XIV. Le procès funèbre de la bouche
(Gourmantié)
Quand la bouche fut morte, on consulta les autres parties du corps pour savoir d’elles laquelle se chargerait de l’enterrement.
La tête, qu’on avait interrogée la première, déclara ne pas vouloir entendre parler de cette corvée-là « C’était toujours la bouche qui se plaignait d’être fatiguée quand, moi seule, je portais les fardeaux ! déclara-t-elle Que quelque autre se charge de l’inhumation ! »
L’oreille aussi refusa toute assistance « C’est moi qui entends, récrimina-t-elle et c’était toujours cette présomptueuse qui se targuait d’avoir entendu ! »
- — « De même pour nous ! déclarèrent les yeux. Ce que nous apercevions, c’était elle toujours qui, à l’en croire, l’aurait vu ! » Les mains, à leur tour, refusèrent la tâche : « Ce n’est qu’une ingrate à qui il est arrivé maintes fois de nous donner un coup de dent lorsque nous lui portions la nourriture ! »
- — « Et moi, s’écria le ventre, j’ai contre elle de trop amers griefs ! Ne s’est-elle pas cent fois déclarée rassasiée, alors que j’avais encore faim ? En tant de circonstances elle m’a empêché par son orgueil de me remplir à ma convenance ! »
Le pied ne montra pas moins d’acrimonie contre la défunte. « Cette bouche ! dit-il, elle s’attribuait des mérites qu’elle n’avait nullement ! A tout instant on l’entendait dire : je suis allée ici ; je me suis rendue là. Était-ce elle qui y allait, elle qui s’en vantait si glorieusement ? On aurait juré vraiment qu’elle faisait tout et les autres rien ! » Quand fut venu le tour du « bengala »163 il montra plus de complaisance « Ce sera moi qui l’enterrerai ! déclara-t-il, car elle fut pour moi une servante et une amie. C’était elle qui parlait pour moi quand j’éprouvais le besoin de me donner un peu de mouvement. C’était elle qui me donnait à manger164 ».
Ainsi la bouche trouva tout de même son fossoyeur mais, il faut le reconnaître, ce n’avait pas été sans peine.
Conté par BENDIOUA.
Traduit par SAMAKO NIEMBÉLÉ, dit SAMBA TARAORÉ.
ÉCLAIRCISSEMENTS
Ce récit fait songer quelque peu à la fable « Les membres et l’estomac ».