(1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre sixième. »
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(1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre sixième. »

Chapitre sixième.

§ I. Comparaison entre les progrès de la poésie et de la prose, au xvie  siècle. — § II. Le Plutarque d’Amyot. — § III. Michel Montaigne. Comment il est formé par la Renaissance. — § IV. Le sujet des Essais. Caractère de Montaigne ; sa vie ; son temps. — § V. Caractère général des Essais. Pourquoi Montaigne a-t-il un goût particulier pour certains écrivains de la décadence latine. — § VI. Des causes de la popularité de Montaigne.

§ I. Comparaison entre les progrès de la poésie et de la prose, au XVIe  siècle.

Quand on lit les poëtes du xvie  siècle, parmi lesquels je ne comprends pas Malherbe, dont la première pièce durable porte la date de 1605, on est surpris du peu qu’ils ont exprimé d’idées générales. Sauf dans un petit nombre de pièces qui ont tiré de ces idées mêmes la force et le naturel qui les a fait durer, le fond et les détails sont fournis par le moment, par les mœurs, par le tour d’esprit particulier de l’époque. Non que les poëtes ne sentissent vaguement la vertu des idées générales, témoin la typographie d’alors qui les enfermait entre guillemets, comme sentences d’oracle ; mais, au lieu de les rencontrer par la méditation aux mêmes profondeurs d’où les a tirées pour la première fois le génie antique, ils y étaient involontairement conduits par la mémoire et l’imitation, et ils s’en paraient à l’extérieur, comme d’une enseigne de savoir, plutôt qu’ils ne s’en aidaient pour s’élever à des pensées supérieures ou égales. C’était l’effet de la tyrannie de la mode, qui, en asservissant la poésie d’abord à l’imitation italienne, puis à la superstition des formes de la poésie antique, en avait fait un art de caprice, livré à ce qu’il y a de plus éphémère et de plus variable, les idées particulières. Cette servitude et le peu de consistance des idées particulières retardaient d’ailleurs et gênaient le travail de la langue, si difficile à fixer, et qui ne peut recevoir sa perfection que des idées générales. Voilà pourquoi les poëtes ne sont pas des penseurs ; ils emploient les dons de l’imagination à exprimer, sinon à exagérer ce qui plaît à leur temps ; et s’ils sont savants, c’est que la science elle-même est une mode. Les poëtes ne peuvent pas se passer du suffrage du moment ; ils sont esclaves de tout ce qui peut faire voler leur nom de bouche en bouche ils vont au-devant de la gloire, au risque de ne rencontrer que la vogue, ce vain enthousiasme d’aujourd’hui, auquel le dégoût succédera demain. Ceux des poëtes de cette période qui ont exprimé des idées générales, satisfaisaient moins leur raison qu’ils ne caressaient la mode, qui, fort heureusement, n’exceptait pas de ses caprices les choses qui s’adressent éternellement à la raison.

C’est par cette rareté des idées générales que s’expliquent et la stérilité de la poésie au xvie  siècle, et l’imperfection de l’art d’écrire en vers. Il ne faut donc pas chercher dans les poëtes la mesure de l’esprit français durant cette période ; les auteurs en prose peuvent seuls nous la donner. A la fin de ce siècle, l’art d’écrire en prose n’avait plus guère à acquérir quant à la matière ; et quant à la langue elle-même, elle ne demandait plus que des perfectionnements de détail, et une certaine discipline dont nous nous occuperons en son lieu.

Peut-être aussi le génie a-t-il manqué aux poëtes dans ce siècle si fécond en hommes supérieurs, à moins que la servitude d’une double imitation n’ait fait avorter le génie dans des jeux d’esprit. Quoi qu’il en soit, c’est dans les prosateurs que l’esprit français se manifeste tout entier, parce que là seulement il exprime un grand nombre d’idées générales. Après Rabelais et Calvin, elles continuent d’entrer en foule dans les ouvrages en prose, et on les voit apparaître en plus grand nombre et de plus en plus claires dans Amyot et Montaigne.

§ II. Le Plutarque d’Amyot.

Pendant que Ronsard disputait à Saint-Gelais le titre de prince des poètes au temps même de cette furie d’imitation antique, un traducteur de génie, Amyot devinant d’instinct ce qui avait échappé aux poètes réformateurs, comprenait que les langues ne s’enrichissent que par les idées, et versait pour ainsi dire, dans la nôtre, le recueil le plus complet des idées, des mœurs, des hommes et des choses de l’antiquité, les ouvrages de Plutarque (1559-1574).

Rabelais et Calvin avaient eu la gloire de faire les premières applications heureuses des idées anciennes à la société moderne. Mais cette sorte d’éducation de l’esprit français avait été trop précoce pour n’être pas incomplète. D’ailleurs, Calvin était trop spécial, Rabelais trop curieux des choses extraordinaires de l’antiquité anecdotique. Le moyen le plus puissant et le plus efficace de développer cette éducation de l’esprit français, de l’assurer, c’était de lui faire voir, comme en un abrégé, l’antiquité elle-même se révélant dans notre langue. C’est ce que fit Amyot, en traduisant les écrits d’un homme supérieur qui avait recueilli tous les souvenirs de l’antiquité grecque et romaine.

On sent de quel intérêt dut être la lecture de Plutarque, lorsque, selon l’expression de Montaigne, il fut devenu français par Amyot. C’était le répertoire de l’antiquité. Ses grands hommes dans les Vies ; dans les Œuvres morales, ses philosophies, sa religion, ses mœurs, sa vie domestique et anecdotique ; que de sources fécondes, que de termes de comparaison avec la société d’alors ! que d’excitations pour la pensée ! Les caractères n’y profitèrent pas moins que les intelligences. Ce fut une école de mœurs presque autant qu’une école de langage. Avec les hautes spéculations de l’antiquité, on en renouvela les grandes actions et les morts héroïques. Le plus grand homme de ce siècle, Henri IV, était nourri de Plutarque128. La traduction des œuvres de Plutarque ne fut pas un moindre événement dans l’histoire politique de notre pays que dans l’histoire de la littérature.

La gloire de cet événement appartient au fils d’un boucher de Melun129. La tradition est qu’Amyot vint faire ou achever ses études à Paris, où sa mère lui envoyait chaque semaine son pain par le coche, et qu’il y fut le domestique des écoliers du collège de Navarre. Son mérite le fit successivement abbé de Bellosanne, professeur de l’université de Bourges, précepteur des fils de Henri II, aumônier de Charles IX, grand aumônier de France, et évêque d’Auxerre. Quoique destiné dès le commencement à l’Église, et entré dans les ordres à l’époque des querelles suscitées par la Réforme, Amyot évita la théologie, et jusqu’à son élévation à l’évêché d’Auxerre, il ne s’occupa que d’études profanes. Il avait commencé par traduire les romans grecs, les Amours de Théagènes et Chariclée (1547), Daphnis et Chloé (1550). La préface des Vies des hommes illustres (1550) est entièrement profane, sauf quelques belles paroles sur Dieu, que le catholicisme, renouvelé par la Réforme, a pu seul inspirer. Au contraire, la préface des Œuvres morales (1574), en beaucoup d’endroits, sent le sermon. Amyot avait été appelé dans l’intervalle à l’évêché d’Auxerre ; il était tout pénétré de ses premières études de théologie, dont il ne sut d’ailleurs que le nécessaire.

