Chapitre XI.
Des Livres sur la Politique & le Droit Public.
LE Droit naturel étant le fondement du Droit Public, il faudroit indiquer les ouvrages qui traitent du premier, avant que de venir à ceux qui n’ont que le second pour objet. Mais ces deux Droits ayant été confondus dans la plûpart des livres, faisons connoître ceux qui ont été les plus estimés.
Grotius est célébre par son Traité du Droit de la Guerre & de la Paix, traduit par Barbeirac, in-4°. deux vol. Ce livre n’est proprement qu’une compilation, qui ne méritoit pas le tribut d’estime que l’ignorance lui a long-tems payée. L’auteur étoit très-savant, mais il ennuye par sa science même, parce qu’elle est très-mal digérée. Il cite tour à tour Horace, Tertullien, Chrisippe, St. Augustin, Aristote, St. Jérôme, &c. copier ainsi les pensées des auteurs qui ont dit le pour & le contre, ce n’est pas penser, c’est arborer les livrées du pédantisme.
Le traducteur de Grotius a mis aussi en françois le Droit de la nature & des gens, par Puffendorff, in-4°. deux volumes. Cet écrivain est aussi savant que l’auteur du Droit de la guerre & de la paix, & encore plus diffus. Il affecte comme lui de ne rien dire de lui-même. Isocrate, Pline, Sophocle, le Digeste, Garcilasso de la Vega, Machiavel, Diodore de Sicile, St. Ambroise, Hygin, Vitruve, du Plessis Mornai font toujours les fraix de ses pensées. Il ne résulte de ce fatras de citations qu’un assemblage insipide & une bigarure insupportable. On peut, à quelques égards, porter le même jugement des Principes du Droit de la nature & des gens, traduit par M. Formei du latin de Wolff, in-4°. 1758. & in-12. trois vol.
Les auteurs précédens abondent plus en passages qu’en réfléxions ; en voici un qui pense trop par lui-même pour avoir besoin de compiler ce que les anciens & les modernes ont pensé. C’est l’auteur de l’Esprit des loix. Ce livre a amusé les lecteurs frivoles & instruit les penseurs. Il y a beaucoup de choses, vraies, hardies & fortes. Plusieurs chapitres sont dignes des Lettres Persannes. Le sel de la plaisanterie est répandu sur le sérieux de la politique. Mais on s’est plaint que cet ouvrage peu méthodique est un labyrinthe sans fil ; que le vrai & le faux y sont trop souvent mêlés ensemble ; que presque toutes les citations sont fausses ; que ses idées systématiques sur le climat, sur la religion, souffrent beaucoup de difficultés ; que tout le livre est fondé sur une distinction chimérique, &c. &c. Malgré ses défauts l’Esprit des loix doit être toujours cher aux hommes, parce qu’il inspire l’humanité, & qu’il combat le despotisme. Enfin c’est un bâtiment irrégulier, bâti par un homme de génie, dans lequel il y a des choses admirables.
Montesquieu est justement critiqué dans la Théorie des loix civiles, par M. Linguet, ouvrage qui respire un esprit original & un homme éloquent.
Machiavel a été long-tems le docteur de la politique ; mais ses principes sont détestables, & au lieu d’indiquer les traductions de ses livres, je parlerai de leur réfutation par le Roi de Prusse. L’anti-Machiavel de ce Monarque est plein d’esprit & de génie. C’est Socrate qui donne des leçons aux Rois ; leçons sublimes & qui n’ont pas été un vain étalage de paroles dans la bouche de Fréderic.
Quelques auteurs ont pris un tour singulier pour instruire les Monarques & leurs ministres. Ils ont fait rester tous les hommes célébres qui ont occupé le ministère. Ainsi l’Abbé de Bourzeis donna le testament politique du Cardinal de Richelieu ; Chevremont celui de Charles V., Duc de Lorraine ; Bois-Guillebert celui de Vauban. L’ex-Capucin Maubert a publié de nos jours le Testament politique du Cardinal Alberoni & Chevrier celui du Maréchal de Bellisle. On a très-bien comparé ces Testamens à celui que Chrispin fait dans le Légataire universel. Il y a des erreurs & des petitesses qui décélent la main du testateur. Il se peut cependant à toute force que Richelieu ait fait son testament, comme Neuton fit son apocalypse ; mais cet ouvrage n’est pas digne de lui. Celui d’Alberoni vaut beaucoup mieux ; l’auteur étoit un éloquent bavard, qui avoit de grandes vues avec une petite ame. Il fait parler souvent ce Cardinal en grand Ministre, & d’autres fois en Moine défroqué.
On trouvera des idées beaucoup plus justes, des principes plus certains, des réfléxions plus sages dans la Science du Gouvernement, où l’on explique les droits, les devoirs des Souverains, ceux des Sujets, &c. en huit vol. in-4°. par M. de Réal. Une érudition très-étendue, une connoissance exacte des intérêts des différens princes de l’Europe, un style noble & élégant ; telles sont les qualités qui distinguent cet ouvrage. Mais l’auteur auroit pu se resserrer davantage ; & si l’Esprit des loix péche par trop de précision, la science du gouvernement a un défaut tout contraire.
L’ouvrage le plus récent sur le droit de la nature & des gens, est celui de Mr. Burlamaqui, considérablement augmenté par M. le professeur de Felice à Yverdun 1767-1769. en huit vol. in-8°. C’est le corps de droit & de politique le plus compler & le plus méthodique que nous ayions.