1. Boileau, [Gilles] Contrôleur de l’Argenterie du Roi, de l’Académie Françoise, né à Paris en 1631, mort dans la même ville en 1669.
Il fut Poëte, comme Despréaux son frere ; mais sa célébrité n’est point, à beaucoup près, la même. Ce n’est pas qu’il n’eût pu illustrer un autre nom : sa Traduction de l’Abrégé de la Philosophie d’Epicte par Arrien, & la Vie qu’il nous a donnée de ce Philosophe Stoïcien, sont deux Ouvrages très-estimables, qu’on a réimprimés depuis peu. Il a traduit aussi en vers le quatrieme Livre de l’Enéide, & certains morceaux de cette Traduction ne seroient point indignes de son frere, comme on peut en juger par ceux-ci.
Après qu’Enée a déclaré à Didon le dessein où il est de quitter Carthage, cette Reine s’écrie :
Non, cruel, tu n’es point le fils d’une Déesse ;Tu suças, en naissant, le lait d’une tigresse ;Et le Caucase affreux, t’engendrant en courroux,Te fit l’ame & le cœur plus durs que ses cailloux, &c.……………Grands Dieux, pourrez-vous voir de la voûte étoilée,La foi si lâchement à vos yeux violée ?Hélas ! sur qui peut-on s’assurer désormais ?Ah ! qu’on se fie à tort à la foi des bienfaits !Qui l’eût jamais pensé, qu’un traitement si rudeEût payé mes faveurs de tant d’ingratitude ?Ne te souvient-il plus, perfide, de ce jourQue, pâle & tout tremblant, tu parus à ma Cour ;Qu’encor tout effrayé des horreurs du naufrage,Ma pitié mit ta flotte à l’abri de l’orage ;Et que, me demandant secours en ton malheur,Avecque ce secours je te donnai mon cœur ?……………Hé bien ! ingrat, hé bien ! suis donc ces vains oracles,J’y consens de bon cœur, & n’y mets plus d’obstacles :Va, malgré les hivers & tes lâches sermens,Exposer ta fortune à la merci des vents.Peut-être que la mer, ouvrant cent précipices,A ta punition offrira cent supplices.Alors en vain, alors sur la fin de tes joursTu voudras appeler Didon à ton secours.Des feux de mon bûcher, j’irai jusqu’en l’abîmeAllumer dans ton cœur les remords de ton crime ;Et mon ombre par-tout te suivant pas à pas,Te montrera par-tout ton crime & ton trépas ;Et jusque dans l’Enfer faisant vivre ma haine,Mon ame, chez les Morts, jouira de ta peine,
Ceux qui connoissent les vers Latins, verront qu’il seroit difficile de les rendre plus fidélement. Le morceau où Didon, abandonnée par Enée, se livre à son désespoir, est d’une précision & d’une vivacité qui égale presque celle de l’original.
Hélas ! s’écria-t-elle au fort de sa misere,Quel projet désormais me reste-il à faire ?Chez les Rois mes voisins, mon cœur humble & confus,Ira-t-il s’exposer aux hasards d’un refus ?Eux, dont j’ai tant de fois, avec tant d’insolence,Méprisé la recherche, & bravé la puissance ?Irai-je, en suppliante, à la honte des miens.Implorer la pitié des superbes Troyens ?Trop aveugle Didon, puis-je, après cette injure,Ne pas connoître encor cette race parjure ?Et comment mes soupirs pourroient-ils retenirCeux de qui mes bienfaits n’ont pu rien obtenir ?Ou bien, irai-je enfin jusqu’au bout de la terre,Avec tous mes Sujets leur déclarer la guerre ?Mais comment voudroient-ils, à travers les dangers,Poursuivre ma vengeance en des bords étrangers,Eux, que leur intérêt & l’amour de la vieOnt à peine arrachés du sein de leur patrie ?Mourons donc, puisqu’enfin, dans l’état où je suis,La mort est l’espoir seul qui reste à mes ennuis.
Les poésies légeres étoient aussi de son ressort. Il savoit y mettre de la gaieté & de la légéreté, témoin ces vers qu’il fit pour placer au bas du portrait de son pere.
Ce Greffier dont tu vois l’image,Travailla plus de soixante ans ;Et cependant à ses enfansIl a laissé pour tout partage,Beaucoup d’honneur, peu d’héritage,Dont son fils l’Avocat enrage.
Gilles Boileau fut d’abord Avocat au Parlement, puis Intendant des Menus-plaisirs & Affaires de la Chambre du Roi, & ensuite Contrôleur de l’Argenterie de Sa Majesté.