Ainsi, la Renaissance toute seule forma l’esprit et le talent d’Amyot. Il était également versé dans le grec et le latin. Pendant dix ans il enseigna l’un chaque matin, et l’autre chaque soir à l’université de Bourges. Il traduisit Plutarque d’après les manuscrits du Vatican. Le latin lui était une langue plus familière que le français, et son génie de traducteur se révèle par l’habitude où il était de composer d’abord en latin les sermons qu’il devait prêcher en français. De là cette intelligence si profonde et si sûre, et cette pratique pour ainsi dire journalière des analogies des langues anciennes avec la nôtre ; de là tant de créations de tours et d’expressions conformes à l’esprit de notre pays. Amyot eut cette sorte de génie, qu’il sentit avec une admirable justesse tout ce que l’esprit français développé par cette première culture de l’antiquité, pouvait concevoir et exprimer d’idées générales, et qu’en traduisant un des écrivains de l’antiquité les plus riches en idées de cet ordre, il s’arrêta toujours au point juste où le génie de notre langue aurait résisté. Il est à la fois hardi et retenu, éprouvant chaque pensée antique à l’image qu’il s’était faite de l’esprit français, et chaque tour grec ou latin à sa langue ; hardi jusqu’où l’analogie peut le suivre, jusqu’où la clarté est assurée ; retenu quand l’analogie manqué, et que l’exactitude serait un inutile sacrifice de la langue traduite à la langue de l’original.

Son admirable aptitude pour la prose se montre dans l’impossibilité où il fut toujours d’écrire en vers passablement. « Il étoit peu adroit », dit son biographe Roulliard, « en son génie poétique. » « Il se mêla de poésie, dit Bayle, et n’y réussit pas. » La version des vers grecs en vers français, ajoute-t-il, à laquelle Amyot se voulut assujettir dans son Plutarque, est « affreuse. » Charles IX la trouvait grossière, « en quoi, dit Roulliard, son opinion a esté suivie de beaucoup d’aultres. » Amyot n’a pas même eu, à cet égard, l’espèce d’adresse que donnait aux auteurs les plus médiocres l’habitude générale au xvie  siècle d’écrire en vers ; outre que, dans la traduction des poëtes grecs, les analogies des deux langues étant beaucoup plus rares, il lui arrive plus souvent d’éteindre l’original que d’enrichir sa propre langue.

Amyot n’excella que dans la prose, et n’écrivit avec originalité que ce qu’il traduisit. Le jugement que porte le même Roulliard sur ce qu’il avait vu de ses ouvrages originaux « qui me semble, dit-il, estrangement pesant et traisnassier », est rigoureusement vrai, sauf quelques pages de la préface des Vies, qui ne sont pas au-dessous des meilleures qu’on ait écrites au xvie  siècle. Il y a dans cette infériorité même de l’écrivain original, comparé au traducteur, une marque singulière de sa vocation. Dans un temps où le progrès de la langue était l’ambition de tous les écrivains, où beaucoup s’égaraient à le chercher dans une augmentation matérielle des mots, rien n’était plus pressant que de la mettre aux prises en quelque sorte avec ce qui avait été pensé et exprimé de plus excellent par l’écho le plus intelligent de la raison antique, et de faire parler l’antiquité elle-même dans notre langue. Ce fut la tâche d’Amyot. Dans cette traduction célèbre, la seule qui ait eu la gloire des ouvrages originaux, il mit l’esprit français en présence de l’esprit ancien, et notre langue en regard de la plus riche des deux langues de l’antiquité. Par cette comparaison saisissante, il montra mieux que ses contemporains par leurs théories, et mieux qu’il n’eût fait lui-même par des écrits originaux, quels guides l’esprit français devait suivre, à quelles sources notre langue pouvait puiser des richesses durables.

La traduction d’Amyot mérite l’admiration qu’elle inspirait à d’excellents esprits du xviie  siècle, à Vaugelas, à Huet, à Pellisson et à d’autres, lesquels, plus rapprochés de son époque, distinguaient plus nettement et sentaient avec plus de vivacité tout ce qu’il y a de créations dans cette langue dont l’usage a rendu certaines beautés vulgaires, et en a ôté insensiblement la gloire à l’inventeur. A cette époque, Amyot était étudié comme un modèle. Sainte-Marthe disait qu’Amyot, « en portant la langue au plus haut point de pureté dont elle semblait capable, n’avait guère moins acquis de gloire par cette voie que s’il avait conquis de nouvelles provinces par l’épée, et étendu les limites du royaume130. » Huet le loue « d’avoir apporté dans sa traduction tant d’esprit et tant de bonnes dispositions, tant de subtilité et tant de politesse, qu’on peut dire qu’il a été le premier qui ait montré jusqu’où pouvaient aller les forces et l’étendue de notre langue131. »« Quelle obligation dit Vaugelas, ne lui a point notre langue, n’y ayant jamais eu personne qui en ait mieux su le génie et le caractère que lui, ni qui ait usé de mots ni de phrases si naturellement françaises, sans aucun mélange des façons de parler des provinces, qui corrompent tous les jours la pureté du vrai langage français ! Tous les magasins et tous les trésors sont dans les œuvres de ce grand homme. Et encore aujourd’hui nous n’avons guère de façons de parler nobles et magnifiques qu’il ne nous ait laissées ; et quoique nous ayons retranché la moitié de ses mots et de ses phrases, nous ne laissons pas de trouver dans l’autre moitié presque toutes les richesses dont nous nous vantons132. »

Le choix qu’Amyot fit de Plutarque est de ces convenances que j’ai déjà signalées dans le cours de cet écrit entre les besoins du temps et le génie de l’écrivain appelé à y pourvoir. Que fallait-il au temps d’Amyot  ? Recueillir et exprimer le plus grand nombre d’idées dans toutes les matières qui peuvent recevoir la forme littéraire et perfectionner les langues. Or, aucun auteur de l’antiquité n’a plus exprimé de ces idées-là que Plutarque. Quoique historien et moraliste, il n’est enchaîné ni aux lois du genre historique, ni à la forme des traités de morale. S’il a rarement l’espèce de beautés supérieures qui naissent d’un plan fortement conçu et d’un sujet traité en rigueur, ni cette perfection intérieure et secrète de l’ensemble qui se fait sentir par la réflexion, il a une diversité infinie de pensées justes, délicates profondes, qui sont comme des lumières répandues sur tout le domaine de la pensée. Dans quel ordre d’idées Plutarque n’at-il pas, soit exprimé quelque vérité durable et féconde, soit recueilli quelque fait d’où sortira, sous la plume d’un autre écrivain une vérité de ce genre ? Comme historien, à quelle partie de la science historique n’a-t-il pas touché, guerre, administration, gouvernement, sous toutes les formes de société appliquées chez les anciens, depuis le, pouvoir absolu de l’Orient jusqu’à l’extrême démocratie ? Comme moraliste, que de vues sur les passions en général, sur les traits communs et sur les diversités des caractères et quelle abondance de fait publics et particuliers à l’appui de ses jugements ! Quelle variété d’excursions et quelle curiosité universelle, quoique toujours réglée par le dessein de dire des vérités utiles à la conduite de la vie ! Quelle multitude de préceptes, et de quelle multitude de faits ces préceptes s’autorisent ! Vrai magasin comme dit Vaugelas, d’idées raisonnables et pratiques sur la vie humaine inventaire complet de la sagesse antique personnifiée elle-même dans un homme supérieur, recueillant les traditions d’un monde qui touchait à sa fin. C’est de cette sagesse. que la langue d’Amyot nous mit en possession au xvie  siècle, et le sentiment de cette acquisition fut si vif, que Montaigne parlant du Plutarque d’Amyot, put dire, au nom de tous ses contemporains : « Nous aultres ignorants estions perdus, si ce livre ne nous eust relevés du bourbier : sa mercy, nous osons à cett’heure et parler et escrire ; les dames en régentent les maistres d’eschole ; c’est nostre bréviaire133. »

§ III. Montaigne. Comment il est formé par la Renaissance.

