensées & l’harmonie de l’élocution. Il est vrai qu’il possédoit éminemment ces deux qualités de l’Orateur, & que personne n’avoit porté aussi loin cette derniere, dont on avoit eu longtemps la simplicité de croire que notre langue étoit peu susceptible. L’Oraison funebre de M. de Turenne peut être regardée comme un chef-d’œuvre, par la maniere dont les différentes qualités du Héros sont développées, & par la chaleur du style, la beauté des traits qui s’y succedent sans appareil, sans gêne, comme la vraie peinture de chaque objet. Les autres Oraisons funebres qu’il a composées, sans avoir autant de mérite, n’en annoncent pas moins un talent particulier d’assortir la morale & l’instruction aux éloges des différentes personnes qu’il avoit à célébrer. C’est là, comme dit M. Mongin dans un de ses Discours académiques, « c’est là qu’on est étonné de voir dans un seul homme l’ame universelle de plusieurs Grands Hommes, l’ame du Guerrier, l’ame du Sage, du grand Magistrat & de l’habile Politique ; là il s’éleve, il change, il se multiplie, & prend toutes les formes différentes du mérite & de la vertu. La séduction est si forte, qu’on croit voir tout ce qu’on ne fait que lire ou qu’entendre. Avec un Livre à la main, vous êtes transporté dans des siéges & dans des batailles ; c’est l’Orateur qui vous charme, & vous n’êtes occupé que du Héros ; c’est Fléchier qui parle, & vous ne voyez que le grand Turenne ; l’Art cache l’Orateur, & ne montre que le grand Capitaine ou le grand Magistrat ».

Cet éloge ne seroit point au dessus des talens de l’éloquent Evêque de Nîmes, si on n’étoit obligé d’avertir en même temps ceux qui courent la même carriere, de se garder de le prendre en tout pour modele. Trop de penchant à mettre de l’esprit dans ses pensées, trop d’affectation dans la symétrie du style, trop de goût pour les antithèses, ne pourroient produire & n’ont peut-être déjà que trop produit de mauvaises copies, parce qu’il est plus facile d’imiter l’esprit des grands Orateurs, que leur génie. C’est sans doute cette imitation mal entendue qui a altéré si fort, parmi nous, le vrai goût de l’Eloquence de la Chaire. On a cru pouvoir faire revivre les Grands Hommes, & plaire, à leur exemple, en ne prenant d’eux précisément que ce qui les empêche d’être des Grands Hommes accomplis.

Il s’en faut bien que Fléchier ait toujours été entêté des défauts qu’on lui reproche. La maturité de l’âge & la perfection du goût les lui firent sentir & éviter dans ses derniers Ouvrages. Si ses Oraisons funebres & ses Sermons perdent beaucoup de leur mérite par une élégance trop compassée, on peut dire que ses Instructions Pastorales, ses Discours Synodaux, sont bien éloignés d’une pareille affectation. Ceux qui n’ont jamais connu le véritable esprit de la Religion, peuvent les lire : ils y reconnoîtront ses vrais sentimens & son langage. Ceux qui s’obstinent à reprocher à l’Eglise un caractere odieux de dureté, d’intolérance, n’ont qu’à parcourir les instructions qu’il donnoit à ses Diocésains pendant les troubles des Cévenes ; ils verront comment un esprit vraiment pastoral sait allier la fermeté de la foi avec la charité qu’elle ordonne ; ils admireront des exhortations propres à affermir le courage des Ministres de la Religion, & à soutenir leur patience dans les persécutions ; ils seront pénétrés de respect & d’attendrissement pour cette douceur de morale, cette générosité de sentiment, cette indulgence qui plaint l’erreur en la combattant, cette magnanimité qui se refuse même la plus légere satisfaction, lorsque les persécuteurs les plus atroces sont devenus malheureux. C’est dans ces Ouvrages enfin que la Philosophie apprendra l’usage qu’on doit faire des lumieres & du sentiment, & que l’humanité n’a pas de consolation plus solide que la Religion, comme la Politique n’a pas de meilleur appui.