(1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Appendice. Histoire raisonnée des poètes dramatiques et lyriques » pp. 284-285
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(1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Appendice. Histoire raisonnée des poètes dramatiques et lyriques » pp. 284-285

Appendice.
Histoire raisonnée des poètes dramatiques et lyriques

Nous avons déjà montré qu’antérieurement à Homère il y avait eu trois âges de poètes : celui des poètes théologiens, dans les chants desquels les fables étaient encore des histoires véritables et d’un caractère sévère ; celui des poètes héroïques, qui altérèrent et corrompirent ces fables ; enfin l’âge d’Homère, qui les reçut altérées et corrompues. Maintenant la même critique métaphysique peut, en nous montrant la cours d’idées que suivirent les anciens peuples, jeter un jour tout nouveau sur l’histoire des poètes dramatiques et lyriques.

Cette histoire a été traitée par les philologues avec bien de l’obscurité et de la confusion. Ils placent parmi les lyriques Amphion de Méthymne, poète très ancien des temps héroïques. Ils disent qu’il trouva le dithyrambe 88, et aussi le chœur ; qu’il introduisit des satyres qui chantaient des vers ; que le dithyrambe était un chœur qui dansait en rond, en chantant des vers en l’honneur de Bacchus. À les entendre, le temps des poètes lyriques vit aussi fleurir des poètes tragiques distingués, et Diogène Laërce assure que la première tragédie fut représentée par le chœur seulement. Ils disent encore qu’Eschyle fut le premier poète tragique, et Pausanias raconte qu’il reçut de Bacchus l’ordre d’écrire des tragédies ; d’un autre côté, Horace qui dans son art poétique commence à traiter de la tragédie en parlant de la satire89, en attribue l’invention à Thespis, qui au temps des vendanges fit jouer la première satire sur des tombereaux. Après serait venu Sophocle, que Palémon a proclamé l’Homère des tragiques ; enfin la carrière eût été fermée par Euripide qu’Aristote appelle le tragique par excellence, τραγικώτατος. Ils placent dans le même âge Aristophane, premier auteur de la vieille comédie, dont les nuées perdirent le vertueux Socrate. Cet abus ouvrit la route de la nouvelle comédie que Ménandre suivit plus tard.

Pour résoudre ces difficultés, il faut reconnaître qu’il y eut deux sortes de poètes tragiques, et autant de lyriques. Les anciens lyriques furent sans doute les auteurs des hymnes en l’honneur des dieux, analogues à ceux que l’on attribue à Homère, et écrits aussi en vers héroïques. Chez les Latins les premiers poètes furent les auteurs des vers saliens, sorte d’hymnes chantés dans les fêtes des dieux par les prêtres saliens. Ce dernier mot vient peut-être de salire, saltare danser, de même que chez les Grecs le premier chœur avait été une danse en rond. Tout ceci s’accorde avec nos principes : les hommes des premiers siècles qui étaient essentiellement religieux, ne pouvaient louer que les dieux. Au moyen âge, les prêtres qui seuls alors étaient lettrés, ne composèrent d’autres poésies que des hymnes.

Lorsque l’âge héroïque succéda à l’âge divin, on n’admira, on ne célébra que les exploits des héros. Alors parurent les poètes lyriques semblables à l’Achille de l’Iliade, lorsqu’il chante sur sa lyre les louanges des héros qui ne sont plus 90. Les nouveaux lyriques furent ceux qu’on appelait melici, ceux qui écrivirent ce genre de vers que nous appelons arie per musica ; le prince de ces lyriques est Pindare. Ce genre de vers dut venir après l’iambique, qui lui-même, ainsi que nous l’avons vu, succéda à l’héroïque. Pindare vint au temps où la vertu grecque éclatait dans les pompes des jeux olympiques au milieu d’un peuple admirateur ; là chantaient les poètes lyriques. De même Horace parut à l’époque de la plus haute splendeur de Rome ; et chez les Italiens ce genre de poésie n’a été connu qu’à l’époque où les mœurs se sont adoucies et amollies.

Quant aux tragiques et aux comiques, on peut tracer ainsi la route qu’ils suivirent. Thespis et Amphion, dans deux parties différentes de la Grèce, inventèrent pendant la saison des vendanges91 la satire, ou tragédie antique jouée par des satyres. Dans cet âge de grossièreté, le premier déguisement consista à se couvrir de peaux de chèvres92 les jambes et les cuisses, à se rougir de lie de vin le visage et la poitrine, et à s’armer le front de cornes93. La tragédie dut commencer par un chœur de satyres ; et la satire conserva pour caractère originaire la licence des injures et des insultes, villanie, parce que les villageois grossièrement déguisés se tenaient sur les tombereaux qui portaient la vendange, et avaient la liberté de dire de là toute sorte d’injures aux honnêtes gens, comme le font encore aujourd’hui les vendangeurs de la Campanie appelée proverbialement le séjour de Bacchus. Le mot satyre signifiaient originairement en latin, mets composés de divers aliments (Festus)94. Dans la satire dramatique, on voyait paraître, selon Horace, divers genres de personnages, héros et dieux, rois et artisans, enfin esclaves. La satire, telle qu’elle resta chez les Romains, ne traitait point de sujets divers.

Grâces au génie d’Eschyle, la tragédie antique fit place à la tragédie moyenne, et les chœurs de satyre aux chœurs d’hommes. La tragédie moyenne dut être l’origine de la vieille comédie, dans laquelle les grands personnages étaient traduits sur la scène ; et voilà pourquoi le chœur s’y plaçait naturellement. Ensuite vint Sophocle et après lui Euripide qui nous laissèrent la tragédie nouvelle, dans le même temps où la vieille comédie finissait avec Aristophane. Ménandre fut le père de la comédie nouvelle, dont les personnages sont de simples particuliers, et en même temps imaginaires ; c’est précisément parce qu’ils sont pris dans une condition privée, qu’ils pouvaient passer pour réels sans l’être en effet. Dès lors on ne devait plus placer le chœur dans la comédie ; le chœur est un public qui raisonne, et qui ne raisonne que de choses publiques.