Je viens d’indiquer un des plus beaux titres d’Amyot : c’est d’avoir fourni des matériaux à Montaigne, et contribué ainsi à former cet excellent esprit. Qui ne sait, en effet quel parti Montaigne a tiré de la lecture de Plutarque ? S’il se passe ordinairement de la compagnie des livres quand il écrit, de peur, dit-il, qu’ils n’interrompent sa forme, et aussi parce que les bons auteurs le découragent, « il se peut plus malaysement desfaire de Plutarque », « Il est si universel et si plein, ajoute-t-il qu’à toutes occasions et quelque subject extravagant que vous ayez prins, il s’ingere à vostre besogne, et vous tend une main libérale et inespuisable de richesses et d’embellissements134. » On s’imagine en effet Montaigne, aux jours où il était à court d’idées, ou mal en train d’écrire, se mettant à feuilleter Plutarque, sans ordre et sans dessein, et, s’il tombait sur une de ces pensées profondes ou seulement ingénieuses, qui abondent en cet auteur et qui éveillent l’esprit, s’y attachant et se mettant à penser à la suite de Plutarque. Or, le Plutarque dont se servait Montaigne, c’est celui d’Amyot. C’est Plutarque « depuis qu’il est françois135. » Montaigne n’aurait pu le lire dans l’original. « Je ne me prends guère aux Grecs, dit-il quelque part, parce que mon jugement ne se satisfait pas d’une moyenne intelligence136. » Et ailleurs : « Je n’ai quasi d’intelligence du grec. » Et ailleurs, parlant de Platon, dont il blâme les dialogismes : « Je ne vois rien, dit-il, en la beauté de son langage137. » C’est donc par Amyot que Montaigne a connu l’auteur ancien qu’il a le plus goûté et le plus pratiqué, à savoir Plutarque. Amyot a été le maître du plus grand écrivain du xvie  siècle.

Mais Montaigne n’est pas seulement le premier de son époque ; il est le premier par rang d’ancienneté de nos écrivains populaires ; j’entends de ceux dont les esprits cultivés ne se peuvent pas plus aisément défaire que Montaigne de Plutarque. Au livre des Essais commence cette suite de chefs-d’œuvre qui sont comme autant d’images complètes, quoique diverses, de l’esprit français.

La Réforme fit peu pour l’éducation de Montaigne., Elle le trouva catholique, et le laissa philosophe chrétien. Il fut touché de ce sérieux des doctrines chrétiennes, si fort exagéré par le calvinisme et il prit plaisir à étudier l’homme au point de vue du christianisme, c’est-à-dire dans les contradictions et les misères de sa nature. « De toutes les opinions, dit-il, que l’ancienneté a eues de l’homme en gros, celles que j’embrasse le plus volontiers, et auxquelles je m’attache le plus, ce sont celles qui nousmesprisent et avilissent, et aneantissent le plus138. » Pour la théologie, il l’évita jusqu’à la fin. Si sa curiosité pour tous les objets des disputes des hommes lui eût donné la tentation d’y regarder, les guerres de religion l’en eussent bientôt dégoûté.

Des deux antiquités, la chrétienne et la païenne, la seconde forma seule Montaigne. Elle fut sa nourriture, et comme sa substance. Sous ce rapport, il marque un progrès décisif de l’esprit français.

La Renaissance a exercé sur l’esprit français deux influences distinctes. Au commencement, c’est par une sorte de superstition et d’ivresse d’érudition qu’elle se manifeste dans les écrits. Témoin Rabelais, à la tête duquel il en monte des fumées témoin la puérile adoration des formes de la poésie antique, dans Ronsard et son école. Cependant Calvin y avait résisté. Toujours sobre, attaché à son objet, châtié et contenu, même à l’époque où cette ivresse emportait les meilleurs esprits préservé par son caractère, par son rôle, par la sévérité de sa matière, des écarts de l’enthousiasme littéraire, il n’avait reproduit de l’antiquité que la simplicité de sa méthode ; du reste, ainsi que je l’ai remarqué, trop théologien pour ne pas négliger la plus grande partie des trésors de la sagesse profane. Pour Amyot, il s’était borné au rôle de traducteur, montrant, il est vrai, ce que l’esprit français pouvait oser avec l’aide et, pour ainsi dire, sous le couvert de l’antiquité païenne ; du reste, ne donnant rien du sien, et ne mêlant aux pensées antiques aucune pensée qui lui fût propre.

Dans la seconde période de la Renaissance, l’esprit français fait de l’esprit ancien une étude à la fois plus réglée et plus pratique. Après avoir joui avec une curiosité ardente des trésors de la sagesse, et goûté les voluptés dû savoir, on songe à en tirer des applications pour la conduite de la vie. L’esprit français se compare à l’esprit antique, et, se rencontrant avec lui dans les mêmes spéculations, il prend de soi-même une idée plus haute, et se fortifie par cette comparaison, au lieu de s’étourdir par l’admiration excessive. « Les idées, dit Montaigne, que je mestois faictes naturellement de l’homme, je les ai establies et fortifiées par l’autorité d’aultrui et par les sains exemples des anciens, auxquels je me suis rencontré conforme en jugement. » C’est à Montaigne qu’il appartenait d’exprimer le mieux ce changement : car c’est en lui que se personnifie l’esprit français, alors qu’à l’imitation de l’antiquité va succéder un commencement d’assimilation. Montaigne pense pour son compte ce que l’antiquité a pensé ; il met l’esprit français de pair avec l’esprit ancien.

Ce grand homme marque un autre changement, qui n’est peut-être que la conséquence du premier : c’est la prédominance du génie latin sur le génie grec dans la littérature française. Montaigne est plus latin que grec. Sa prédilection même pour Plutarque, qui ne fait d’ailleurs aucun tort à celle qu’il confesse avoir pour Sénèque139, ne contredit pas cette remarque. Plutarque n’était-il pas un Grec formé par les écrivains de la décadence latine, une sorte de Sénèque grec ?

