Pierre
Monsieur Pierre, chevalier de l’Ordre du Roi, premier peintre de monseigneur le duc d’Orléans et professeur de l’Académie de peinture, vous ne savez plus ce que vous faites, et vous avez bien plus de tort qu’un autre. Vous êtes riche. Vous pouvez sans vous gêner, vous procurer de beaux modèles et faire tant d’études qu’il vous plaira. Vous n’attendez pas après l’argent d’un tableau pour payer votre loyer. Vous avez tout le temps de choisir votre sujet, de vous en pénétrer, de l’ordonner, de l’exécuter. Vous avez été mieux élevé que la plupart de vos confrères. Vous connaissez les bons auteurs français ; vous entendez les poètes latins ; que ne les lisez-vous donc ? Ils ne vous donneront pas le génie, parce qu’on l’apporte en naissant ; mais ils vous remueront, ils élèveront votre esprit, ils dégourdiront un peu votre imagination ; vous y trouverez des idées et vous vous en servirez.
Pierre à son retour d’Italie exposa quelques morceaux bien dessinés, bien coloriés, hardis même et de bonne manière. Il y a vingt ans de cela. Alors il faisait cas du Guide, du Correge, de Raphaël, du Veronese et des Carraches, qu’il appelle aujourd’hui des croûtes. Depuis une douzaine d’années il a toujours été en dégénérant, et sa morgue s’est accrue à mesure que son talent s’est perdu. C’est aujourd’hui le plus vain et le plus plat de nos artistes.
Il a pris pour sujet d’un de ses tableaux Mercure amoureux qui change en pierre Aglaure qui l’éloignait de sa saur Hersé.
On voit à gauche Hersé à sa toilette. Derrière elle est une suivante debout. À droite, sur le devant, Aglaure est renversée à terre. Au-dessus, Mercure porté dans les airs, touche de son caducée cette sœur incommode.
D’abord quelle plate idée que d’avoir mis Hersé à sa toilette ! C’est une grande figure, froide, imbécile, sans action, sans passion, sans mouvement, sans caractère, ne prenant pas le moindre intérêt à ce qui se passe. Cette subalterne qui est à côté d’elle, on peut dire qu’elle se conforme très bien à l’indifférence de sa maîtresse. Pour l’Aglaure ; c’est en charbon de terre que Mercure la change ; je m’en rapporte à M. de Jussieu. Ce Mercure qui fait ici le rôle principal est si faible de couleur qu’on le prendrait pour un nuage gris. Le tout a l’air ou d’une première ébauche, ou d’un mauvais tableau ancien dont on a enlevé la couleur en le nettoyant.
Depuis que ce morceau est exposé, le peintre va tous les matins le retoucher. Retouche, retouche, mon ami. Je te promets que cela n’est ni fait ni à refaire. Ce n’est pas Aglaure, c’est l’artiste et toute sa composition que Mercure en colère a pétrifiés.
Une scène du Massacre des Innocents.
C’est une mère qui se poignarde de douleur sur le cadavre de son enfant. Quand on cite un seul vers d’un poème épique, il faut qu’il soit de la plus rare beauté. Quand on ne montre qu’un seul incident d’une scène immense, il faut qu’il soit sublime, et qu’il dise ex ungue leonem. Monsieur Pierre, vous n’avez point de griffes. La femme qui se tue, est blafarde. Je ne sais pourquoi elle se tue, car je cherche son désespoir, et ne le trouve point.
Il ne faut pas prendre de la grimace pour de la passion. C’est une chose à laquelle les peintres et les acteurs sont sujets à se méprendre. Pour en sentir la différence, je les renvoie au Laocoon antique qui souffre et ne grimace point.
L’Harmonie.
Ma foi, je ne sais ce que c’est.
Pour la Bacchante endormie, je me la rappelle fort bien. C’est une grande nudité de femme ivre, âgée, chairs molles, gorge flétrie, ventre affaissé, cuisses plates, hanches élevées ; fade de couleur, mal dessinée, surtout par les jambes ; moulue, dont les membres vont se détacher incessamment, usée par la débauche des hommes et du vin. Dormez, charmante, dormez. Personne ne sera tenté d’abuser de votre état et de votre sommeil.
Quand on choisit de ces natures-là, il faut en sauver le dégoût par une exécution supérieure, et c’est ce que M. le chevalier Pierre n’a pas fait. Vulcain est la plus hideuse figure de l’Odyssée et la plus fortement peinte. Le Polyphème de Virgile fait horreur ; mais il est beau.
Il ne faut plus compter Pierre parmi nos bons artistes.