Du reste, le changement qui, au temps de Montaigne, fit perdre au grec la faveur publique, tenait à des causes générales. Le grec avait été la langue de l’hérésie ; or, l’hérésie ayant eu le dessous, le grec était vaincu ! Lors de la fondation du collège de France, pour une chaire de latin, il y en avait deux de grec. Les moines se souvinrent qu’ils avaient eu le grec pour ennemi, quand la royauté leur eut donné raison contre la Réforme. Celle-ci même n’essaya pas de le soutenir, et elle fut amenée par le génie et l’exemple de Calvin à prendre les formes sévères, nobles et soutenues des écrivains de Rome, plus goûtés par Calvin, comme on sait, que les écrivains grecs. Les mœurs auraient d’ailleurs opéré naturellement et en son temps, ce que hâta la violence religieuse. Nous sommes les fils des Latins ; là est la cause principale de la préférence que nous donnerons toujours au génie latin. Nous avons l’esprit pratique de Rome ; nous tenons d’elle ce goût pour l’universel, qui, dans notre histoire politique, n’est autre chose que cette ardeur de tout conquérir, pour tout régler sur notre patron. On n’avait pas d’ailleurs cessé un seul jour en France d’écrire ou de parler en latin, en sorte que depuis longtemps, par la religion, par l’usage, par ces grands traits de ressemblance avec le peuple romain, nous inclinions du côté où nous poussait le catholicisme, vainqueur de la Réforme.

La Fantaisie, beau mot grec francisé par l’école de Ronsard, caractérise le tour d’esprit imité des Grecs ; Montaigne et l’école qui s’inspire du tour d’esprit latin le remplacent par la Raison, la sagesse, le sapere d’Horace140, l’unique secret de l’art d’écrire, lequel ne fait qu’un avec l’art de conduire sa vie.

Ce n’est pas que Montaigne, auquel le latin avait été donné pour maternel141, se refusât aucune des libertés du génie spéculatif, si naturel aux Grecs ; mais s’il spécule, c’est sur le réel. Son imagination, plus libre que hardie, ne s’évertue jamais hors du possible, et sa raison se complaît surtout dans les variétés et les contradictions de la conduite. Quant au caractère de sa langue, les latinismes lui sont en effet maternels. Il ne francise pas moins de mots latins que Rabelais de grecs ; mais, comme Rabelais, quand il n’a songé qu’à s’entendre avec lui-même, il ne réussit pas toujours à les faire entrer dans le corps de la langue.

§ IV. Le sujet des Essais.

La matière du livre de Montaigne est d’ailleurs la même que celle des écrits de ses devanciers. Ce sont les idées générales, les vérités toujours vraies ; et, à cet égard, il n’imagine rien ; mais son invention, son cachet propre, c’est le dessein de rattacher toutes ces idées, toutes ces vérités, à un sujet unique, à l’homme, étudié et confronté avec lui-même dans tous les pays et dans tous les temps.

Montaigne examine l’homme à la fois plus théoriquement que Rabelais, et plus librement ou du moins avec plus de respect pour la liberté humaine que Calvin. Tout est étude calme ou analyse curieuse. Rien n’est donné à la fantaisie, comme dans Rabelais ; rien à la polémique, comme dans Calvin. C’est l’homme considérant son semblable d’un regard désintéressé, au lieu de le gouverner d’une main tyrannique, ou de lui donner le change par d’amusantes folies ; cherchant à se démêler, et, comme dit Montaigne, « affamé de se cognoistre. » C’est l’homme à la fois observateur et sujet d’observation ; c’est enfin Montaigne lui-même, un des plus excellents esprits qui aient été, éprouvant à sa conscience, comme à une pierre de touche, tous les traits attribués à l’homme par toutes les philosophies et toutes les histoires. Au milieu de tant de Mémoires que produit le xvie  siècle, les plus intéressants, peut-être les seuls durables, sont ces Mémoires de la vie intérieure, de la pensée d’un homme.

Quel était-il donc, pour oser se faire ainsi le terme de comparaison de tout ce qui avait vécu avant lui, pour contrôler par sa propre sagesse la sagesse ancienne, et moderne, et peser le genre humain à son poids ?

Le caractère de Montaigne, tel que nous le montrent les Essais, est celui d’un homme nonchalant par humeur, non moins que par la faveur d’une condition qui lui permettait le repos ; irrésolu, tantôt par l’effet des lumières, qui font voir autant de raisons pour s’abstenir que pour agir, tantôt par la fatigue de délibérer, détestant l’embarras des affaires domestiques, et préférant l’inconvénient d’être volé à l’ennui de veiller sur son bien ; ennemi de toute contrainte, jusqu’à regarder comme un gain d’être détaché de certaines personnes par leur ingratitude ; ne donnant prise sur lui à rien ni à personne, ne se mettant au travail qu’alléché par quelque plaisir simple, naïf, vrai avec lui-même et avec les autres ; ayant le droit de parler de sa facilité, de sa foi, de sa conscience, de sa haine pour la dissimulation, dans un temps où toutes ces qualités étaient autant de périls142 ; « ouvert, dit-il, jusqu’à décliner vers l’indiscrétion et l’incivilité » ; délicat à l’observation de ses promesses jusqu’à la superstition, et pour cela prenant soin de les faire en tous sujets incertaines et conditionnelles143 ; franc avec les grands, doux avec les petits ; le même homme que le besoin d’ouverture pouvait rendre incivil ; poussant la civilité jusqu’à être prodigue de bonnetades 144, notamment en été, dit-il, sans doute parce qu’on risque moins en cette saison de s’enrhumer en général, ayant les vertus de l’honnête homme, et sachant, en un cas pressant, en montrer ce qu’il en fallait, mais n’en cherchant pas l’occasion un mélange de naïveté et de finesse, d’ouverture et de prudence, de franchise et de souplesse ; modérant ses vertus comme d’autres modèrent leurs vices ; mettant pour frein à chacune ce grand amour de soi, dont il ne se cache pas et qui formait son état habituel ; enfin, s’il fut vain, ne l’étant guère moins de ses défauts que de ses qualités.

Est-ce donc là tout le caractère de Montaigne ? Non. Tout au plus s’agit-il de ce qui lui est le plus personnel. Il y a de tous les caractères dans ce caractère, il y a de tous les hommes dans cet homme. Il semble avoir senti tous les mouvements, passé par toutes les contradictions de notre nature. Et, en même temps, il en a tenu note avec une curiosité que ne rebutait point la difficulté de se reconnaître soi-même dans ces ténèbres de la volonté et de l’humeur, de se saisir dans cette mobilité, et que n’effarouchait pas la honte de se trouver des faiblesses. Acteur et spectateur dans sa propre vie, il y a assisté comme à une pièce, et il en a donné l’analyse exacte, en homme qui s’y divertissait, et qui ne s’est pas inquiété si quelquefois la pièce contredisait le spectateur, ou le spectateur la pièce.

Voilà quels dons naturels et quelle disposition admirable Montaigne apportait à cette étude de l’homme, qui fait le sujet et la vérité durable de ses Essais. Sa condition n’y servit guère moins que son caractère. Après une enfance qu’il nous dit avoir été « sans sujétion et molle145 », il entre sans effort et comme de plain-pied dans les charges et emplois de cour. Il était conseiller au parlement de Bordeaux à l’âge de 21 ans ; plus tard, gentilhomme de la chambre du roi Charles IX ; du reste, n’ayant pas connu l’ambition, dont sa fortune le dispensait ou, s’il en sentit un moment les atteintes dans sa jeunesse, s’en étant bientôt défait, « avec le conseil de ses bons amis du temps passé », y dit-il, et parce que l’ambition n’est convenable « qu’à celui à qui lafortune refuse de quoi planter son pied146. »

Mais s’il n’en connut pas le principal mobile, il en put du moins considérer les objets d’assez près pour en porter des jugements purs d’illusions et de préventions. En effet, quoique fort épris du loisir et jaloux de sa commodité, il ne put se dérober tellement aux affaires publiques, qu’on ne le forçât de s’y mêler dans cette mesure qu’il portait en toutes choses. En 1581, étant à Lucques pour sa santé, il fut nommé maire de Bordeaux, et, après deux années d’exercice, réélu pour le même temps. Quatre ans après, aux états de Blois, il jouait, selon de Thou, le rôle de négociateur secret. Il put apprécier, dans ces deux circonstances, à quelles interprétations incertaines et diverses sont sujettes les actions publiques, et il apprit, par les jugements qu’on faisait de sa conduite, ce qu’il faut penser de l’opinion et des réputations qu’elle fait ou détruit. Dans ce court passage aux affaires, où il avoue s’être « porté trop laschement et d’une affection languissante », il se serait corrigé, s’il eût été nécessaire, des illusions du travail spéculatif ; il y amassa des expériences pour autoriser ses pensées, et des souvenirs pour les provoquer.

A. un homme si admirablement préparé pour bien juger, quelle riche matière offrait le xvie  siècle ! Montaigne y vit tout ce qui est de l’homme guerres, paix, dissensions civiles et religieuses, assemblées, croyances, renaissance des lettres et des arts, toutes les passions toutes les exagérations, toutes les vertus, l’héroïsme des armes et de la science ; toutes les calamités, la famine, la peste, le pillage, et ce qu’il appelle la ruine publique. Il fit, en quelque sorte, le tour du bouclier d’Achille, ce symbole de la vie humaine, au temps d’Homère ; ayant touché à tout, ayant pu voir toutes les idées sous la forme d’hommes ou d’événements.

Enfin, à tous ces avantages du caractère de la condition, du spectacle d’un siècle laborieux et agité, qui vécut de toutes les vies, Montaigne joignait une qualité qu’aucun autre écrivain de son temps n’a possédée à ce degré où elle est la marque même du génie, je veux dire la modération. A la différence de Rabelais et de Calvin, qui sont emportés à chaque instant, l’un par son imagination, l’autre par les illusions du raisonnement, vers l’extrême limite de leur nature, Montaigne se tient comme au centre de la sienne. Il dégage sans cesse sa raison de son imagination et de ses passions ; il s’attache à la recherche de ce point milieu, où l’on se trouve enfin soi-même, et d’où l’on juge les autres avec le moins de chances d’erreurs. C’est ce coing qu’il s’était fait en son âme, et qu’il essayait de soustraire aux passions, à l’instar de sa maison de Montaigne, autre coing qu’il tâchait de mettre à l’abri de la tempête publique147. Il se rend le témoignage qu’il n’a guère de mouvements qui se cachent et se dérobent à sa raison. « Si je ne suys chez moi, dit-il, j’en suys toujours bien près148. » Véritable homme de génie parce qu’il est modéré. Dans Rabelais, outre l’humeur qui lui est propre, le médecin, le savant épris des curiosités de l’érudition, offusquent ou distraient le philosophe. Pour Calvin, il tourne toute science de l’homme à la théologie. La vérité qu’ils ont vues tous les deux, l’un en a fait excès comme d’une boisson enivrante, l’autre l’a traitée comme un instrument de discipline et de commandement ; tous deux se sont crus peut-être meilleurs qu’elle. Montaigne seul la cherche avec désintéressement et la présente telle qu’elle est, sans la rendre ni méprisable en s’en jouant, comme Rabelais, ni haïssable, comme Calvin, en lui immolant la liberté.

§ V. Caractère général des Essais. — D’où vient le gout de Montaigne pour les écrivains latins de la décadence.

C’est par toutes ces convenances réunies de l’homme, de l’écrivain et de l’époque, c’est surtout par cette modération admirable, que les Essais de Montaigne sont le premier ouvrage populaire de la prose française. Beaucoup même le regardent comme le premier ouvrage de génie, dans l’ordre des temps ; ce serait juste, s’il n’y avait d’écrivains de génie que ceux qu’on lit. Du moins a-t-on raison de tenir ceux qu’on lit pour les plus grands. La grandeur des écrivains doit être proportionnée au bien qu’ils font, soit qu’ils enseignent directement la vérité dans des écrits dogmatiques qui vont droit à la raison, soit qu’ils l’insinuent par le charme de fictions vraisemblables, soit qu’ils dirigent la vie ou qu’ils la rendent plus légère. C’est au nombre de ceux qui profitent de leurs écrits qu’il faut mesurer leur gloire ; car plus il en est qui ont part à cette nourriture de l’âme, plus les hommes de génie ressemblent à Dieu, dont ils sont les créatures privilégiées.

Toutes les idées générales sont dans le livre des Essais ; toutes les vérités s’y trouvent avec tous les doutes. Mais les vérités y laissent chacun libre de se conduire à sa guise et les doutes n’y sont que des aveux de la sagesse bornée que Dieu a départie aux hommes.

Toutefois, les doutes dominent. C’est l’effet du temps où vivait Montaigne. En littérature, en politique, en religion, chacun disait : Je sais tout. Montaigne prit pour devise « Que sais-je ? » Admirable leçon donnée par un esprit supérieur et impartial à tant d’esprits communs et violents qui s’arrogeaient la sagesse et la certitude. Ce scepticisme n’est pas le pyrrhonisme que Pascal lui a reproché car, en beaucoup de points, et principalement pour les choses qui ne souffrent pas de délai, Montaigne affirme et décide. Si, dans tout le reste, il doute, c’est résistance d’une haute raison à toutes ces opinions qui croyaient tenir la vérité, et qui l’imposaient à leurs contradicteurs par le fer et par le feu. Le scepticisme de Montaigne proclame la liberté de la conscience, et conserve saine et sauve la moralité des actions. Cette disposition est commune à tous les bons esprits de ce temps tous, en présence de ces affirmations violentes, qui s’entre-détruisent tour, à tour, selon les chances de la force, cherchent la vérité, qui, en face de l’affirmation, se manifeste d’abord par le doute. Le doute, c’était la seule sagesse possible alors, sagesse qui deviendra bientôt insupportable ; et si Montaigne a plus douté qu’homme de son siècle, c’est qu’il était plus homme de génie qu’aucun de ses contemporains.

Où le doute domine, il n’est pas étonnant de trouver plus de curiosité que de choix. C’est un nouveau trait de Montaigne il n’est guère moins curieux que sceptique. Le sceptique, ne s’attachant à rien sans restriction, doit renouveler sans cesse ses connaissances et ses idées. Comme il n’a point de but, et qu’il pense moins pour se convaincre et s’assurer sur un point, ou pour en persuader les autres que pour entretenir doucement l’activité de son esprit ; comme il n’est point impatient, n’ayant nulle part à aller, tout détail, toute anecdote, toute particularité a droit de l’intéresser ; toute idée lui est agréable, tout chemin lui est bon. De là dans Montaigne, malgré un fond de goût qui se marque par d’excellents jugements sur les bons auteurs de la latinité, sa prédilection pour ceux de l’époque de la décadence, pour Sénèque en particulier, dont il avoue qu’il imitait volontiers le parler149. Son commerce de tous les jours avec Plutarque s’explique par cette curiosité qui laissait à d’autres à choisir, et pour qui la quantité était la seule affaire pressante. L’immense variété des faits dans Plutarque, le nombre infini de demi-vérités dans Sénèque, de nuances de perceptions douteuses qui font souvent illusion par la fausse précision des mots, telle était la nourriture choisie de Montaigne. C’est ce qu’il appelle des lectures « où se mesle un peu plus de fruit au plaisir150. » Les poëtes, Virgile même, dont il regarde d’ailleurs les Georgiques « comme le plus accomply ouvrage de la poësie151 », les poètes ne sont pour lui que des lectures d’amusement.

Cet esprit de curiosité l’a rendu injuste pour Cicéron. « Les raisons premières et plus aisées, dit-il, qui sont communément les mieulx prises, je ne sçais pas les employer, mauvais prescheur de commune. » C’est toucher droit à Cicéron, dont la gloire est d’avoir admirablement exprimé les raisons premières et plus aisées, celles qui forment le commun des hommes, et d’avoir été excellent prescheur de commune. Montaigne préférait les subtilités de Sénèque, qui le piquaient et qui excitaient sa nonchalance, à cette beauté égale et pure d’un discours ni subtil ni téméraire, ni paradoxal, où l’auteur pense moins à jouir de ses pensées particulières qu’à faire part aux autres de ce qu’il sent en commun avec tous. Il n’a pas de goût pour les choses arrêtées, et sur lesquelles tout le monde est d’accord. La vérité ne lui plaît que là où elle ne se présente pas sous la forme d’une affirmation. Entre une chose douteuse qui le sollicite et le stimule, et une chose évidente à laquelle il n’y a qu’à consentir, c’est vers la chose douteuse qu’il incline. Aussi préfère-t-il à Cicéron Pline avec toutes ses fables, qui troublent et qui embarrassent la raison humaine.

La paresse même de sa mémoire, qu’il a peut-être exagérée par vanité, et cet usage de ne penser qu’à propos ou à la suite des pensées d’autrui, le portaient aux raisons extraordinaires et malaisées. Le propre d’une mémoire paresseuse, dans un esprit excellent, est de retenir plutôt les choses auxquelles l’esprit résiste que celles auxquelles il acquiesce tout d’abord, et celles qui promettent plus qu’elles ne tiennent, plutôt que celles qui tiennent tout ce qu’elles promettent. Par l’effet de cette autre paresse d’intelligence dont se plaint aussi Montaigne, ou dont il se vante, une demi-vérité de Sénèque le secouait bien plus vivement qu’une belle scène de Térence ou un beau morceau de Cicéron. Enfin ce qu’il y a de hasardé et de capricieux dans les écrivains de décadence s’accordait à son humeur un peu gasconne, à un certain désir de faire briller son esprit, que nous retrouverons deux siècles plus tard dans un grand écrivain du même pays, Montesquieu. Comme Sénèque, comme Tacite, qui, à cet égard, fait plus illusion, à cause de sa gravité constante et de son accent pathétique, Montaigne poursuit les idées pour elles-mêmes, non comme prémisses d’un raisonnement ou parties d’une vérité. Il recherche les plus contestables comme prêtant plus aux développements ingénieux ou à la contradiction abondante, et il répand de la même main les vraies lumières, sans injonction de les suivre ; et les fausses, sans s’inquiéter si les esprits faibles s’y laisseront prendre.

Il y a d’ailleurs des causes générales de ce goût de Montaigne pour les auteurs des époques de décadence. Il n’est pas le seul qui fasse un si grand cas de Sénèque. Depuis Calvin jusqu’à Malherbe, combien qui l’ont lu et qui s’en sont inspirés ! Ovide et Lucain sont des modèles plus cultivés que Virgile. Une première raison, c’est qu’on imite les plus près de soi : or, les écrivains de la décadence latine étaient les plus près de ceux de la Renaissance. Il y a d’ailleurs de frappantes analogies entre les deux époques de grandes choses qui finissent, la religion et la société politique dans l’empire romain, le catholicisme du moyen âge, et la féodalité dans la France du xvie  siècle ; de grands bouleversements, des révolutions, le règne de la force, qui détache les esprits méditatifs d’une société où personne n’a protection, et les ramène sur eux-mêmes ; le même doute aux deux époques par des causes différentes ; dans Rome en décadence, parce que les vieilles croyances y sont éteintes et laissent l’homme en proie à lui-même ; dans la France du seizième siècle, parce qu’on est placé entre d’anciennes formes qui disparaissent et un avenir qu’on ignore. Or, dans le doute, la raison, trop souvent découragée, laisse le champ libre à l’imagination. De là, dans les écrivains des deux époques, tant de choses données à l’imagination tournée vers l’étude de l’homme intérieur, et je ne sais quels romans psychologiques sur notre nature morale. Cet examen qu’ils font d’eux-mêmes, sans règles, sans croyance, favorise la prépondérance de l’imagination, et la porte, tantôt par les raffinements du travail, tantôt par la négligence, vers ces choses indécises et spécieuses où la pensée est souvent déterminée par des consonnances de mots, et où l’esprit, cessant d’agir sur des objets réels, semble tourner sur lui-même. Ni dans l’une ni dans l’autre époque, les auteurs n’ont de goût : car le goût, c’est la présence de la raison dans tous les détails d’un ouvrage d’esprit. Les mêmes causes qui font qu’il n’y en a plus aux époques de décadence, font qu’il n’y en a pas encore aux époques de renaissance. Le goût est un fruit de l’âge mûr des nations, alors que l’imagination et la sensibilité, après avoir été maîtresses, se subordonnent, sans abdiquer, à l’empire de la raison. Or, aux époques de décadence, la maturité incline déjà vers la décrépitude, et aux époques de renaissance, il y a tout à la fois décrépitude et excès de jeunesse. Le goût, c’est encore le sentiment du vrai commun à tous ; or, à ces deux époques, comme on ne croit pas à des vérités communes à tout le monde, on ne peut pas avoir de goût. Chaque écrivain regarde le vrai comme une vue particulière de son esprit ; il le traite comme son bien propre ; il n’en a pas le respect, qui est le goût, sous sa forme la plus sévère.

§ VII. Des causes de la popularité de Montaigne.

La popularité de Montaigne a été l’ouvrage du temps ; aussi n’a-t-elle pas été sujette aux retours. La faveur des imaginations n’y a été pour rien. A côté de Ronsard, qui vit et meurt dans l’applaudissement universel, Montaigne est à peine connu de quelques esprits de choix152. On le lit et on le goûte en secret ; il n’a pas d’influence réelle. Ses ennemis, d’ailleurs, ne sont pas plus nombreux que ses amis.

Au commencement du xviie  siècle, en vain la demoiselle de Gournay, fille adoptive de Montaigne, s’efforce, par ses pieux libelles, de réchauffer l’admiration pour l’auteur des Essais. Les puristes d’alors, qui font la mode, le décrient comme archaïque. Balzac, à côté d’éloges sincères, en fait des critiques assez vives ; Port-Royal le trouve impie, et l’attaque pour sa philosophie qui prétend se passer de religion. Le plus grand homme de cette pieuse compagnie, Pascal, se montre plus sévère pour Montaigne que pour les jésuites. Selon lui, les Essais sont un livre pernicieux, immoral, plein de mots sales et déshonnêtes ; Montaigne ne songe qu’à mourir mollement et lâchement. Dans la Logique de Port-Royal, on ne lui rend même pas justice littérairement, et on profite de lui sans l’en remercier. Sur la fin du siècle toutefois, on commence à le lire, et on le juge mieux. La Bruyère imite visiblement son style ; La Fontaine le médite, Bayle se sert de son doute, comme d’une arme légère, contre les mille erreurs de l’esprit humain.

Mais c’est au xviiie  siècle seulement que Montaigne est apprécié à son prix. Les grands écrivains le reconnaissent pour leur glorieux prédécesseur. Le voilà enfin à sa place, en pleine compagnie de sceptiques n’ayant plus affaire aux jésuites, ni aux jansénistes. Voltaire reprend toutes les idées de Montaigne, donne la précision et le tour vif de la polémique à ces opinions enveloppées dans Montaigne du langage abondant, pittoresque et quelquefois traînant, de la spéculation inoffensive. Rousseau le copie ; Montesquieu, Diderot et tous les encyclopédistes l’étudient, lui font des emprunts, rhabillent ses doutes ingénieux. Il est dans la destinée de Montaigne que plus il vieillit, plus sa gloire augmente. Tour à tour les côtés si nombreux et si divers de son admirable livre reçoivent une sorte de vie nouvelle. Dans les xviie et xviiie  siècles, ce sont les idées ; dans le xixe , où l’on est plus désintéressé et plus libre sur les idées, où l’on est à peu près aussi loin des rancunes jansénistes que de l’incrédulité des philosophes, c’est le style qu’on étudie et qu’on remet en honneur. C’est dans Montaigne, dit-on avec raison, qu’il faut aller rajeunir la langue par des innovations, ou plutôt par des restaurations de bon aloi. Sous quelque point de vue qu’on l’ait regardé, soit qu’on y ait cherché l’instruction ou la distraction, peu d’écrivains, depuis trois siècles, ont eu plus de lecteurs dans notre pays, et des lecteurs plus amis de leur auteur. Ce doute même, qui n’a rien de sec ni de moqueur, qui respecte les croyances lors même qu’il les affaiblit en en faisant voir les contradictions, n’est pas le moindre attrait de cette lecture. A combien peu d’esprits le doute ne plaît-il pas, soit à cause de la faiblesse de notre attache à la vérité, soit, quelquefois, à titre de morale commode ! Combien peu qui sont assez fermes sur tous les principes qui dirigent la vie, pour n’incliner pas quelquefois vers le doute par relâchement, sinon pour se trouver moins coupables dans les défaillances ! Combien qui aiment plus la vérité en spéculatifs que pour l’application, plus comme une conformité avec leur nature intellectuelle, qui flatte leur vanité, comme une règle de conduite immédiate qui les oblige ! Montaigne caresse toutes ces dispositions et absout toutes ces impuissances. Il attire les gens par cette devise séduisante : « Que sais-je ? » à laquelle répond, dans la conduite : « Que faire ? », question commode, pour les jours où notre conscience et notre passion se disputent à chances égales, ou plutôt quand la passion commence à prendre le dessus. Je n’en fais pas une gloire à Montaigne, confesseur mondain s’il en fut, qui pactise avec nos plus secrètes faiblesses, pour que nous lui pardonnions ou que nous admirions les siennes ; je dis quelles douceurs a ce doute bienveillant et jamais agressif. Et qu’y a-t-il d’étonnant qu’un juge si facile, toujours prêt à se récuser pour n’avoir pas à condamner, soit du goût de plus de gens qu’un juge qui condamne au nom, d’une règle établie ?

Outre cette complaisance de l’esprit de doute par laquelle Montaigne se fait tant d’amis, surtout dans notre France, un attrait plus innocent peut-être nous le fait aimer : c’est que chacun de nous s’y reconnaît. Pascal l’a dit, ne croyant pas faire l’éloge de l’homme : « Ce n’est pas dans Montaigne, mais dans moi, que je trouve ce que j’y vois153. » C’était avouer qu’il se reconnaissait dans Montaigne en même temps qu’il le lisait ; car, ce qu’il voit en lui-même, il ne nie pas que Montaigne ne l’ait vu le premier. Ce dépit de Pascal loue mieux Montaigne que toutes les apologies. Moi aussi, je me vois dans Montaigne chaque fois que je l’ouvre ; je m’y suis vu ce matin même, en le feuilletant pour vérifier l’exactitude d’une citation si je m’étais oublié, j’irais me chercher là. Dans cette confusion et dans cette obscurité où nous sommes sur nous-mêmes, soit par l’empire de nos contradictions, soit, pour le plus grand nombre, par notre impuissance à nous voir avec le seul secours de nos yeux et à nous parler à nous-mêmes en termes précis, Montaigne excelle à nous démêler, et il nous fournit lui-même les mots pour nous rendre compte de nos pensées. Rien dans nos dispositions ne reste obscur et caché ; il nous fait voir pleinement ce que nous entrevoyons à peine ; saisir ce qui paraissait hors de notre portée ; et il ajoute ainsi à notre vue et comme à notre toucher, nous développant et nous agrandissant sans nous faire sortir de nous. Ce que Pascal, homme de génie, voit simultanément en Montaigne et en lui, et presque plus tôt en lui qu’en Montaigne, le moi humain, nous, la foule des esprits capables de se perfectionner par la culture, nous le voyons aussi, avec son aide et par son indication, charmés de nous estimer davantage dans le même temps que nous nous reconnaissons.

Cette première douceur de ressembler à l’aimable philosophe n’est pas la seule que nous y goûtions. Nous nous piquons de reconnaître notre personne dans la personne qui s’appelait Montaigne, dans ce portrait qu’il se garde bien de faire en une fois, de peur d’omettre certains traits et d’en forcer d’autres, mais qu’il a comme répandu dans tout le cours de son ouvrage. Qui ne s’est vu ou n’a cru se voir dans telle de ses dispositions habituelles, dans tel acte de sa conduite, dans certaines particularités de son tempérament et de ses goûts, dans ce soin même qu’il prend de noter tout ce qui se rapporte à lui ? Quand il parle de ses faiblesses ou de certaines facilités qui, sans être des vices, sont bien moins encore des vertus, nous hésitons d’autant moins à les trouver en nous, que la pensée de les avoir en commun avec un homme supérieur nous en atténue le tort. Nous nous trouvons aussi quelques-unes de ses qualités, soit qu’en effet nous en ayons certains traits, soit qu’à notre insu, sous le charme de simplicité naïve avec lequel il nous en parle, le désir de lui ressembler nous persuade que nous lui ressemblons.

La méthode de Montaigne ajoute à toutes ses séductions. Les sujets de ses chapitres sont tantôt quelque axiome de morale, tantôt une vertu, une passion, une coutume, quelqu’un des mobiles qui font agir les hommes. C’est sur ces sujets qu’il nous convie à entrer en méditation avec lui. S’il s’agit d’une vertu, d’une passion, il en examine les définitions et en rapporte les exemples tirés de l’histoire générale ou anecdotique ; si c’est une maxime générale, il réfute ou approuve, en les faisant valoir toujours, les contradicteurs qu’elle a rencontrés ; si c’est quelque doctrine rendue orgueilleuse et intolérante par ceux qui s’en autorisent ou qui en profitent, il s’amuse des échecs et des démentis qu’elle a reçus. Puis il compare, sur chaque point particulier, le présent avec le passé, les opinions que d’autres en ont eues avec celle qu’il en a lui même, les actions qui s’y rattachent avec sa conduite personnelle. J’omets les accessoires les récits, les anecdotes, les digressions sur les points qui avoisinent le sujet, les citations traduites ou paraphrasées, ces mille caprices d’un homme qui n’est point pressé et qui s’attache à son propos tant qu’il ne s’offre pas quelque occasion agréable de s’en distraire.

Méthode attrayante, mêlée de tous les genres et de tous les tons ; le dogmatique arrêté à temps, coupé par des récits et de piquantes confidences sur lui-même, jamais pédantesque, même aux endroits où Montaigne paraît être le plus sérieusement de l’opinion qu’il professe la causerie jamais vaine ; l’auteur remplaçant à propos par un discours serré le laisser-aller du causeur ; tous les genres de style agréablement mêlés, depuis le plus relevé jusqu’au plus familier, sans attendre que le relevé ait trop tendu l’esprit du lecteur, ni que le familier l’ait relâché, toutes les formes du discours appelant toutes les ressources de la langue.

Y a-t-il une méthode dans cette sorte de journal de sa pensée, dont les feuillets se suivent sans se lier, qui porte des titres de chapitres, mais qui, selon l’humeur de l’écrivain, promet plus qu’il ne tient ; ou tient plus qu’il ne promet ? Montaigne est-il autre chose qu’un penseur capricieux et profond, qui, tantôt de son premier mouvement, tantôt sur l’invitation de l’auteur qu’il lit, de Plutarque le plus souvent, se porte ou se laisse mener vers tous les sujets de la méditation humaine ? Il écrit tour à tour sur la poésie, la médecine, l’histoire naturelle, la politique, les religions, la morale, selon ses humeurs et sa guise ; s’intéressant à toutes ses idées, négligeant les transitions, n’émoussant pas les vives pointes de son esprit dans le travail patient de l’arrangement. Il se promène dans le monde des pensées comme un voyageur dans une contrée historique, avec la seule curiosité pour guide, laissant à chaque endroit qu’il a quitté une réflexion triste ou ironique, une rêverie, un souvenir.

Ouvrez Montaigne, n’importe à quel feuillet ; dès les premiers mots vous serez au courant. Ce sont de ces livres qui commencent et finissent à toutes les pages ; on le rouvrira dix fois au même feuillet sans le trouver ni moins nouveau, ni moins inattendu. Il y a des gens qui ont toujours lu Montaigne, et qui ne l’ont jamais fini.

Il a peint admirablement ce caprice de son esprit et cette indifférence pour toute méthode : « Je n’ai point d’aultre sergent de bande à ranger mes pieces que la fortune à mesme que mes resveries se présentent, je les entasse ; tantdst eues se pressent en foule, tantost elles se traisnent à la file. Je veux qu’on voye mon pas naturel et ordinaire ainsi detracqué qu’il est ; je me laissé aller comme je me treuve. Je prends de la fortune le premier argument ; ils me sont esgalement bons154. »

Comme il a le mieux peint son humeur, Montaigne a le mieux défini son style « Le parler que j’ayme, dit-il, c’est un parler simple et naïf, tel sur le papier qu’à la bouche ; un parler succulent et nerveux, court et serré, non tant deslicat et peigné que véhément et brusque,

Haec demum sapiet dictio, qUse feriet

plutôst difficile qu’ennuyeux, esloigné d’affectation, desreglé, descousu et hardy, chaque loppin y face son corps ; non pedantesque, non fratesque, non plaideresque. » C’est là, en effet, le style de Montaigne. Doué d’une imagination vive et poétique, qui se représentait les idées comme des objets et colorait les abstractions elles-mêmes ; plein de finesse et de raison, riche de son fonds et du fonds antique, il trouva la prose à peine sortie du berceau, hardie et aventureuse comme tout ce qui commence ; il la plia aux caprices de sa pensée, et l’enrichit de tours originaux qui prirent cours en son nom. Derrière lui, pas de modèle qui fît loi ; autour de lui, pas de critique qui l’accusât de violer la tradition, et qui lui opposât quelque vocabulaire officiel ; mais une nation avide de gloire littéraire, et qui attendait sa langue de ses grands écrivains. Sans grammaires, sans règles, guidé par son instinct et par l’analogie, il osa tout pour exprimer sa pensée, et il traita la langue non comme l’héritage de tous, mais comme sa propriété personnelle. Ainsi en usent les hommes de génie avec des langues qui ne sont pas encore formées ; ils imitent les gens du peuple, toujours enfants même au sein des langues perfectionnées, lesquels, ayant plus d’idées que de mots pour les rendre, courent aux équivalents, aux comparaisons, aux figures, s’aidant de tout pour parler comme ils sentent, et se faisant dans la chaleur du moment une langue incorrecte mais vive expressive et colorée. La langue de Montaigne n’est pas une des moindres séductions de ce grand écrivain. Chacun y trouve son compte. Les érudits en goûtent la nouveauté, et y admirent tant de tours et d’expressions conformes au génie de notre pays, et qui datent de Montaigne. Les ignorants, les esprits dont l’appréhension est molle et lâche, pour parler comme lui, et qui ne reçoivent rien dans leur raison que par l’imagination, sont éblouis de ces vives couleurs qui peignent les idées, et qui intéressent, pour ainsi dire, les sens aux perceptions de l’intelligence. Tous les esprits cultivés aiment, cet heureux don d’exprimer des choses sensées par un tour piquant qui est proprement l’esprit, si national dans notre pays.

La langue de Montaigne a les grâces et la liberté de celle de Rabelais, sans cette fureur qui roule les mots au hasard et en fait si souvent un jargon. Elle a l’exactitude de celle de Calvin, avec plus de variété ; elle contient toute celle d’Amyot, aux richesses de laquelle Montaigne ajoute ses propres inventions ; enfin elle réunit tout ce que le xvie  siècle a mis de science et de génie dans la formation de notre langue littéraire, désormais la langue de l’esprit moderne, langue maternelle pour nous, langue adoptive pour quiconque en Europe, dans les lettres, les sciences l’art du gouvernement, dans les travaux de l’esprit ou de la politique, a laissé ou laissera un nom durable.